L’histoire environnementale s’interroge sur la dynamique des interactions entre la société et son milieu, sur les plans matériel, organisationnel et symbolique. La désignation du champ est relativement neuve, les praticiens s’accordant pour lui donner un peu plus de trente ans. Au Québec, peu se sont revendiqués de cette appellation. Sans nous engager dans une chasse aux précurseurs, reconnaissons que des travaux, parfois très anciens, relevant tantôt de la géographie historique, tantôt de l’histoire économique et sociale, des études urbaines ou des sciences naturelles, s’intéressent aux rapports sociaux à la nature et les appréhendent dans une perspective diachronique. Là où l’histoire environnementale affirme sa nouveauté, c’est dans son traitement de l’environnement qui cesse d’être uniquement un ensemble de caractéristiques physiques à l’arrière-scène des changements sociaux et économiques et qui devient un objet où s’imbriquent l’analyse du changement social et celle de la transformation des milieux biogéophysiques. L’abondante historiographie de l’exploitation et de la mise en valeur des ressources naturelles, des modalités d’occupation du territoire et de la transformation du paysage doit alors être complétée par des travaux où sont étudiés les changements des régimes de représentation de la nature en rapport avec les transformations environnementales, que celles-ci résultent ou non de l’action humaine. L’histoire environnementale ouvre alors de nouvelles perspectives pour cerner les enjeux contemporains entourant les modifications du milieu, pour comprendre les conflits récurrents sur l’allocation et la protection des ressources et pour saisir la complexité et l’historicité des représentations et des usages sociaux de l’environnement. Ce numéro thématique de la Revue d’histoire de l’Amérique française illustre une telle richesse, que ce soit en fonction de la diversité des terrains sondés, des problématiques articulées ou des méthodes mobilisées par les praticiens de l’histoire environnementale. La diversité des terrains de cette historiographie en construction se comprend en fonction des temporalités et des espaces étudiés. Fille de son temps, l’histoire environnementale, bien que née dans la mouvance environnementaliste des années 1970, ne saurait limiter ses intérêts à la seule « crise » environnementale contemporaine. Certes, l’intensification de l’exploitation des ressources naturelles et la généralisation des phénomènes de pollution industrielle font des transformations écologiques récentes un terrain d’études privilégié. Si certains se plaisent à voir dans l’histoire environnementale un effet de mode, ne lui nions pas la capacité de dégager l’historicité des enjeux contemporains. Ainsi pouvons-nous voir dans des articles ici présentés une mise en scène de la catastrophe naturelle et sa mobilisation dans l’espace public à l’époque de la Nouvelle-France, ou encore une sensibilité, chez les premiers occupants des îles du Saint-Laurent, à la capacité du milieu de se régénérer. Ces deux études démontrent également que l’étude des rapports sociaux à l’environnement peut prendre appui aussi bien sur le temps court du cataclysme que sur la longue durée de l’adaptation humaine au milieu à travers les contextes de civilisation. Mais là où nous souhaitons surtout attirer l’attention des lecteurs, c’est vers l’appréciation complexe du fait naturel que propose l’histoire environnementale et vers la multiplication conséquente des terrains d’études. Que ce soit l’effacement de ruisseaux dans un environnement bâti en milieu urbain, l’inscription de rivières dans une infrastructure militaro-industrielle, la domestication littéraire d’un milieu sauvage et de ses habitants ou l’industrialisation d’une forêt colonisatrice, les études ici rassemblées révèlent le caractère construit et hybride d’un environnement pluriel. Loin de privilégier la « nature sauvage » – la wilderness américaine –, exempte des distorsions anthropiques, ou un milieu rural qui, bien que modifié écologiquement, serait garant d’une nature distante de la civilisation machiniste, les praticiens de l’histoire environnementale ont abandonné la thèse dite du déclin – une approche originelle caractéristique du champ qui postulait …
IntroductionLes rapports sociaux à la nature : l’histoire environnementale de l’Amérique française[Record]
…more information
Stéphane Castonguay
Chaire de recherche du Canada en histoire environnementale du Québec
Université du Québec à Trois-Rivières