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INTRODUCTION

Dans le contexte où le nombre d’enfants vulnérables à l’éducation préscolaire et d’élèves à risque au primaire et au secondaire ne cesse d’augmenter, nous proposons d’explorer des perspectives de recherche axées sur l’utilisation de la sociométrie au sein de l’École québécoise. Élaborée par Moreno dans les années 1930, la sociométrie a bien évolué, mais demeure encore méconnue et sous-utilisée en éducation, particulièrement au Québec. Cet article veut illustrer comment la sociométrie peut contribuer au développement :

  1. de l’éducation inclusive, en soutenant l’équipe-école, en orientant ses interventions auprès des élèves plus à risque sur le plan de leur intégration sociale à partir des caractéristiques et des forces identifiées au sein du groupe (p. ex. : cohésion) et de ses membres (p. ex. : statuts sociométriques) via des désignations par les pairs;

  2. de pratiques équitables et accessibles, voir à la démocratisation de la sociométrie par l’utilisation responsable et éthique de technologies pour adapter les fonctionnalités de son outil dans le but de répondre aux besoins des milieux de pratique. L’inclusion des enfants vulnérables et des élèves à risque représente un défi important, entre autres étant donné le manque de ressources disponibles.

CONTEXTE PANDÉMIQUE ET POST-PANDÉMIQUE

En mars 2020, le virus de la Covid-19, répandu à l’échelle mondiale, a eu des conséquences majeures sur la santé et la vie de nombreux êtres humains, sur la santé publique, sur l’organisation du travail, sur la conciliation travail – famille, mais aussi sur les défis posés au personnel du monde de l’éducation. Dès le début de la crise sanitaire, plusieurs inquiétudes quant à ses effets sur le développement des enfants ont été évoquées (Franck, 2021; Institut national de santé publique du Québec [INSPQ], 2021). La période pandémique a révélé, ou plutôt accentué des situations de vulnérabilité, de stress et de difficulté au sein du travail et des apprentissages.

En juillet 2021, l’INSPQ (2021) publie une synthèse rapide des connaissances pour énoncer les impacts de la pandémie sur le développement des enfants de 2 à 12 ans. À partir d’un corpus de 14 études internationales retenues, l’Institut indique que :

Les impacts recensés font référence pour la plupart au domaine du développement social et affectif, et la majorité des études rapportent une augmentation des problématiques de comportements internalisés [p. ex. solitude, dépression, anxiété, manque de confiance en soi] et externalisés [p. ex. problèmes de conduite, irritabilité, hyperactivité/inattention, problèmes relationnels avec les pairs, agressivité, opposition].

INSPQ, 2021, p. 3

Sur le plan des comparaisons internationales, l'enquête Children's Worlds (Savahl et al., 2022) comprenait un supplément sur le bien-être subjectif durant la période de pandémie. Malgré des différences attestées entre les pays, le rapport associé (Savahl et al., 2022) révèle notamment un sentiment d’isolement, des difficultés et des insatisfactions liées à l’apprentissage à distance, une certaine peur du virus et, de façon plus unanime après la pandémie, il est constaté que la satisfaction de vie a diminué. Du même coup, au Québec, le ministère de l’Éducation publie des documents pour l’année scolaire 2021-2022 (reconduits en 2022-2023) portant sur « les apprentissages prioritaires auxquels il est important de consacrer du temps pendant l’année scolaire pour favoriser le cheminement des élèves vers le niveau suivant » (ministère de l’Éducation, 2021a, paragr. 2). Selon le Ministère, ces documents « constituent une aide à la planification de l’enseignement dans un contexte exceptionnel où les conditions d’apprentissage ont pu être affectées par la crise sanitaire » (ministère de l’Éducation, 2021a, p. 4), et ce, tant pour l’enseignement au primaire (ministère de l’Éducation, 2021b) que pour l’enseignement au secondaire (ministère de l’Éducation, 2021c). Or, aucune mention ne figure dans ces documents à propos des Domaines généraux de formation – Intensions éducatives (p. ex. : santé et bien-être, vivre-ensemble et citoyenneté) ou des Compétences transversales (p. ex. : compétences d’ordre personnel et social, compétences de l’ordre de la communication) (ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur [MEES], 2018a, 2018b); seuls les Domaines d’apprentissage – Compétences disciplinaires s’y trouvent. Cela soulève des questions au regard de la valeur réelle accordée à la socialisation. On remarque que ces apprentissages, pourtant essentiels et bien inscrits dans la mission de l’école, semblent être éclipsés, sinon oubliés. Comme illustré dans la section suivante portant sur l’état de la situation des enfants vulnérables et des élèves à risque au Québec, il s’avère que leur nombre a doublé en 25 ans (Institut de la statistique du Québec [ISQ], 2023a; ministère de l’Éducation du Québec [MEQ], 1999), et ce, en même temps que la croissance constante des taux d’intégration des élèves dits handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage [EHDAA] en classe ordinaire. Avec ces élèves, les défis de l’intégration, de l’éducation inclusive et de la socialisation avec les pairs sont nombreux pour le personnel enseignant et les autres membres de l’équipe-école. L’ajout de ressources et l’accès à des outils aidant à comprendre et analyser les situations pour mieux intervenir ne semblent pas avoir suivi au même rythme. Dans l’étude de Desmeules et Hamel (2017) sur les motifs évoqués par le personnel enseignant novice pour expliquer leur envie de quitter le métier, il est précisé que « les classes d’aujourd’hui [sont] caractérisées par une plus grande hétérogénéité des élèves, notamment par l’intégration des élèves en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage ou en situation de handicap » (p. 18). Cette caractéristique des classes affecte les novices tout comme le personnel enseignant plus expérimenté (Desmeules et Hamel, 2017; Tardif, 2012). Pour conclure ici, citons Tardif (2012) : « depuis les années 1980, dans la plupart des écoles publiques canadiennes, des élèves en difficulté d’apprentissage ou de comportement sont massivement intégrés aux classes ordinaires sans que les ressources suivent forcément » (p. 2).

