Abstracts
Résumé
Le film Shutter Island (Martin Scorsese, 2010) se prête ici à une réflexion sur la fable, en tant que récit d’invention proposant découverte et adhésion à une interprétation de soi et du monde : elle est objet de croyance car porteuse de valeurs et de normes sociales. Le film déplace les données du roman de Dennis Lehane (2003) et vient « contrarier » — comme le proposait Jacques Rancière (2001) — la signification morale du récit littéraire.
Pour donner plus de portée à cette étude de cas, on s’appuiera d’abord sur la notion de programme de vérité (Paul Veyne, 1983) afin de mieux prendre en compte l’affrontement dans le film des deux versions qui opposent l’enquête du marshal Teddy Daniels et la névrose du malade interné Andrew Laeddis. On interrogera ensuite les modalités particulières qui articulent l’expérience intime et l’expérience socialisée : cette dualité fonde l’expérience filmique pour le spectateur, qui en retrouve l’image dans le Miroir du film. On s’appuie ici sur les réflexions d’Étienne Balibar sur la psychologie des foules (2016), et de Pierre Legendre sur l’anthropologie dogmatique (2001).
On se penchera enfin sur les processus d’interaction entre les médias, qui contribuent à un inquiétant obscurcissement de la fable cinématographique : la relation au roman se complique lorsque s’efface l’autorité narrative du docteur Sheehan, ou lorsque Scorsese joue sur trois régimes d’image dont l’entrelacs fonde en vérité le présent de l’enquête; lorsqu’enfin le film dialogue dans la mémoire du spectateur avec d’autres films, d’autres images, d’autres récits.
Abstract
The film Shutter Island (Martin Scorsese, 2010) lends itself here to a reflection on the fable as an inventive narrative offering discovery and adherence to an interpretation of oneself and the world: the fable is an object of belief because it carries social values and norms. The film displaces the data of Dennis Lehane’s novel (2003) and “contradicts”—as Jacques Rancière (2001) put it—the moral significance of the literary narrative.
To give more scope to this case study, we will first use the concept of a truth program (Paul Veyne (1983) to better reflect the confrontation in the film between the two versions of the investigation of Marshal Teddy Daniels and the neurosis of hospitalized patient Andrew Laeddis. We will then examine the particular modalities that articulate the intimate experience and the socialized experience. This duality forms the basis of the cinematic experience for the spectator, who rediscovers their image in the film’s Mirror. Here we draw on Etienne Balibar’s reflections on crowd psychology (2016) and Pierre Legendre’s on dogmatic anthropology (2001).
Finally, we will look at the processes of interaction between the different media, which contribute to a disturbing obscuration of the cinematic fable. The relationship with the novel becomes more complicated when Dr. Shehan’s narrative authority is erased, when Scorsese plays on three modes of image whose interlacing truly underpins the present of the investigation, or when, finally, the film enters into dialogue in the spectator’s memory with other films, other images, other narratives.