Abstracts
Résumé
Dans les années 1830-1840, la poésie biblique connaît une recrudescence en France. Durant ces mêmes années, la poésie en prose aboutit à la cristallisation du petit poème en prose, comme l’a montré Nathalie Vincent-Munnia. De la rencontre de ces deux tendances dérive déjà le poème en prose biblique, dont Christian Leroy a exposé la tradition de simplicité depuis Télémaque. La nouveauté réside dans l’attention portée au verset comme forme possible du poème en prose, dans la tradition du poème en prose biblique, mais aussi dans les tâtonnements formels et critiques autour du petit poème en prose. Le verset parvient-il à s’imposer comme forme inédite d’un genre nouveau de poème ? Ou son usage doit-il s’inscrire exclusivement dans le genre du grand poème ? N’est-il pas voué par son origine à porter des connotations éthiques pouvant être reversées à un usage polémique ou politique ? Une quête du verset se fait jour à cette époque. Dans la pratique, le verset se définit, d’une part, par le parallélisme, dans les pastiches bibliques, et, d’autre part, par un rythme hérité de la prose nombreuse, dans des oeuvres qui le marquent cependant de leur sceau didactique. Dans la critique littéraire, le verset apparaît comme une catégorie opératoire destinée à mettre en valeur un nouveau type de petit poème en prose. Identifié comme une forme brève et rythmée, le verset va dépendre, pour sa consécration, de l’évolution des genres de niveau supérieur.
Abstract
Biblical poetry experienced a revival in France in the years 1830-1840. During these same years, “prose poetry” brought about the crystallization of the “petit poème en prose” (small prose poem), as Nathalie Vincent-Munnia has shown in her work Premiers poèmes en prose. These two trends converged and gave rise to the “poème en prose biblique” (biblical prose poem). Christian Leroy in his La poésie en prose française du XVIIe siècle à nos jours has discussed the simplicity of such a style of biblical prose since Telemaque. The importance of Leroy’s study stems from its focus on the “verset” as a possible “poème en prose” form both within the biblical prose poem tradition and from the vantage point of recent scolarship on the small prose poem. In this context, can one argue that the “verset” has managed to impose itself as the structure of a new type of poem ? Or is its use to be understood necessarily within the context of the “grand poème” tradition ? Could it be argued that its origins inevitably lend it an ethical connotation associated with polemical and political aims ? A quest for the “verset” is undertaken in the 1830’s. In practice, the “verset” is defined, on the one hand, by parallelism in biblical pastiches, and on the other hand, by a rhythm inherited from poetical prose, in works that infuse it, however, with didactical considerations. In literary criticism, the “verset” is invoked as a category designed to highlight a new type of “small prose poem”. Labelled as a concise rhythmic structure, the “verset” would depend on the evolution of higher-level genres for its consecration.
Article body
Poème en prose et verset sont-ils compatibles[1] ? Michel Sandras n’exclut pas le verset comme une écriture possible du poème en prose[2]. Qu’en est-il dans les années 1840, alors que la prose poétique issue de la double veine des tragédie et épopée en prose, ainsi que des traductions d’ouvrages poétiques étrangers en vers, notamment de ballades, se cristallise en poème, et surtout en poème bref ? Le verset est-il la forme brève, constituante, qui permet au petit poème de se structurer, tout en conservant en creux le modèle du grand poème épidictique ? Des études de grande valeur comme celles de Nathalie Vincent-Munnia[3] et de Christian Leroy[4] sur l’émergence du poème en prose dans le sillage romantique ont balisé les grandes étapes de cette évolution. Mais il manque encore un éclairage sur le rapport entre poésie biblique, forme du verset et reconnaissance du poème en prose.
La poésie religieuse en vers, les adaptations en vers ou prose de la Bible sont légion dans les années 1830-1840. Cependant, il y a loin de la mode du style biblique à la reconnaissance de la littérarité du verset. Le verset peut être pratiqué mais il est peu théorisé. Il souffre du tabou de son origine liturgique. Indissolublement corrélé au texte biblique, qui ne peut qu’être réitéré rituellement, il semble ne pouvoir disposer d’une autonomie formelle. En tant qu’héritier du découpage du texte biblique, il est une fonction davantage qu’une forme. Au contraire du vers libre et du poème en prose dont l’appellation métaphorique s’est imposée avec la naissance d’un genre ou d’une forme, le nom du verset provient d’une tradition considérée comme non littéraire. On ne nomme pas cette forme, on cite tel ou tel verset de l’Ancien ou du Nouveau Testament, voire des Psaumes ou de l’Imitation de Jésus-Christ.
La reconnaissance esthétique de la forme, hors de son contexte biblique, ne s’effectue pleinement qu’à la période symboliste, au moment de l’émergence du vers libre, et dans son ombre portée. Primauté est donnée alors à la cohérence d’un système des formes, qui correspond toujours pour l’essentiel au nôtre, à savoir le poème en prose, le vers, le vers libre et le verset. Cette définition tardive occulte la préhistoire du verset comme forme poétique, préhistoire complexe, qui interfère avec l’histoire du poème en prose et du vers libre. En France, la période des années 1830-1840 est particulièrement significative par la corrélation que l’on constate entre l’émergence du poème en prose et les tentatives de transfert de la forme hors de son contexte biblique. On peut même faire l’hypothèse que le verset a contribué à l’émergence du poème en prose comme genre autonome. Cependant, cet apport n’a-t-il pas nui en fin de compte à l’autonomisation du verset comme forme ? En tant que structure microtextuelle, n’est-il pas voué à servir à l’identification du poème en prose, genre plus apparent puisque macrotextuel ? De plus, n’a-t-il pas été cantonné à un type particulier de poème en prose qui n’est considéré comme littéraire que de manière conditionnelle ?
Dès 1753, le verset est ramené au principe du parallélisme par Lowth, dans ses études sur la poésie hébraïque[5]. Mais il faut attendre 1812 pour que l’ouvrage soit traduit en français. Chateaubriand cite bien Lowth dans Le génie du christianisme en 1802, mais sans l’avoir lu ; il est plus intéressé par la forme concurrente du psaume qu’il propose, à savoir la chanson en prose d’Atala, que par le verset. En ce qui concerne le choix de la prose pour les sujets bibliques, Christian Leroy le rapporte à « la réputation de la langue hébraïque de ne pas connaître de poésie versifiée[6] ». Le parallélisme n’apparaît guère dans la prolifération de poèmes en prose bibliques qui ont suivi au XVIIIe siècle l’exemple du Télémaque de Fénelon. Ainsi, la thèse de la structuration du verset psalmique ou poétique selon le parallélisme ne se diffuse dans les milieux cultivés qu’après 1830[7]. On en trouve bien une trace dans quelques paragraphes brefs du Noé d’Esquiron de Saint-Agnan[8] (1824), mais le procédé se perd au milieu de paragraphes beaucoup plus longs. Le corrélat stylistique du grand poème biblique demeure donc la prose poétique[9], et l’on sait que le poème en prose d’envergure, cosmogonique ou historique, est en vogue, du début du siècle aux années 1820. Dans les revues, La Revue de Paris, L’Artiste, ou même La Revue des deux mondes, on constate d’ailleurs que la poésie en vers perd du terrain progressivement devant la prose, qu’il s’agisse de nouvelles, d’études documentaires, de traductions de ballades étrangères ou de grands poèmes épiques en prose.