ÉTAT DE LA SITUATION DES ENFANTS VULNÉRABLES ET DES ÉLÈVES À RISQUE AU QUÉBEC

Au Québec, le nombre d’EHDAA a presque doublé en 25 ans, passant de 12,4 % en 1997-1998 (MEQ, 1999) à 21,6 % en 2021-2022, soit 237 581 élèves (ISQ, 2023a). De ce nombre, une large majorité sont des EDAA regroupés sous l’égide « élèves à risque ». Voici un bref portrait de la situation en fonction de l’évolution des enfants vulnérables à leur entrée à l’école et des élèves à risque identifiés au niveau primaire et secondaire.

Enfants vulnérables

L’Instrument de mesure du développement de la petite enfance [IMDPE] calcule la vulnérabilité des enfants dans cinq domaines de développement : santé physique et bien-être, compétences sociales, maturité affective, développement cognitif et langagier, habiletés de communication et connaissances générales. Selon cet outil, un enfant est considéré comme vulnérable dans un domaine s’il obtient un score égal ou inférieur au 10e percentile de l’ensemble des enfants canadiens dans ce domaine (ISQ, 2023b). Selon l’Enquête québécoise sur le développement des enfants à la maternelle 2022 [EQDEM] menée par l’ISQ (2023b), la proportion d’enfants vulnérables dans au moins un domaine de développement est de 28,7 % pour l’ensemble du Québec, comparativement à 27,7 % pour l’EQDEM 2017 (ISQ, 2018) et à 25,6 % pour l’EQDEM de 2012 (ISQ, 2013). Ce nombre varie peu en fonction des domaines touchés (ISQ, 2023b) : santé physique et bien-être (10,3 %), compétences sociales (10,6 %), maturité affective (11,7 %), développement cognitif et langagier (12,1 %), habiletés de communication et connaissances générales (11,5 %). Les enfants identifiés comme vulnérables sont plus susceptibles de vivre des problèmes d’apprentissage durant leur parcours scolaire, comparativement aux enfants n’étant pas considérés comme vulnérables à l’entrée à la maternelle (ISQ, 2023b).

La figure 1 tirée de Gendron et Landry (2018) présente les principales caractéristiques des enfants vulnérables en classe d’éducation préscolaire et des élèves à risque au primaire et secondaire. Pour les deux profils illustrés, plusieurs caractéristiques réfèrent à des déterminants du développement comportemental et socioaffectif (p. ex. : problèmes de comportement (sur-réactifs et sous-réactifs), problèmes de discipline, isolement social, manque d’engagement, manque d’habiletés sociales). À cet égard, une intégration sociale réussie a pour effet de jouer le rôle d’un facteur de protection pour ces jeunes vulnérables ou à risque en diminuant l’influence de caractéristiques négatives (réf. facteurs de risque).

Figure 1

Principales caractéristiques des enfants vulnérables et des élèves à risque (tirée de Gendron et Landry, 2018, p. 6)

Principales caractéristiques des enfants vulnérables et des élèves à risque (tirée de Gendron et Landry, 2018, p. 6)

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Élèves à risque

Le concept d’« élèves à risque » a été proposé par le ministère de l’Éducation du Québec au début des années 2000 dans le cadre d’une réforme. Selon le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport [MELS] (2007) :

On entend par « élèves à risque » des élèves du préscolaire, du primaire et du secondaire qui présentent des facteurs de vulnérabilité susceptibles d’influer sur leur apprentissage ou leur comportement et [qui] peuvent ainsi être à risque, notamment au regard de l’échec scolaire ou de leur socialisation, si une intervention rapide n’est pas effectuée.

p. 24

En 2021-2022, un total de 237 581 élèves faisaient partie de l’effectif scolaire handicapé ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage, soit 21,6 % de l’effectif scolaire total de 1 100 010 élèves inscrits aux niveaux préscolaire, primaire et secondaire (ISQ, 2023a). En comparaison, les EHDAA représentaient 19,8 % de l’effectif scolaire total en 2016-2017 et 18,6 % en 2012-2013, en hausse constante durant la dernière décennie, mais tout comme les taux d’intégration de ces élèves en classe ordinaire (68,2 % en 2012-2013; 73,9 % en 2016-2017; 77,0 % en 2021-2022) (ISQ, 2023a). Au total du nombre d’élèves dits EHDAA en 2021-2022 (n = 237 581 élèves), les élèves à risque (référence à la catégorie Sans catégorie, mais avec plan d'intervention [ISQ, 2023a] à la suite de l’introduction de ce concept par le MEQ au début des années 2000 (Fédération des Syndicats de l’Enseignement – Centrale des Syndicats du Québec, 2019) représentent une proportion en croissance, particulièrement dans la dernière décennie, passant de 77 % à 85 % (ISQ, 2023a; Tremblay, 2017). Cette augmentation est principalement alimentée par deux profils d’élève, soit les EDAA.

Élèves en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage (EDAA)

Les EDAA cumulent des retards scolaires et présentent de faibles taux de diplomation (MEQ, 1999; Tremblay, 2017). Leurs trajectoires types comprennent des échecs scolaires allant jusqu’au décrochage scolaire (Gendron et al., 2015; Potvin et al., 2010; Tremblay, 2017). Pour l’élève en difficulté d’apprentissage ou en difficulté de comportement, les trajectoires types impliquent un certain nombre de facteurs de risque tels que : l’accumulation de retards d’apprentissage importants, le développement d’un sentiment d’impuissance, des problèmes de socialisation et d’agressivité, la difficulté à répondre aux exigences et à respecter les règles, des punitions sur une base régulière, de la démotivation, de l’absentéisme et au final, un désir de fuir l’école et d’interrompre son parcours d’études (Potvin et al., 2010). Les conséquences possibles pour ces élèves à moyen et à long terme sur les plans personnel, familial et professionnel sont majeures.

