Article body

Introduction

Dès leur formation initiale, les futurs enseignants se trouvent confrontés aux différentes exigences de leur profession. La manière dont ces exigences sont perçues dépend de la pertinence subjective, de la compétence et du degré de sollicitation (intensité du traitement) dont l’étudiant en formation a besoin pour les maîtriser. Dans cet article, nous cherchons à savoir dans quelle mesure les étudiants de la Haute École pédagogique de Zurich (Suisse) perçoivent les exigences propres à la profession d’enseignant. Ce texte découle d’un projet de recherche s’inscrivant dans le prolongement des travaux de Keller-Schneider (2010, 2014b, 2020a), basés sur le modèle de professionnalisation dérivé de la théorie du stress et des ressources (figure 1), qui ont identifié et catégorisé ces exigences professionnelles. En utilisant l’outil EABest-K développé par Keller-Schneider, l’objectif de notre article est de cerner, dans une perspective longitudinale, comment les étudiants zurichois perçoivent les exigences professionnelles. Les données sont issues de questionnaires soumis à trois reprises à une cohorte d’étudiants. Leur analyse s’est faite dans une perspective descriptive en cherchant à identifier l’évaluation de la pertinence des exigences par les étudiants, de leur compétence pour satisfaire ces exigences (maîtrise) et du degré de sollicitation (intensité du traitement) des exigences. Par ailleurs, il s’agit de déterminer les développements spécifiques à chaque exigence ainsi que les exigences qui sont perçues comme défis ou bien comme ressources par les étudiants.

Acquisition et maîtrise de compétences professionnelles comme processus de professionnalisation

En Suisse, comme dans d’autres contextes, la combinaison de l’acquisition de connaissances et compétence générale[1] et des expériences pratiques spécifiques réalisées en milieu scolaire joue un rôle majeur dans la formation des futurs enseignants. L’intégration d’une composante pratique dans la formation professionnelle améliorerait la qualité de cette dernière, du moins du point de vue des étudiants (Brouwer et Korthagen, 2005 ; Allen et Wright, 2014 ; Fraefel et Seel, 2017 ; Tardif 2018a, 2018b). Les étudiants se voient confrontés dès le premier semestre aux exigences en milieu scolaire en assumant diverses tâches d’enseignement pour appréhender l’école du point de vue de l’enseignant et pour faire l’expérience de leur rôle professionnel (Perrenoud, 2001 ; Kosinar, Leineweber et Schmid, 2016 ; Keller-Schneider, 2020b). Les stages permettraient ainsi de développer des connaissances et compétences professionnelles et différencier les exigences scolaires (Berliner, 2001 ; Neuweg, 2004), pour acquérir des expériences qui seront mises en regard de la théorie durant la formation universitaire (Altet, 2000 ; Perrenoud, 2001 ; Keller-Schneider, 2018), pour s’essayer en tant qu’enseignant (Kiel, 2013) et pour vérifier l’aptitude professionnelle (Boeger, 2015 ; Hanetseder et Keller-Schneider, 2006). Grâce à une entrée graduelle dans la pratique, les étudiants se découvrent en tant qu’enseignants, ce qui renforce leur volonté d’apprendre (Jerusalem et Hopf, 2002 ; Schwarzer et Jerusalem, 2002).

Devenir enseignant se situe donc à l’intersection entre le contexte institutionnel d’une formation et d’autres possibilités d’apprentissage diverses, ainsi qu’entre les caractéristiques individuelles de chaque étudiant et le processus d’acquisition des compétences professionnelles (Bosse, Dauber, Döring-Seipel et Nolle, 2012), notamment de la confrontation avec les exigences du travail (Keller-Schneider, 2016b, 2020a). Les opportunités d’apprentissage au sein de l’université permettent aux étudiants de développer des connaissances et des compétences de base pour leur profession ; ces opportunités offrent ainsi divers cadres (conceptuels, cognitifs, professionnels) auxquels les étudiants peuvent recourir pour apprendre les bases du métier enseignant. Pour leur part, les occasions d’apprentissage en milieu scolaire permettent aux étudiants de tirer parti d’expériences pratiques pour acquérir et développer des connaissances et compétences supplémentaires acquises par le biais des approches inductives. Le processus de professionnalisation, suivre l’approche biographique professionnelle de la professionnalisation (Keller-Schneider et Hericks, 2014) et basé sur les fondements théoriques représentés dans le modèle du développement de professionnalisme pédagogique (figure 1), exige de traiter de façon intensive les exigences déterminées institutionnellement, en les acceptant individuellement à titre de défi et en les traitant comme telles (Keller-Schneider, 2020a).

