Circuit
Musiques contemporaines
Volume 21, Number 2, 2011 Musiciens sans frontières Guest-edited by Nathalie Fernando
Table of contents (8 articles)
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Introduction : lorsque l’ethnomusicologue sort de sa bulle…
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Paradoxe dans la relation entre oralité et écriture musicale
René Orea
pp. 13–27
AbstractFR:
Les notions d’oralité et d’écriture sont souvent associées dans l’imaginaire collectif à l’idée de « primitif » et « civilisé » et, par-delà, de cultures dites lettrées et illettrées, de « populaire » et « savant », d’immatériel et matériel. Dans les faits, elles ont une existence et renvoient à des pratiques certes opposées, mais complémentaires. Elles agissent à des niveaux de fonctionnement différents, soit l’auditif et le visuel. L’oral et l’écrit coexistent en musique non sans une certaine tension d’origine historique. Celle-ci est notamment entretenue par l’authenticité recherchée à travers le geste graphique et la signification qu’il faut lui accorder, souvent explicitée par le biais de l’oralité. À ce titre, le xxe siècle occidental a engendré un éclatement des langages, des techniques, des niveaux de perception et de conception des structures sonores, remettant en question la fonction et le statut de la partition, ce symbole qui apparaît comme l’aboutissement de la pensée musicale d’Occident.
L’objectif de cet article est donc d’explorer les relations entre l’oralité et l’écriture, en ayant comme point de mire les musiques contemporaines occidentales, en faisant parfois référence à des champs qui nous sont familiers et que nous aimons juxtaposer pour leurs points communs et différences : ceux de la composition et de l’ethnomusicologie.
EN:
The notion of oral and written modes of transmission are often associated with the idea of ‘primitive’ and ‘civilised’ in the collective imagination, and by extension, concepts of so-called literate and illiterate cultures, popular vs. learned, immaterial vs. material. In reality, oral and written modes of transmission come out of practices that, while opposed, are complementary to each other. These modes use different manners of functioning, the auditory and the visual. The oral and written traditions co-existing in music are not without a certain historical tension. This is reinforced by the search for authenticity in notation and the significance given to it, often justified from the standpoint of orality. Due to this, the 20th century has given birth to a multitude of languages, techniques, levels of perceptions and conceptions of sound structures, bringing into question the function and place of the score, a symbol seen as the pinnacle of Western musical thought.
The purpose of this text is thus to explore the relationship between oral and written modes of transmission using Western contemporary musics as a point of reference, referring also to the fields of composition and ethnomusicology to point out and juxtapose their similarities and differences in approach.
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… phraser le monde : continuité, geste et énergie dans l’oeuvre musicale
Philippe Leroux
pp. 29–48
AbstractFR:
Dans ce texte, le compositeur Philippe Leroux s’intéresse tout d’abord aux rapports qu’entretiennent continuité, son et geste. Puis, après s’être attaché à montrer comment les empreintes énergétiques de ces gestes se transforment en substituts gestuels, et la façon dont l’écoute de la musique renvoie aux gestes de production sonore ou à des mouvements gestuels virtuels physiques ou psychiques, il considère en quoi le concept de phrasé énergétique a pour fonction de relier l’ensemble de ces notions, sur le plan de l’audition comme de la composition. Ceci l’amène à redéfinir l’oeuvre musicale comme un espace transitionnel dans lequel l’action consistant à mettre en relation les évènements sonores supplante les notions classiques de développement par extension et prolifération d’une idée germinale.
EN:
In this article, composer Philippe Leroux begins by looking at the relationship between continuity, sound and gesture. He goes on to explore how the energetic traces of these gestures are transformed into gestural substitutes, and the way in which the act of listening appeals to the gestures of sound production or to physical or psychic virtual gestures. He then considers in how the concept of energetic phrasing functions as a way to combine all of these notions, at once from the point of view of listening and composition. This leads the author to redefine the musical work as a transitional space in which the action of relating sound events to each other supplants the classical notion of development by extension and proliferation of a fundamental idea.
