Article body

Introduction

Si le principe de laïcité a connu un essor inédit en France, on ne saurait pour autant le réduire à une exception française. Les nations modernes ont en effet été traversées par une dynamique civilisationnelle élargie de démocratisation des droits et des libertés, d’émancipation du pouvoir politique par rapport aux autorités religieuses et de sécularisation (Baubérot et Milot, 2011; Willaime, 2006).

Ainsi, les États-Unis d’Amérique se sont-ils dotés, dès 1791, d’une constitution dont le premier amendement garantit la séparation entre le temporel et le spirituel, chère à Thomas Jefferson. En Amérique latine, le mouvement du laicismo favorise également, dès le XIXe siècle, la promulgation de lois de laïcisation au Mexique, en Uruguay et au Brésil (Blancarte, 2009)[1]. En Europe, plusieurs pays comme le Royaume-Uni, le Danemark ou la Grèce disposent d’une religion d’État officielle, mais reconnaissent comme légitime l’expression d’une pluralité de convictions sur leur territoire. Les démocraties modernes partagent un idéal de liberté et d’égalité des citoyens, qui est au coeur de la laïcité. La matérialisation de cet idéal prend toutefois des formes institutionnelles, juridiques et politiques singulières, souvent inédites, en fonction du contexte historique et de la trajectoire empruntée par chaque nation.

Sur le plan de la philosophie politique, il existe ainsi des différences substantielles entre, par exemple, le multiculturalisme à l’anglo-saxonne et l’universalisme républicain à la française. La séparation étasunienne entre le politique et le religieux, érigée en vue de préserver la liberté religieuse des communautés de toute ingérence étatique, procède davantage d’une approche philo-cléricale qui contraste nettement avec l’anticléricalisme ayant inspiré les régimes séparatistes français ou mexicain. Ces derniers ont été établis, a contrario, afin de protéger les libertés démocratiques des velléités politiques de l’Église catholique (Lacorne, 2007). Dans les pays à majorité catholique, la modernité s’est en effet principalement traduite par une dynamique de laïcisation (Haarscher, 2017). Face à une autorité romaine réfractaire aux valeurs modernes, l’État-nation a dû volontairement s’opposer à l’emprise de l’Église pour établir la société démocratique. Les pays protestants ont quant à eux davantage emprunté la voie de la sécularisation, l’incorporation des Églises dans l’État ayant favorisé l’adhésion de ces dernières aux idéaux de la modernité.

Dans les pays biconfessionnels comme les Pays-Bas, la Suisse et l’Allemagne, la modernité démocratique s’est accompagnée d’une structuration de la société en piliers (pilier catholique, protestant, socialiste, libéral), chaque pilier encadrant l’individu du berceau au cercueil (Champion, 2006). Ce régime de la pilarisation a ensuite évolué au cours du XXe siècle vers une démocratie consociative, privilégiant le compromis et la concorde entre les représentants politiques des différents groupes considérés comme importants au sein de la société, à l’inverse de la démocratie majoritaire (Sinardet, 2011). Le cas de la Belgique relève à ce titre d’une forme mixte : dans ce pays de tradition catholique, la modernité démocratique a emprunté la voie de la pilarisation, puis de la consociation, à l’instar des pays biconfessionnels (Lijphart, 1981). Le poids historique, culturel et politique des mouvements séculiers, humanistes, libres-penseurs et laïques, y est toutefois nettement plus significatif, d’où des similitudes avec la France. Le modèle constitutionnel belge intègre en outre la notion de cultes reconnus héritée du concordat entre Napoléon 1er et le pape Pie VII en 1801-1802, au moment où les territoires qui composent l’actuelle Belgique étaient français. Les ministres des cultes reconnus sont ainsi rémunérés par les pouvoirs publics.

En Belgique comme en France, l’autorité de l’Église catholique romaine a favorisé les tensions particulièrement vives entre les courants cléricaux et anticléricaux se revendiquant de la philosophie des Lumières et de l’héritage de la Révolution française (libre-pensée, franc-maçonnerie, ligue de l’enseignement). Elles ont donné lieu au développement et à la structuration institutionnelle de mouvements séculiers, humanistes et laïques[2], qui ont acquis un poids culturel et politique significatif (en particulier au sein des partis libéral et socialiste) et qui ont contribué à l’évolution des droits individuels en matière de bioéthique et d’alliance[3]. En France, la laïcité a été érigée en tant que principe républicain commun d’organisation de la société démocratique, inscrit dans la Constitution française après la Seconde Guerre mondiale; la laïcité belge s’est quant à elle institutionnalisée en tant que courant philosophique non confessionnel, reconnu au même titre que les cultes religieux, et ainsi qualifiée de « laïcité ecclésialisée » par Claude Javeau (2005). Il n’est donc pas anodin que la France et la Belgique constituent les deux pays à s’être le plus vivement opposés, au début des années 2000, à la référence aux racines chrétiennes de l’Europe, initialement prévue dans le projet de Constitution, et ce, au nom de la laïcité[4]. S’il existe un jeu de miroir entre la France et la Belgique, la version française de la laïcité mettant l’accent sur la dimension politique et la version belge sur la dimension philosophique (Martin, 2015), le contexte contemporain semble cependant témoigner d’une évolution sémantique et éthique de la laïcité. Le projet d’inscription du principe de laïcité dans la Constitution belge qui a émergé en 2016, appréhende par exemple la laïcité en tant que principe d’organisation socio-politique commun à tous[5]. Du côté français, les débats opposant une conception républicaine à une interprétation libérale de la laïcité, qui se sont cristallisés sur la question scolaire depuis la fin des années 1980, illustrent une controverse sur les plans moral, éthique et philosophique. Ce faisant, il apparaît particulièrement éclairant de comparer les dynamiques française et belge de laïcité et de se demander si nous n’assistons pas à un renversement de la tendance historique dans le contexte contemporain.

