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Introduction

Les programmes d’éducation préscolaire misent entre autres sur le bienêtre et le développement socioémotionnel des élèves (MEES, 2017 ; MEQ, 2001). Pourtant, les intervenants qui travaillent auprès des jeunes enfants se disent peu formés pour gérer les situations émotionnelles (Papadopoulou et al., 2014). Une analyse des données tirées d’une enquête pancanadienne menée auprès des enseignants révèle d’ailleurs qu’un désengagement par rapport à la profession est significativement associé aux expériences émotionnelles négatives comme les relations difficiles avec les enfants, les conditions de la profession ou même le sentiment de compétence (Kamanzi et al., 2017). Dès la formation initiale, il est alors essentiel que le futur enseignant puisse avoir une connaissance réelle de son propre fonctionnement psychologique et qu’il puisse repérer ses réactions (Pelletier, 2015 ; Latry, 2004), car il s’agit d’un travail interactif à forte charge émotionnelle (Goyette et Martineau, 2018). Il existe peu de recherches consacrées à la manière dont les enseignants régulent eux-mêmes leurs émotions et encore moins de formation à ce sujet (Jennings et al., 2017). D’ailleurs, de nombreux experts ont récemment proposé de poursuivre les recherches qui concernent le développement des compétences sociales et émotionnelles dans les programmes d’études en éducation (Pelletier, 2015 ; Beaumont et Garcia, 2018 ; Gouédard et Bationo-Tillon, 2019 ; Pharand et Doucet, 2013).

Cet article présente les premiers résultats d’une étude menée auprès de 48 enseignantes à l’éducation préscolaire. L’objectif était de déterminer les besoins de formation liés au développement des compétences sociales et émotionnelles de l’enseignant à l’éducation préscolaire qui sont perçus comme étant prioritaires. Les résultats révèlent entre autres des besoins liés aux cinq domaines définis dans plusieurs travaux de la Collaborative for Academic, Social, and Emotional Learning (CASEL) (2013), soit la conscience de soi, l’autogestion, la conscience sociale, les habiletés relationnelles et la prise de décision responsable (Zins et al., 2004). Ces résultats permettront de formuler des hypothèses de réflexion et d’actions pouvant être mises en oeuvre dans le cadre de la formation initiale pour développer notamment la capacité des futurs enseignants à composer avec la complexité du travail d’enseignant.

Problématique

La petite enfance représente une période déterminante où les enfants acquièrent des compétences sociales et émotionnelles de base, qui constituent un facteur déterminant pour leur adaptation sociale et scolaire ultérieure (Coutu et Bouchard, 2019 ; Fredriksen et Rhodes, 2004). Ainsi, les interventions liées au développement de ces compétences sont très importantes dès la maternelle (Durlak et al., 2011). Pourtant, plusieurs enseignants déplorent ne pas avoir été formés adéquatement pour répondre aux besoins sociaux et émotionnels de leurs élèves (Bridgeland et al., 2013) et pour pouvoir enseigner ces compétences, un enseignant doit d’abord les avoir développées pour lui-même (Beaumont et Garcia, 2020). Dès la formation initiale, les compétences sociales et émotionnelles du futur enseignant sont déjà elles-mêmes sollicitées. En effet, dans le cadre d’un stage par exemple, le futur enseignant doit être en mesure de contrôler ses propres émotions pour aider les enfants à contrôler les leurs (Doudin et al., 2013). Souvent, le processus émotionnel se produit à l’insu de la personne et la conduit, sans qu’elle en ait conscience, à poser un acte auprès des enfants qui va accentuer le conflit au lieu de l’atténuer (Doucet et Gauthier, 2013). Le futur enseignant dont les pratiques sont orientées vers la conscience de soi et l’autorégulation développera sa capacité à composer avec ces situations (Cefai et al., 2018).