Il faut par conséquent distinguer la pratique du verset et sa conceptualisation comme forme littéraire, qui enregistre avec retard les effets d’une perception collective. Ainsi George Sand est-elle parmi les premiers critiques, en 1840, à dissocier le verset de son origine biblique. En tant qu’auteure, elle a d’abord tenté une imitation du style biblique dans un poème éclectique, « Myrza[10] », qui propose une traduction de « vers hébraïques ». Cette traduction disposée en « versets[11] », selon le terme du narrateur, se présente sous forme de longs paragraphes narratifs. La prose de Sand n’est guère nombreuse, mais elle se modèle encore sur un contour périodique : alors qu’au début du siècle la poésie en prose biblique avait tendu à s’affranchir du modèle de la prose poétique pour se rapprocher du roman, comme dans La prise de Jéricho (1803) de Mme Cottin[12] ou Les bergères de Madian ou la jeunesse de Moïse de Mme de Genlis[13], dont la prose narrative en longs paragraphes n’obéit ni à la cadence poétique ni à l’hypotaxe périodique, le pastiche de Sand semble revenir sur cette tendance.
Or, George Sand emploie le terme « versets » dans son article sur Maurice de Guérin en 1840[14]. Le terme, exceptionnel dans la critique littéraire des années 1840, surprend d’autant plus que Le centaure ne vise en rien l’imitation biblique. Doit-on penser, comme Nathalie Vincent-Munnia, que ce terme désigne tout simplement l’ancienne prose poétique[15] ? Cependant, cette corrélation du verset et du poème en prose hors du contexte biblique s’autorise d’une référence, celle de Ballanche. Il est mentionné pour le traitement mythologique, qui rapproche Le centaure d’Antigone et d’Orphée, mais aussi en raison du perfectionnement que l’oeuvre constitue dans la voie suivie par Ballanche, celle du poème en prose philosophique. En tant que lecteurs modernes, nous considérons Le centaure comme la plus grande dimension possible du petit poème en prose. Mais ce serait plutôt un osmazôme, non du roman comme dira Des Esseintes, mais du grand poème en prose. George Sand insiste sur la concentration nouvelle de la forme :
Mais au risque de passer pour pédant nous-même, nous n’hésiterons pas à dire qu’il faut lire deux et même trois fois Le centaure pour en apprécier les beautés, la nouveauté de la forme, l’originalité non abrupte et sauvage, mais raisonnée et voulue, de la phrase de l’image, de l’expression et du contour. On y verra une persistance laborieuse pour resserrer dans les termes poétiques les plus élevés et les plus concis une idée vaste et profonde, et mystérieuse comme ce monde primitif à demi épanoui dans sa fraîcheur matinale, à demi assoupi encore dans le placenta divin[16].
Le verset n’est donc plus exclusivement biblique, car si Ballanche a pu réinterpréter le mythe d’Orphée d’une manière chrétienne, il n’en est rien pour Guérin. Il désigne de manière élargie la sacralité d’une pensée que George Sand juge panthéiste :
Son ambition n’est pas tant de la décrire [la nature] que de la comprendre, et les derniers versets du Centaure révèlent assez le tourment d’une ardente imagination qui ne se contente pas des mots et des images, mais qui interroge avec ferveur les mystères de la création[17]…
George Sand, à défaut de saisir la nature du verset, ne se méprend pas sur l’oeuvre de Ballanche. Le verset ne correspond selon elle ni à la brièveté ni à la prétention dogmatiques, car elle occulte les versets brefs de Ballanche dans les réflexions qui suivent le récit d’Orphée ou dans la Vision d’Hébal[18]. Guérin l’emporte justement sur Ballanche par sa capacité à ne pas verser dans le technicisme du vocabulaire philosophique. Le terme de verset indique donc ici un long paragraphe en prose périodique, sinon nombreuse. Il correspond à une hauteur de ton, le genre noble dans la tripartition des styles. Pour George Sand, il représente davantage une notion critique qu’une forme esthétique nouvelle. En effet, la poésie de Sand dans Les sept cordes de la lyre[19]ne se dispose guère en versets et relève d’autres ressorts du poétique. L’usage qu’elle fait du terme à propos de Guérin suggère d’abord que la sacralité connotée du verset lui confère a priori une valeur poétique, ensuite que le verset est associé aux développements du long poème en prose d’inspiration philosophique, à la manière de Ballanche. Cela constitue une innovation par rapport au genre de la traduction des psaumes en vers, dont relève encore un ouvrage tel que Leschants du Psalmiste, odes, hymnes et poèmes par Sébastien Rhéal[20] : celui-ci continue de proposer dans une section « versets » une poésie chrétienne en strophes brèves structurées par des parallélismes. Le verset selon George Sand est au contraire une subdivision de la prose, valant comme appellation anoblissante pour ce genre qui concentre dans un format réduit l’esprit du grand poème en prose. Mais ses propriétés stylistiques restent mal déterminées : rien n’est dit, en particulier, de sa brièveté.
Avant d’être théorisé, le verset est donc engagé dans une pratique. Cette pratique l’agrège au poème d’inspiration biblique élargie, qui connaît à cette époque un regain de vitalité. Nodier attire ainsi l’attention sur Le dernier homme de Granville[21], épopée en prose. Quinet propose en 1833 un mystère en prose, Ahasverus[22], qui annonce par son foisonnement baroque le Soulier de satin. Cet ouvrage offre notamment des récitatifs de la part de personnages anthropomorphisés, tels que la cathédrale, qui semblent écrits en versets, à défaut d’avoir été identifiés comme tels par une critique déconcertée[23]. On peut entendre ici par versets non pas la reproduction du verset psalmique reposant sur un strict parallélisme binaire, mais l’imitation intuitive d’une prose nombreuse reposant sur des effets larges de symétrie grammaticale, démultipliés par rapport au verset psalmique plus bref. Le procédé frappe surtout dans les paragraphes longs construits sur le principe de l’anaphore-leitmotiv. On peut supposer que Quinet a adapté un modèle biblique (moins strictement fondé sur le parallélisme que celui du verset psalmique) au cadre d’une prose nombreuse. En tout cas, la présentation en séquences isolées met l’accent sur le paragraphe comme unité poétique. Le caractère visuel de cette forme est d’ailleurs signalé dans la Revue de Paris : « Rien de plus étranger à notre langue métaphysique et politique, que cette forme plastique, si familière à tout l’Orient, à la Bible, à la poésie du moyen-âge, à toutes les littératures du Nord[24]. » Quant à la numérotation centrée, elle rappelle celle d’autres textes pastiches du style biblique[25] mais diffère de celle qu’on peut observer dans la Revue de Paris pour une traduction du Mahabaharata. Ce grand poème épique sanscrit constitué de stances de deux vers est traduit littéralement, en paragraphes de prose numérotés à gauche :
Markandéya dit :
1. Le fils de Vivaswata (du Soleil) était un roi et un grand sage, un prince des hommes, semblable par son éclat à Pradjâpati.
2. Par sa force, sa splendeur, sa félicité et sa pénitence surtout, Manou surpassa son père et son grand-père.
3. Les bras levés en haut, ce souverain des hommes, ce grand saint, debout sur un seul pied, soutient longtemps cette pénible attitude[26].
