FR:
L’article propose une analyse du thème du travail tel qu’il se présente dans les récits de vie d’immigrants italiens à Montréal. Les récits de vie sont considérés comme des pratiques narratives dont le but est de construire et de transmettre à un interlocuteur une image de soi jugée positive. L’analyse des récits de vie dégage deux images. Premièrement, en définissant deux formes de travail distinctes (travail « fermé » et travail « ouvert ») et en utilisant deux critères différents pour juger les expériences de travail vécues dans le passé (« sociabilité » et « instrumentabilité » du travail), les récits tendent à présenter les narrateurs comme les victimes de mondes imparfaits marqués par une incompatibilité inévitable : plus le travail se présente comme un espace-temps socialement chaleureux, moins il assure une fiabilité de l’emploi et des revenus, et vice versa. Deuxièmement, les identités par lesquelles les narrateurs se mettent en scène sur les lieux et les temps de travail tendent aussi à présenter les narrateurs comme des individus pour qui le travail n’est pas une fin en soi, un domaine d’investissement ou de réalisation personnels. Plutôt que de mettre en scène des individus indépendants qui affirment, dans le travail, leurs propres qualités, désirs ou aspirations, les récits présentent au contraire des individus qui se valorisent par l’excellence avec laquelle ils ont su respecter au travail des modèles de conduite familiaux, communautaires ou contractuels imposés de l’extérieur par le groupe, la tradition ou la loi. La conclusion suggère quelques pistes d’explication des images de soi que le thème du travail suscite ainsi en contextualisant le groupe de narrateurs chez qui les récits furent recueillis.
EN:
This article proposes an analysis of the theme of work as presented in the life stories of Italian immigrants in Montréal. The telling of life stories is considered here as a narrative practice of which the goal is to construct and transmit a positive self image. The analysis of these narratives draws out two images. Firstly, by defining two distinct forms of work ("closed" work and "open" work) and by using two different criteria to assess past work experiences ("sociability" and "instrumentability" of work), the narrators are presented through their narratives as victims of imperfect and inevitably incompatible worlds: the more socially warm the space-time of work becomes, the less assured are the job and the revenues, and vice versa. Secondly, the identifies chosen by the narrators in the place and time of work portrays them as individuals for whom work is not an end in itself, a place of personal investment or realization. Rather than portraying independant individuals who, at work, affirm their own qualities, desires, or aspirations, the narratives present individuals who judge their self-worth by the excellence with which they have respected, in the workplace, family, community, or contractual models of behaviour imposed from outside by the group, tradition, or law. The conclusion suggests some explanation of the self-images that the work theme elicits in this way by contextualizing the group of narrators from whom the narratives were gathered.