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The Challenge of African Art Music
Kofi Agawu
pp. 49–64
AbstractEN:
This essay offers broad reflection on some of the challenges faced by African composers of art music. The specific point of departure is the publication of a new anthology, Piano Music of Africa and the African Diaspora, edited by Ghanaian pianist and scholar William Chapman Nyaho and published in 2009 by Oxford University Press. The anthology exemplifies a diverse range of creative achievement in a genre that is less often associated with Africa than urban ‘popular’ music or ‘traditional’ music of pre-colonial origins. Noting the virtues of musical knowledge gained through individual composition rather than ethnography, the article first comments on the significance of the encounters of Steve Reich and György Ligeti with various African repertories. Then, turning directly to selected pieces from the anthology, attention is given to the multiple heritage of the African composer and how this affects his or her choices of pitch, rhythm and phrase structure. Excerpts from works by Nketia, Uzoigwe, Euba, Labi and Osman serve as illustration.
FR:
Cet article livre des réflexions générales sur quelques défis auxquels les compositeurs africains de musique de concert sont confrontés. Le point de départ spécifique se trouve dans une anthologie qui date de 2009, Piano Music of Africa and the African Diaspora, rassemblée par le pianiste et chercheur ghanéen William Chapman Nyaho et publiée par Oxford University Press. L’anthologie offre une grande panoplie de réalisations artistiques dans un genre qui est moins associé à l’Afrique que la musique « populaire » urbaine ou la musique « traditionnelle » d’origine précoloniale. En notant les avantages méthodologiques d’une approche qui se base sur des compositions individuelles plutôt que sur l’ethnographie, l’auteur note l’importance des rencontres de Steve Reich et György Ligeti avec des répertoires africains divers. Puis, se penchant sur un choix de pièces tirées de l’anthologie, l’article rend compte de l’héritage multiple du compositeur africain et la façon dont cet héritage influence ses choix de sons, rythmes et phraséologie. Des extraits d’oeuvres de Nketia, Uzoigwe, Euba, Labi et Osman servent d’illustrations à cet article.
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L’improvisation et ses lieux communs (Pays de l’Oach, Roumanie)
Bernard Lortat-Jacob
pp. 65–75
AbstractFR:
L’article rappelle un certain nombre d’acquis concernant les études sur l’improvisation, principalement la notion de « modèle ». Mais cette notion trouve ses limites lorsqu’il s’agit de rendre compte du processus même de l’improvisation, de saisir l’inattendu, et même d’examiner de près des stratégies musicales enclenchées dans l’instant. En outre, dans nombre de traditions orales - dont l’inventaire est loin d’être achevé -, les régularités structurelles et la notion même de modèle semblent faire problème. Ce phénomène avait déjà été relevé par Bartók à propos de musiques paysannes de Roumanie. Il est ici approfondi. C’est ainsi qu’au nord de la Roumanie, en Oach, les violonistes (souvent tsiganes) sont invités, contre rétribution, non pas à reproduire des formes fixes, mais à produire le plus grand nombre possible de courts motifs modaux, pour « appâter » les chanteurs. Durant la performance, au déroulement imprévisible, ces derniers extraient de ce jeu motivique leur dants, c’est-à-dire une mélodie complète qui leur est propre et qui ne se confond pas avec celle des autres chanteurs qui sont aussi leurs rivaux.
EN:
This article reviews a certain number of findings derived from studies of improvisation, which primarily concern the notion of ‘model’. This notion is of limited value when trying to capture the very process of improvisation, to grasp the unexpected, and even to closely examine the musical strategies adopted in the instant. Moreover, in many oral traditions – the inventory of which is far from completed – the structural regularities and the notion of model seem problematic. This phenomenon was already noticed by Bartók with respect to the peasant musics of Rumania, and is here further examined. So it is that in the north of Rumania, in Oach, violinists (often of gypsy heritage) are asked, for a fee, not to reproduce fixed forms, but rather to produce as many short modal motifs as possible in order to ‘lure’ the singers. During these unpredictable performances, these singers extract their own personal /dants/ from this set of motives, i.e., a complete melody which belongs to them alone and which is not to be confused with any of the melodies used by their rival singers.