Cette présentation identique à celle des versets bibliques montre l’éclectisme idéologique de ces années, mais aussi le succès d’une forme brève, substitut du vers, associée à ces grands poèmes sacrés. Le verset apparaît ainsi comme une forme adéquate de traduction : un paragraphe de prose plus propice que le vers aux développements narratifs et didactiques. Il offre aussi, lorsqu’il est bref, une visualisation et une mémorisation meilleures de l’énoncé ; il lui confère l’aura du blanc alinéaire, dont ne dispose pas la prose continue. Mais le verset, forme d’abord repérable visuellement, ne peut se définir par sa seule brièveté. En effet, certaines revues, comme la Revue de Paris, publient des nouvelles en alinéas très aérés. La définition esthétique du verset comme forme distincte du paragraphe repose donc sur la reconnaissance d’autres critères que la brièveté.
Or le critère principal demeure celui de l’association au texte biblique ou sacré. On voit bien quel danger représente cette confusion de la forme et d’un contenu associé. À cela s’ajoute que la tradition du poème cosmogonique a été détournée en ces années au profit de la politique. La prose en forme de verset, avec ses connotations bibliques, est exploitée par les Saint-Simoniens, adeptes d’une religion nouvelle. On peut discuter de l’origine de ce détournement : est-il dû au succès des Paroles d’un croyant ? Quoi qu’il en soit, il est en rapport avec les pastiches bibliques. Des extraits du Livre nouveau en brefs versets sont exposés dans La Revue des deux Mondes, que Louis Reybaud critique comme une algèbre aux « formules rigoureuses pour qui les pose, incompréhensibles pour qui les voudrait discuter[27] ». On retrouve une présentation et un projet similaires, un peu plus tard, dans De l’humanité de Pierre Leroux cité par Lerminier[28]. La forme et le style bibliques y sont employés au profit d’une intention pédagogique. Le verset y est davantage mnémotechnique que poétique. Ce n’est pas là qu’il va gagner ses galons poétiques : dans un article sur la poésie depuis 1830, Charles Louandre accuse la poésie saint-simonienne de n’avoir produit que des traductions, ou pour mieux dire, des parodies du Dies irae, du Deprofundis et des Psaumes[29]. Le verset se trouve confiné à une poésie didactico-politique : c’est une impasse tout à la fois pour sa laïcisation, puisqu’il est dévoyé dans des religions sectaires, et pour son autonomisation formelle.
On ne sort guère de cette impasse avec le verset de Mickiewicz et de Lamennais. Sainte-Beuve insiste sur la catholicité de la forme, susceptible de rebuter les républicains, à la lecture du Livre des pèlerins polonais[30]. Cette catholicité renvoie le verset à son origine biblique, en faisant l’économie d’une élaboration littéraire : il n’est pas besoin d’une théorie littéraire du verset ou de la prose en versets puisque le modèle biblique en tient lieu. Le verset de Mickiewicz trouvera son aboutissement dans celui de Lamennais, plus rythmé et non produit d’une traduction. Quant à la réutilisation du verset de Lamennais, elle s’effectue sur un mode polémique[31], qui parodie d’abord l’énonciation prophétique avant la forme du verset[32]. De plus, le verset de Lamennais, bien qu’attaché à une forme brève, celle de la parabole ou du chant, est souvent rattaché dans ces imitations au genre du poème épique subdivisé en chants et déployant un système. Tout en restant une forme rare, le verset devient une arme au service d’un parti politique se couvrant de l’autorité de la religion catholique. Il ne semble donc pas qu’il y ait là de voie poétique, hormis dans les ouvrages mêmes de Lamennais, comme Le livre du peuple[33].
Cependant, Sainte-Beuve semble esquisser un autre rôle pour le verset dans la formation du petit poème en prose. Il attribue au verset une généalogie littéraire allant de Bertrand[34] à Mickiewicz[35] en passant par Lamennais[36]. Sainte-Beuve, contrairement à George Sand, ne tient pas compte de l’ethos associé à la forme. En effet, les projets apologétiques de Mickiewicz et de Lamennais ne correspondent pas à « l’éthique de l’art pour l’art » de Bertrand. De plus, la perspective est inversée puisque l’article de Sainte-Beuve sur Bertrand paraît après ses articles sur Mickiewicz et Lamennais, alors que la forme de Bertrand aurait préexisté, selon lui, à leurs oeuvres : « On en a eu l’application depuis dans les Pèlerins polonais et dans les Paroles d’un croyant[37]. » Le verset est donc inscrit dans une généalogie paradoxale. En tant que notion critique, il constituerait une catégorie rétrospective de la lecture que Sainte-Beuve effectue de Bertrand. L’anonymat où sont alors plongés les poèmes de Bertrand confirme le caractère rétrospectif et subjectif d’une telle filiation : ni Mickiewicz ni Lamennais n’ont pu les lire.
L’emploi fait du terme « verset » dans les premiers articles sur Mickiewicz et Lamennais l’assimile à une forme brève et rythmée, comme l’indiquent les expressions de « prose rythmique » et de « mouvement rythmique à la fois et inspiré ». Mais Sainte-Beuve définit leurs poèmes comme des proses ou des chants, des hymnes, voire des paraboles, les rapprochant ainsi de genres brefs en prose déjà établis, alors que Bertrand évoque de « jolies ballades en prose dont la façon lui coûtait autant que des vers[38] ». On a reproché à Sainte-Beuve de n’avoir pas insisté sur le caractère inouï de l’oeuvre en prose de Bertrand. Mais si Sainte-Beuve demeure conventionnel dans sa préférence donnée aux « rares stances » de vers de Bertrand, il met bien en valeur l’esthétique de la concentration de ses poèmes en prose. Il leur oppose en effet comme repoussoir une « page naturelle » — trop naturelle et trop prolongée selon Bertrand —, les détachant ainsi du genre de la méditation en prose poétique. Certes les exemples que choisit Sainte-Beuve, « Ma chaumière », « Sur les rochers de Chèvremorte », « Encore un printemps », se rapportent à des traditions déjà existantes comme la traduction de ballades pastorales (ou de ballades gothiques avec « Le maçon »). Il occulte, ou ne voit pas, les autres origines possibles de ce premier modèle du poème en prose. Suzanne Bernard lui emboîtera d’ailleurs le pas : notant la récurrence de la ballade en cinq ou six strophes, elle réduit Gaspard de la nuit à ce type de la ballade en prose[39].
Quant à la forme corrélée au genre, Sainte-Beuve évoque les récitations que l’artiste effectuait de petites ballades en prose, « dont le couplet ou le verset exact simulait assez bien la cadence d’un rythme[40] ». Dans le cadre générique de la ballade, le terme de couplet, ici associé au verset, a pu sembler suffisant pour caractériser le poème en prose de Bertrand. C’est d’ailleurs le terme qu’emploie Bertrand lui-même dans ses injonctions au metteur en page, ajoutant celui d’alinéas, terme descriptif de la typographie. Le modèle de la ballade semble déjà daté au moment où les oeuvres de Bertrand paraissent[41], compte tenu de l’avalanche de traductions de ballades saxonnes ou nordiques dans les années 1830, dans la Revue des deux mondes mais aussi dans L’Artiste et La Revue de Paris. Ces traductions de ballades ont accoutumé le lecteur à voir la prose disposée en de très brefs paragraphes, d’une dimension proche de la ligne[42]. De même, les poèmes de Bertrand publiés dans La Revue de Paris apparaissent disposés en des paragraphes très courts, bien isolés par du blanc.