Le développement de ces compétences passe ainsi par la prise de conscience des émotions pouvant être vécues lors d’expérience dans l’environnement scolaire, dont celle en contexte de stage (Goyette et Martineau, 2018). Les personnes qui accompagnent les stagiaires doivent alors s’attarder à ce que ressent le futur enseignant, lui faire voir en quoi il peut être un modèle pour les enfants, l’amener à réfléchir à son propre vocabulaire émotionnel (Sander et Scherer, 2014), mais également lui permettre de réfléchir à ses propres forces et limites relatives aux différentes situations émotionnelles vécues dans la profession (Goyette et Martineau, 2018). Pourtant, il existe peu de données pour former les futurs enseignants à l’adoption de telles pratiques et peu de programmes de formations qui se concentrent sur le développement de ces compétences (Pelletier, 2015 ; Beaumont et Garcia, 2020 ; Jennings et Greenberg, 2009 ; Papadopoulou et al., 2014). Pour ce faire, il s’avère important de cibler des besoins plus spécifiques au développement de ces compétences et ainsi de s’attarder aux contenus à aborder dans la formation initiale (Beaumont et Garcia, 2020). Les personnes impliquées dans la formation des futurs enseignants pourront « ajuster » leur pratique et les outiller en fonction de ces besoins. Dite exploratoire, cette étude donne donc la parole aux enseignants qui ont déjà suivi le programme de formation pour générer des pistes d’intervention à explorer.

Approche théorique

Les compétences sociales et émotionnelles

Le concept de compétences sociales et émotionnelles représente le socle de notre recherche. Minichiello (2017, p.1) les définit comme « des savoir-être qui peuvent être acquis, enseignés et évalués ; elles contribueraient à un sentiment d’efficacité individuelle et collective et sembleraient prédictives d’un certain bienêtre individuel et social ». Pour mieux circonscrire les compétences sociales et émotionnelles, nous retenons les cinq domaines définis dans plusieurs travaux de la Collaborative for Academic, Social, and Emotional Learning (CASEL) (2013), soit la conscience de soi, l’autogestion, la conscience sociale, les habiletés relationnelles et la prise de décision responsable (Zins et al., 2004). Ce cadre comprend le tronc commun observé entre les divers modèles et il est aussi retenu dans plusieurs recherches en Europe, en Australie, aux États-Unis et au Canada (Bernard et al., 2017 ; Cefai et al., 2018 ; Jennings et Greenberg, 2009 ; Shanker, 2014). Pour cette étude, nous avons tenu compte de ces cinq domaines, ce qui constitue une piste jusqu’ici inexplorée dans les recherches qui se penchent davantage sur les compétences à développer chez les élèves, sans tenir compte d’abord de celles des enseignants (Jenning et Greenberg, 2009 ; Schonert-Reichl, 2017).

La conscience de soi est associée à la connaissance de soi, c’est-à-dire à la capacité à reconnaitre ses émotions et ses pensées et leur influence sur son propre comportement (Mayer et Salovey, 1997). Le développement de cette compétence repose entre autres sur l’identification, la reconnaissance et l’évaluation de ses forces et ses limites en tant que personne (Beaumont et Garcia, 2020 ; Jennings et Greenberg, 2009). Le deuxième domaine, l’autogestion, suppose de se donner des défis liés à la maitrise de ses émotions et de réfléchir à l’atteinte de ses objectifs pour rester motivé (Zins et al., 2004). Cela implique de comprendre ses réactions et actions souvent amorcées par les émotions (Goyette et Martineau, 2018). La conscience sociale concerne le fait de faire preuve d’empathie et de se mettre à la place de l’autre. Elle suppose un questionnement relatif à l’ouverture et la compréhension que le futur enseignant a du développement d’un enfant d’âge préscolaire (Hamre et Pianta, 2010), de sa culture, de son milieu, et ce, tout en réfléchissant aux normes sociales et éthiques régissant ses comportements (Pelletier, 2013). En effet, répondre aux besoins d’un enfant de 4 ans en milieu défavorisé, par exemple, exige l’ouverture, le respect, mais surtout des connaissances du développement de l’enfant de cet âge, de ses besoins et des pratiques qui les sous-tendent (Japel et al., 2017). De plus, la réflexion porterait sur le fait d’être un bon modèle pour les enfants (Coutu et Bouchard, 2019). Le quatrième domaine, les habiletés relationnelles, implique la capacité d’établir et de maintenir des relations saines et harmonieuses avec les collègues (p. ex., personnes en relation d’aide dans la classe) et les élèves. Le futur enseignant doit pouvoir communiquer clairement ses attentes, écouter celles des autres, mais surtout, doit pouvoir résister aux pressions sociales nuisibles tout en étant capable de demander de l’aide au besoin (Zins et al., 2004). Le cinquième domaine, la prise de décision responsable, reprend l’idée que pour qu’un futur enseignant puisse prendre des décisions éclairées, il doit d’abord identifier et gérer ses propres émotions avant d’intervenir (Mayer et Salovey, 1997). Ainsi, dans le contexte de la formation initiale, cela réfère à la capacité de reconnaitre les problèmes, de les analyser, de les résoudre et de les évaluer tout en considérant l’importance de la dimension éthique de leur futur travail (Shanker, 2014). 

