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Alors que plusieurs villes se sont dotées de promenades urbaines (Québec, New York, Bordeaux, Montréal, Saragosse, Alger, etc.), que les artistes mobilisent la promenade comme acte de création, que les citoyens et les organismes communautaires s’intéressent aux promenades pour se réapproprier leurs quartiers et les faire connaître, la publication d’un ensemble de textes s’y intéressant de près offrent l’occasion de faire le point sur l’état d’avancement des recherches, mais aussi sur le déploiement de pratiques professionnelles recourant de plus en plus volontiers à des dispositifs de promenade.

Sans vouloir trop rapidement définir ce qu’est une promenade (puisque l’ambition de ce numéro thématique est d’en dévoiler de nombreuses facettes), il est néanmoins intéressant d’en rappeler quelques-unes de ces caractéristiques :

[L]a promenade n’est pas dirigée vers un but, mais parcourt un lieu; elle ne mène pas au lointain, à l’inconnu, mais reste dans un espace connu, dans l’espace de la culture propre. [Elle] flirte sans cesse avec la limite et l’illimité, la nature et l’esprit, le clos et l’ouvert, le repos et le mouvement, l’ici et le là-bas, elle est intersection dynamique, lieu de rencontre

Montandon, 2000, p. 17

Cette évocation, tout en proposant d’utiles jalons (que les auteurs ici rassemblés reprennent, ou pourraient reprendre, à leur compte) a en outre le mérite d’offrir la pratique individuelle et sociale que constitue la promenade au regard des tensions qui l’animent – celles entre nature et culture, sujet et objet, matériel et idéel, corps et esprit, être acteur et être spectateur, regarder et être vu, etc. –, faisant d’elle un lieu et un moment de frottements et de contacts riches en expériences et en enseignements.

Qu’on la nomme balade, randonnée, déambulation ou parcours, chaque promenade dit aussi spécificités du contexte culturel (au sens large) dans lequel elle prend place. Ainsi interpelle-t-elle nos conditions de vie citadine, où initiatives institutionnelles, associatives et citoyennes se multiplient pour tenter de « ralentir le temps en ville » et de ré-enchanter des espaces du quotidien que leurs habitants croient connaître. Au surplus, pratiquée individuellement ou bien en groupe et de façon guidée, cette activité comporte le plus souvent une dimension réflexive. C’est qu’elle est propice à deux dynamiques contradictoires seulement en apparence : le retour sur soi et le décentrement, la prise de distance à l’égard de ce qui entoure. De ce fait, la promenade constitue un prisme particulièrement intéressant pour aborder des questions ontologiques, éthiques, cognitives ou encore politiques en relation avec l’espace, la société et le mouvement.

Forme possible donnée à la marche (qui peut être de protestation, militaire, parade festive, etc.), la promenade n’est pas réductible au fait de marcher; cependant, marcher (qui est en français un verbe de mouvement plus que de déplacement) en est la condition première. Les effets positifs de la marche sur la pensée, la santé, la mise en scène des lieux, la création, la découverte, etc., ont été depuis longtemps documentés par différentes disciplines, et ce, tout particulièrement dans le cadre d’une promenade. En effet, depuis quelques années, la recherche la scrute, tant sous l’angle historique (Beck, 2009; Dautresme, 2001; Turcot, 2007) que géographique (Lavadinho, 2011; Miaux, 2016; Miaux & Roulez, 2014; Rieucau, 2012), sociologique (Thomas, 2007) ou anthropologique (Le Breton, 2000), mais aussi littéraire (Montandon, 2000), philosophique (Chardonnet-Darmaillacq, 2016; Paquot, 2004) et artistique (Davila, 2002).

Si, dès l’Antiquité, la promenade est prisée par les philosophes – notamment les péripatéticiens qui enseignent littéralement en se promenant –, d’autres grands penseurs – Rousseau, Kant, Thoreau, pour ne nommer que ceux-là – y trouveront plus tard une source d’inspiration et en feront l’éloge. Ainsi, Thoreau (1862/2017) la comparait à un art auquel très peu de ses contemporains seraient capables d’accéder :

[A]u cours de ma vie, je n’ai rencontré qu’une ou deux personnes qui comprenait l’art de la marche, c’est-à-dire l’art de se promener, qui avait en quelque sorte le génie de la balade

p. 17

Si Thoreau affectionnait la marche hors des sentiers battus et n’hésitait pas à enjamber les (rares) clôtures de sa Nouvelle-Angleterre natale, la promenade d’aujourd’hui, même lorsqu’elle se veut aventurière, n’en épouse pas moins d’ordinaire les tracés matérialisés qui nous entourent.