1. Les dynamiques de laïcisation de l’espace scolaire en France et en Belgique

1.1 Une volonté commune de s’émanciper de l’emprise de l’Église catholique

Le projet global de laïcisation de l’État porté par la IIIe République française s’est décliné en premier lieu dans le domaine scolaire. Les lois Ferry de 1881-1882 et la loi Goblet de 1886 ont permis l’institutionnalisation d’une école publique républicaine pour tous, gratuite, laïque et obligatoire, dotée d’un corps professoral neutre, l’enseignement religieux étant désormais dispensé en dehors de l’école publique. La laïcisation scolaire s’est par ailleurs traduite par un combat contre l’emprise des congrégations religieuses essentiellement catholiques sur les affaires éducatives, matérialisée par la loi de 1904 interdisant l’enseignement aux congrégations religieuses, même autorisées. Cette loi a favorisé le développement des écoles publiques laïques en parallèle du réseau d’écoles privées catholiques.

La loi de séparation des Églises et de l’État, promulguée en 1905 grâce à l’habileté d’Aristide Briand pour favoriser un compromis politique, a par la suite permis l’apaisement du conflit des deux France (Anceau, 2022; Portier, 2016). Après la Seconde Guerre mondiale, la querelle scolaire, qui s’est poursuivie jusque dans les années 1980, a cependant ravivé ce conflit, opposant les partisans de droite d’une liberté d’enseignement, aux défenseurs de gauche d’une nationalisation de l’enseignement privé. Promulguée en 1959, la loi Debré a contribué à apaiser les tensions en offrant la possibilité aux établissements scolaires privés d’établir un contrat d’association avec l’État ˗ ce dernier reconnaissant leur caractère propre, et donc, leur liberté de dispenser des cours de religion ˗, et de percevoir des financements publics, à condition de respecter la mission publique d’éducation et le programme d’enseignement[6] (Poucet, 2008). La loi Debré a cependant créé un cas d’exception qui déroge à l’article deux de la loi de 1905 (« la République ne reconnait, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte »), dans le sillage d’autres lois adoptées par la suite ayant entrainé un assouplissement de la loi de 1905, certaines faisant notamment allégeance au réseau d’écoles catholiques[7]. Le débat sur la laïcité se focalisera, à partir de la fin des années 1980, sur le port de signes religieux ostensibles à l’école publique, en particulier du voile islamique, et donnera lieu à des positionnements contrastés sur les plans philosophique, politique et éthique.

En Belgique, le principe de liberté de l’enseignement prévu par la Constitution de 1831 donne lieu à deux interprétations : du côté du parti catholique, on considère que l’État ne peut avoir qu’un rôle supplétif; du côté du parti libéral, on estime, au contraire, que l’État n’a pas à financer l’enseignement privé. Cette ambiguïté est à l’origine de ce que l’on appelle classiquement en Belgique les deux guerres scolaires (1879-1884 et 1954-1958). Le rapport de force entre mouvements cléricaux et anticléricaux n’étant pas le même qu’en France, la Belgique ne connaîtra pas les lois de laïcisation de l’enseignement, ni un équivalent de la loi de 1905.

En 1958, un pacte scolaire est censé mettre fin à ces guerres scolaires, en offrant aux familles le choix entre des écoles publiques dite « officielles » et des écoles privées dites « libres » (pratiquement toutes catholiques), subventionnées également en bonne partie par les pouvoirs publics. En outre, au sein des écoles publiques, les familles ont le choix entre plusieurs cours de religion correspondant aux cultes reconnus[8] et un cours alternatif de morale non confessionnelle.

Malgré des rapports de force très différents entre mouvements cléricaux et libres-penseurs ou laïques en France et en Belgique, ces conflits aboutissent dans les deux cas à une configuration institutionnelle en partie commune, caractérisée par la présence d’un réseau d’écoles publiques et d’un réseau d’écoles catholiques, même si la proportion d’élèves scolarisés dans l’un et dans l’autre n’est pas du tout la même dans les deux pays[9].