Question de recherche et objectif

Pour répondre à notre objectif de déterminer les besoins de formation perçus comme étant prioritaires, notre question de recherche est formulée de la façon suivante : Quels besoins de formation liés au développement des compétences sociales et émotionnelles de l’enseignant sont perçus comme étant prioritaires par des enseignants intervenant à l’éducation préscolaire ?

Méthodologie

Participants

L’approche a été faite auprès de groupes d’enseignants à l’éducation préscolaire sur différents réseaux sociaux entre les mois de juin et août 2020. L’échantillonnage est alors dit non probabiliste de type accidentel (Fortin et Gagnon, 2016). Dans le cadre de cette recherche, un échantillon de 48 enseignantes à l’éducation préscolaire a répondu au questionnaire dans le cadre d’une participation volontaire. Le choix du niveau préscolaire se justifie entre autres par le fait que des différences notables peuvent influencer la construction identitaire des enseignants provenant de différents niveaux, soit préscolaire, primaire ou secondaire (Lessard et Tardif, 2004). Par exemple, enseigner au préscolaire implique de travailler étroitement avec le parent ; les relations humaines prennent donc une place prépondérante (Goyette et Martineau, 2018). De plus, Lessard et Tardif (2004) soulignent que cet ordre d’enseignement est représenté presque en totalité par des femmes, ce qui est constaté dans notre étude où seules des répondantes de sexe féminin ont répondu au questionnaire. Outre l’identité professionnelle de l’enseignant, il existe également peu de données sur la réalité du travail enseignant à l’éducation préscolaire au Québec (Bédard, 2010) bien qu’il soit démontré que les compétences que possèdent les intervenants qui oeuvrent auprès des jeunes enfants puissent avoir un impact quant à la qualité de la relation (Japel et al., 2005).

En ce qui concerne le profil de formation des répondantes, 37 (77,1 %) ont obtenu un baccalauréat il y a plus de 5 ans. Six participantes (12,5 %) ont obtenu un baccalauréat il y a seulement un an. Les cinq autres répondantes (10,4 %) ont obtenu leur diplôme de premier cycle il y a entre deux et quatre ans. Pour ce qui est du type de formation, 37 des répondantes (77,1 %) détiennent un baccalauréat ou un baccalauréat en éducation, cinq (10,4 %) détiennent une maitrise en éducation ou dans un autre domaine, et deux (4,2 %) détiennent un doctorat en éducation. Les quatre autres participantes ont indiqué détenir une formation complémentaire : diplôme de deuxième cycle et maitrise en psychopédagogie, DESS en intervention éducative, puis DESS en administration scolaire. Des 48 enseignantes, 22 (45,8 %) travaillent dans la région de la Capitale-Nationale, 13 (27,1 %) dans la région de Chaudière-Appalaches, trois (6,3 %) dans la région du Bas-Saint-Laurent, trois dans la région de la Montérégie, deux (4,2 %) dans la région de Montréal. Une répondante (2,1 %) travaille dans chacune des régions suivantes : Côte-Nord, Lanaudière, Laurentides, Laval et Mauricie.

Les outils de collecte et l’analyse des données

La collecte de données s’est déroulée à l’été 2020. En partant de la recension des écrits et de la définition des travaux de la CASEL (2013), un questionnaire destiné aux enseignants à l’éducation préscolaire au Québec a été développé. L’évaluation de trois experts et la recension des écrits ont aidé à assurer la validité de contenu du questionnaire. Le lien vers le questionnaire en ligne LimeSurvey a été déposé sur la page Web de groupes d’enseignants à l’éducation préscolaire en obtenant au préalable l’autorisation de leur administratrice. Il était indiqué aux participants qu’ils pouvaient transmettre le lien à d’autres personnes, ce qui est défini comme étant un échantillonnage par réseau (Fortin et Gagnon, 2016).

Le questionnaire visait à sonder les répondantes au sujet de divers énoncés en lien avec les cinq compétences sociales et émotionnelles des enseignants à l’éducation préscolaire (entre 11 et 14 énoncés par compétence), selon une échelle de Likert à quatre niveaux (1 = pas important, 2 = peu important, 3 = important, 4 = très important). Ainsi, il s’agissait dans un premier temps de déterminer le degré d’importance que devrait accorder un programme de formation par rapport aux compétences sociales et émotionnelles. Dans un deuxième temps, selon un choix forcé (Lapointe, 1992 ; Van de Ven et Delbecq, 1972), il s’agissait d’identifier les cinq besoins perçus comme étant prioritaires par les enseignantes interrogées. Des questions ouvertes offraient la possibilité aux participants d’ajouter d’autres propositions (Lapointe, 1992).