Selon l’étude de Tremblay (2017) incluant 15 233 élèves dits EDAA ayant fréquenté l’enseignement secondaire, « 31 % des élèves de cette enquête auront un diplôme ou une attestation après cinq années de scolarisation en enseignement secondaire » (p. 22) comparativement à la moyenne québécoise qui est à 65,9 % de diplomation/qualification. Quoique faibles, les taux de diplomation des EDAA sont en hausse depuis l’adoption de la Politique québécoise de l’adaptation scolaire (MEQ, 1999), où en 1999-2000 seulement 22,0 % d’entre eux avaient obtenu un diplôme d’études secondaires [DES] après six ans de scolarité secondaire (Kalubi, 2015). Pour une majorité de ces élèves en difficulté, le parcours scolaire se termine sans l’obtention d’un diplôme, d’un certificat ou d’une attestation de qualification. Il est question ici de jeunes décrocheurs. Fortin et al. (2006) proposent une typologie basée sur des études longitudinales avec quatre profils de décrocheurs ou décrocheuses, soit des élèves : 1) peu motivés ou peu intéressés (40 %), 2) ayant des difficultés d’apprentissage (30 %), 3) ayant des difficultés de comportement extériorisées (surréactif) (20 %), et 4) ayant des difficultés de comportement intériorisées (sous-réactif) ou dépressifs (10 %).

Par ailleurs, une étude réalisée par Gendron et al. (2012, 2013) sur la persévérance scolaire dans la région de Chaudière-Appalaches [PSCA] au Québec donne la parole à divers profils : jeunes du primaire (3e cycle), du secondaire, de la formation générale aux adultes/formation professionnelle, jeunes décrocheurs ou décrocheuses inscrits dans des programmes offerts par des organismes communautaires, etc. Ce sont 37 entrevues de groupe (focus group) qui ont réalisées auprès de jeunes (n = 188) et de personnels intervenants dans les milieux scolaires ou communautaires (n = 50), et dont nous présentons quelques constats (voir figure 2).

Figure 2

Constats en bref issus des focus group réalisés dans le cadre de l’étude Persévérance scolaire en Chaudière-Appalaches (Gendron et al., 2012, 2013)

Constats en bref issus des focus group réalisés dans le cadre de l’étude Persévérance scolaire en Chaudière-Appalaches (Gendron et al., 2012, 2013)

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Alors que les jeunes identifient leurs motivations, besoins et attentes envers l’école pour que celle-ci mette en place des moyens axés sur la socialisation et le climat scolaire dans le but de se rendre disponibles et actifs dans leur rôle d’apprenant, le personnel scolaire et communautaire interrogé cible une motivation autre pour ces mêmes jeunes, soit celle de l’instruction, le désir d’apprendre (Gendron et al., 2012, 2013).

Force est de constater que la description et les caractéristiques des EDAA, les profils de décrocheurs et décrocheuses identifiés par Fortin et al. (2006) et Lessard et al. (2014) ainsi que certains des constats de l’étude de Gendron et al. (2012, 2013) sur la PSCA, pointent vers un nombre certain d’enjeux associés à la socialisation. Les programmes de formation de l’école québécoise font la promotion de trois missions principales : instruire, socialiser, qualifier (MEES, 2018a, 2018b). Or, l’absence de mention ou de recommandation au regard de la mission de socialiser et aux habiletés/compétences qui la soutiennent dans les mises à jour effectuées durant la pandémie (ministère de l’Éducation, 2021a, 2021b, 2021c) ainsi que la place très limitée qui semble lui être accordée dans les programmes de formation en vigueur (MEES, 2018a, 2018b) soulèvent des questions.

Principaux facteurs de risque et facteurs de protection

Les facteurs de risque et facteurs de protection associés aux EDAA, tout comme ceux liés à leurs trajectoires d’échec scolaire ou de décrochage scolaire, sont nombreux, concomitants et complexes. Ces principaux facteurs peuvent être regroupés en diverses catégories (voir figure 3). Plusieurs des facteurs listés ci-après correspondent aussi à ceux des enfants présentant des vulnérabilités. Par ailleurs, notons que parmi ceux-ci, plusieurs représentent une composante de la socialisation (p. ex. habiletés sociales, déficits sociocognitifs, divers facteurs liés aux pairs ou à l’école et le climat de classe).

Figure 3

Principaux facteurs de risque et facteurs de protection (Gendron et al., 2003; Goupil, 2020; ISQ, 2013, 2018, 2023b; Massé et al., 2020; MEESR, 2015; Parent et St-Louis, 2020; Potvin et Lapointe, 2014)

Principaux facteurs de risque et facteurs de protection (Gendron et al., 2003; Goupil, 2020; ISQ, 2013, 2018, 2023b; Massé et al., 2020; MEESR, 2015; Parent et St-Louis, 2020; Potvin et Lapointe, 2014)

1 Sans être des facteurs causaux de difficultés d’adaptation, ces facteurs sociaux et environnementaux peuvent devenir des facteurs aggravants en contexte de défavorisation économique, de conflits familiaux ou dans un environnement scolaire ne favorisant pas l’inclusion (Massé et al., 2020).

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Parent et St-Louis (2020), dans Le bien-être de l’enfant à l’école primaire : un regard sur certains facteurs de risque et de protection, fait valoir l’importance du développement social et émotionnel des enfants et les liens avec le développement global et les apprentissages de ces derniers.

Ces dernières années, un essor de connaissances sur les plans empiriques, théoriques et sociaux a permis de mieux comprendre la place de l’enfance et de l’adolescence dans le cours du développement humain (Tarabulsy et al., 2012). Si les enfants ont peur, sont anxieux, bouleversés, manquent de confiance en eux-mêmes, ont une faible estime d’eux-mêmes ou ne se sentent pas en sécurité, ces sentiments auront une incidence sur tous les autres domaines d’apprentissage (Broadhead et al., 2010). […] Il y a ainsi lieu de s’intéresser au développement social et émotionnel chez les enfants du préscolaire et du primaire et de mettre en place des actions pour le favoriser.