Par conséquent, la professionnalisation comme processus de développement de connaissances et compétences professionnelles – qui s’étend de la perception à l’interprétation et enfin à l’action (Blömeke, Gustafsson et Shavelson, 2015 ; Altet, 2000) – est donc instiguée par des exigences institutionnelles et situationnelles sous forme d’opportunités d’apprentissage, perçues par l’individu sur la base de ses propres ressources et interprétées comme des défis à relever au moyen desdites ressources (figure 1 ; Keller-Schneider 2016a, 2020a). Ce processus permet d’acquérir de nouvelles connaissances, celles-ci se répercutant dans les ressources individuelles et transformant ces dernières. La perception des exigences du travail joue ainsi un rôle important dans le développement des compétences. En outre, la compétence est considérée comme un potentiel (Blömeke et al., 2015) contribuant à répondre aux exigences qui naissent et se modifient selon la situation. Des facteurs cognitifs, émotionnels et sociaux entrent en jeu ; ainsi, la connaissance seule ne suffit pas à constituer une compétence opérationnelle. Selon Weinert (2001), la compétence se comprend comme capacité et aptitude cognitive à résoudre un problème précis. Pour qu’elle puisse être acquise et surtout utilisée, des facteurs motivationnels, volitionnels et sociaux entrent en ligne de compte. Les compétences opérationnelles apparaissent sous forme d’un profil de compétences particulier dans les différentes situations (Oser et Renold, 2005), c’est-à-dire que des aspects spécifiques de la compétence potentielle se manifestent pour répondre aux différentes exigences propres à une situation. En conséquence, la compétence en tant que potentiel latent (Blömeke et al. 2015 ; Keller-Schneider, 2020a) n’est pas visible et relève surtout de l’auto-évaluation. L’expérience vécue relative à la compétence – selon Ryan et Deci (2017) cette expérience est un besoin fondamental – aide l’individu à faire face aux défis. Il s’agit d’une ressource latente, perçue de manière subjective, pour maîtriser les exigences. Cette approche se distingue donc de la recherche sur les compétences mesurables.

Traiter les exigences concrètes, c’est différencier les connaissances et compétences acquises et les développer en fonction des expériences vécues (Dreyfus et Dreyfus, 1986 ; Berliner, 2001 ; Keller-Schneider, 2010). Ce processus nécessite le recours à des ressources savoir qui sont à leur tour renforcées et transformées par des savoirs fondés sur l’expérience (Gruber, Jansen, Marienhagen et Altenmueller, 2010). La professionnalisation résulte de la confrontation avec les exigences professionnelles, perçues et traitées dans une situation spécifique (Altet, 2000). L’acquisition et la maîtrise de connaissances professionnelles (Shulman, 1986) constituent le fondement permettant d’approfondir la professionnalisation (Lenoir et Bouillier-Oudot, 2006 ; Lessard, 2017).

La perception des exigences professionnelles

La professionnalisation s’effectue dans la confrontation avec les exigences professionnelles, qui sont perçues, interprétées et traitées sur la base des ressources individuelles. Les ressources individuelles, telles que le savoir et la compétence (Blömeke et al., 2015), les motifs et les croyances, les capacités d’autorégulation, les traits de personnalité stables et les émotions sont importantes. Le processus de la perception et de la sollicitation des exigences, en fonction des ressources individuelles disponibles (Keller-Schneider, 2016a, 2020a), est représenté dans le modèle-cadre ci-après (figure 1).