Aux fins d’analyse, nous avons saisi les données des questionnaires reçus (n = 48) à l’aide des statistiques descriptives générées par le logiciel de LimeSurvey. Nous avons principalement réalisé des statistiques descriptives afin de fournir un portrait général des besoins perçus comme étant prioritaires du point de vue des enseignantes à l’éducation préscolaire interrogées.

Présentation des résultats

Dans cette section, les résultats sur les besoins de formation sont organisés selon les cinq domaines des compétences sociales et émotionnelles présentés dans le cadre théorique. Les résultats préliminaires du questionnaire permettent d’identifier les besoins de formation perçus comme étant prioritaires par les enseignantes à l’éducation préscolaire qui ont participé à cette étude.

Compétence 1 : la conscience de soi

Les participantes devaient indiquer l’importance de 11 énoncés composant la compétence « conscience de soi » selon une échelle de Likert. Les participantes étaient également invitées à identifier les cinq énoncés qui, selon elles, sont prioritaires.

Tableau 1

Les cinq énoncés prioritaires pour la conscience de soi

Les cinq énoncés prioritaires pour la conscience de soi

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Compétence 2 : la conscience sociale

Les participantes devaient indiquer l’importance de 13 énoncés composant la compétence « conscience sociale ». On constate que l’énoncé « Développer sa capacité d’empathie face aux différentes cultures », bien qu’il puisse avoir été jugé très important par 29 participantes, ne se retrouve pourtant pas parmi les cinq besoins prioritaires.

Tableau 2

Les cinq énoncés prioritaires pour la conscience sociale

Les cinq énoncés prioritaires pour la conscience sociale

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Compétence 3 : l’autogestion

Les participantes devaient indiquer l’importance de 15 énoncés composant la compétence « autogestion ». Une fois de plus, il leur était demandé d’identifier les cinq énoncés de la compétence 3 qui, pour elles, s’avèrent prioritaires à développer dans le cadre de la formation.

Tableau 3

Les cinq énoncés prioritaires pour l’autogestion

Les cinq énoncés prioritaires pour l’autogestion

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Compétence 4 : les habiletés relationnelles

Les répondantes au questionnaire étaient invitées à indiquer l’importance de 14 énoncés concernant la compétence « habiletés relationnelles ».

Tableau 4

Les cinq énoncés prioritaires pour les habiletés relationnelles

Les cinq énoncés prioritaires pour les habiletés relationnelles

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Compétence 5 : la prise de décisions responsable

Les participantes étaient invitées à indiquer le degré d’importance de 12 énoncés en lien avec la compétence « prise de décisions responsable ». Il est à noter que deux énoncés ont été choisis par 15 participantes, ce qui explique le nombre de 6 énoncés pour ce tableau.

Tableau 5

Les six énoncés prioritaires pour la prise de décision responsable

Les six énoncés prioritaires pour la prise de décision responsable

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Discussion des résultats

À l’égard des résultats obtenus à la suite de l’analyse des données, il se dégage de la synthèse générale des éléments qui retiennent l’attention relativement aux besoins de formation perçus comme étant prioritaires par les participantes de notre étude. En effet, elles mettent en exergue la connaissance de soi et l’autoréflexion par rapport aux différentes situations émotionnelles pouvant être vécues dans la profession, mais également l’importance de développer des compétences au regard de deux partenaires importants : les parents et les techniciens en éducation spécialisée.

Connaissance de soi et autoréflexion

Le fait d’être émotionnellement réceptif aux élèves et le fait de reconnaitre l’incidence de ses émotions sur son propre comportement ont été retenus par la majorité des participantes. Il est essentiel que le futur enseignant puisse avoir une connaissance réelle de son propre fonctionnement psychologique (Gay et Shankland, 2019) et qu’il puisse repérer ses réactions au regard de situations émotionnelles négatives vécues dans la profession (p. ex., la gestion des conflits, des comportements difficiles, des émotions, du stress, de l’anxiété, etc.). Identifier ses émotions, mais également reconnaitre ses faiblesses émotionnelles sont donc des éléments à mettre de l’avant dans les programmes de formation. Latry (2004) affirme que l’enseignant qui ne se connait pas vraiment émotionnellement de l’intérieur peut manquer de vigilance quant à son comportement. Il peut être difficile pour les futurs enseignants de définir ce qu’ils sont vraiment et de caractériser différentes manifestations émotives (Pelletier, 2013). D’autre part, la majorité des participantes considèrent que de reconnaitre les émotions des enfants est prioritaire à développer en formation. Selon Hess (2003), les émotions ont toutes des conséquences différentes qui se doivent d’être connues.

