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Le plus récent ouvrage d’Anne-Claire Faucquez permet de consolider nos connaissances sur l’esclavage dans le nord des Amériques et démontre que la Nouvelle-Néerlande a été une société esclavagiste malgré les représentations construites jusqu’à présent. L’autrice s’inscrit dans une historiographie grandissante sur la contribution des esclaves africains et autochtones à la construction des colonies du Nord, donc sans économie de plantation. Dans cet ouvrage, la maîtresse de conférences en histoire et civilisation des États-Unis souhaite briser deux stéréotypes de l’histoire de l’asservissement : le clivage entre l’esclavage du nord et l’esclavage du sud des États-Unis, et la clémence et la bienveillance des propriétaires d’esclaves du Nord. L’autrice fait débuter ses observations dès la fondation de la Nouvelle-Amsterdam en 1624 et termine avec la révolte d’esclaves de New York en 1712. Au fil de ces années et du changement de pouvoir qui s’observe, Faucquez décrit l’arrivée des esclaves, l’évolution du statut servile, le rôle des individus asservis, la façon dont ils sont traités, leurs espaces de décisions ainsi que leurs résistances.

L’historienne expose cette matière dans huit chapitres séparés en quatre parties présentées chronologiquement. Les deux premières parties s’attaquent au premier stéréotype à briser, les deux dernières au second. Cette division permet de comprendre le contexte menant à l’esclavage, la racialisation des Noirs ainsi que les lois dictant le rôle des esclaves et des détenteurs d’esclaves. L’autrice brise le premier stéréotype en rétablissant le contexte atlantique de la colonie, l’importance économique des esclaves et la multitude de formes d’asservissement connues sur ce territoire. Elle brise le second stéréotype dans les parties trois et quatre, qui couvrent la systématisation de l’esclavage, la racialisation de cette population ainsi que la montée des tensions entre les Blancs et les Africains.

Dans la première partie de son ouvrage, Faucquez place la Nouvelle-Néerlande dans son contexte atlantique pour bien discerner les conditions d’arrivée des esclaves et leur importance économique et politique. L’acquisition des premiers esclaves et la participation à la traite des Noirs par les Provinces-Unies et par l’Angleterre se produisent pendant leurs luttes respectives contre le papisme espagnol et dans les guerres qui en découlent. Les esclaves sont ensuite utilisés comme main-d’oeuvre plus rentable que les engagés et comme attrait pour les colons. L’autrice présente l’arrivée des premiers esclaves comme étant aléatoire et accidentelle, pour ensuite devenir profitable et indispensable à la colonie.

C’est d’ailleurs dans la deuxième partie de l’ouvrage que l’autrice discute de la nécessité économique des esclaves en mettant l’accent sur les besoins des propriétaires d’esclaves. L’esclave est d’abord utilisé dans la sphère publique en travaillant à la construction d’infrastructures, à la protection de la colonie ainsi qu’à la culture de la nourriture. Des besoins se créent autour de cette main-d’oeuvre moins onéreuse. Les esclaves transitionnent alors de la sphère publique à la sphère privée. Ils effectuent des tâches diverses selon les besoins du propriétaire. L’aspect économique est central à l’implantation d’esclaves dans les milieux urbains et ruraux de la colonie. Il se développe un besoin de légitimer l’institution de l’esclavage lorsque sa nécessité devient incontestable.

Dans la troisième partie de son ouvrage, Faucquez analyse l’aspect informel de l’esclavage dans les différents groupes religieux que formait la Nouvelle-Néerlande. Elle démontre que le cadre régissant l’esclavage était flou et que les nombreux groupes religieux imposaient différents traitements à la population servile ainsi que différentes conditions de manumission. Des lois furent alors mises en place pour enlever les ambiguïtés relatives à la libération des esclaves, mais surtout pour perpétuer leur statut servile. Les raisons de l’asservissement passent d’une justification religieuse à une justification sociale. Puis, ce sont des facteurs économiques, politiques et sociaux qui mènent à sa formalisation. De cette légitimation s’ensuit la radicalisation de l’institution de l’esclavage et la racialisation de l’esclave. Faucquez observe une augmentation du nombre d’esclaves qui provoque une augmentation de la peur des colons vis-à-vis des révoltes et de la perte économique qui en serait engendrée. Cela crée conséquemment des préjugés grandissants envers les Noirs, libres ou asservis, dans l’espace public.

L’esclave est de plus en plus surveillé, stigmatisé et éventuellement racisé et ségrégué. Cela mène inévitablement aux résistances et révoltes anticipées, les esclaves n’ayant plus l’espoir d’être libérés légitimement. L’autrice adopte une définition très large de la résistance, soit tout acte allant à l’encontre du cadre normatif, qu’il soit conscient ou non (p. 326). La prétendue bienveillance paternaliste du propriétaire est ensuite présentée en la situant dans le contexte de l’esclavage, puis en décrivant les mauvais traitements imposés. Fauquez conclut à une bienveillance qui ne l’est pas vraiment et qui est justifiée par la peur d’une fuite ou d’une résistance. La révolte de 1712 à New York est abordée dans le dernier chapitre où l’autrice démontre la peur grandissante des blancs qui engendre une paranoïa et une plus grande stigmatisation, ce qui mène à plus de lois sur l’esclavage. Prolongeant son regard au-delà de son cadre temporel, l’auteure estime que ce climat mène à la rébellion de 1741, laquelle cristallise finalement les peurs et plonge la colonie dans une « phobie quasi maladive du complot » (p. 383).

Une contribution importante de cet ouvrage à l’historiographie est l’accent mis sur le propriétaire d’esclaves pour mieux comprendre comment les lois sont mises en place, ainsi que les débuts du racisme comme justification de l’esclavage. La panoplie de sources utilisées ainsi que des analyses quantitatives permettent une meilleure compréhension du quotidien des esclaves, mais surtout de leur importance dans le développement économique et social de la Nouvelle-Néerlande. Cependant, l’ouvrage aurait bénéficié d’une plus grande précision concernant les limites des sources et des données. Les chiffres présentés dans le livre sont pertinents pour une meilleure compréhension de l’argumentaire. En revanche, une présentation plus juste des limites et des biais contenus dans les sources nous permettrait de mieux les comprendre et de mieux en analyser les résultats. L’esclavage des Autochtones dans cette région aurait gagné à être abordé plus en profondeur dans cette recherche. Cela étant dit, cet ouvrage deviendra un incontournable pour l’étude des sociétés esclavagistes, leur importance économique, leur arrivée et la codification de l’esclavage.