Il apparaît également que la notion de neutralité de la fonction publique n’est pas interprétée de la même façon en France et en Belgique. Dans les deux cas, celle-ci vise à protéger les individus (usagers de la fonction publique) contre tout abus de pouvoir de la part de l’autorité publique, en respectant leur liberté de conscience et les droits fondamentaux (droits humains), ainsi que l’égalité de traitement et la non-discrimination. Toutefois, en France, la neutralité vise en plus à protéger l’État et la fonction publique contre tout risque d’immixtion du religieux, ce qui n’est pas totalement le cas en Belgique, puisqu’il existe dans l’enseignement public des cours de religion à caractère confessionnel placés sous la responsabilité de chefs de culte. La neutralité peut ainsi être qualifiée de laïque en France, mais pas en Belgique (Wolfs, 2021).

1.2. Les débats contemporains sur la laïcité et sur le vivre-ensemble : la finalité citoyenne de l’école

En France, le débat sur le port de signes religieux ostensibles à l’école publique qui émerge avec l’affaire de Creil de 1989[10] a opposé les défenseurs d’une laïcité républicaine aux partisans d’une laïcité libérale. Les premiers ont mis en avant la nécessité de légiférer en faveur de l’interdiction de signes religieux ostensibles, afin de protéger les élèves mineurs des pressions qu’ils pourraient subir pour porter un signe religieux, notamment le voile islamique, de garantir la liberté de conscience et l’égalité hommes-femmes, de préserver l’institution scolaire des différends qui peuvent opposer les citoyens et de réaffirmer la vocation citoyenne de l’école républicaine. Les seconds, opposés à une législation, ont plébiscité les principes de tolérance, de respect des identités et des particularismes, y compris à l’école publique, de liberté de culte ainsi que de non-discrimination (Vivarelli, 2020).

De prime abord, le ministre de l’Éducation nationale, Lionel Jospin, refuse de trancher et renvoie la responsabilité aux chefs d’établissement. La circulaire Bayrou de 1994 préconise par la suite d’autoriser les signes religieux discrets, mais d’interdire les signes ostentatoires. La loi de 2004, interdisant le port de signes religieux ostensibles par les élèves à l’école publique[11], tranche finalement le débat, sans pour autant mettre un terme aux controverses quant au sens à attribuer à la laïcité. Elle réaffirme cependant le credo républicain qui fait de l’école publique un espace de « respiration laïque », d’émancipation par la connaissance scientifique et la raison critique ainsi que de formation de la conscience citoyenne[12] (Kintzler, 2014).

Inscrit dans les programmes scolaires lors de la réforme de 1996, les faits religieux sont par ailleurs appréhendés comme des objets de connaissance et sont abordés de manière transdisciplinaire (philosophie, littérature, arts plastiques, histoire-géographie) et dans le cadre de l’enseignement moral et civique (EMC) mis en place en 2016 à la suite des attentats de Paris. L’existence d’un enseignement des faits religieux transdisciplinaire commun à tous les élèves, indépendamment de leurs convictions philosophiques et religieuses, traduit sur les plans philosophique, politique et éthique, la finalité citoyenne de la laïcité française.

À partir de la fin des années 1980, de nouveaux débats à propos du vivre-ensemble surgissent en Belgique. Comme en France, la question du voile agitera le monde éducatif et médiatique, mais avec une moindre intensité. En Belgique, la neutralité s’applique aux agents de la fonction publique et non aux usagers. Ainsi, en matière d’enseignement, l’interdiction du port du voile concerne les enseignantes, mais pas les élèves. Toutefois, les décrets relatifs à la neutralité enjoignent aux enseignants de respecter la liberté d’expression des élèves, y compris sur le plan religieux mais, dans le même temps, d’éviter que le prosélytisme politique ou religieux chez les élèves ne se développe. Le voile pourrait donc être interdit aussi chez les élèves, s’il semble utilisé comme instrument de prosélytisme. Il est important de noter que, dans les faits, de nombreux règlements scolaires contournent ces difficultés d’appréciation en interdisant tout simplement tout couvre-chef.

Des tensions se développent entre mouvements laïques et catholiques à propos de la remise en question des cours de religion et de morale et du souhait exprimé par le mouvement laïque, relayé par des parlementaires des partis socialiste et libéral, de créer un cours commun à tous les élèves portant sur un ou plusieurs des contenus suivants : philosophie, éducation à la citoyenneté, histoire culturelle et/ou comparée des religions. Ces propositions se sont heurtées jusqu’en 2014 à une opposition venant principalement du parti Centre démocratique humaniste (appelé avant le parti social-chrétien et antérieurement encore le parti catholique) défendant le maintien de ces cours, tout en suggérant quelques aménagements, comme la définition d’un tronc commun à tous. Elles déboucheront cependant sur la création, dans l’enseignement public, d’un cours de philosophie et de citoyenneté à côté des cours de religion et de morale. Dans l’enseignement libre catholique, il s’agit d’une éducation à la citoyenneté transversale à plusieurs cours, où le cours de religion catholique peut continuer à jouer un rôle prépondérant (Wolfs et al., 2020).