Parent et St-Louis, 2020, p. 8

Notons au passage que parmi les cibles d’intervention prioritaires auprès des élèves à risque, Potvin et Lapointe (2014) identifient l’importance du climat de classe où :

[…] la qualité du climat de classe est un déterminant majeur de l’apprentissage scolaire, car les élèves travaillent mieux quand ils perçoivent positivement ce climat. Selon les recherches dans ce domaine, un climat de classe favorable détermine le développement cognitif et affectif des élèves parce qu’il a un impact positif sur la réussite scolaire, l’estime de soi, la motivation, la satisfaction et les attitudes.

Potvin et Lapointe, 2014, p. 20

De façon générale, les élèves présentant des difficultés de comportement extériorisées sont ceux qui demandent le plus d’efforts aux enseignants et enseignantes, puisqu’ils sont plus susceptibles d’être hostiles et agressifs envers eux et aussi de contester leur gestion de la classe (Potvin et Lapointe, 2014).

En somme, les facteurs et les déterminants associés aux caractéristiques des enfants vulnérables et des élèves à risque et EDAA sont multiples et leurs liens complexes. Plusieurs des éléments listés ont un lien direct avec la socialisation chez les jeunes (p. ex. : habiletés sociales, déficits sociocognitifs, relations d’amitié réciproques, pressions sociales, climat de classe, climat de sécurité, etc.). L’influence de la sphère « socialisation » sur le développement, le bien-être et la réussite éducative des enfants et des adolescents ou adolescentes apparait objectivement non négligeable.

PRINCIPAUX BESOINS CIBLÉS PAR LA RECHERCHE ET LES MILIEUX DE PRATIQUE POUR SOUTENIR LES ÉCOLES EN MATIÈRE DE SOCIALISATION ET D’INCLUSION

Au cours des 40 dernières années, les recherches ont mis en évidence que la socialisation n’est plus uniquement rattachée à l’idée de l’internalisation des règles sociales. Cette dimension que l’on nomme la « compétence comportementale » (Harter, 1996) est associée à la capacité d’agir en conformité avec les règles au sein de la famille et de l’école. Il est évident que les enfants exprimant d’importants problèmes d’adaptation manifestent souvent des difficultés d’ordre comportemental qui affectent négativement une telle compétence. Bien que l’intervention auprès de ces élèves doive chercher à renforcer cette compétence, les actions éducatives doivent également se centrer sur une autre dimension encore plus importante du processus de socialisation, à savoir la « compétence sociale » (Harter, 1996; Waters et Sroufe, 1983) ou définie plus récemment à travers le concept d’« apprentissages socioémotionnels » (Bowen et al., 2020; Collaborative for Academic, Social and Emotional Learning [CASEL], 2017). Ces apprentissages font notamment référence aux capacités d’établir une communication sociale adéquate, à des habiletés sur les plans de l’expression, à la reconnaissance et la régulation émotionnelle, à l’engagement dans des activités prosociales, ainsi qu’à la résolution pacifique de conflits ou de situations potentiellement conflictuelles (Bowen et al., 2020).

Harter (1996), dans sa synthèse des multiples dimensions de l’image de soi et du sentiment de compétence, avait associé aux sentiments de compétences comportementales et sociales le sentiment d’acceptation sociale (par les pairs et les adultes). Les interrelations entre ces trois dimensions (ou sphères du développement) ont été mises en évidence par un nombre incalculable de recherches empiriques depuis sa conceptualisation. Ces études ont démontré, entre autres, que les enfants ayant des besoins importants en termes d’adaptation scolaire connaissaient très souvent des difficultés dans deux, voire trois de ces sphères du développement (Parent et St-Louis, 2020; Coutu et al., 2012; Greenberg, 2023; Jagers et al., 2019; Rose-Krasnor et Denham, 2009). Par ailleurs, d’autres recherches théoriques et empiriques ont approfondi l’intégration des dimensions sociales et émotionnelles chez l’enfant, ainsi que ses retombées positives sur d’autres pans du développement et de l’adaptation (Cipriano et al., 2023; Durlak et al., 2022; Rose-Krasnor et Denham, 2009).

Cette « triade » (aspects comportementaux, socioémotionnels et d’acceptation sociale) constitue une assise très importante du concept de bien-être, notamment dans sa dimension psychologique. Le développement adéquat de ces trois dimensions représente un ensemble de facteurs de protection d’importance en soutien à la capacité de résilience, une composante essentielle du bien-être et de la santé mentale (voir figure 4 tirée de la recension du Parent et St-Louis, 2020). Il est également bien établi que tous ces éléments sont associés positivement à la motivation et la persévérance scolaires.

Figure 4

Le bien-être de l’enfant à l’école (tirée de Parent et St-Louis, 2020, p. 7)

Le bien-être de l’enfant à l’école (tirée de Parent et St-Louis, 2020, p. 7)

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Ces dernières décennies, les recherches sur les déterminants scolaires (Fondation Lucie et André Chagnon, 2015) ainsi que sur le développement comportemental et socioaffectif du jeune (Bowen et al., 2020) ont considérablement accru nos connaissances sur les pratiques éducatives et les caractéristiques de l’environnement et du climat scolaires qui y contribuent (Janosz et al., 2013; Janosz et Hénault, 2010). En fait, les besoins ciblés tant par la communauté de chercheurs et chercheuses que celle des milieux de pratique pour soutenir les équipes-écoles en matière de socialisation et d’inclusion des élèves en difficulté sont nombreux. Quoiqu’il puisse y avoir des similarités certaines d’un milieu à l’autre, chaque milieu doit ponctuellement prendre la pleine mesure de ses besoins et établir ses priorités d’action. Grâce à diverses tables de concertation dans le dossier des EDAA, des actions de niveau national continuent d’être déployées en partenariat (communauté de chercheurs et chercheuses, autorités décisionnelles, partenaires communautaires). Pour mettre en lumière ces actions, les paragraphes suivants fournissent deux illustrations.