D’après la théorie transactionnelle du stress et des ressources (Lazarus et Folkman, 1984 ; Keller-Schneider, 2020a), qui sert de base pour le modèle du développement du professionnalisme pédagogique (figure 1), les exigences professionnelles sont perçues par les individus en fonction de leurs ressources individuelles, selon leur importance et la capacité pour les maîtriser. Pour répondre à ces exigences, les ressources disponibles et les ressources à mobiliser sont mises en balance (Lazarus et Folkman, 1984 ; Hobfoll, 1989). Si une exigence est perçue comme importante et maîtrisable, le traitement de l’exigence suit. L’individu acquiert de l’expérience ainsi que des connaissances et poursuit le développement professionnel. Une exigence que l’on évite ou qui est effectuée avec routine n’est pas significative pour le développement professionnel.

Figure 1

Développement du professionnalisme pédagogique (Keller-Schneider, 2020a)

Développement du professionnalisme pédagogique (Keller-Schneider, 2020a)

-> See the list of figures

Comme expliqué précédemment, les caractéristiques individuelles des enseignants, notamment la perception et l’interprétation subjectives des exigences, structurent également les processus de professionnalisation. Selon le modèle de stress transactionnel (Lazarus et Folkman, 1984), ces caractéristiques – en tant que ressources – influencent l’interprétation de l’importance et de la réponse aux exigences (maîtrise).

Le savoir est une ressource essentielle pour agir en tant qu’enseignant et pour développer de l’expertise (Blömeke et al., 2015 ; Gruber et al., 2010). Les convictions et attitudes agissent comme un filtre sur la perception et l’interprétation des exigences (Cochran-Smith et Zeichner, 2005 ; Keller-Schneider, 2010), elles cadrent et limitent le processus de perception, d’interprétation et de décision pour agir (Blömeke et al., 2008 ; Buehl et Beck, 2015). Les motifs et objectives dynamisent le processus (Brunstein, Maier et Dargel, 2007 ; Fives et Buehl, 2016 ; Ryan et Deci, 2017). En ce qui concerne le processus d’autorégulation, il s’agit du contrôle de l’orientation et du degré de sollicitation (Zimmerman et Schunk, 2011). Les traits de personnalité limitent la variabilité des manières possibles de percevoir, d’interpréter et d’agir (Asendorpf, 2007). Les émotions colorent la perception relative à l’affection (Hagenauer et Hascher, 2018) et contribuent à la régulation des ressources (Buchwald et Hobfoll, 2004). La perception des exigences par les étudiants en formation à l’enseignement peut donc varier dans le cadre de la formation, puisque les informations reçues sont intégrées dans le système de convictions existant (Blömeke et al., 2008). Ces ressources contribuent à la perception et interprétation des exigences.

Conformément au modèle de professionnalisation basé sur la perception, le stress et les ressources (Keller-Schneider, 2020a), les exigences sont perçues sur la base des ressources individuelles (comme indiqué précédemment) et évaluées de manière subjective en fonction de leur importance. Les connaissances, les convictions et attitudes, mais aussi les motifs, les objectifs et les capacités d’autorégulation, ainsi que les traits de personnalité et les émotions agissent comme autant de filtres de perception qui contribuent à déterminer le processus de traitement (degré de sollicitation). Les ressources disponibles et applicables sont pondérées pour évaluer la pertinence et la maîtrise des exigences perçues (Lazarus et Folkman, 1984 ; Hobfoll, 1989 ; Hobfoll et Schumm, 2004). Il s’ensuit un traitement plus ou moins intensif des exigences, en fonction du résultat de ce processus.

Si une exigence est considérée comme significative et conforme aux objectifs de l’étudiant, et si les ressources disponibles sont perçues comme étant suffisantes, alors l’exigence en question est considérée comme un défi et traitée dans le cadre d’un processus stimulant et de challenge. Par conséquent, le degré de sollicitation des exigences (intensité du traitement) est déterminé par leur pertinence et par la compétence perçue de manière subjective. Il nécessite l’utilisation de ressources et conduit à des conclusions qui, s’intégrant dans les ressources individuelles, transforment ces dernières. Les exigences suivantes sont perçues sur la base des ressources individuelles modifiées, celles-ci donnant lieu à une compétence modifiée qui contribue à déterminer la perception, l’interprétation et le traitement des exigences (Blömeke et al., 2015 ; Keller-Schneider, 2017, 2020a).

