Volume 52, Number 2, 2023 La littérature et l’existence. Vocation, désir d’écrire et formes de vie Guest-edited by Michaël Trahan
Table of contents (7 articles)
Études
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Le désir, brûlant, d’écrire. De l’écriture à l’amant
Julie Beaulieu
pp. 21–35
AbstractFR:
Ce texte, à l’orée de la recherche et de la création, explore l’émergence du désir d’écrire dans sa relation avec le désir charnel de l’amant. L’objectif vise à mettre en lumière une parcelle du processus créatif de Marguerite Duras, qui s’enracine dans le désir d’écriture de la jeune fille de L’Amant (1984), dont le visage exprime la jouissance. Écrire, voire réécrire l’histoire de l’amant chinois énoncée une toute première fois dans le roman Un Barrage contre le Pacifique (1950), jusqu’à son ultime réécriture dans L’Amant de la Chine du Nord (1991) en réaction au film L’Amant / The Lover du cinéaste Jean-Jacques Annaud. Cette lecture, à la fois personnelle et intime, suivra le fil du désir d’écrire et son double, le désir charnel, au sein du récit de l’amant chinois et de ses modulations, tout en empruntant à d’autres exemples tirés de l’univers littéraire et filmique durassiens.
EN:
This essay, at the juncture of research and creation, explores the emergence of the desire to write in its relationship to the carnal desire of the lover, with the goal of shedding light on a part of Marguerite Duras’s creative process that is rooted in the desire to write of the young girl in L’Amant (1984, published in English as The Lover, 1986), whose face expresses pleasure. Writing, even rewriting, the story of the Chinese lover, first told in the novel Un Barrage contre le Pacifique (1950, published in English as The Sea Wall, 1952), and ultimately rewritten in L’Amant de la Chine du Nord (1991, published in English as The North China Lover, 2008) in response to Jean-Jacques Annaud’s film L’Amant / The Lover. This reading, both personal and intimate, will follow the thread of the desire to write and its double, carnal desire, within the story of the Chinese lover and its modulations, while borrowing from other examples drawn from the Durassian literary and filmic universe.
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« La part qui me revient ». Le Journal de Jean-Luc Lagarce : une poétique de la vie finale
Maïté Snauwaert
pp. 37–50
AbstractFR:
Cet article examine le Journal de Jean-Luc Lagarce à l’aune du style tardif, notion mise en évidence par Edward W. Saïd, de façon à faire ressortir l’affinité de son écriture avec la fin, en particulier dans l’espace d’élaboration et de délibération singulier qu’est le Journal, et ce dès avant le diagnostic de séropositivité. Lorsque celui-ci survient, il renforce la conscience d’un « milieu du chemin de la vie », pour reprendre le vers inaugural de L’Enfer de Dante, à partir duquel la perception du temps restant à vivre s’intensifie.
EN:
In this paper, I examine Jean-Luc Lagarce’s Journal in the light of Edward W. Saïd’s On Late Style. This allows me to demonstrate the deep affinity of Lagarce’s writing with the extremity of life, particularly in the singular space of elaboration and deliberation that is Journal, even before the diagnosis of seropositivity. Yet, when the diagnosis comes, it only reinforces the awareness of “the middle of our life’s journey,” to quote the opening of Dante’s Inferno, from which the perception of the time left to live intensifies.
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Écrire dans la bourrasque. À propos d’Hélène Cixous
Léa Bismuth
pp. 51–63
AbstractFR:
Hélène Cixous conçoit la littérature comme une embarcation périlleuse, ouvrant un espace par lequel elle exige, dynamiquement, de rompre les amarres et de passer quoi qu’il en coûte. En nous appuyant sur des récits récents de l’écrivaine (L’Amour du loup et autres remords, 2003 et Défions l’augure, 2018), il s’agira de déceler les principes d’une injonction à écrire. Pour cela, le corpus intertextuel choisi — via Michel de Certeau, Roland Barthes et Jacques Derrida notamment — tentera de déceler en quoi l’écriture relève d’une tempête évènementielle (tout autant que d’un élan mystique, d’un départ, d’un risque à prendre). En conférant à l’acte d’écrire toutes les caractéristiques d’une véritable effraction, on en élargira la puissance existentielle, en la mettant en perspective avec des philosophes contemporains de l’acte de création, tels que Patrice Loraux et Paul Audi.
EN:
Hélène Cixous conceives of literature as a perilous craft, opening up a space through which it dynamically demands to break the mooring lines and pass through, whatever the cost. Drawing on recent stories by the writer (L’Amour du loup et autres remords, 2003 ; Défions l’augure, 2018), we will explore the principles of an injunction to write. To this end, the selected intertextual corpus—via Michel de Certeau, Roland Barthes and Jacques Derrida in particular—will attempt to identify how writing is the result of an event-driven storm (as much as of a mystical impulse, a departure, a risk to be taken). By conferring on the act of writing all the characteristics of a genuine break-in, we will broaden its existential power, putting it into perspective with contemporary philosophers of the act of creation, such as Patrice Loraux and Paul Audi.