Il faut cependant souligner que la ballade de Bertrand ne propose que rarement des refrains. Comme nous le rappelle Nathalie Vincent-Munnia, ce modèle de la ballade à refrain est dérivé à la fois des ballades en vers et du modèle subsidiaire de la chanson, comme celui des Chansons madécasses de Parny, soit des couplets avec refrain[43]. Ainsi, Armand Barthet, dans les années 1850, propose dans L’artiste des ballades en couplets de prose nombreuse, scandée par des refrains[44]. On pourrait voir dans ce modèle l’une des origines possibles des Ballades de Paul Fort, cousues de vers blancs.
Cependant, le « couplet » nous semble largement inférieur, dans sa portée caractérisante, au « verset exact », qui est le véritable apport de Sainte-Beuve au travail de définition du poème en prose. L’association au « couplet » pourrait certes se rapporter à la mise en musique de vers devenus versets, à un moment où les cantiques religieux sont remis à la mode[45]. Un exemple de ballade de Wailly mise en musique par Mlle Bertin confirme qu’il s’agit du même niveau de constitution du poème puisque le verset musical y est l’équivalent de la strophe et non du vers[46]. Mais il ne semble pas que ce soit de ce côté que regarde Sainte-Beuve, comme en témoigne sa référence à Lamennais et Mickiewicz. Sainte-Beuve revient à plusieurs occasions sur le grand art sévère, le travail qui a présidé à la composition de ces poèmes, sur la concentration, sur la miniaturisation du travail du poème.
Qu’est-ce que ce « verset exact » évoqué par Sainte-Beuve, un analogon du vers mais au niveau supérieur de la strophe ? Un verset conçu ainsi comme une forme brève peut-il jouer un rôle dans l’émergence du petit poème en prose ? L’idée de l’exactitude du verset et de la cadence d’un rythme suggère que Sainte-Beuve a perçu le caractère globalement symétrique, parfois isosyllabique des syntagmes composant les paragraphes, c’est-à-dire une recherche de l’équilibre syllabique global des propositions à l’intérieur du paragraphe. On retrouve en effet dans les poèmes cités, comme « Le maçon », des mesures syllabiques de six, sept, huit, neuf et treize syllabes ; dans « Encore un printemps », des pentasyllabes souvent associés à des tétrasyllabes ou des heptasyllabes. On perçoit parfois des alexandrins, mais ceux-ci semblent plutôt évités, comme le montre la récurrence du treize syllabes — à l’exception de « Ma chaumière », poème qui semble le plus près du modèle de la prose poétique. Dans l’ensemble, on n’entend pas la cadence paire des vers blancs qu’affectionne la prose poétique nombreuse, à la différence des mesures retrouvées dans certains passages de l’Ahasverus de Quinet.
Le paragraphe conçu comme ensemble, mis en valeur par la présentation aérée, met en scène une vision suspendue, un point d’équilibre fragile, perceptible aussi à l’oreille. La référence à la ballade peut devenir alors pertinente dans la mesure où elle désigne un équilibre rythmique, les cellules syllabiques impaires n’empêchant pas la cristallisation d’un rythme syntaxique globalement binaire, fonctionnant par paires de syntagmes. De plus, l’ « exactitude » peut suggérer le caractère sinon isosyllabique, du moins très proche par la longueur, des paragraphes entre eux — ce qui est le cas du couplet, mais aussi du verset biblique.
Le paragraphe de ces poèmes en prose de Bertrand a donc pu rappeler à Sainte-Beuve le verset biblique ou celui des Paroles d’un croyant, du moins par l’impression d’équilibre rythmique et par la parataxe. D’une part, la parataxe est l’une des caractéristiques du style biblique. D’autre part, la présentation aérée de « Ma chaumière », d’« Encore un printemps » et du « Maçon » fait sauter aux yeux le caractère anaphorique des répétitions en début de paragraphe, liant ainsi les paragraphes entre eux, comme dans le modèle psalmique ou comme dans certaines paraboles ou prières des Paroles d’un croyant. Quant au paragraphe de « Sur les rochers de Chèvremorte », il repose sur l’équilibre binaire des propositions, quand ce n’est pas sur le parallélisme.
Quelque chose comme le paragraphe bref en prose équilibrée, à défaut d’être complètement mesurée, en style simple et parataxique, présentant des répétitions, émerge ainsi dans ces années 1830-1840 — distinct de la prose poétique classique se déployant en de vastes périodes, et même de la prose nombreuse à cadence régulière paire. Ce type de paragraphe ressemble beaucoup au verset de la Bible, même si le rapprochement n’est pas fondé sur une référence au parallélisme poétique (cela s’expliquant par le fait qu’au niveau de la forme comme du genre du petit poème, le modèle n’est ni le verset psalmique ni le psaume). Ce type de paragraphe apparaît comme une forme constituante, employée dans les grands poèmes cosmogoniques ou les traductions de ceux-ci, comme la Vision d’Hébal ou les récitatifs de l’Ahasverus. Mais il aurait pu aussi, dissocié du style biblique et de ses clichés, participer de la création d’un type de poème en prose plus bref. L’exemple de Bertrand est le cas limite de la perception d’une forme régulée syntaxiquement, rythmiquement, mais qui ne correspond plus à l’origine du verset biblique, contrairement à la forme de la parabole.
Le « verset » de Sainte-Beuve n’a été repris ni par les contemporains ni par la critique actuelle. On peut suggérer plusieurs hypothèses pour expliquer cette oblitération du verset dans la définition du poème en prose : la contradiction entre l’ethos noble soutenu par le terme de verset et le genre mineur de la ballade, le fait que Sainte-Beuve prenne comme point d’aboutissement et non de départ les oeuvres de Mickiewicz et de Lamennais pour la postérité de la forme. Cela revient à aborder le problème à l’envers. Outre la succession problématique des Paroles d’un croyant, que nous avons évoquée, le verset ne peut être reconnu comme constituant du poème en prose laïque si son seul horizon viable est constitué par des formes d’inspiration biblique.
La leçon de Sainte-Beuve se heurte donc à l’identification très forte du verset au genre de la poésie biblique, dont il ne semble pouvoir sortir. C’est pourquoi la conception biblique développée par Ludovic de Cailleux en 1845 a pu se proposer comme une solution à la crise poétique qui règne dans la poésie en général comme dans la poésie chrétienne en particulier[47]. Le choix esthétique de la prose est justifié par la double reconnaissance d’un genre défini, le « poème biblique en prose », et d’une forme[48] perceptible dans l’assimilation des traits stylistiques du verset psalmique, comme en témoigne le début du Testament 2e, Vele semoth :
En même temps que le bruit des pérégrinateurs s’effaçait dans les gorges du mont ; celui des multitudes s’élevait, comme le mugissement des grandes eaux dans la solitude.
Les enfants de Dieu s’avançaient sur la route d’Horreb avec les troupeaux qu’ils ramenaient des pâturages.
Or Methousaël porté sur son cheval pérégrinateur, Nahum, commençait à gravir les rochers arides et déserts du mont Galaad ; et les pieds nerveux de Nahum frappaient les angles des rocs[49].