Au cours de ce processus (perception – interprétation – traitement), la compétence progresse bien évidemment, mais les points de vue sur la pertinence des exigences changent eux aussi, et par conséquent le degré de sollicitation (intensité du traitement). Nous pouvons donc nous demander de quelle façon les étudiants perçoivent les exigences, et comment cette perception évolue au fil de la formation. Par conséquent, les questions de recherche suivantes seront examinées :

  1. Comment les étudiants évaluent-ils la perception de pertinence des exigences, leur compétence pour satisfaire ces exigences (maîtrise) ainsi que l’intensité du traitement (degré de sollicitation) des exigences professionnelles durant leurs études ?

  2. Quels développements spécifiques à chaque exigence peut-on identifier sur une durée de 3 ans ?

  3. Quelles exigences sont perçues comme des défis et lesquelles comme des ressources ?

Méthodologie

Design de la recherche, collecte des données et échantillon

Nous avons opté pour une approche longitudinale comptant trois sessions de collecte de données (t1, t2 et t3). Les participants d’une seule cohorte de notre étude étaient amenés à répondre au questionnaire à trois moments de leur formation : en première, en deuxième et en troisième année de formation. Les étudiants de la Haute École pédagogique de Zurich ont répondu à un questionnaire récoltant des données sur la perception des exigences professionnelles des futurs enseignants du degré primaire. L’échantillon comporte 153 étudiants (129 femmes, 24 hommes) âgés en moyenne de 22.25 ans (t1), avec un écart type de 2.64 ans.

Le sondage était mené auprès des étudiants durant le premier, troisième et cinquième semestre de leurs études de Bachelor dans le cadre d’un cours. La formation à l’enseignement primaire se compose d’un tiers de sciences de l’éducation, d’un tiers de didactiques et d’un tiers de pratique professionnelle à la Haute École pédagogique de Zurich. Les stages ont lieu tout au long de leur formation sous forme de stages d’un jour par semaine, de stages de plusieurs semaines et d’un stage d’un trimestre. Les exigences deviennent de plus en plus complexes.

Outil

Après avoir identifié les exigences professionnelles du point de vue des enseignants commençant leur activité professionnelle autonome (Keller-Schneider, 2010), une version courte a été développée (EABest-K, Keller-Schneider, 2014). Cet outil est constitué de 29 questions couvrant 7 domaines d’exigences professionnelles évaluées chacune sous trois angles : le degré de sollicitation d’une exigence (intensité de traitement), le sentiment de compétence vis-à-vis de cette exigence et la perception de sa pertinence. Cet outil, élaboré par le biais d’analyses factorielles et de fiabilité, a été développé sur la base de données provenant de futurs enseignants (n=180), de nouveaux enseignants (n=272) et d’enseignants expérimentés (n=266), ces données s’avérant homogènes et fiables pour l’ensemble des groupes (Keller-Schneider, 2016a).

Pour la présente étude, sept échelles sont utilisées pour déterminer les exigences du rôle d’enseignant. Ces échelles comprennent : 1) préparation de l’apprentissage ; 2) adaptation de l’enseignement ; 3) gestion de classe ; 4) contact avec les parents ; 5) coopération avec les autres enseignants ; 6) régulation d’exigences et ressources ; 7) compréhension du rôle (Hericks, Keller-Schneider et Bonnet, 2019 ; Keller-Schneider, 2020a).

Le tableau 1 montre les échelles utilisées, avec un exemple et la fiabilité des échelles (Cronbach alpha), saisies selon la pertinence des exigences (… est important pour moi), la compétence (… je réussis à maîtriser) et l’intensité du traitement (… m’occupe), c’est-à-dire le degré de sollicitation.

Tableau 1

Outil EABest-K (Keller-Schneider, 2014

Outil EABest-K (Keller-Schneider, 2014

-> See the list of tables

Analyse des données

La première étape de l’analyse a servi à vérifier la fiabilité des échelles selon les trois perspectives aux trois moments et à calculer leurs moyennes et leurs écarts types. Dans une deuxième étape, nous avons examiné les développements pour identifier les changements significatifs et importants (analyse de la variance GLM avec répétition des mesures). Les tailles d’effet ont été ensuite vérifiées au moyen d’êtas carrés partiels et interprétées en fonction de leur pertinence : η2>.01 faible, η2>.06 moyen, η2>.14 important (Eid, Gollwitzer et Schmitt, 2011).