Près de la moitié des participantes ont mentionné l’importance d’apprendre à gérer son stress. Ce résultat est conforme à la recherche de Janot-Bergugnat et Rascle (2008), qui démontre que le stress fait partie des dimensions devant être prises en compte dans les programmes de formation en enseignement. Le stress peut par ailleurs s’avérer nuisible et avoir des effets néfastes sur la productivité des enseignants (Pelletier, 2015 ; Royer et al., 2001). Les participantes ont d’ailleurs évoqué l’idée que le fait de réguler ses émotions sans compromettre sa santé et d’apprendre à se fixer des limites avec respect puisse également être développé en formation. Ainsi, des études recommandent que la formation à l’enseignement mette encore plus d’accent sur la sensibilisation du futur enseignant pour qu’il prenne conscience de l’importance de se connaitre, de distinguer ses valeurs, d’apprendre des stratégies pour se détacher, tout en se respectant et en se fixant des limites (Pelletier, 2013 ; Belzile, 2016).

Le fait d’assurer la sécurité émotionnelle et physique des élèves et l’importance de connaitre ses droits et ses limites quant aux interventions avec eux sont des éléments qui retiennent l’attention d’un point de vue éthique. On souligne d’ailleurs cette lacune dans la formation, car les limites des responsabilités des enseignants ne sont pas clairement déterminées (Auteur, 2013). Avoir des balises sur la part de responsabilités qui leur revient peut guider leurs interventions et ainsi les amener à discerner les limites de leur rôle. Sans ces connaissances pour guider leurs actions, les futurs enseignants ne peuvent que s’en remettre à leur intuition pour agir de façon éthique et responsable (Belzile, 2016). L’importance de l’autoréflexion a aussi été rappelée par certaines participantes dans le cadre des questions ouvertes, ce qui traduit le besoin d’apprendre à évaluer comment ses décisions affectent les autres et d’assumer la responsabilité de celles-ci dès la formation initiale. Lorsqu’un enseignant possède un haut niveau de connaissance de soi, cette compétence agit sur ses réflexions qui mènent à la prise de décision et qui peuvent donc réduire l’impact des émotions négatives sur son propre rendement (Gay et Shankland, 2019).

Développement de compétences au regard des parents et techniciens en éducation spécialisée

Plus de la moitié des participantes souligne l’importance de développer sa capacité d’empathie envers les élèves, bien que l’on constate que l’énoncé « Développer sa capacité d’empathie face aux différentes cultures » ne se retrouve pourtant pas parmi les cinq besoins prioritaires. Selon les données de Statistique Canada de 2016, 75,6 % des personnes immigrantes au Québec habitaient la région de Montréal alors que seulement 5,8 % des personnes immigrantes au Québec habitaient la région de Québec. Rappelons ici que dans le cadre notre étude, seulement trois participantes enseignent dans une école de la région de Montréal, ce qui pourrait expliquer cette situation. Toutefois, au regard de développer la capacité d’empathie envers les parents, plus de la moitié des participantes est d’avis qu’il s’agit d’un besoin prioritaire. Les enseignants ne se sentent pas toujours très à l’aise à rencontrer les parents ou à les informer des difficultés de leur enfant (Belzile, 2016). On peut prétendre que les enseignantes interrogées dans notre étude auraient voulu davantage développer leurs compétences sociales et émotionnelles au regard des relations avec les parents et avoir des moyens de communiquer avec eux pour comprendre leur réalité tout en faisant preuve d’empathie (Pelletier, 2013). Selon St-Vincent (2008), l’enseignant doit s’attendre à un spectre assez large de réactions possibles lorsqu’il communique avec les parents à propos de sujets délicats. En effet, les réactions émotives peuvent s’avérer vives : pleurs, agressivité, blâme sur l’enfant, évitement, etc. Autrement dit, l’enseignant peut se faire surprendre et doit demeurer vigilant et prévoir les scénarios possibles (St-Vincent, 2008), ce qu’il s’avère important de développer dans le cadre de la formation des futurs enseignants.