On voit bien en quoi il y a solution de continuité entre les oeuvres de Bertrand et de Cailleux. L’appellation de poème en prose renvoie au grand poème épique chez Cailleux, modèle qui n’existe déjà plus chez Bertrand. De plus, l’appellation biblique change profondément la donne et la forme. Chez Bertrand, l’équilibre syntaxique du paragraphe n’est généralement pas dicté par le parallélisme mais procède d’une volonté d’équilibre rythmique. Chez Cailleux, le parallélisme est premier, témoignant d’une assimilation du caractère rythmique spécifique au verset psalmique[50]. Le verset est biblique chez Cailleux, le paragraphe est une cristallisation d’un certain usage rythmique et syntaxique de la prose chez Bertrand. Tout le problème du verset dans les années à venir réside dans ce phénomène, perçu par Nathalie Vincent-Munnia, selon lequel « comme la pseudo-traduction, l’imitation renvoie le lecteur à un hors-texte et maintient la poésie en prose ainsi créée à distance[51] ». La conception de Cailleux et son oeuvre auraient pu malgré tout illustrer une définition littéraire du verset, même restreinte à la catégorie biblique. Mais l’oubli total dans lequel vont demeurer ses ouvrages jusqu’aux thèses de Suzanne Bernard et de Nathalie Vincent-Munnia a empêché cette définition de prévaloir.
Certes, des traductions en prose des passages bibliques vont faire entendre le rythme du verset mais sans le revendiquer, par la seule vertu du calque[52] ; ou si elles renvoient aux leçons sur la poésie des Hébreux, elles demeurent cantonnées à ce domaine de la traduction biblique, sans théoriser une poésie en prose en général[53]. Quant au panorama de la poésie biblique de François Ragon[54], il propose pêle-mêle tragédies, odes, traductions de psaumes, indifféremment en vers ou en prose, du XVIe siècle aux romantiques, considérés comme les maîtres du genre. Même au sein de cette catégorie esthétique que constitue la poésie biblique, aucune définition du verset comme forme particulière de la prose poétique ne parvient à s’imposer.
De surcroît, l’inscription régulière du verset dans le cadre du grand poème le voue à s’éclipser devant le nouveau genre du petit poème en prose. Ainsi, Quinet pense trouver dans le vers un accès à un plus large public, et réserve le verset à ses épopées. Or, Charles Magnin lui conseillera de revenir à la prose, témoignant à la fois du manque de talent personnel de Quinet pour les vers et peut-être aussi de l’essoufflement du grand poème[55]. Par ailleurs, lors de la reconnaissance publique, vingt ans après, du Centaure et de Gaspard de la nuit[56], le terme de « verset » a disparu, comme si avec leur originalité avant-gardiste s’était estompé le besoin d’identification formelle. Il y a donc conflit d’intérêts. Si le poème en prose a pu avoir besoin du verset comme catégorie opératoire pour s’imposer comme un genre noble, il l’abandonne dès lors qu’il se cherche une autre filiation. En ce qui concerne le petit poème en prose, la limite de l’intervention de Sainte-Beuve, qui pose à la fois une histoire et une définition possible du verset comme constituant du poème, est qu’il n’apporte pas d’autre illustration crédible. Quant au théoricien le plus célèbre du petit poème en prose, Baudelaire, il va s’affirmer comme un continuateur et un inventeur par rapport à Bertrand, dont il ne reprend pas la forme. En effet, son modèle est celui de la prose journalistique, cette prose que Jules Janin porte aux nues, dans les revues justement, tout au long des années 1830 et 1840.
Le désir de poème qu’évoque Michel Sandras dans ces années 1830-1840 me paraît tout à fait juste, plus précisément en ce qui concerne le poème bref[57]. Ce désir de poème est parfois associé à une quête de verset, qui intervient comme catégorie critique dans les réflexions autour d’un nouveau type de poème en prose. Le verset apparaît comme une possible appellation pour une forme brève, rythmée par des retours réguliers de mesures syllabiques, paires ou impaires, se distinguant de la prose nombreuse par une syntaxe parataxique. Le verset structuré par le parallélisme n’est pas dominant quantitativement, en dépit de son origine psalmique prestigieuse. L’échec des imitateurs de Lamennais le ramène souvent au paragraphe informe, moulé dans les clichés du style biblique.
Certes, les connotations sacrées du verset le servent lorsqu’elles coïncident avec l’engouement d’une époque pour une poésie qui tient lieu de religion. Mais elles le desservent lorsqu’elles le dévient vers la politique. Le verset demeure généralement associé au grand poème en prose, plus exactement biblique ou philosophique, jusque dans le désintérêt que connaît le genre[58]. Au contraire du verset, forme microtextuelle subordonnée au choix du genre, c’est le petit poème en prose qui s’imposera comme un genre neuf. Comme Michel Sandras le suggère, l’ethos de la forme du verset, sa structuration interne réglée qui rappelle la prose nombreuse d’autrefois, entre en contradiction avec le désir de simplicité et de modernité[59]. Dès lors que le poème en prose se prosaïse, il se sépare du verset, qui ne peut plus lui être associé comme interprétant culturel de formes nouvelles.
Appendices
Note biographique
Carla Van den Bergh
Carla Van den Bergh est professeure agrégée de lettres modernes, rattachée au C.N.R.S. dans le cadre de la Fondation Thiers, membre de l’équipe « Littératures du XXe siècle » de l’Université de Paris IV, membre associée du C.E.L.A.M. à l’Université Rennes II, et inscrite en thèse sous la direction de Michel Murat à l’Université de Paris IV pour le projet « Le verset dans la poésie française du XIXe au XXe siècle ». Elle a publié plusieurs articles dont « Les hosties noires de Senghor : l’événement de la commémoration » (Presses universitaires de Rennes, 2005) et « Saint-Leger Leger inspiré de Pindare ? » (Souffle de Perse, mars 2005).
Notes
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[1]
Mes remerciements vont à Michel Murat pour sa relecture attentive et bienvenue.
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[2]
Michel Sandras, Lire le poème en prose, 1995, p. 41.
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[3]
Nathalie Vincent-Munnia, Les premiers poèmes en prose, généalogie d’un genre, 1996.
-
[4]
Christian Leroy, La poésie en prose française du XVIIe siècle à nos jours. Histoire d’un genre, 2001.
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[5]
Robert Lowth, De sacra poesi Hebraeorum, 1753.
-
[6]
Christian Leroy, La poésie en prose française, op. cit., p. 68.
-
[7]
« À la fin de son excellent ouvrage De sacra poesi Hebraeorum, Lowth, après avoir réfuté victorieusement le système métrique de Hare, propose de détruire toute autre hypothèse tendant à fonder un système quelconque de métrique hébraïque, en lui opposant une hypothèse diamétralement contraire, appuyée sur des arguments non moins spécieux. Mais l’essence de la poésie est indépendante de la forme métrique qu’elle revêt, et le rythme poétique des psaumes, qui consiste pour nous en une sorte de parallélisme, en une certaine symétrie entre l’un et l’autre hémistiche de chaque vers, se retrouve, bien qu’altéré, jusque dans le texte de la Vulgate. Le premier psaume dont la mémoire fournit le souvenir en peut servir d’exemple » (Édouard d’Ault-Dumesnil, « Le Marquis de Santillane », 1834, p. 225).
-
[8]
Cité dans Christian Leroy, La poésie en prose française, op. cit., p. 93, qui met surtout en valeur la disposition.