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Écrire sous fatigue. Devenirs révolutionnaires d’une poésie de l’épuisement chez Isabelle Dumais
Anne-Marie Desmeules
pp. 65–76
AbstractFR:
Isabelle Dumais faisait paraître en 2019 Les Grandes Fatigues, où elle décrit le difficile parcours que provoque un épuisement et l’incursion du sujet fatigué dans la lenteur. Ce recueil de poésie donne à lire la formation de nouveaux possibles, frêles mais tenaces, qui détiennent le potentiel de transformer le monde, de le rendre plus accueillant. Cette analyse s’intéresse aux processus qui mènent à ces renversements « infra politiques », dont parle Romain Huët, dans le texte et dans l’acte d’écriture lui-même. Comment en effet le repos, même forcé, offre-t-il l’opportunité de transformer une posture d’asservissement en mouvement d’affirmation personnelle et artistique ?
EN:
In 2019, Isabelle Dumais published Les Grandes Fatigues, in which she describes the difficult journey caused by exhaustion and the tired subject’s incursion into slowness. This collection of poems reveals the formation of new possibilities, frail but tenacious, that hold the potential to transform the world, to make it more welcoming. This analysis looks at the processes that lead to these « infra political » reversals, as Romain Huët calls them, in the text and in the act of writing itself. How indeed does rest, even when forced, offer the opportunity to transform a posture of subjugation into a movement of personal and artistic affirmation ?
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Trahir
Catherine Morency
pp. 77–86
AbstractFR:
Dans cet essai, l’autrice interroge la notion de vocation en partant d’un présupposé : arriver à l’œuvre participerait tant d’un besoin de trahison que d’un désir d’appartenance. Elle remonte les étapes qui façonnent l’œuvre à venir, sondant, dans les textes qui l’ont nourrie et chez les penseurs.ses qui contribuent à aiguiser son regard sur le mécanisme créateur, les matériaux à l’origine d’une refonte de soi en même temps que de la création d’une forme poétique. En dehors des carcans du langage mais en marge d’une intériorité qui peut devenir claustration, l’autrice cherche un espace en elle qui pourra donner lieu à ce que Beckett nomma innommable, et qui pourtant a beaucoup à dire, à inventer.
EN:
In this essay, the author questions the notion of vocation, starting from a presupposition : to arrive at a work is as much a question of betrayal as a desire to belong. She traces the stages that shape the work to come, probing the texts that have nourished her and the thinkers who have contributed to sharpening her eye for the creative mechanism, the materials at the origin of a rethinking of the self, and the creation of a poetic form. Outside the shackles of language, but on the margins of an interiority that can become a form of claustration, the author seeks a space within herself that can give rise to what Beckett named unnameable, and which nevertheless has much to say, to invent.
Analyses
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« L’oeuvre flambe et son modèle meurt » : sacre et imaginaire de l’écriture dans Miracle de la rose de Jean Genet
Martin Hervé
pp. 89–106
AbstractFR:
Cet article défend une analyse du deuxième roman de Jean Genet, Miracle de la rose (1946), à partir du sacré appréhendé comme une logique particulière de l’écriture, ce qui nous permet de rendre compte des effets de sens que celle-ci produit. Le sacré genetien ne se réduit en effet jamais à une thématique, ni à une esthétique. Pris comme un espace rituel, le roman est le lieu d’expression du sacre de l’écrivain dès lors que le sacrifice de l’être aimé en constitue l’horizon d’attente. Pastiche d’un merveilleux hagiographique, Miracle de la rose relate en creux comment Genet se fait écrivain, comment advient ainsi le « miracle » de l’écriture, au prix toutefois de l’irrémédiable solitude de celui qui écrit. En suivant cette piste, nous entendons donc éclairer certains aspects de l’agonisme dont l’œuvre entière de Genet procède.
EN:
This article analyzes Jean Genet’s second novel, Miracle de la rose (1946, published in English as Miracle of the Rose, 1966), from the point of view of the sacred as a particular logic of writing, enabling us to account for the effects of meaning it produces. The Genetian sacred is never reduced to a theme, nor to an aesthetic. Taken as a ritual space, the novel is the place where the sacredness of the writer is expressed, since the sacrifice of the beloved constitutes the horizon of expectation. A pastiche of hagiographic wonder, Miracle of the Rose tells the story, indirectly, of how Genet becomes a writer, how the “miracle” of writing happens, albeit at the cost of the writer’s irremediable solitude. By following this path, we can shed light on certain aspects of the agonism that underlies Genet’s entire oeuvre.