Le fait d’intervenir avec le technicien en éducation spécialisée (TES) peut aussi susciter des réactions émotives de la part des enseignants (Ruel et al., 2015), ce qui est confirmé par plus de la moitié des participantes de notre étude. La relation entre l’enseignant et le technicien en éducation spécialisée peut engendrer des relations de tensions, de contradictions qui conduisent à l’insatisfaction, à des jeux de pouvoir qui s’exercent à leur détriment et même dans certains cas à un sentiment de rejet qui rend leur travail extrêmement difficile à vivre au quotidien (Levasseur et Tardif, 2005). Une relation saine est notamment une relation dans laquelle l’image que chacun a de lui et celle que l’autre a de soi est cohérente, ce qui implique les dimensions affectives et émotionnelles (Karsenty, 2011). Il est d’ailleurs prouvé qu’un climat de confiance favoriserait une diminution du stress et une orientation des individus vers des objectifs communs (Karsenty, 2011). Selon la moitié des participantes interrogées, développer des rapports harmonieux semble donc se traduire par le fait d’apprendre à collaborer avec le TES dans le cadre des stages par exemple.

Limites de l’étude

Les analyses sont tirées d’un échantillon qui ne permet pas la généralisation des résultats. Notre recherche comporte donc certaines limites. Tout d’abord, le nombre de participantes (n = 48) est insuffisant pour prétendre à une représentativité pour la population générale. Les données sont purement descriptives, mais elles nous aident à mettre en exergue des besoins qui seront éventuellement soumis par entrevues semi-dirigées aux enseignantes ayant participé à la première partie de l’étude. Il s’agit d’une recherche exploratoire qui permet de recueillir des données de façon concomitante au moyen du questionnaire. Les données récoltées par chacune des méthodes seront analysées séparément, puis une triangulation des résultats sera effectuée afin de « renforcer, confirmer ou corroborer une explication » (Briand et Larivière, 2014). Nous avons présenté ici les résultats quantitatifs du questionnaire selon une analyse statistique descriptive des données collectées.

Conclusion

Plusieurs défis liés à la formation initiale ont été mis en lumière dans cette étude. D’abord, la gestion des émotions semble constituer une grande préoccupation pour les participantes dans la mesure où la formation pourrait leur faire connaitre les possibilités d’émotions vécues en enseignement. Effectivement, certaines émotions surgissant au travail sont clairement perturbatrices et doivent être contenues (Pelletier, 2015). Cette gestion n’est toutefois pas unique à la relation avec les élèves. Les participantes ont mis de l’avant les compétences pour intervenir avec les parents, mais également avec le technicien en éducation spécialisée. De plus, les participantes soulignent l’importance de s’interroger sur la place de la gestion des émotions dans la formation initiale face aux situations stressantes vécues à l’école (Pelletier, 2015). Gaudreau et al. (2012, p.89) soulignent par exemple que « la présence d’un fossé important entre les connaissances et la pratique dans le domaine de la discipline et de l’intervention comportementale auprès des élèves rend les enseignants très vulnérables au stress vécu lors de la gestion des comportements difficiles en classe », ce qui justifie l’importance de développer les compétences sociales et émotionnelles des enseignants eux-mêmes.

Cet article a permis de connaitre les besoins prioritaires perçus par des enseignants à l’éducation préscolaire concernant les compétences sociales et émotionnelles. Il serait cependant tout aussi pertinent d’étendre ce champ d’investigation aux formateurs et superviseurs universitaires et aux directions d’école afin de connaitre leurs points de vue, ainsi que de souhaiter améliorer les compétences sociales et émotionnelles des enseignants dans le contexte de la profession enseignante ou même dans le cadre de la formation continue. Sachant que les émotions et l’établissement de relations positives qui gravitent dans l’exercice de la profession ont aussi un impact sur le bienêtre des enseignants (Goyette et Martineau, 2018 ; Seligman, 2011) et en vue de contrer le phénomène de l’abandon de la profession enseignante, cette recherche constitue un apport de connaissances important pour mieux outiller les futurs enseignants à l’éducation préscolaire et pour orienter la formation initiale quant aux contenus spécifiques à aborder. Les compétences sociales et émotionnelles des enseignants peuvent avoir un impact quant à la gestion du stress psychologique, à l’adaptation à l’environnement, aux exigences du travail, mais surtout aux relations positives avec les élèves (Langevin et Laurent, 2016). Ainsi, les formations doivent permettre aux futurs enseignants de réfléchir à leurs propres caractéristiques en tant que personne, mais pour ce faire, ils doivent être supervisés et soutenus dans cette démarche (Japel et al., 2017).