Dans le but d’offrir du soutien en matière de socialisation, il semble y avoir une volonté d’instaurer l’apprentissage socioémotionnel dans les pratiques pédagogiques. À cet effet, Beaumont (2023) propose une réflexion sur des leçons à tirer d’une formation-accompagnement. Dans la même foulée, l’Institut Pacifique (2023) travaille sur un chantier important d’actualisation de son programme vedette Vers le Pacifique afin de rendre disponibles des outils basés sur des pratiques exemplaires validées et collés sur les thèmes des Domaines généraux de formation – Intensions éducatives (p. ex. : santé et bien-être, vivre-ensemble et citoyenneté) ou des Compétences transversales (p. ex. : compétences d’ordre personnel et social, compétences de l’ordre de la communication) (MEES, 2018a, 2018b).

Grâce à une subvention CRSH – Développement de partenariat, Bowen et al. (2021-2025) ont mis en oeuvre un chantier provincial intitulé « Modèle d’accompagnement et de formation des intervenants des écoles permettant une mise en oeuvre optimale et durable de programmes et d’interventions réputées efficaces en matière de développement de la socialisation chez les élèves ». Le but de ce dernier est de développer, mettre au point et évaluer l’efficacité d’un modèle d’accompagnement et de formation des personnes intervenantes des écoles permettant une mise en oeuvre optimale et durable de programmes et d’interventions réputés efficaces en matière de développement de la socialisation chez les élèves (Bowen et al., 2021-2025). Ces exemples de chantier illustrent bien la volonté de travailler en équipe afin de favoriser le développement de l’éducation inclusive et de pratiques équitables et accessibles.

La sociométrie : définition et principales utilités

Élaborée par Moreno (1934), la sociométrie est utilisée en sciences humaines, dont en sociologie, en psychologie sociale et en éducation. C’est une méthode de recherche quantitative (numérique) qui mesure les relations sociales au sein d'un groupe spécifique en évaluant des données individuelles et générales. Selon Parlebas (1992), la sociométrie « est une technique d’enquête dont l’outil principal est le questionnaire, éclairé et complété par des entretiens et par des observations de terrain » (p. 10). En contexte éducatif ou scolaire, une évaluation sociométrique permet d’illustrer à un moment précis dans le temps (comme le fait une photographie) les relations entre les élèves à l’intérieur d’un groupe défini (p. ex. une classe) en identifiant la position affective de chacun des membres dans son groupe. Dit autrement, elle permet de connaître la dynamique interactionnelle d’un groupe, d’une classe notamment sur le plan socioaffectif. C’est ainsi l’occasion d’observer les affinités interpersonnelles (réciproques ou unilatérales), le degré d’acceptation de chaque individu, etc. C’est aussi un moyen d’évaluer la structure du groupe, les relations qui s’y trouvent et de qualifier les rapports de popularité, d’ostracisation et d’indifférence (Baudier et Céleste, 2019).

Les techniques sociométriques

L’effervescence pour la recherche en sociométrie dans les trente dernières années a permis des avancements notables (Rubin et al., 2015). À ce jour, selon ces auteurs, le défi est de développer des mesures valides et efficaces pour les deux forces fondamentales au coeur de la sociométrie, soit l’acceptation et le rejet. En fonction de l’objectif de la sociométrie, trois techniques ou méthodes peuvent être utilisées par l’intermédiaire d’un questionnaire : le statut social, l’acceptation sociale ainsi que les réseaux sociaux au sein du groupe et la cohésion.

Le statut social/statut sociométrique

La technique la plus utilisée vise à identifier le statut social des élèves (peer nomination method) en leur demandant de cibler trois ou cinq choix par désignation de pairs au sein du groupe. Les questions proposées peuvent être positives (p. ex. : Qui sont tes trois meilleurs amis dans la classe?), mais aussi négatives (p. ex. :  Quels sont les élèves de la classe avec qui tu aimes moins jouer?) (Avramidis et al., 2017). Elles identifient les individus avec lesquels les élèves veulent s’associer ou au contraire éviter dans un contexte précis (p. ex. pour s’engager dans un jeu ou une tâche scolaire). En fonction du total de désignations reçues, positives (« apprécié » [like]) et négatives (« non-apprécié » [dislike]), un statut social est assigné à chaque membre du groupe suivant la typologie suivante : populaire, rejeté, isolé/négligé, controversé, moyen (Bédard et al., 2017; Gendron et Landry, 2018; Newcomb et al., 1993; Poulin, 2012; Rubin et al., 2015). La figure 5 présente ces mêmes exemples de statuts sociométriques avec leurs niveaux d’acceptation et de rejet par les pairs. Au niveau interpersonnel, notons que les choix des élèves peuvent démontrer des attitudes réciproques (dyade en amitié) ou au contraire des choix unilatéraux (perception d’amitié absente ou rejet).

Figure 5

Exemples des principaux statuts sociométriques avec leurs niveaux d’acceptation et de rejet par les pairs (inspirée de Gendron et Landry, 2018)

Exemples des principaux statuts sociométriques avec leurs niveaux d’acceptation et de rejet par les pairs (inspirée de Gendron et Landry, 2018)

1 Voir figure 8.

2 Voir figure 9.

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L’acceptation sociale

La seconde technique la plus utilisée identifie le niveau d’acceptation sociale de chaque élève d’un groupe (peer rating method). Cette méthode permet d’attribuer, à l’aide d’une échelle de réponses de type Likert en 5 points, un score de préférence social à tous les élèves de la classe, parfois enviable, parfois moins (Avramidis et al., 2017).