Le fait, pour le Centre d’Action laïque (CAL), de militer pour la création d’un cours de philosophie et de citoyenneté commun à tous les élèves témoigne d’un changement de posture significatif. Jusque-là, il soutenait le cours de morale non-confessionnelle, appelé parfois d’ailleurs morale laïque. Il s’inscrivait alors dans une conception pilarisée de la société, où la laïcité, héritière des mouvements de libre-pensée, était définie avant tout comme une philosophie et une éthique personnelle propre à une partie de la population. En militant pour la création d’un cours commun à tous, la laïcité devient un projet politique s’adressant à l’ensemble de la société, indépendamment des convictions des uns et des autres en matière de religion. Le souhait d’inscrire la laïcité dans la Constitution témoigne également de ce même changement de posture.

2. D’une laïcité belge « ecclésialisée » à une laïcité en tant que principe politique commun

2.1. Le projet de constitutionnalisation du principe de laïcité

En raison de leurs histoires respectives, la France a mis surtout l’accent sur la dimension politique de la laïcité, en tant que principe général d’organisation de la société visant à assurer l’indépendance mutuelle entre l’État et les Églises, et la Belgique sur la dimension philosophique et éthique (humanisme séculier, héritier principal du courant de la libre pensée mettant l’accent en particulier sur la notion de libre-examen, impliquant le rejet de l’argument d’autorité dans la recherche de la vérité et, plus largement, le rejet de tout dogmatisme).

Toutefois, cet usage, longtemps le plus courant du terme laïcité en Belgique, impliquant une double condition ˗ l’absence de croyances religieuses (car associées à l’argument d’autorité et au dogme) et l’adhésion aux valeurs humanistes et éthiques précitées ˗ pouvait poser problème, dans la mesure, notamment, où des personnes croyantes peuvent adhérer aux valeurs humanistes et éthiques de la laïcité. Ceci est l’une des raisons qui a amené le CAL, en 2016, à proposer une nouvelle définition de la laïcité, qui n’exclut nullement les croyants :

La laïcité est le principe humaniste qui fonde le régime des libertés et des droits humains sur l’impartialité du pouvoir civil dégagé de toute ingérence religieuse. Il oblige l’État de droit à assurer l’égalité, la solidarité et l’émancipation des citoyens par la diffusion des savoirs et l’exercice du libre-examen.

Cette définition tente aussi d’articuler la dimension politique de la laïcité (impartialité du pouvoir civil dégagé de toute ingérence religieuse, obligations incombant à l’État de droit) et la dimension philosophique et éthique privilégiée par les milieux laïques en Belgique (valeurs humanistes, émancipation, libre-examen). À ce titre, pour les milieux laïques, la laïcité pouvant être considérée comme un principe général organisateur de la société, il paraissait dès lors logique d’envisager son inscription dans la Constitution.

Plusieurs évolutions sociétales ont en outre renforcé le sentiment qu’un principe de laïcité dans la Constitution pourrait aider à mieux résoudre une série de problèmes que le principe de neutralité qui, de prime abord, peut paraître moins clair ou moins porteur de sens, notamment lorsqu’il s’agit d’enjeux fondamentaux. Citons, à titre d’exemple, la montée des extrémismes et des mouvements liberticides, en particulier religieux, conduisant certains à considérer que la loi religieuse prime sur la loi civile (contexte des attentats de Paris en 2015, de Nice en 2016 et de Bruxelles en 2016). Divers débats posent également question sur le plan éthique. Nommons, par exemple, le débat sur la légitimité du principe de financement des cultes et des associations philosophiques non confessionnelles, celui sur la transparence des critères de sélection des cultes reconnus et sur l’équité des critères de répartition des moyens financiers alloués. Il y a aussi le débat sur une éventuelle suppression des cours de religion et de morale dans l’enseignement officiel et leur remplacement par un cours de philosophie-citoyenneté, pouvant inclure, le cas échéant, un enseignement non-confessionnel des faits religieux. Pensons finalement aux débats lancinants sur des questions qui font l’objet de crispations identitaires (ex : autorisation ou non du port du voile pour des fonctionnaires, questions à propos de l’abattage rituel, etc.).