Ce numéro thématique est l’occasion d’aborder la promenade, porteuse d’expérience immersive tout à la fois sensible et cognitive, sous l’angle de l’hodologie, c’est-à-dire de cette science ouvrant un champ fécond à l’étude des pratiques du cheminement, l’espace hodologique y étant appréhendé comme « une spatialité vécue, construite par le cheminement » (Besse, 2004, p. 9).

S’adonner à la promenade peut sembler bien futile dans une société comme la nôtre, hypermobile, hyperconnectée, cherchant la performance à tous égards et, bien souvent, à n’importe quel prix. Pourtant, se promener est une activité récréative sérieuse, et même re-créative de bien des manières; c’est une façon de prendre place dans l’espace urbain, de l’apprivoiser, de le faire sien, voire d’en contester les usages dominants ou exclusifs. Si la promenade peut être synonyme de marche sans but précis (spécialement en l’absence de toute espèce d’accompagnement), elle renvoie également, d’une part, à des formes conçues et planifiées pour orienter les pas des marcheurs dans des espaces spécialement conçus à cet effet et, d’autre part, elle s’associe à des dispositifs créés pour initier le visiteur, le spectateur, le touriste ou l’apprenant à de nouvelles expériences visant la découverte, la connaissance, l’éveil des sens, la mise en scène patrimoniale, etc.

Tout ceci annonce le caractère complexe et polysémique de la promenade. Celle-ci semble ainsi jouer le rôle de catalyseur d’un certain nombre de préoccupations et d’attentes, de même qu’elle attire l’attention sur des problèmes sociétaux (perte du lien social, déconnexion d’avec la nature, rythmes de vie subis, etc.). Elle met en évidence des façons d’agir en mouvement, renouvelant ainsi les façons d’être au lieu, les formes d’engagement individuel et collectif donnant à repenser et à valoriser l’autonomisation, autrement dit la capacité d’action retrouvée ou renforcée. Polymorphe, dans son propos et ses intentions, la promenade, en tant que posture imposant la lenteur, offre un prisme intéressant pour observer les défis, les enjeux et les paradoxes actuels de nos sociétés en mouvement, travaillées par un désir contradictoire de vitesse et de lenteur. En s’intéressant à la promenade et à ses déclinaisons variées, les contributions ici regroupées constituent à cet égard un ensemble de pistes de réflexion à propos des « forces d’accélération » qui travaillent nos sociétés contemporaines (Rosa, 2013).

Ce numéro inaugural de la revue Enjeux et société prolonge un colloque international sur la promenade au XXIe siècle dans les domaines du loisir, de la création et de la pédagogie qui s’est tenu en mai 2017 à l’Université McGill, dans le cadre du congrès annuel de l’ACFAS. Rassemblant littéraires, historiens, géographes et aménageurs, mathématiciennes, architectes et urbanistes, cartographe et plasticiens, le présent dossier s’est construit à la croisée d’une pluralité de regards sur la promenade.

À l’heure où elle bénéficie d’une large diffusion, comment nos contemporains pensent-ils, pratiquent-ils, éprouvent-ils, codifient-ils et agencent-ils la promenade? Qu’a-t-elle à nous dire sur la relation des individus à la ville, que ceux-ci soient ses habitants ou des touristes qui la traversent? Que reste-t-il à apprendre sur la façon dont elle est mobilisée pour donner du sens au lien nature-ville, mais également pour explorer, analyser et s’approprier les interstices de la ville? Sur la prise de conscience qu’elle est susceptible de faire émerger chez les individus par rapport à leur cadre de vie?

Trois grandes thématiques servent de fils conducteurs entre les différentes contributions. Alors que la première lie promenade et loisir dans une perspective d’aménagement et de valorisation territoriale, la seconde interroge les liens entre promenade et création : l’expérience du sujet y occupe une place importante, de même que les quêtes individuelles et collectives qui sont les nôtres. Enfin, un dernier angle d’approche envisage la promenade en contexte pédagogique. Plus largement, les contributions qui s’y inscrivent abordent des questions telles la transmission et la médiation, mais également la démarche et le protocole.