Les réseaux sociaux au sein du groupe et la cohésion

Cette technique vise à recueillir des informations sur la nature des réseaux sociaux au sein du groupe et à identifier les clans (social cognitive mapping method) (Avramidis et al., 2017). Elle expose en quelque sorte un portrait des relations au sein du groupe à un moment précis, qui témoigne de la cohésion, de la structure et de la densité des réseaux d’affinités (cliques ou clans) et d’exclusions (individuelles ou entre clans). Fait à noter, les méthodes populaires « statut social » et « acceptation sociale » ont démontré des résultats négatifs lorsqu’utilisées pour mesurer l’impact social de l’inclusion d’EHDAA en classe ordinaire. Contrairement à ces méthodes, le social cognitive mapping method (SCM) présente des résultats mitigés à positifs (Avramidis et al., 2017). Les avantages perçus de cette méthode sont sa fiabilité au regard de la complexité des relations entre pairs et des réseaux sociaux (networks) dans un groupe, ainsi que la quantité d’informations rendue pour mieux comprendre la nature des réseaux et des relations entre pairs (Avramidis et al., 2017; Child et Nind, 2013).

Recommandations face à leur utilisation

Certaines études ayant recours à des mesures en sociométrie invitent à la prudence dans leur utilisation et suggèrent d’inclure une série de mesures limitant les possibles répercussions négatives causées par leur exposition (p. ex. forme et contenu du questionnaire, conditions de collecte et de traitement des données) sur des individus présentant déjà des vulnérabilités sur le plan de leur statut ou acceptation sociale dans la classe (Avramidis et al., 2017; Bukowski et al., 2015; Child et Nind, 2013; Mayeux et al., 2007). Le recours à un nombre limité de désignations nuit aux enfants souvent reconfirmés dans leur statut social peu enviable.

La sociométrie et les implications pour les élèves en difficulté

Le statut d’un enfant au sein d’un groupe de pairs peut soutenir ou entraver son développement et son adaptation (Bukowski et al., 2015). À ce sujet, les recherches sociométriques sur la popularité et les comportements adoptés en groupe relient ces deux éléments (Asher et Taylor, 1981; Bukowski et al., 2015; Pelletier et al., 1993). Ainsi, le degré d’acceptation sociale s’expliquerait entre autres par la présence de comportements sociaux ou antisociaux (Mayeux et al., 2007; Parker et Asher, 1987). Pour mieux comprendre le statut auprès des pairs, il importe de s’attarder à deux construits : le statut sociométrique, considéré comme classique, de même que le concept de popularité perçue, plus récent (Poulin, 2012).

Les écrits démontrent que les enfants populaires font preuve de comportements prosociaux, sont habiles socialement pour établir et maintenir des relations sociales. Parallèlement, les comportements des enfants rejetés peuvent différer. Or, l’agressivité semble être un élément clé du rejet, particulièrement chez les jeunes enfants (Bierman, 2004). Les comportements d’anxiété sociale, de timidité et de retrait social sont également associés au rejet. Enfin, des difficultés dans le traitement de l’information sociale (biais dans le traitement des situations sociales, faible répertoire de réponses prosociales versus agonistiques) viennent aussi teinter négativement le statut sociométrique (Dodge, 2006).

Les élèves ayant des besoins particuliers (Special Educational Needs, référence au Québec aux EHDAA) sont généralement moins acceptés et plus rejetés par leurs pairs non ciblés pour des services en adaptation scolaire et sociale (Avramidis et al., 2017). Cette situation s’explique en partie par le fait que la majorité des études sur l’inclusion recourent à des techniques sociométriques classiques (désignation par les pairs) pour étudier un seul indicateur social.

Afin de permettre aux EDAA de se faire valoir dans un sociogramme de classe et d’obtenir des données utiles pour favoriser l’inclusion, il est recommandé d’avoir recours à un nombre illimité de désignations, sans quoi les élèves déjà marginalisés n’obtiennent que peu ou pas de désignation positive.

Enfin, le fait de vivre des expériences de socialisation négatives comme le rejet par les pairs rend l’enfant ou le jeune plus susceptible de développer des problèmes de comportement extériorisé (agressivité) et de faire partie de dyades où les comportements antisociaux représentent la norme (Brendgen et al., 2001; Bukowski et al., 2015; Rubin et al., 2015). En ce qui concerne les problèmes de comportement intériorisé, les dyades de pairs où les individus présentent des vulnérabilités plus importantes associées à l’anxiété et à la dépression représentent l’un des facteurs de risque les plus influents. Rappelons que pour les élèves rejetés ou isolés, un faible niveau d’acceptation sociale, parfois combiné avec un niveau élevé de rejet social par leurs pairs, peut avoir des répercussions et des conséquences négatives sur le développement global, les apprentissages et la réussite scolaire (Cipriano et al., 2023; Parent et St-Louis, 2020; Durlak et al., 2022; Greenberg, 2023; Jagers et al., 2019; Rose-Krasnor et Denham, 2009).

À la lumière de ces derniers constats, la recherche sur les relations sociales et les compétences socioémotionnelles chez les enfants à l’éducation préscolaire, de niveaux primaire et secondaire, fait partie des priorités, tous niveaux confondus, et des ressources se doivent d’être mobilisées en conséquence. Par ailleurs, le questionnaire sociométrique est aussi pertinent à utiliser pour observer de façon dynamique l’évolution dans le temps des relations entre pairs au coeur d’expériences de terrain de type « avant/après » (Dugas et Loyer, 2018; Legrand et al., 2017; Legrand et al., 2011; Nakas, 2021).