Ces réflexions ont été relayées par plusieurs partis politiques francophones et ont conduit le Sénat à organiser le 23 février 2016 un colloque intitulé Constitution : impartialitéet régime des libertés. Dans le même temps, la Chambre créait une commission qui a produit un rapport introductif d’initiative parlementaire, déposé le 24 janvier 2018, intitulé Le caractère de l’État et les valeurs fondamentales de la société. Il est apparu assez rapidement, lors de ces débats, que le terme laïcité lui-même ne pourrait pas être utilisé dans une éventuelle révision de la Constitution puisque, dans le contexte actuel, il désigne également une communauté spécifique qui reçoit des fonds publics au même titre que les cultes reconnus. En outre, le terme laïcité pose des problèmes de traduction spécifiques en néerlandais, même si le terme laiciteit existe, l’idée de séparation entre État et Églises est plutôt exprimée par l’expression scheiding van Kerk en Staat ou plus approximativement par celle de neutraliteit (neutralité). Toutefois, certaines idées de la laïcité pourraient être reprises dans la Constitution ou dans un préambule, sans faire usage du terme lui-même.

Cependant, d’autres difficultés ou objections plus importantes ont été évoquées. La notion de laïcité est loin d’être simple à définir, son introduction serait tantôt redondante par rapport à certains articles de la Constitution (et donc inutile), tantôt en contradiction avec d’autres articles, notamment en matière de financement des cultes reconnus ou de financement de l’enseignement libre catholique. Ces propositions risqueraient alors de ne pas obtenir le soutien d’une majorité de parlementaires. La notion de neutralité n’est pas non plus simple à définir : elle peut porter autant sur les rapports entre la fonction publique et chaque administré, que sur les rapports entre l’État et les communautés convictionnelles. En outre, elle peut prendre différentes formes : active/passive, inclusive/exclusive, etc. Le fait de renforcer la neutralité de l’État et de la fonction publique, voire d’affirmer sa laïcité, ne garantit en rien une diminution des mouvements fondamentalistes. C’est plutôt par leur sécularisation interne que le vivre-ensemble pourra être favorisé. Plusieurs des problèmes concrets cités pourraient être réglés par une loi et par des mesures d’application, sans qu’il faille passer par l’inscription du principe de laïcité dans la Constitution, ni par une redéfinition du concept de neutralité. Le fait d’adopter un principe de laïcité ne garantit pas une meilleure prise en compte de la liberté de conscience des citoyens, ni des idées progressistes (ex : l’euthanasie n’est pas reconnue en France alors qu’elle l’est en Belgique).

Au terme de ces travaux, seules deux familles politiques (les libéraux et les socialistes du nord et du sud du pays) et une troisième, sous condition (Ecolo-Groen) se sont prononcées en faveur d’une demande de révision de la Constitution portant sur ces points. Les autres se sont prononcées en sa défaveur : les nationalistes flamands (NVA, Vlaams Belang) et les partis de tradition chrétienne du nord et du sud du pays (CDV, CDH). Le quorum qui aurait permis à la législature suivante de se saisir de ces questions n’a donc pas été atteint.

Tous ces débats auront-ils été pour autant inutiles? Probablement pas. Ainsi, si une majorité d’intervenants n’ont pas souhaité remettre en question le principe du financement des cultes reconnus, ni celui des philosophies non-confessionnelles, beaucoup ont cependant déploré, sur un plan éthique, le manque de transparence des critères de reconnaissance ou d’équité des moyens alloués.

Par ailleurs, certaines contributions ont été, à notre sens, particulièrement constructives. C’est le cas, notamment, de celle de Vincent de Coorebyter (2016, 2020) qui propose plusieurs améliorations possibles à la Constitution, visant à la fois à mieux garantir la liberté de conscience des individus (en référence à la Convention européenne des droits de l’homme)[13] et à mieux affirmer la prééminence du droit positif sur les prescrits religieux, avec, en particulier, deux propositions. La première vise à reformuler l’article 20 de la Constitution, « Nul ne peut être contraint de concourir d’une manière quelconque aux actes et aux cérémonies d’un culte, ni d’en observer les jours de repos. », de la manière suivante : « Nul ne peut être contraint de suivre les préceptes, les actes ou les traditions d’une religion ou d’une conviction quelconque, ni être privé de son droit de changer de religion ou de n’en avoir aucune. ».

Comme le précise l’auteur, cette disposition « permettait d’empêcher un prosélytisme insistant, agressif ou intrusif et des contraintes en matière éthique » (2018, p. 79). La seconde viserait à mieux expliciter les limites de l’autonomie des cultes et donc, la prééminence du droit positif sur les préceptes religieux : « Hormis les exceptions de conscience, dont l’exercice est prévu par la loi, aucun prescrit convictionnel ne peut être invoqué pour se soustraire à une obligation légale » (2018, p. 80).

À ce jour, aucune des propositions formulées par cette commission n’a abouti. Toutefois, le débat risque de rebondir prochainement.