Résultats

La figure 2 présente graphiquement les moyennes pour les trois enquêtes, dont les valeurs sont énumérées dans le tableau 2, complétées des résultats des tests d’analyse de la variance de leurs changements. La figure 2 montre la mise en relation des caractéristiques de pertinence, de compétence et d’intensité de traitement. Ces caractéristiques sont interprétées en fonction des ressources et des domaines de développement, en se fondant sur la théorie de la conservation des ressources de Hobfoll (1989).

Figure 2

Perception des exigences professionnelles : pertinence, compétence et intensité du traitement au cours des études

Perception des exigences professionnelles : pertinence, compétence et intensité du traitement au cours des études

-> See the list of figures

Exigences professionnelles perçues et leur développement

Pertinence

Tout au long de leur formation (t1/t2/t3), les étudiants considèrent les exigences professionnelles comme très pertinentes. En attestent les moyennes très élevées présentant un faible écart type. À leurs yeux, l’exigence de clarifier leur rôle est primordiale, suivie des exigences de régulation de ressources, de conduire la classe et d’ajuster l’enseignement en fonction des besoins d’apprentissage des élèves. Les étudiants accordent moins d’importance aux exigences de coopération au sein du corps enseignant et de contact avec les parents.

Développement : la pertinence des exigences en matière de conduite de la classe augmente de manière statistiquement significative au cours de la première année d’études, la pertinence du contact avec les parents et celle de la régulation des exigences et des ressources augmente au cours de la deuxième année. Le contact avec les parents gagne tout particulièrement en importance durant la formation.

Compétence

D’un point de vue subjectif, les étudiants satisfont aux exigences professionnelles. Dès le début de la formation, les moyennes se situent dans la moitié supérieure de l’échelle, à savoir dans la partie positive. Les écarts types montrent des différences entre les étudiants. Bien qu’ils en soient au même point dans leur formation (t1, t2 et t3), les étudiants indiquent des niveaux de compétence divergents.

La satisfaction aux exigences de la coopération au sein du corps enseignant et de la compréhension du rôle d’enseignant reçoit les valeurs les plus élevées, suivie de celles de la conduite de la classe et de la préparation des cours. Les étudiants se considèrent moins compétents en ce qui concerne les exigences d’adapter l’enseignement aux conditions d’apprentissage individuelles des élèves, celles de leurs propres exigences et ressources ainsi que celles concernant le contact avec les parents.

Développement : la perception de la propre compétence concernant la conduite de la classe et la préparation des cours augmente significativement d’année en année. Ce n’est que durant la seconde moitié de leur formation que les étudiants se montrent significativement plus efficaces pour adapter l’enseignement aux conditions d’apprentissage individuelles des élèves, établir et entretenir le contact avec les parents et développer une compréhension du rôle. La compétence en matière de coopération au sein du corps enseignant et en matière de régulation des exigences et des ressources ne montre aucun changement statistiquement significatif durant les études.

Intensité du traitement (degré de sollicitation)

Les valeurs de l’intensité du traitement des exigences professionnelles se situent essentiellement dans la moitié supérieure de l’échelle, tout en présentant des modalités variables. Le contact avec les parents et l’adaptation aux conditions d’apprentissage individuelles des élèves sont les aspects qui préoccupent le plus les étudiants. La coopération au sein du corps enseignant, la gestion des propres exigences et ressources ainsi que la conduite de la classe sont perçues comme moins contraignantes.

Développement : l’intensité du traitement des exigences professionnelles laisse reconnaître un développement qui présente toutefois des schémas différents selon les étudiants. L’intensité du traitement de l’exigence de l’adaptation de l’enseignement aux conditions des élèves augmente sensiblement au cours de la première partie des études et se stabilise durant la seconde, alors que celle de la conduite de la classe diminue de manière significative durant la première moitié des études et augmente à nouveau durant la seconde. Si la clarification du rôle diminue tout d’abord, ce défi reste ensuite stable durant la seconde moitié des études. Le défi de coopérer au sein du corps enseignant n’augmente significativement qu’au cours du second semestre. L’intensité du traitement dénote des développements spécifiques aux exigences.