Présentation du sociogramme (outil sociométrique)

De versions papier-crayon éreintantes pour compiler et illustrer les résultats au questionnaire rempli par les élèves, le sociogramme a migré vers le web grâce aux avancées technologiques. Un certain nombre d’applications gratuites ou payantes sont maintenant accessibles aux internautes intéressés à utiliser un tel outil en contexte scolaire, par exemple : MonSociogram.me (Girardot, 2023), Sometics – Logiciel de sociogramme (Sometics.com, 2023), Spinell.app (Spinell.app, 2023), etc. D’autres applications utilisées pour fins de recherche ou de formation existent, mais ne sont pas accessibles au grand public, par exemple : Plateforme sociogramme 1.0 (Gendron, 2012-2016), Plateforme sociogramme 3.0 (Gendron et Bowen, 2016-2023). La figure 6 présente le sociogramme en bref : son contenu, les étapes types de réalisation, les options possibles, les différentes formes graphiques et autres que peuvent prendre les résultats. Pour plus de détails sur la réalisation étape par étape, la personne lectrice est invitée à lire Gendron et Landry (2018).

Figure 6

Le sociogramme en bref

Le sociogramme en bref

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La présentation graphique d’un sociogramme peut varier selon les fonctionnalités proposées par ses concepteurs issus du domaine de l’éducation, de la psychologie ou des relations industrielles. Voici quelques images pour illustrer le sociogramme (Gendron et Landry, 2018; voir figures 7 – 8 – 9 – 10).

Figure 7

Sociogramme – Exemples de thèmes et de questions (tirée de Gendron et Landry, 2018, p. 6)

Sociogramme – Exemples de thèmes et de questions (tirée de Gendron et Landry, 2018, p. 6)

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Figure 8

Sociogramme – Exemple de matrice de compilation illustrant les choix/les désignations par les pairs à une question (tirée de Gendron et Landry, 2018, p. 10)

Sociogramme – Exemple de matrice de compilation illustrant les choix/les désignations par les pairs à une question (tirée de Gendron et Landry, 2018, p. 10)

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Figure 9

Sociogramme – Exemple de graphique sous forme de cible illustrant les choix/les désignations par les pairs à une question « Amitié + » (tirée de Gendron et Landry, 2018, p. 14)

Sociogramme – Exemple de graphique sous forme de cible illustrant les choix/les désignations par les pairs à une question « Amitié + » (tirée de Gendron et Landry, 2018, p. 14)

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Figure 10

Sociogramme – Exemple de graphique sous forme de cible illustrant les choix/les désignations par les pairs à une question « Amitié » (tirée de Gendron et Landry, 2018, p. 14)

Sociogramme – Exemple de graphique sous forme de cible illustrant les choix/les désignations par les pairs à une question « Amitié » (tirée de Gendron et Landry, 2018, p. 14)

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Valeurs prédictives et de prévention

Les applications liées aux valeurs prédictives et de prévention sont multiples tant pour le groupe-classe en milieu scolaire que pour les équipes sportives. De nombreuses raisons motivent à recourir à un sociogramme : le besoin de mieux comprendre une situation individuelle d’un élève (rejeté, isolé, nouvel élève), un climat de classe conflictuel, la recherche d’un état de situation des relations sociales en prévision de former des regroupements permanents, un projet spécifique sur la base de critères déterminés par le personnel enseignant (p. ex. : homogénéité, hétérogénéité, mixité), etc. Le but peut aussi être de former des dyades ou des triades d’élèves en vue de cochambrer à l’hôtel lors d’un voyage scolaire, de soutenir l’équipe-école dans l’exercice de former des groupe-classes pour l’année suivante, ou d’identifier des forces reconnues par les pairs pour attribuer à certains élèves des rôles clés (p. ex. : présidence de classe, aide à la médiation pacifique par un pair, mentorat ou soutien pédagogique auprès de pairs en français ou en maths).

En termes de prévention, le sociogramme peut soutenir le personnel enseignant dans sa gestion de classe, qui représente un défi de taille pour tout le personnel enseignant (Gaudreault, 2017). En effet, la gestion de classe constitue un facteur de risque d’abandon de la profession (De Stercke, 2014). Le fait de réaliser un sociogramme à l’automne et/ou à l’hiver auprès de ses élèves permet l’accès à autant de sources d’information différentes qu’il y a de répondants au questionnaire. Fort de ces informations, le personnel enseignant peut planifier et agir stratégiquement au sein de sa classe.

Enjeux éthiques

Il existe de nombreux enjeux éthiques dont il faut tenir compte avant, pendant et après avoir soumis un questionnaire de sociométrie à un groupe. Child et Nind (2013) et Mayeux et al. (2007) indiquent que le recours à la sociométrie peut avoir des effets négatifs en stigmatisant davantage certains élèves présentant des vulnérabilités sur le plan social. La communauté de chercheurs experts et de chercheuses expertes en sociométrie a donc l’obligation morale et éthique d’informer, de former et d’accompagner le personnel en milieux de pratique et la communauté de chercheurs et chercheuses novices en matière de sociométrie dans toutes les phases de réalisation. Un protocole et des rappels ponctuels de l’engagement moral et éthique de la personne utilisatrice doivent être mis en place pour garantir en tout temps la confidentialité, l’anonymat, le respect et les droits de la personne. Plusieurs étapes requièrent l’application de règles éthiques et professionnelles telles que le consentement parental pour les personnes participantes mineures, la collecte et le traitement des données, l’accès et l’utilisation de données sensibles. Dans le but de développer des pratiques saines et responsables avec la sociométrie, des recherches futures devraient s’intéresser à l’élaboration et la validation de protocoles d’accompagnement des personnes utilisatrices de sociogrammes mis à la disposition de la communauté de praticiens et praticiennes en éducation et de chercheurs et chercheuses novices en matière de sociométrie.

Réflexion sur les enjeux de formation et de compétences du personnel scolaire

Cet article souhaitait mettre en lumière le rôle que peut jouer la sociométrie en soutien à l’équipe-école, dans sa planification stratégique et ses interventions pour favoriser le développement de la socialisation et de l’éducation inclusive. Il aborde également des réflexions sur le développement de pratiques équitables et accessibles pour démocratiser l’utilisation du sociogramme.