Les trois premières contributions mettent en évidence l’évolution des façons de faire en matière d’aménagement des promenades urbaines à des fins de pratiques récréatives. L’article de Sylvie Miaux, intitulé « Promenade urbaine et nature : entre conception et expérience vécue », en plus de rappeler l’évolution des promenades aménagées dans le temps et selon différents contextes culturels européens, révèle de quelle façon les promenades aménagées aujourd’hui en bordure de cours d’eau créent un contexte favorable à l’intégration de la nature en milieu urbain. Elle y analyse notamment la manière dont les concepteurs ont pensé l’intégration de la nature et la mise en scène de cette dernière. En plus de questionner les pratiques des concepteurs (architectes, urbanistes, etc.), elle confronte l’expérience des usagers (habitants et touristes) afin de déterminer la place qu’occupe la nature dans leur expérience de la promenade. Elle nous fait en outre prendre conscience de la diversité des conceptions et des « besoins en nature » des usagers. De fait, la nature peut intervenir à différents niveaux au cours d’une promenade : contemplation, relaxation, stimulation des sens, incitation au jeu, socialisation, etc. Suivant la manière dont la nature est intégrée dans la promenade d’une part et la façon dont la promenade est aménagée d’autre part, la diversité et la richesse de l’expérience des usagers seront bonifiées ou limitées.

L’article de Lila Nouri, Abdallah Fari et Jérôme Monnet, « De l’aménagement des promenades de la baie d’Alger à l’évolution des pratiques ludiques », vient quant à lui mettre en valeur les objectifs sous-jacents à la mise en oeuvre de la promenade par les acteurs de la ville, notamment l’attractivité. Ainsi, les auteurs révèlent les attentes des acteurs politiques qui, en plus de viser cette attractivité, veulent s’assurer de conserver une forme de contrôle sur les usages. Cet article permet ainsi d’aborder le rôle de la promenade comme nouvel espace de pratiques et de socialisation, ses auteurs y dévoilant par exemple l’appropriation par la gent féminine d’un secteur de la promenade étudiée, une forme spontanée et inattendue d’appropriation de cet espace.

Le troisième article, « Pieds marchant, pieds faisant. Quand la marche questionne l’ambiance », signé par Souad Larbi Messaoud, Sébastien Lord et Perla Serfaty-Garzon, apporte une lecture de la marche et, plus spécifiquement, de la dimension sensible qui se décline dans l’acte de marcher selon les caractéristiques des environnements traversés. Le texte fait d’abord le bilan des différentes façons d’aborder la marche selon différentes approches : sensibles, relatives à l’ambiance ou bien à l’environnement, etc. Il propose ensuite une méthodologique permettant d’examiner la complexité de la marche et des interactions des marcheurs avec les environnements traversés, la marche étant décrite sous des angles tels le comportement, la perception ou la représentation.

Les contributions qui suivent mettent en valeur la portée créatrice de la promenade du point de vue artistique, mais également en tant que forme d’appropriation citoyenne qui, par la création et le partage qu’elle favorise, tend à dévoiler un lieu, permettant qu’un lien de connivence (même éphémère) se tisse entre ce dernier et ceux qui le traversent. Deux articles envisagent les relations très diverses que la littérature et les lieux entretiennent entre eux. « Narrations de l’espace urbain : Promenades littéraires et artistiques franco-québécoises », article de Carole Bisénius-Penin, s’interroge sur la façon d’aménager le territoire dans une visée déambulatoire. L’auteure montre comment la déambulation, cette modalité de découverte et d’appropriation de l’espace urbain, gagne à être envisagée au regard de la possibilité qu’elle procure aux acteurs de se décentrer; plusieurs notions sont convoquées pour mieux appréhender les dé-calages constructifs ainsi produits. En tant que médiation vers l’espace et le territoire, la déambulation sert aussi à proposer d’autres mises en récit de l’espace au sein desquelles pratiques d’écriture, de recherche et, plus largement, artistiques se rejoignent dans le fait de prendre possession de la ville en marchant. Enfin, Bisénius-Penin rappelle qu’une expérience de marche collective peut être aussi le fruit d’une coconstruction et ouvrir davantage encore à une forme de multivocalité des lieux.