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[9]
Par prose poétique, on peut entendre à la suite de Christian Leroy « une prose qui à la rime près imite le vers classique : dans ses rythmes donc (se faisant suite de vers blancs) mais aussi dans sa langue (usage d’un vocabulaire noble) et dans ses thèmes (poétiques) » (ibid., p. 9, note 8).
-
[10]
Que l’on en juge d’après le « verset » final du poème : « Mais peu à peu le principe divin et immortel qui avait animé les premiers hommes s’affaiblissant de génération en génération, l’adultère, la haine, la jalousie, la violence, le meurtre et tous les maux de la race présente se répandirent dans l’humanité ; Dieu fut obligé de voiler sa face et de rappeler à lui ses anges. La Providence devint de plus en plus mystérieuse et muette, la terre moins féconde, l’homme plus débile et sa conscience plus voilée et plus incertaine. Les sociétés inventèrent pour se maintenir des lois qui hâtèrent leur chute ; la vertu devint difficile et se réfugia dans quelques âmes choisies. Mais Dieu infligea pour châtiment éternel à cette race perverse le besoin d’aimer. À mesure que les lois plus absurdes ou plus cruelles multipliaient l’adultère, l’instinct de mutuelle fidélité devenait de plus en plus impérieux : aujourd’hui encore il fait le tourment et le regret des coeurs les plus corrompus. Les courtisanes se retirent au désert pour pleurer l’amour qu’elles n’ont plus droit d’attendre de l’homme et le demandent à Dieu. Les libertins se désolent dans la débauche et appellent avec des sanglots furieux une femme chaste et fidèle qu’ils ne peuvent trouver. L’homme a oublié son immortalité ; il s’est consolé de ne plus être l’égal des anges, mais il ne se consolera jamais d’avoir perdu l’amour, l’amour qui avait amené la Mort par la main et si beau qu’il avait obtenu grâce par la laideur de cette soeur terrible : il ne sera guéri qu’en le retrouvant ; car écoutez les Juifs : ils disent que la femme a apporté en dot le péché et la mort, mais ils disent aussi qu’au dernier jour, elle écrasera la tête du serpent, qui est le génie du mal » (George Sand, « Le poème de Myrza », 1835, p. 497). George Sand prévoit la réaction d’un lecteur choqué par son éclectisme à l’intérieur du texte, faisant répondre à la foule que les contes de Myrza l’amusent.
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[11]
« Myrza achevait les derniers versets de son poème » (ibid., p. 496).
-
[12]
Cité dans Christian Leroy, La poésie en prose française, op. cit., p. 76.
-
[13]
Mme de Genlis, Les bergères de Madian ou La jeunesse de Moïse, poème en prose en six chants, 1812.
-
[14]
George Sand, « Maurice de Guérin », 1840, p. 569-591.
-
[15]
Nathalie Vincent-Munnia, Les premiers poèmes en prose, op. cit., p. 241.
-
[16]
George Sand, « Maurice de Guérin, art. cit. », p. 573-574.
-
[17]
Ibid., p. 576.
-
[18]
Qu’il s’agisse d’Orphée ou de La vision d’Hébal de Pierre-Simon Ballanche, on retrouve une prose qui s’enchaîne souvent en courts versets. Cet enchaînement y est plus souvent la marque de la déduction, d’opérations logiques que d’un rythme poétique. Toutefois, il ne faut pas en conclure que George Sand procède à un déplacement sur l’oeuvre de Ballanche de la perception de versets dans La vision d’Hébal. Sainte-Beuve, quant à lui, suggère qu’il a reconnu la forme brève puisqu’il la comparera à celle des Paroles d’un croyant de Lamennais, mais il ne développe pas la comparaison. Cependant, le « et » polysyndétique caractérise aux yeux des contemporains le style biblique, comme le stigmatisera Cailleux dans la préface du Monde antédiluvien. Par ailleurs, le verset de la Vision d’Hébal est souvent modelé sur le parallélisme binaire hérité des Psaumes. La vision d’Hébal, chef d’un clan écossais : épisode tiré de la Ville des expiations paraît à Paris en 1831 chez J. Didot aîné. Nous citons la réédition par A.-J.-L. Busst :
Toutefois, avant le déplissement de la grande épopée, une lueur était entrée dans l’esprit d’Hébal. Et son esprit illuminé avait vu et senti ce que nul langage ne saurait exprimer, car c’était l’antériorité des choses. Une puissance était, puissance sans nom, sans symbole, sans image. C’était l’existence absolue, inconditionnelle, abstraite de toute forme et de toute limite, se suffisant à elle-même. Spectacle impossible à décrire, car c’était l’idée considérant l’idée. Et pourtant Hébal sentait, il sentait l’infini. Et pourtant Hébal voyait, il voyait l’espace où allaient être les phénomènes.
La vision d’Hébal, 1969, chant I, p. 123 -
[19]
George Sand, Les sept cordes de la lyre, dans Oeuvres complètes, 1980. En effet, hormis le choeur d’esprits infernaux qui s’exprime en deux strophes courtes dans la scène 3 ou la vision prophétique d’Hélène, acte IV, scène 1, il n’y a guère d’imitation du verset biblique comme au début du poème de Myrza. La prose poétique de George Sand s’y démarque surtout par sa portée symbolique, son vocabulaire poétique, ses métaphores nombreuses et anaphores, selon Bernadette Segoin (« La prose poétique dans Les sept cordes de la lyre de George Sand » dans Aux origines du poème en prose français (1750-1850), 2003, p. 352-366).
-
[20]
Sébastien Rhéal, Les chants du Psalmiste, odes, hymnes et poèmes, 1841.
-
[21]
Charles Nodier, « Du mouvement intellectuel et littéraire sous le Directoire et le consulat », 1835, p. 285-301.
-
[22]
Edgar Quinet, Ahasverus [extraits], 1833, p. 6-42.
-
[23]
Le Roi :
Recommençons donc, en choeur, à chanter jusqu’à minuit. Lapluie tombe, l’éclair brille. Sous nos yeux, la barque du monde vient se briser pour notre amusement. En mourant, l’univers, à nos pieds, ne demande, de nos lèvres royales, rien qu’un sourire ; sifflons sur sa ruine.
II
Océan, mer lointaine, as-tu bien compté d’avance les marches de ma tour ? Il y en a plus de cent de marbre et d’airain. Prends garde, pauvre enfant en colère, que ton pied ne glisse sur les dalles et que ta salive ne mouille ma rampe. Avant d’avoir monté la moitié de mes degrés, honteuse, haletante, te voilant de ton écume, tu rentreras chez toi, en pensant : Je suis lasse.
-
[24]
Alexandre de Saint Chéron, « L’Ahasverus de Quinet », 1834, p. 308-322 (nous soulignons).
-
[25]
On observe également une présentation centrée de la numérotation dans le pastiche que propose en ses textes manuscrits — ici le « Voyage en enfer » — le jeune Gustave Flaubert en 1835 :
I
Et j’étais au haut du mont Atlas, et de là je contemplais le monde, et son or et sa boue, et sa vertu et son orgueil.
II
Et Satan m’apparut, et Satan me dit : « Viens avec moi, regarde, vois ! et puis ensuite tu verras mon royaume, mon monde à moi. »
III
Et Satan m’emmena avec lui et me montra le monde.
IV
Et planant sur les airs nous arrivâmes en Europe. Là il me montra des savants, des hommes de lettres, des femmes, des fats, des pédants, des rois, et des sages ; ceux-là étaient les plus fous.