Maîtriser l’art de la sociométrie n’est certes pas simple et cela ne se résume pas à faire remplir un questionnaire à des élèves. Il faut agir de façon professionnelle et éthique, faire preuve de rigueur dans toutes les phases de réalisation. Entre autres choses, il est nécessaire de se former en sociométrie, de respecter les règles éthiques, de comprendre les limites de l’outil, d’apprendre à maîtriser les analyses, de savoir interpréter les données pour ce qu’elles sont et, idéalement, de planifier des interventions adaptées individuelles ou collectives en tenant compte des résultats obtenus. C’est ainsi que s’observent des changements dans le niveau d’acceptation sociale d’un élève, ou une amélioration du climat de classe (cohésion, résolution de conflits, etc.).

Les travaux réalisés durant les trois dernières décennies par W.-M. Bukowski (Université de Concordia), F. Vitaro (Université de Montréal) et M. Brendgen (Université du Québec à Montréal) (Brendgen et al., 2001; Bukowski et al., 2015; Newcomb et al., 1993) sur les enjeux des relations entre pairs et la sociométrie constituent un héritage riche et signifiant sur lequel la communauté de chercheurs québécois et internationaux et de chercheuses québécoises et internationales, notamment en France (Dugas et Loyer, 2018; Legrand et al., 2017; Nakas, 2021), peut s’appuyer et faire évoluer la recherche en collaboration avec les milieux scolaires afin de partager les expertises respectives. L’éducation inclusive ainsi que le développement de pratiques équitables et accessibles appuyées par la démocratisation de la sociométrie en milieu scolaire, passe par la collaboration entre la communauté de la recherche et le milieu scolaire. Or, une étude de Lysenko et al. (2014) sur les facteurs prédictifs de l’utilisation des connaissances issues de la recherche éducative par le personnel scolaire soulève des questions à cet égard. Le personnel enseignant interrogé rapporte une utilisation peu fréquente de la recherche éducative dans leurs pratiques pédagogiques. Il souligne avoir le sentiment que leurs problèmes professionnels sont trop complexes, que la communauté de chercheurs et de chercheuses ne peut les résoudre, que leur expertise n’est pas reconnue. Cela semble un frein à l’actualisation des connaissances venant de la science. Pour réussir à démocratiser le sociogramme, il faudra écouter les besoins du milieu, considérer leur expertise, intégrer leur contribution (input) dans le développement et l’actualisation de l’outil, prévoir du soutien pour que soit possible un accès à des analyses simplifiées en vue de cibler efficacement les enjeux issus des données, et d’adapter leur intervention en vue de favoriser l’inclusion et le développement de pratiques équitables. Nous croyons que la communauté de chercheurs et chercheuses et de praticiens et praticiennes devrait contribuer à l’élaboration et la mise en oeuvre d’une campagne d’information à l’intention du personnel des milieux de l’éducation portant sur : 1) l’importance du rôle de la socialisation pour le développement global de l’enfant et pour sa réussite éducative, et 2) la compréhension de la notion d’inclusion, voire d’ « inclusivité »[1] (Dugas, 2023) et son intégration dans les pratiques pédagogiques et autres interventions de l’équipe-école. Toutefois, en vue d’optimiser la portée des retombées souhaitées pour soutenir les EDAA, une réflexion s’imposera en conclusion à propos des enjeux et des obstacles associés à la conciliation (réconciliation) des besoins et des objectifs poursuivis respectivement par la communauté de chercheurs et chercheuses et de praticiens et praticiennes.

En contexte éducatif ou scolaire, une évaluation sociométrique offre un portrait unique et complémentaire au regard du personnel enseignant, entre autres, sur les relations sociales présences ou absentes, les rapports et la dynamique interactionnelle d’un groupe. Ce portrait témoigne aussi du nombre de relations nouées entre les élèves et permet ainsi, par exemple en début d’année, de s’assurer que chacun ait une ou des relations réciproques en classe. Cela peut permettre au personnel enseignant de prendre des décisions éclairées et stratégiques dans l’attribution des bureaux de travail et la formation d’équipes. De plus, reconduire à nouveau le sociogramme durant l’année aide à évaluer le sentiment de communauté (cohésion), l’attachement ou l’engagement social des enfants ou des jeunes envers leur classe (sentiment d’appartenance) ou l’efficacité d’interventions mises en oeuvre dans un désir d’éducation inclusive. Le recours à un sociogramme dans le dernier tiers de l’année scolaire peut aussi permettre de tenir compte des résultats afin d’aider l’équipe-école dans l’exercice de planification de la formation des groupes-classes pour l’année suivante. Autant pour les désignations par les pairs positives (p. ex. statut de leader, d’élève travaillant ou de mentor dans une matière) que pour les désignations négatives (p. ex. : statut d’élève rejeté, isolé, négligé ou controversé), les données recueillies illustrent au personnel scolaire des situations individuelles et collectives soupçonnées mais aussi trop souvent méconnues. Le recours à un instrument de mesure multisource comme le sociogramme web représente une option d’outil complémentaire d’évaluation et d’intervention unique à la disposition de chaque équipe-école soucieuse de poursuivre la mission de socialisation et d’éducation inclusive pour tous ses élèves, dont les EDAA.

Pour conclure, rappelons-nous de la pertinence sociale des enjeux en cause pour les enfants vulnérables, les élèves à risque et les EDAA. Baudier et Céleste (2019) mentionnent que les enfants ayant des difficultés relationnelles avec les pairs « seraient plus susceptibles de rencontrer des problèmes d’apprentissage […] d’abandonner précocement l’école […] de devenir délinquants juvéniles […] de présenter un développement émotionnel perturbé et une difficulté à construire une image positive d’eux-mêmes » (p. 147). Les conséquences pour ces enfants à moyen et long termes sont trop importantes pour que la recherche n’essaie pas de contribuer encore plus aux solutions via un outil novateur comme le sociogramme.