Tableau 2

Caractéristiques et évolutions (moyennes et écarts types, résultats des analyses de variance GLM avec test post hoc)

Caractéristiques et évolutions (moyennes et écarts types, résultats des analyses de variance GLM avec test post hoc)

-> See the list of tables

Domaines de développement et défis ainsi que domaines de ressources

Sur la base de la théorie de la conservation des ressources de Hobfoll (Hobfoll,1989 ; Hobfoll et Schumm, 2004), les valeurs (figure 2) sont maintenant interprétées par domaines dans lesquels un développement supplémentaire doit intervenir afin d’atteindre un ratio de pertinence, de compétence et d’intensité du traitement des ressources (domaines de développement) plus favorable. Ces valeurs sont aussi interprétées en fonction des domaines qui sont perçus comme des ressources en raison de la constellation des perspectives de perception (domaines de ressources).

Domaines de développement et défis

Les exigences perçues comme des défis – en fonction du stress et des ressources qu’elles impliquent – sont celles qui sont considérées comme pertinentes et nécessitant un traitement intense avec une relativement faible compétence. Cette constellation laisse apparaître un besoin de développement pour préserver les ressources disponibles (Hobfoll, 1989).

Au début des études, la préparation des cours est considérée comme un défi. Alors que l’expérience en matière de compétences augmente – les étudiants gèrent de mieux en mieux la préparation des cours – et que l’intensité du traitement ainsi que la pertinence restent élevées, la confiance en soi se développe. Une constellation renforçant les ressources s’esquisse durant la seconde moitié des études (figure 2).

L’exigence d’adapter l’enseignement aux conditions d’apprentissage individuelles des élèves indique un domaine de développement particulièrement pertinent, accompagné d’une relativement faible compétence et d’un traitement intense. Ce dernier augmente de manière significative dès la première année d’études, alors que la compétence augmente surtout au cours de la deuxième année, la pertinence des exigences étant particulièrement élevée. L’exigence d’adapter l’enseignement aux conditions d’apprentissage individuelles des élèves reste un défi tout au long des études. Force est de constater que cette exigence représente également un défi durant les phases professionnelles ultérieures, comme le montrent les résultats concernant tant les enseignants en début de carrière que les enseignants expérimentés (Keller-Schneider, 2016a).

L’exigence d’établir et d’entretenir le contact avec les parents est aussi considérée comme un défi majeur qu’il s’agit de relever, même si elle est perçue comme moins importante durant les études. Au cours de la formation, la compétence et l’intensité du traitement requis augmentent, tout comme la pertinence de cette exigence.

Domaines de ressources

On associe les domaines de ressources à une compétence solide accompagnée d’une intensité de traitement plutôt faible ; si l’exigence est en outre perçue comme importante, l’effet améliorant les ressources agit davantage que si cette exigence est moins importante. En fonction de l’examen des constellations renforçant les ressources, l’expérience de la conduite de la classe se révèle être une ressource avec une grande pertinence de compétence – surtout durant la seconde moitié des études – et un traitement de faible intensité. Savoir gérer les exigences de la conduite de la classe procure un premier sentiment de confiance en soi, vécu comme une ressource pour gérer efficacement les futurs défis de la profession.

Un profil équilibré (expérience élevée en matière de compétence avec intensité de traitement plutôt faible) s’observe dans l’exigence de la coopération au sein du corps enseignant ; la pertinence de cette exigence étant toutefois sensiblement moindre que pour les autres exigences. Durant les trois phases de l’enquête, cette exigence est bien maîtrisée et perçue comme une ressource renforçante.

La compréhension du rôle d’enseignant et la régulation des exigences, tout en étant importantes, requièrent un traitement moins intense que le vécu des compétences. En leur qualité de domaines de ressources, elles contribuent au renforcement.

Au cours de la formation, la maîtrise de la préparation des cours évolue pour passer d’un domaine à développer à une ressource, comme mentionné ci-dessus. Un vécu plus prononcé des compétences s’accompagnant d’une intensité de travail relativement faible révèle une première « stabilité » qui a été développée durant la première année de formation.