Style allégorique, polysyndète en « et », parallélismes nombreux et surtout binaires révèlent l’influence de Lamennais ; les éditeurs des Oeuvres de jeunesse de Flaubert soulignent qu’il avait pu le lire par larges extraits dans La Revue de Rouen en 1834. Ceci dit, le découpage en paragraphes très brefs, parfois inférieurs à la ligne, et la présentation centrée reviennent dans les choeurs de « La Danse des morts », autre oeuvre de jeunesse manuscrite, datée de 1838 (dans ibid., p. 401-416). Les éditeurs rapprochent davantage le style de l’Ahasverus, même si on retrouve parfois le parallélisme binaire des Paroles d’un croyant.
Choeur des jeunes filles :
ibid., p. 415I
Ah, qu’il fait chaud dans ce lit-là ! on y étouffe, le sommeil est lourd et pesant.
Depuis quand dormons-nous ? il y a longtemps, n’est-ce pas ? car je sens mes membres qui se sont usés sur les planches.
Où sont les fleurs qui entouraient notre couche, quand nous nous sommes endormies ? car il me semble qu’on chantait et jetait des fleurs, etc.
-
[26]
Guillaume Pauthier, « Le déluge ou l’épisode du poisson », 1832, p. 205-210.
-
[27]
Voir Philippe Régnier, Le livre nouveau des Saint-Simoniens, Manuscrits d’Émile Barrault, Michel Chevalier, Charles Duveyrier, Prosper Enfantin, Charles Lambert, Léon Simon et Thomas-Ismayl urbain, 1832-1833, 1991 ; Louis Reybaud, « Des socialistes modernes, les Saint-Simoniens » 1836, p. 288-339, où est cité un extrait de la Genèse selon Chevalier :
Voici, dit-il, la Genèse nouvelle, historique et prophétique, annonçant ce qui est détruit et ce qui doit être créé, ce qui doit mourir et ce qui doit naître.
Écoutez !
J’ai vu dans la nuit des temps anciens des choses merveilleuses.
La terre disait à Dieu, au sein duquel elle circulait : Le bien aimé viendra-t-il bientôt Dieu lui disait [etc.]
Louis Reybaud rajoute ce commentaire en conclusion : « Ils copient sans convaincre St Martin et Swedenborg, dans leur théogonie le panthéisme ancien, dans leur théocratie les Hiérophantes, les Brames, les Mages, les Druides, les Scaldes » (ibid., p. 339).
-
[28]
Il y a deux mondes, le monde de l’être, et le monde des manifestations. À l’essence de la vie répond donc un ordre, et à la manifestation de la vie un autre ordre. La vie est toujours présente. Donc ce présent embrasse le temps dans son immensité, dans son infinité. Vous êtes éternel puisque vous vivez (Eugène Lerminier, « De l’humanité de P. Leroux », 1840, p. 681).
-
[29]
Charles Louandre, « La poésie depuis 1830 », 1842, p. 971-995.
-
[30]
Charles-Augustin Sainte-Beuve, « Adam Mickiewicz. Le livre des pèlerins polonais », dans Oeuvres, 1949 (1837), t. 1, p. 541.
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[31]
Au sujet de la littérature polémique, il faut souligner le retour en force de la prophétie d’Isaïe, comme le montrent Les chants prophétiques ou Morceaux choisis d’Isaïe imités en vers français de Césaire Du Bois (1829), ou encore l’article sur Isaïe dans La Revue de Paris (1833, p. 160-184), par M.-A. Raulin, qui insiste sur l’actualité de cette prophétie satirique ainsi que sur la fertilité de sa poésie, citant notamment la forme de la Parabole de la Vigne du Seigneur comme une source d’inspiration.
-
[32]
En effet, on ne compte pas moins de cinq Paroles d’un voyant plus des Paroles d’une croyante, de 1834 à 1869. Il faut relever la durée de l’influence formelle des Paroles, à la fois genre de la parabole et forme du verset. Mais plus les ouvrages s’éloignent, 1865 et 1869, plus leur verset prend des distances avec celui de Lamennais. En 1834, dans un article, Eugène Lerminier conjure M. Chaho, auteur de Paroles d’un voyant, de renoncer, « dans l’intérêt de son avenir, à des imitations enflées et stériles du style apocalyptique, de dissiper les fumées de son imagination, de n’admettre dans sa méditation que les pensées nettes et claires, et de se servir pour contempler le génie de l’Orient des qualités de l’esprit occidental » (« Les adversaires de M. de La Mennais », 1834, p. 571). L’ouvrage expose un millénarisme basque assurément déconcertant. Mais le verset y est impeccablement binaire et parallélistique. On voit quel tort pouvait causer à l’esthétique du verset une reprise d’une forme et d’un style bibliques apparemment creux, puisque propices à toutes les récupérations.
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[33]
« Le Livre du peuple est entre les mains de tous, et tous peuvent juger s’il est possible de trouver avec plus d’art et plus de bonheur les formes et la concision populaire du verset évangélique » (Eugène Lerminier, « Du radicalisme évangélique, Le livre du peuple par M. F. de La Mennais », 1838, p. 137).
-
[34]
La contribution sur Aloysius Bertrand destinée à servir de préface à la parution de Gaspard de la nuit chez Victor Pavie (1843) est prépubliée dans la Revue de Paris, 1842, p. 221-237. La différence avec sa reprise dans Sainte-Beuve (Oeuvres, 1951, t. 2, p. 333-352), c’est que la Revue de Paris disposait les poèmes avec de larges blancs entre les paragraphes, selon la volonté même de Bertrand.
-
[35]
Adam Mickiewicz, Le livre des pèlerins polonais suivi d’un hymne à la Pologne, 1833. Sainte-Beuve en fait le compte rendu dans Le national du 8 juillet 1833, repris dans ses Oeuvres : « M. Mickiewicz a pris la grande infortune polonaise de ce côté ardent et mystique si propice à la poésie. Les formes des livres saints sont celles qu’il affecte ; lui qui autrefois exhalait ses patriotiques douleurs dans les Sonnets de Crimée, ou comme dans Konrad Wallenrod, semblait emprunter à Byron ses vaporeuses figures, aujourd’hui il écrit en simples versets comme l’apôtre, il parle en paraboles à l’imitation des Évangiles, et distribue aux bannis dans le désert l’humble pain d’une éloquence populaire et forte. […] Pour nous, nous y avons vu surtout un bien noble emploi du génie poétique en des temps de calamité nationale ; nous y avons admiré, grâce à l’exacte et ferme traduction de M. de Montalembert, les beautés d’une pensée grave et mâle, et tout naturellement biblique » (« Adam Mickiewicz. Le livre des pèlerins polonais, art. cit. », p. 538-541).
-
[36]
Sainte-Beuve rattache Les paroles d’un croyant à Mickiewicz mais aussi à L’imitation de Jésus Christ (« De La Mennais, Paroles d’un croyant », 1834, p. 346-356). Or, L’imitation est aussi écrite en versets mais ceux-ci sont plus longs et plus directement moralisateurs que dans les Psaumes, par exemple. L’imitation, traduite d’ailleurs par Lamennais, est citée par Charles Nodier dans la Revue de Paris au nom de l’amour chrétien (« De l’amour et de son influence, comme sentiment sur la société actuelle », 1831, p. 207-216).