S’appuyant elle aussi sur des exemples français et québécois, Rachel Bouvet, dans son article intitulé « La promenade littéraire, un dispositif pour des lecteurs en mouvement », adopte un point de vue différent de celui de C. Biséniuis-Penin, en ce sens que l’auteure ne cherche pas ici d’abord à explorer le potentiel de la littérature dans une perspective de valorisation touristique d’un lieu ou bien d’outil pour l’aménagement urbain. R. Bouvet, dont le regard est davantage tourné vers la phénoménologie, interroge plutôt la rencontre entre deux expériences vécues simultanément : la déambulation au sein d’un lieu et le contact (visuel, sonore, tactile) avec le discours littéraire. Une première grille de lecture (« l’angle sémiotique ») lui permet de rendre compte de la diversité des dispositifs, de sorte que la lecture silencieuse, manière habituelle de s’approprier les textes, devient une modalité parmi d’autres d’une expérience littéraire en réalité polysensorielle par l’immersion in situ qu’elle propose. Les relations littérature-lieu sont ensuite appréhendées sous l’angle de la géocritique (regards littéraires croisés sur un même lieu), qui accorde à la singularité de chaque regard la possibilité d’enrichir le sens des lieux. Pour finir, « la lecture en mouvement » prend une signification particulière au prisme de la géopoétique, qui constitue un rapport entre le lieu et le texte, lorsque R. Bouvet explique comment lieu et littérature exercent l’un vis-à-vis de l’autre un rôle de révélateur, d’amplificateur des ressentis.

Enfin, en empruntant la voie de la pédagogie (une dimension peu abordée hors des rencontres centrées sur l’éducation ou l’enseignement), cette section du numéro thématique envisage le potentiel de la promenade en situation d’apprentissage, en relation avec différents cadres de transmission (scolaire, universitaire, associatif). À quoi et comment sensibilise-t-elle? Comment médiatise-t-elle le rapport aux savoirs, à la connaissance, au sensible? Comment la situer par rapport à des pratiques pédagogiques instituées, par exemple la « sortie terrain » en géographie?

Proposant une alternative non pas à la « sortie terrain », mais à sa pratique traditionnelle, Florence Troin nous emmène à Marseille en compagnie de l’écrivain Jean-Claude Izzo. Intitulé « La traversée orientée du quartier marseillais du Panier sur les pas de l’écrivain Jean-Claude Izzo : une proposition pédagogique pour faire de la géographie différemment », l’article montre tout l’intérêt de cheminer dans l’espace urbain en convoquant in situ un certain nombre de morceaux choisis d’une oeuvre littéraire. Outre une iconographie abondante, une cartographie particulièrement riche accompagne le lecteur tout au long du cheminement exposé par F. Troin. Cette cartographie, également conçue dans une perspective géocritique, offre une médiation supplémentaire pour nous permettre de faire vivre les multiples facettes du dialogue entre lieu et littérature. Espace de la carte, espace du roman, espaces urbain et imaginaire de chacun s’informent mutuellement pour renouveler une approche pédagogique de la ville.

La notion de « parcours géographiques apprenants » que Luc Gwiazdzinski propose d’explorer est au coeur d’un article qui est aussi une invitation à cheminer à travers sa riche expérience de marcheur de longue date et carrière d’enseignent-chercheur. Avec sa posture épistémologique, éthique, intellectuelle, voire esthétique, Gwiazdzinski fait de l’in situ et de la marche sous ses diverses déclinaisons – par exemple les parcours nocturnes développés par l’auteur – une manière d’être au monde et de le penser, une façon d’agir avec ce dernier également. Engagés et engageants, les parcours comme expériences et expérimentations vécues selon un protocole bien éprouvé livrent tout leur potentiel en regard de différentes situations et finalités (on pense par exemple au contexte pédagogique et à ses prolongements potentiels dans le domaine de l’aménagement urbain). La promenade, pratiquée à haute dose, est selon l’auteur cet « art de la conversation territoriale » menée bon train sur le terrain, mais aussi dans un dialogue avec de nombreux penseurs majeurs de notre époque.