Discussion

De manière générale, les résultats montrent que les étudiants en formation pédagogique de la Haute École pédagogique de Zurich qui ont participé de cette étude se considèrent compétents pour satisfaire aux exigences professionnelles, comme Schubarth, Speck et Seidel (2011) le constatent, non seulement pour les étudiants en pédagogie en contexte allemand, mais aussi pour les étudiants d’autres disciplines. L’analyse réalisée ici indique, en général, une bonne adéquation des exigences à la perception de soi des étudiants, qui, selon Meyer et Kiel (2013), représente un des objectifs principaux des étudiants durant leurs stages, et soutient leur motivation à continuer à apprendre (Schwarzer et Jerusalem, 2002). La structure de la formation et des stages permet d’adapter les exigences de compétences spécifiques à la phase de formation des futurs enseignants, de sorte que ceux-ci, de leur propre point de vue, sont généralement en mesure de satisfaire aux exigences professionnelles. Nous concluons par ailleurs que durant leur formation, les futurs enseignants considèrent déjà que les exigences professionnelles de leur futur métier sont très pertinentes. Ce constat complète les résultats concernant des enseignants en début de carrière et des enseignants expérimentés, qui soulignent aussi la pertinence des exigences professionnelles (Keller-Schneider, 2016a).

Cela dit, les étudiants n’évaluent pas la pertinence de chaque compétence, leur maîtrise de chacune et le défi que celle-ci représente, de manière linéaire. Par exemple, les étudiants accordent moins d’importance aux aspects qui touchent la coopération avec les autres enseignants. Les étudiants se disent même satisfaits de leur compétence pour coopérer avec les autres enseignants tout au long de leurs études. En effet, la constellation des évaluations au sujet de la coopération au sein du corps enseignant met en évidence un potentiel de ressources qui renforce les étudiants pour répondre aux exigences professionnelles. La faible pertinence montre cependant que, durant la formation, les étudiants considèrent cette exigence comme étant peu importante puisque celle-ci ne contribue pas directement à apprendre le métier. Même si la ressource du soutien social renforce le bien-être des futurs enseignants (Väisänen, Pietarinen, Pyhältö, Toom et Soini, 2017), la maîtrise des exigences en matière de coopération est considérée comme moins importante. L’importance des relations entre collègues (Struyve, Daly et Vandecandelaere, 2016) et du soutien social (Thomas, Tuytens, Devos, Kelchtermans et Vanderlinde, 2019) gagne en importance en début de carrière.

De l’autre côté, pour les étudiants enquêtés, la conduite de la classe est une exigence professionnelle très pertinente et cette perception de la pertinence augmente de manière statistiquement significative au cours de la formation. Ils se sentent par ailleurs assez compétents pour faire face à cette exigence, celle-ci les sollicitant moins dans son traitement (degré de sollicitation). En effet, l’intensité du traitement de cette exigence diminue de manière significative durant la première moitié des études. Cela dit, cette exigence augmente pendant la deuxième moitié des études. Nous nous demandons si cette augmentation de la perception du défi que représente la gestion de classe durant la deuxième année de la formation ne serait pas liée au fait que les étudiants comprennent mieux à ce moment les défis de gestion de classe qui leur attend, notamment car ils connaissent plus les contextes scolaires.

L’adaptation aux conditions d’apprentissage individuelles des élèves et le contact avec les parents sont les aspects de la tâche qui préoccupent le plus les étudiants. Même si, à partir de la deuxième année de formation, les étudiants considèrent mieux maîtriser ces deux exigences, elles demeurent un défi tout au long des études. Pour ce qui est d’établir et d’entretenir le contact avec les parents, les étudiants commençant la formation ne disposent que d’une faible expérience biographique préalable. Ils ne reconnaissent l’importance de cette exigence que durant leurs études en assumant leur rôle de (futur) enseignant. Si ces deux exigences représentent un défi majeur pour les étudiants, c’est l’adaptation aux conditions d’apprentissage individuelles des élèves qui est la plus importante pour eux.