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One Fusion Among Many: Merging Bali, India, and the West through Modernism
Michael Tenzer
pp. 77–100
AbstractEN:
The relationship between world music traditions and modernist art music in the European tradition is often explored in composers’ musical fusions, but the motivations and aesthetics of such works often receive less notice than those grounded in post-modern (minimalist, popular music) approaches. In this essay the author asserts a particular relationship between rigorous modern composition technique and the highly rational patterning of Indonesian and Indian music, and follow this with analysis of Unstable Centre/Puser Belah (2003) a work composed for two simultaneous Balinese gamelan. The analysis demonstrates fusion at detailed levels of pattern and structure, but the article closes with a self-critical assessment of the venture.
FR:
Le rapport entre les traditions musicales du monde et la musique de concert moderniste de tradition européenne est souvent exploré dans des fusions musicales proposées par des compositeurs, mais les motivations et les esthétiques de ces oeuvres reçoivent souvent moins d’attention que celles qui s’imprègnent d’approches postmodernes (qu’elles soient minimalistes ou d’affiliation populaire). Dans cet article, l’auteur affirme un rapport entre certaines techniques rigoureuses de la musique contemporaine occidentale et les organisations cycliques, très rationnelles, de la musique indonésienne et indienne. Il poursuit avec une analyse de Unstable Centre/Puser Belah (2003), une oeuvre que l’auteur a composée pour deux orchestres gamelan simultanés. L’analyse démontre une fusion sur les plans du cycle et de la structure, mais l’article se termine par une évaluation autocrique du projet.
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Notes sur l’esthétique de la rumba congolaise
Bob W. White
pp. 101–110
AbstractFR:
La rumba congolaise de la musique populaire de la République démocratique du Congo est devenue en quelque sorte une musica franca pour une bonne partie de l’Afrique sub-saharienne. Les Congolais d’aujourd’hui aiment dire que leur musique a colonisé le continent, mais cette musique, fortement influencée par ses racines afro-cubaines, a subi un nombre important de transformations esthétiques depuis son émergence sous le régime de la colonie belge. Bien que ce genre musical ait une longue histoire, il y a relativement peu de recherche à son sujet, surtout en ce qui concerne ses aspects esthétiques. En mettant l’accent sur certaines caractéristiques de ces chansons, cet article tente d’expliquer comment la musique populaire à Kinshasa vise à transcender la crise économique et politique que le pays vit depuis plusieurs générations : la conjoncture. En s’inspirant de la philosophie herméneutique de Gadamer, la métaphore de l’écoute est proposée pour nous faire prendre conscience que l’impossibilité d’entendre la musique de l’Autre de son point de vue à lui ne devrait pas nous empêcher d’essayer d’écouter.
EN:
In the last fifty years, Congolese popular dance music (also known as “Congolese rumba” and “La musique zaïroise”) has become something of a musica franca for much of sub-Saharan Africa. As Congolese like to say, the captivating sound of their music, firmly grounded in Africa’s encounter with Afro-Cuban culture, has “colonized the rest of the continent”, but the music has gone through a series of important aesthetic changes since it first emerged in the urban colonial centers of the Belgian Congo. Despite this rich history, limited research has been done on the subject and very little has been published on Congolese popular music from the point of view of aesthetics. By tuning in on local conversations about certain aspects of the music’s structure and form, this text attempts to understand how Congolese popular dance music transcends the ugliness of la conjoncture and how this particular expression of beauty enables us to explore the relationship between aesthetics and politics. Drawing from the philosophical hermeneutics of Hans-Georg Gadamer, the metaphor of listening is used to argue that the impossibility of hearing music from someone else’s point of view should not stop us from trying to listen.
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Les illustrations