2.2. La demande de reconnaissance du bouddhisme en tant que philosophie non confessionnelle

En Belgique, en raison de la notion de cultes reconnus, la laïcité organisée (appelée autrefois libre-pensée) a longtemps été considérée comme la famille idéologique de ceux et celles qui ne se reconnaissent dans aucun culte et qui, en outre, sur un plan éthique, adhèrent à des valeurs d’humanisme, de libre-examen, de tolérance, etc. Le CAL et son équivalent néerlandophone ont été et sont toujours considérés par les autorités publiques comme les seuls interlocuteurs officiels de cette famille idéologique.

Or, cette situation est aujourd’hui remise en question par le souhait de l’Union bouddhique de Belgique (UBB) d’être reconnue, non pas comme culte, mais comme philosophie fournissant une assistance morale, en tant que vision du monde non confessionnelle, en référence au paragraphe 2 de l’article 181 de la Constitution. Ce souhait est en voie de se concrétiser, dans la mesure où l’actuel gouvernement fédéral qui a débuté le 1er octobre 2020 a annoncé, dans sa déclaration gouvernementale, qu’il reconnaîtra « L’Union bouddhiste de Belgique, en collaboration avec les entités fédérées, comme une association fournissant une assistance morale, en tant que vision du monde non confessionnelle ». L’UBB souhaite aussi créer un cours de bouddhisme qui serait reconnu non pas comme cours de religion, mais au même titre que le cours de morale non-confessionnelle.

On peut s’interroger sur les raisons qui amènent l’UBB à vouloir se définir comme une philosophie non-confessionnelle[14], alors qu’en France, le bouddhisme décrit ses associations membres et ses activités avec une terminologie religieuse (« congrégations », « aumôneries »). C’est le cas aussi d’autres associations bouddhistes européennes. Ainsi, l’un des buts de l’Union bouddhiste européenne, qui fédère ces différentes associations nationales, selon les informations trouvées sur son site, est de « promouvoir le dialogue entre les traditions bouddhistes [au pluriel] et les autres religions, croyances et philosophies. » Vu que le terme religions apparaît en premier dans cette liste, cela pourrait aussi laisser entendre qu’elle s’estime plus proche d’une religion que d’une philosophie.

Au regard de ce contexte international, le choix de l’UBB apparaît d’autant plus surprenant. Plusieurs raisons pourraient l’expliquer : une plus grande rapidité dans le processus de reconnaissance (celui-ci dépend d’un seul interlocuteur, le gouvernement fédéral) et des avantages financiers (les traitements des conseillers laïques sont supérieurs à ceux des ministres des cultes). À cela, pourraient s’ajouter d’autres considérations, par exemple, vouloir se démarquer de fondamentalismes religieux et apparaître comme une philosophie non-confessionnelle, apportant des ressources spirituelles et non des dogmes ou des prescriptions religieuses…

Ces demandes de reconnaissance de l’UBB interrogent le monde laïque belge et plus particulièrement le CAL puisque, à côté des six cultes reconnus (catholicisme, protestantisme, judaïsme, anglicanisme, islam, orthodoxie), il y aurait dorénavant deux familles idéologiques non-confessionnelles (la laïcité organisée et le bouddhisme). Bien qu’ouvert au dialogue – le CAL a offert une tribune dans sa revue Espace de libertés en janvier 2015 à Carlo Luyckx, président de l’UBB – celui-ci reste néanmoins très perplexe face à cette demande de reconnaissance du bouddhisme au titre de philosophie non confessionnelle. Un entretien que nous avons eu avec le secrétaire général du CAL le 07 mai 2021 témoigne de cette préoccupation dans la mesure où, dans d’autres pays, la dimension religieuse est beaucoup plus explicitement mise à l’avant plan. Il espère dès lors que des clarifications interviendront lors des débats parlementaires qui précéderont nécessairement une éventuelle reconnaissance du bouddhisme.

La laïcité belge tend ainsi à se trouver en tension entre deux courants, l’un tendant à la restreindre à une philosophie de vie et à une éthique propre à un segment particulier de la population (à côté de six autres segments religieux et d’un éventuel nouveau segment philosophique non-confessionnel, le bouddhisme) et l’autre, tendant au contraire à la définir comme un principe général, valable pour tous, comme le suggère notamment la nouvelle définition de 2016.

3. L’affirmation de la laïcité républicaine en France : l’adoption de la loi de 2021 confortant les principes de la République

Les vagues d’attentats islamistes qui ont touché la France depuis 2012 ont changé la donne sur le plan politique. Elles ont renforcé la nécessité de lutter contre l’islamisme. Depuis 2014, les fonds consacrés à la lutte contre le terrorisme et à la prévention de la radicalisation, en particulier la radicalisation islamiste, ont considérablement augmenté. Depuis l’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République, un parquet national antiterroriste a été créé en 2019, ainsi que des cellules départementales de lutte contre l’islamisme et le repli communautaire (CLIR) qui travaillent en partenariat avec les préfets, le procureur de la République et le Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation. Des dispositions ont par ailleurs été prises afin de fermer plusieurs mosquées salafistes.

