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Voici un autre sujet à ajouter à l’ambitieuse collection d’histoire militaire de la maison d’édition Athéna. Grâce à la toute jeune historienne Mélanie Morin-Pelletier, l’histoire des infirmières militaires canadiennes vient enrichir la quinzaine de titres d’Athéna. Briser les ailes de l’ange est le premier livre en français au Canada à traiter des infirmières de la Première Guerre mondiale.
Treize infirmières parmi les 2500 Canadiennes qui ont servi outre-mer sont au coeur de ce livre. Six d’entre elles ont laissé trois journaux intimes et trois mémoires, tous déjà publiés, mais difficiles d’accès, à part le journal de Clare Gass. C’est sans doute cette difficulté d’accès qui explique l’absence des mémoires de Constance Bruce, Humour in Tragedy (1918) qui aurait ajouté du poids et de la couleur, notamment le rire, aux beaux portraits d’infirmières que nous livre Mélanie Morin-Pelletier. Le destin des sept autres infirmières est caché dans les dépôts d’archives que l’auteure a scrutés à travers le Canada. N’y manquent, à ma connaissance, que les lettres de Berthe Merriman à sa famille qui se trouvent aux archives de l’Ontario. Toutes ces sources, publiées ou non, sont en anglais. L’auteure s’est donc donné la double tâche de les trouver et d’en traduire les richesses. On ne connaît aucune source de cette nature pour la centaine d’infirmières canadiennes-françaises.
Un mémoire de maîtrise intitulé « Lire entre les lignes : témoignages d’infirmières militaires canadiennes en service outre-mer pendant la Première Guerre mondiale » est à l’origine des quatre chapitres de ce livre. Lisant soigneusement « entre les lignes », Morin-Pelletier nous présente dans les chapitres deux et trois un portrait détaillé du travail des infirmières militaires sur le front ouest, en Méditerranée et même, dans un cas, jusqu’en Russie. Grâce à ces chapitres, on saisit la grande capacité d’adaptation des infirmières face à leurs conditions de travail, aux maladies et surtout aux blessures atroces qu’elles n’ont jamais rencontrées au Canada. Leur courage dans les salles d’opération dépasse même parfois celui de leurs collègues masculins.
Le premier chapitre s’appuie sur un large éventail d’études permettant de comprendre l’apport des journaux intimes et des mémoires à l’histoire et explorant la mise en place de la profession d’infirmière et ses premiers balbutiements dans le domaine militaire. Le dernier chapitre présente les autres facettes de l’expérience de guerre de ces infirmières, leurs relations entre elles, leur vie en dehors de l’hôpital et la « représentation » qu’elles se font de leurs expériences. Dans ce chapitre, tout comme pour le livre lui-même, les titres nous laissent sur notre faim. Le « modèle » de l’infirmière–ange, dont les « ailes » seraient « brisées » par la guerre n’est ni expliqué ni suivi tout au long de l’ouvrage. Un tel « modèle », tiré de deux études britanniques, ne reflète nullement les écrits des infirmières. Si l’une d’entre elles fait allusion à Florence Nightingale, ce n’est pas au mythe angélique de la dame de Crimée qu’elle fait référence, mais plutôt à ses immenses capacités d’organisation, capacités qui font terriblement défaut, d’après la Canadienne, au service médical anglais sur l’île de Lemnos en 1915. Loin d’être sous le poids d’un modèle d’« ailes brisées », nos infirmières canadiennes indiquent clairement que la guerre leur a permis de prendre leur envol.
S’il n y a pas d’anges dans ce livre, il y a pourtant un diable, celui qui se cache dans les détails. Les erreurs de faits, de dates, de lieux, de noms, de sources et même de traduction sont en fait trop nombreuses pour être considérées comme de simples coquilles. Il en découle des jugements hâtifs qui minent la confiance du lecteur. Clare Gass, par exemple, n’est jamais allée à Paris. Le « Louvre » dont elle parle est un hôtel à Boulogne, et le « Notre Dame » une église à Calais. Elle n’est pas passée par Shorncliffe en revenant de France en décembre 1915. Ses patients parlent de salpêtre et non de sel. Sa collègue/amie s’appelle Ruth Loggie et pas Lodgie et Clare aurait été horrifiée de voir le mot « indécence » formulé à son égard, même sous forme de question. Les forces armées canadiennes n’ont pas essayé d’éviter l’envoi d’infirmières aux postes d’évacuation : Clare Gass et bon nombre de ses collègues y ont passé des mois, avec enthousiasme de leur part et de celle des autorités militaires. Peut-être a-t-elle exprimé son désarroi face à la mort d’un cousin (et encore plus celle d’un frère) dans des lettres à sa famille. Malheureusement de telles lettres n’existent pas. La source et le sentiment semblent donc inventés. Et enfin, comble d’erreur et de jugement hâtif, l’auteure viole la discrétion de Gass en livrant le nom de la supérieure que Clare traite de « déséquilibrée mentale », tout en justifiant la discrétion de Gass par le lien de parenté entre cette personne et le premier ministre canadien. Ici l’erreur est manifeste, car Gass étant à un autre hôpital à ce moment, il ne s’agit pas de la bonne personne. Le lecteur, bouleversé, est témoin d’une fausse accusation qui entache la réputation de la personne nommée. Comment alors être indulgent devant les autres erreurs : erreurs de lieu (Katherine Wilson et l’hôpital fixe #3 n’ont jamais été à Salonique et Wilson n’a pas été en Grande-Bretagne lors de sa nomination à un poste d’évacuation) ; erreurs de citation (Summers ne parle pas des Canadiennes) ; ou même erreurs de date (c’est en 1885 et pas 1870 que les premières infirmières canadiennes aident les militaires et Georgina Pope n’y était pas). Quelle que soit la cause de ces erreurs, jugements trop rapides ou travail trop vite fait, elles laissent entrer le diable dans un beau récit qui méritait mieux. Ainsi enlèvent-elles au livre « l’exactitude fondamentale » que l’auteure trouve dans ces journaux intimes mais qui constitue également le fondement de la recherche historique.
Je me trouve donc, face à ce livre, un peu comme la famille canadienne face à ses filles infirmières : fière de leurs exploits mais inquiète de leur bien-être. Je souhaite à Mélanie Morin-Pelletier et pour son bien-être futur qu’elle profite de ses études doctorales pour casser le cou du diable.