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[37]
Charles-Augustin Sainte-Beuve, Oeuvres, op. cit., t. 2, p. 343.
-
[38]
Ibid., p. 336-337.
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[39]
Suzanne Bernard, Le poème en prose de Baudelaire jusqu’à nos jours, 1959, p. 47 et 72.
-
[40]
Charles-Augustin Sainte-Beuve, Oeuvres, op. cit., t. 2, p. 343.
-
[41]
Lieven d’Hulst souligne ainsi que la ballade, en faveur dans les années 1820, finit par souffrir de son ambiguïté générique. On parle ici de la ballade en vers. « D’autre part, attitude de rejet des modèles ambivalents, laquelle se manifeste surtout dans les tentatives de subordination des genres ambivalents aux genres endogènes. La ballade est ainsi évincée par le “poème”, genre endogène de plus en plus puissant et capable d’assimiler des traits de modèles environnants. […] Hugo lui-même, abandonnant aux Lorgeril et Rênal, aux Marmier et Delcroix, la dénomination générique et les clichés poétiques, se réserve la nouvelle forme dont s’orneront, après les Odes et Ballades, les recueils de la maturité ; véhicule passager de fonctions élevées, la ballade reprend sa position, désormais confortable — elle devient un des types de la “poésie populaire” — parmi les genres de la périphérie » (L’évolution de la poésie en France, 1780-1830, 1987, p. 135).
-
[42]
On peut en en donner un exemple avec le début de cette traduction de ballade bretonne reprise par Émile Souvestre :
C’était le vingt-huitième jour de février ; le carême allait commencer. Trois malheureux jeunes gens étaient assis à table dans une auberge, et il se faisaient servir les liqueurs les plus délicieuses. Quant ils furent pleins d’ivresse, l’idée leur vint de prendre des masques et d’aller courir ainsi dans les carrefours. Deux d’entre eux cachèrent leurs vêtements sous des peaux velues, et de leurs têtes s’élevaient des cornes de taureaux. (« La tête de mort », 1834, p. 511).
Ou encore la « Ballade d’Agnete » par Xavier Marmier :
Agnete est assise toute seule sur le bord de la mer, et les vagues tombent mollement sur le rivage. Tout à coup l’onde écume, se soulève, et le trolle de mer apparaît. Il porte une cuirasse d’écaille qui reluit au soleil comme de l’ar-gent. (Xavier Marmier, « Poètes et romanciers du nord, Oehlenschloeger », 1837, p. 809).
-
[43]
Nathalie Vincent-Munnia, Les premiers poèmes en prose, op. cit., p. 82.
-
[44]
Armand Barthet, « L’été », 1849, p. 143 :
Jeanne, vois le beau soleil ! appuie ta main sur mon bras, – nous irons ensemble courir dans les luzernes où la caille mêle son chant saccadé à nos doux entretiens, et je te montrerai l’Été,
Le brillant Été, avec sa ceinture de bluets et sa couronne d’épis mûrs.
Respire les senteurs du trèfle fauché, écoute les stridulements de l’insecte dans l’herbe, et regarde au loin comme la brise, en passant, moire de lumière et d’ombre les feuillages verts et les seigles jaunes. – Nature splendide, parfums suaves et notes infinies : C’est l’Été, le brillant Été, avec sa ceinture de bluets et sa couronne d’épis mûrs.
Un numéro de L’artiste, 1850, présente « L’hiver » du même auteur, comme une « ballade », avec même refrain.
-
[45]
On revalorise ainsi les cantiques spirituels comme de la littérature populaire, à l’instar d’Émile Morice dans la Revue de Paris (1831, p. 77-92).
-
[46]
Alfred De Wailly, « À Notre Dame de Lorette, Ballade », 1972, p. 99-101 (ballade avec refrain mise en musique par Melle Bertin, présentée aux pages 243-247 du même volume).
-
[47]
Ludovic de Cailleux, Le monde antédiluvien, poème biblique en prose, 1845.
-
[48]
« Il n’y a pas et il n’y aura jamais de conception biblique en vers rimés parce que l’hébreu qui ne rime pas, qui est la plus pauvre des langues, est la plus indépendante et la plus riche en poésie. Mais il faut bien se garder de prodiguer le rythme du verset sans conception ; les destinées de la conception biblique doivent tendre à autre chose qu’à servir les partis » (ibid., p. XVIII). Il s’agit d’une probable allusion à Lamennais et à ses pasticheurs.
-
[49]
Ibid., p. 21.
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[50]
Nathalie Vincent-Munnia ne définit pas la prose du Monde antédiluvien par le parallélisme : « Leur discontinuité formelle impose néanmoins à la prose des Fragmens une certaine discontinuité discursive, mais très différente de celle du Monde antédiluvien, que ses nombreux alinéas rapprochent beaucoup plus nettement du verset biblique (dont il reprend aussi des caractéristiques stylistiques, notamment l’enchaînement de séquences syntaxiques brèves et événementielles par des connecteurs récurrents jusqu’à l’insistance) » (Les premiers poèmes en prose, op. cit., p. 161).
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[51]
Ibid., p. 73.
-
[52]
Sylvain Jossier, Ruth, étude biblique, 1846.
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[53]
Alphonse Darnault, Le cantique des cantiques de Salomon, traduit littéralement de l’hébreu et précédé de Considérations sur la poésie biblique, 1849.
-
[54]
François Ragon, Essai de poésies bibliques, précédées d’une notice sur la littérature biblique en France, depuis le milieu du seizième siècle jusqu’à nos jours, 1849.
-
[55]
Charles Magnin, « Prométhée d’Edgar Quinet », 1838.
-
[56]
« Le Centaure » ne va être réédité qu’en 1860, dans les Reliquiae par Trébutien, et Gaspard de la nuit ne va accéder à la notoriété que par sa mention dans la lettre-préface aux Petits poèmes en prose adressée par Baudelaire à Arsène Houssaye, en 1862.
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[57]
Michel Sandras, « Prose et désir de poème vers 1830 », dans Aux origines du poème en prose français (1750-1850), op. cit., p. 432-442.
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[58]
« Quant aux anciennes zones périphériques composées de modèles comme la fable, l’idylle, la romance narrative, la chanson, la satire, etc., elles continuent d’occuper une position marginale ; les genres plus élevés comme la poésie didactique et descriptive, l’épître en vers, l’épopée ou la tragédie subiront bientôt un sort comparable : le centre nouveau étant constitué de modèles primaires, les modèles secondaires sont sur le point d’être repoussés en marge du système ; la conversion systémique touche, en conséquence, à sa fin » (Lieven D’Hulst, L’évolution de la poésie en France, op. cit., p. 136).
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[59]
« Par son origine, le verset semble appeler la lecture qu’on exige des textes sacrés. C’est une forme hybride, qui abolit certaines des distinctions entre le vers et la prose, mais qui contribue à renforcer l’aura de la poésie (ce qui est en contradiction avec une tendance importante du poème en prose) » (Michel Sandras, Lire le poème en prose, op. cit., p. 41).
Références
- Ault-Dumesnil, Édouard d’, « Le Marquis de Santillane », Revue des deux mondes, 3e série, n°1 (1834), p. 202-227.
- Ballanche, Pierre-Simon, La vision d’Hébal, Genève, Droz, 1969 [1831] (éd. de A.-J.-L. Busst).
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