En 2021, l’État a en outre renforcé sa politique de lutte contre l’islamisme avec la promulgation de la loi confortant les principes de la République, visant, plusieurs mois après la décapitation du professeur Samuel Paty le 16 octobre 2020 par un terroriste islamiste, à apporter des réponses au repli communautaire et au développement de l’islamisme. Cette loi renforce le principe de laïcité et la protection des agents publics par le biais, notamment, de la création d’un délit d’entrave à la fonction d’enseignant, d’un délit de mise en danger de la vie d’autrui par diffusion d’informations en ligne incitant à la haine, d’un dispositif d’alerte, et d’un délit de séparatisme, qui protègent les élus et les agents publics contre les menaces ou les violences qu’ils peuvent subir. En outre, la loi améliore le contrôle des finances des associations qui perçoivent des dotations étrangères. Les associations ou les fondations qui souhaitent obtenir une subvention publique, un agrément ou la reconnaissance d’utilité publique doivent désormais signer un contrat d’engagement républicain, par lequel elles s’engagent à respecter les principes de la République (égalité femme-homme, laïcité, dignité humaine, fraternité...). La loi renforce également le contrôle des écoles hors contrats et de la scolarisation à domicile, la lutte envers les atteintes à la liberté d’expression et la lutte contre les mariages forcés, et interdit la délivrance de certificats de virginité. Les associations mixtes (qui relèvent de la loi du 1er juillet 1901 et qui exercent un culte) sont également soumises aux mêmes obligations que les associations cultuelles relevant de la loi de 1905. La loi de 2021 renforce enfin la loi de 1905 sur la police des cultes.

En parallèle, le gouvernement Macron a par ailleurs dissous l’Observatoire national de la laïcité, commission consultative qui a assuré de 2007 à 2021 un travail de conseil auprès du gouvernement et de pédagogie quant au respect et à la promotion du principe de laïcité. Lui succède le Comité interministériel de la laïcité, placé sous la tutelle du ministère de l’Intérieur, en vue de réaffirmer la conception républicaine de la laïcité[15]. En 2018, le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer avait également diligenté en ce sens l’installation d’un Conseil des sages de la laïcité et des valeurs de la République. Il s’agit d’une instance composée d’experts défendant majoritairement une approche républicaine de la laïcité, tels que sa présidente Dominique Schnapper. Cette instance a pour vocation de « préciser la position de l'institution scolaire en matière de laïcité et d'enseignement laïque des faits religieux » sur le plan éthique, et de répondre aux atteintes à la laïcité remontant du terrain (formation, productions de ressources)[16]. Si ces évolutions traduisent, sur les plans philosophique, politique et éthique, une tendance à réaffirmer la conception républicaine de la laïcité, elles n’ont cependant pas manqué de susciter de vives polémiques chez les défenseurs d’une laïcité libérale[17], illustrant par ce biais la véhémence de la controverse relative aux sens philosophiques et éthiques de ce principe dans le contexte français.

Conclusion : la laïcité en France et en Belgique en miroir

La distinction opérée par Martin et Koussens entre un versant politique et un versant philosophique/éthique de la laïcité nous a semblé féconde pour éclairer les différences et les convergences franco-belges. À la fin du XVIIIe siècle et au long du XIXe siècle, se développent dans les deux pays des mouvements révolutionnaires, libéraux, humanistes plébiscitant les idées de la laïcité, animés par des préoccupations similaires : garantir l’égalité de traitement et les libertés fondamentales (liberté de conscience et de culte, liberté d’expression, etc.) et construire un État neutre, indépendant de l’Église catholique, notamment, et dénué de toute emprise théologique. La laïcité ne s’est cependant pas inscrite dans les paysages français et belge de la même manière, compte tenu de l’expérience historique et politique propre à chacune des deux nations.

Dans le cas belge, la tentative d’établissement d’un État laïque dans les années 1870-1880 s’est soldée par un échec avec le retour en force du parti catholique au pouvoir. La défense de la laïcité s’est alors peu à peu structurée à travers un réseau associatif libéral (libres-penseurs, rationalistes, humanistes), qui a milité en faveur de la mise en place d’un enseignement public neutre et d’un cours de morale non confessionnel, mesures ayant été intégrées dans le cadre du Pacte scolaire (1958-1959). La création du Centre d’Action Laïque (CAL) en 1969 du côté francophone et de l’Unie Vrijzinnige Verenigingen (UVV) en 1971 du côté néerlandophone a permis par la suite de coordonner l’action des associations laïques et humanistes. Au terme d’un long processus législatif initié en 1981, ce réseau associatif a été reconnu en 2002 en tant que communauté philosophique non confessionnelle, c’est-à-dire en tant que composante du pluralisme belge, avec la création du Conseil Central Laïque. Ce dernier constitue l’interlocuteur officiel de l’État et perçoit les financements publics, notamment les traitements et les pensions des conseillers qui assurent une assistance morale non confessionnelle (prisons, armées, hôpitaux, maisons de la laïcité). La laïcité organisée s’est progressivement inscrite dans un cadre constitutionnel relatif aux cultes reconnus, et se trouve désormais régie par un mécanisme de financement similaire (Sägesser et Husson, 2002; Hasquin, 2007). D’un point de vue institutionnel, la laïcité belge se présente ainsi comme une structure alternative aux cultes, se définissant de prime abord en tant que communauté philosophique non confessionnelle, par contraste avec ces derniers. Il paraît en ce sens pertinent de qualifier cette forme de laïcité de philosophique/éthique, dans la mesure où elle s’est instaurée « par le bas », au travers d’un réseau associatif qui s’est progressivement organisé et où elle représente une opinion parmi d’autres, reconnue au sein du pluralisme belge.