Ainsi, l’exigence d’adapter l’enseignement aux conditions d’apprentissage individuelles des élèves est perçue comme un défi particulièrement important, exigeant une progression des étudiants. Cette exigence, qui doit non seulement être accomplie pendant la préparation des cours, constitue une composante dynamique de l’enseignement à équilibrer en toute situation. Composante difficilement prévisible, cette tâche met en évidence l’incertitude liée à l’enseignement et à l’apprentissage. Satisfaire à cette exigence s’avère aussi être un défi majeur tout au long de la carrière (Keller-Schneider, 2016a). Ce défi reflète une incertitude de l’action pédagogique que même l’expérience ne permet pas de diminuer (Paseka, Keller-Schneider et Combe, 2018).

Enfin, un premier sentiment de sécurité apparaît dans le cadre de la gestion de la préparation des cours qui se révélait difficile au début des études, puis se muait de plus en plus en ressource au fil de la formation. Il semble que dans ce domaine, les futurs enseignants sont bien préparés pour débuter dans leur métier. Les résultats liés à l’entrée dans la vie professionnelle montrent aussi que dans l’exercice de leur profession, les enseignants ne perçoivent pas ces exigences comme isolées, mais comme étroitement liées à leur compréhension du rôle, à l’enseignement adapté aux élèves et à la conduite de la classe (Keller-Schneider et al., 2017 ; Keller-Schneider, 2020a).

Les résultats montrent le développement accompli au cours des études, qui diffère en fonction de l’exigence et de la perspective de leur perception. Les valeurs, en dépit de leur écart type parfois important – qui provient des différences entre individus et confirme que les exigences sont perçues de façon individuelle en fonction des ressources individuelles (Cochran-Smith et Zeichner, 2005 ; Blömeke et al., 2008 ; Keller-Schneider, 2010) –, laissent apparaître des différences significatives qui vont au-delà de la perception individuelle.

Conclusion

L’objectif de cet article était de présenter les résultats d’une recherche concernant la perception des exigences propres à la profession d’enseignant des étudiants de la Haute École pédagogique de Zurich. En général, nous pouvons conclure que les étudiants de la cohorte analysée se sentent compétents pour faire face aux exigences de la profession. Cela dit, il existe des différences spécifiques à chaque compétence, à chaque individu et selon différents moments de la formation. Sans surprise, la gestion de classe et l’adaptation aux conditions d’apprentissage individuelles des élèves sont les deux composantes que les étudiants jugent comme étant les plus importantes pour l’exercice de leur profession. Ils se sentent mieux compétents dans la première que dans la seconde.

Quant aux limites de cette étude, nos données ont permis de montrer de manière empirique que la compétence ne peut, à elle seule, rendre compte de la maîtrise des exigences professionnelles ; la question de savoir dans quelle mesure les constellations jouent le rôle de facteurs prédictifs reste, toutefois, en suspens. Afin de déterminer les défis se présentant à la fin d’une formation initiale et après plusieurs années d’expérience, il est nécessaire de procéder à l’identification des exigences perçues au cours des différentes phases de la carrière. Une enquête menée auprès d’un échantillon de plus grande taille pourrait alors fournir des données qui peuvent être analysées en faisant interagir plusieurs aspects de la compétence.

Dans une visée de continuité de notre recherche, nous voulons poursuivre un projet de recherche qui aura lieu dans divers contextes sociaux et linguistiques, soit en Suisse francophone et germanophone, et au Québec francophone et anglophone. Nous explorerons comment les étudiants des écoles pédagogiques et des facultés d’éducation, intégrant des stages pratiques, perçoivent les exigences professionnelles dans ces contextes sociopolitiques divers, comment cette perception évolue en cours d’études et quelle importance revêtent les caractéristiques individuelles. Étant donné que la question de l’adaptation aux conditions d’apprentissage individuelles des élèves s’avère d’une importance primordiale, nous ajouterons à la recherche un volet qualitatif qui se centrera davantage sur cette question.

En raison des facteurs contextuels différents (pays, langue, structure et contenu de la formation), nous pouvons supposer que les perceptions des exigences professionnelles seront également différentes. Une comparaison des contextes de formation et de leur importance pour les éventuelles différences de perception des exigences professionnelles devrait permettre de déterminer dans quelle mesure les contextes de formation (Wentzel, 2014 ; Morales-Perlaza, 2016 ; Morales-Perlaza, Tardif, Buser et Wentzel, 2020) contribuent à déterminer ces perceptions et à définir l’importance des facteurs personnels (Keller-Schneider, 2020a).