C’est à une autre forme d’apprentissage, toujours procurée par la promenade, à laquelle Danièle Laplace-Treyture et Hélène Douence-Jouet nous convient dans leur article « Des balades accompagnées comme chemin de transition? Jalons pour une réflexion à propos de l’action associative paloise ». Plutôt que de se concentrer sur la promenade et ses effets sur ceux qui la pratiquent, la contribution envisage le point de vue des concepteurs eux-mêmes, en l’occurrence des acteurs associatifs oeuvrant dans des domaines aussi variés que la création musicale, l’environnement, le soin, l’éducation populaire ou le jardinage urbain. Les auteures examinent dans quelles conditions la balade collective guidée – et, surtout, coconstruite au sein de collectifs associatifs étendus – devient une forme de ré-enchantement du monde pour les promeneurs, mais aussi le vecteur d’une entrée dans la transition organisationnelle, spécialement pour un monde associatif confronté à diverses évolutions. Tel que ces acteurs associatifs palois les envisagent, les balades deviennent en quelque sorte une métaphore même de la démarche de transition à visée sociétale; elles instaurent un autre rapport aux lieux, au temps et à autrui. Porteuse d’apprentissages multiples, la balade devient alors une manière de se conduire dans le changement, sans pourtant succomber à la tentation de l’urgence.

Enfin, ce dossier est également l’occasion de présenter des notes de recherche et de terrain afin de mettre en valeur de nouvelles avenues de recherche, des expériences menées in situ tant d’un point de vue artistique que pédagogique qui donnent à apprécier la portée de la promenade.

La première de ces notes, intitulée « Promenades végétales. Pour une approche interdisciplinaire », présente la réflexion entreprise par un groupe nouvellement constitué de chercheurs sur le végétal et l’environnement, qui étudie les promenades végétales et leurs effets sur les façons de pratiquer la ville et de la concevoir. Ainsi, c’est sous différents angles (récréatif, esthétique, géopoétique, scientifique, pédagogique, écologique) que les promenades s’y voient analysées par le Groupe de recherche interdisciplinaire sur le végétal et l’environnement (GRIVE), auquel appartiennent Rachel Bouvet et Sylvie Miaux. Dans un autre ordre d’idées, l’artiste-promeneur Hendrik Sturm propose un retour d’expérience sur une promenade qu’il a créée lors du colloque de mai 2017. « Xénophores. Récit d’une promenade montréalaise » présente les différentes étapes d’un parcours ayant pris son départ sur le campus de l’Université McGill pour se rendre sur le mont Royal. Cette promenade, qui se construit à partir d’un transect, révèle aux participants une lecture particulière de différents lieux empreints d’histoire, d’actualité, etc.

Enfin, qui n’a pas rêvé d’être initié à l’art des mathématiques de façon ludique, loin de tout magistère intimidant? Étudiantes à l’Université du Québec à Montréal, Nadia Lafrenière et Stéphanie Schanck proposent dans « La balade en ville comme outil pour apprivoiser les mathématiques » un retour d’expérience sur un dispositif de balade destiné à des publics variés. Bénéficiant d’un nombre d’éditions important, cette activité témoigne de l’intérêt de mettre en mouvement le corps et de susciter la curiosité en prenant appui sur les « énigmes » qu’un oeil averti (le leur!) sait trouver en ville. Si les mathématiques sont partout, la médiation de la balade à travers le dispositif Maths en ville permet aussi de découvrir un autre regard sur ce champ de connaissances réputé parfois difficile d’accès.

À travers les différents articles et les notes de terrain et de recherche qui constituent ce numéro, plusieurs préoccupations transversales se font jour, chaque contribution les déclinant à sa manière. Si toutes documentent l’inventivité des dispositifs, la plupart en montrent une ambition de complexifier, d’enrichir, d’ouvrir notre regard sur notre environnement immédiat, mais aussi, au-delà, sur le monde. Comme le note L. Gwiazdzinski, il s’agit de sortir de sa zone de confort, ce qui revient à souligner la portée émancipatrice d’une promenade qui sait emprunter les voies/voix multiples de l’émerveillement, du sensible, de la découverte, du jeu. Mais l’idée même d’émancipation côtoie – cela doit-il nous étonner? – celle d’un cadre, d’une démarche, d’un protocole sous-jacent à l’exercice de la promenade.

Par les promenades qu’ils étudient, celles proposées à des collectivités ou aménagées pour elles, les auteurs sont amenés à dépasser une perspective strictement individuelle pour envisager les interactions entre les individus et le groupe; surtout, ils offrent au lecteur l’occasion de saisir plusieurs versions possibles de la dimension relationnelle située au coeur de la promenade. Tous montrent comment, quand bien même elle relèverait de pratiques professionnelles liées aux sphères de l’animation, de l’aménagement ou de l’enseignement, la promenade demeure une affaire de rencontre, de sérendipité, de connivence, tout en offrant un prisme original sur l’habitabilité des espaces urbains d’aujourd’hui… et de demain.