Par contraste, la laïcité française, qui s’est appuyée et s’appuie encore également sur des mouvements associatifs militants, s’est avant tout imposée en tant que principe de droit public organisateur de l’État républicain. Elle en assure la neutralité absolue sur les plans théologique, philosophique et éthique, afin de garantir l’égalité de traitement des citoyens et leur liberté de conscience et de culte. Né dans le contexte de la Révolution de 1789, l’idéal de laïcité s’est institutionnalisé sous la IIIe République avec l’instauration d’une école publique, gratuite et laïque et d’un personnel d’éducation neutre dans les années 1880, puis avec la promulgation de la loi de séparation des Églises et de l’État en 1905. La constitutionnalisation du caractère laïque de la République en 1946, puis en 1958, marque l’aboutissement d’un processus d’institutionnalisation politique et juridique. Contrairement au cas belge, la laïcité française revêt une forme avant tout politique : elle s’est inscrite dans le droit et dans les institutions publiques « par le haut », par l’action de l’État, en tant que principe d’organisation de la société commun à tous, indépendamment des croyances de chacun. Elle n’est donc pas considérée comme une opinion parmi d’autres, mais comme la liberté d’en avoir une. Cependant, si la laïcité française constitue probablement un cas idéal, typique et emblématique de la laïcité politique, il convient de souligner que la séparation des Églises et de l’État demeure avant tout théorique. En effet, depuis la promulgation de la loi de 1905, plusieurs lois ont assoupli le principe de séparation, souvent en faveur de l’Église catholique, ce qui a amené de nombreux intellectuels à qualifier le système français de « catho-laïcité ».

Dans le contexte récent, la laïcité belge semble prendre progressivement une tournure plus politique, comme en témoignent le projet de constitutionnalisation de la laïcité ou encore d’instauration d’un cours de philosophie et de citoyenneté à l’école, commun à tous les élèves. Conformément à l’évolution de la définition prônée par le CAL depuis 2016, la laïcité est présentée, non plus comme une opinion philosophique non confessionnelle, partagée par une communauté minoritaire, mais comme un ensemble de valeurs et de principes démocratiques commun à tous, au-delà des croyances de chacun. À ce titre, la recherche de reconnaissance institutionnelle a favorisé la structuration du mouvement laïque depuis le milieu du XXe siècle, qui a nécessité une forme de coopération et de convergence philosophique entre les différentes associations (libres-penseurs, rationalistes, humanistes séculiers) et de consensus autour de combats communs. Ce dernier semble jouer en faveur du déploiement d’une forme de laïcité politique en Belgique qui a pesé dans l’adoption de lois démocratiques (IVG, euthanasie, mariage et adoption pour les couples de même sexe) et qui pourrait aboutir à l’inscription de la laïcité dans la Constitution.

En France, on assiste plutôt à une tendance inverse : le consensus sociétal qui s’était instauré depuis les années 1960 autour de la laïcité , malgré des polémiques récurrentes, a laissé place à une controverse éthique et philosophique sur le sens de la laïcité à partir des années 1990, laquelle s’est particulièrement manifestée lors de la promulgation de la loi de 2004 interdisant le port de signes religieux ostensibles à l’école publique et, plus récemment, lors de l’adoption de la loi de 2021 confortant les principes de la République. Ce débat n’oppose plus des laïques et des catholiques comme par le passé, mais des laïques à d’autres laïques qui n’attribuent pas le même sens philosophique et éthique à ce principe (Raynaud, 2019). Ainsi, « la laïcité semble avoir gagné en extension institutionnelle ce qu’elle a perdu en précision philosophique » (Martin, 1994, p. 77). L’instrumentalisation de la laïcité par l’extrême droite, qui en détourne le sens pour stigmatiser les musulmans et justifier, par exemple, l’interdiction du voile dans l’espace public (rue, place publique), ou encore par l’extrême gauche, qui accuse régulièrement la laïcité d’être islamophobe et au service d’un racisme d’État, concourt à alimenter les controverses et à brouiller le sens de la laïcité.