Cinémas
Revue d'études cinématographiques
Journal of Film Studies
Volume 28, Number 2-3, Spring 2018 Mutations du montage : esthétiques, technologies, pratiques et discours Guest-edited by Santiago Hidalgo and Bernard Perron
Table of contents (11 articles)
Dossier
Mutations du montage
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Présentation
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I Love Dick et Transparent : de quelques catégories de montage dans la sérialité télévisuelle
Marta Boni and Larissa Christoforo
pp. 11–27
AbstractFR:
L’article examine les différentes typologies de montage dans deux séries pensées pour les nouveaux services télévisuels de diffusion en continu : Transparent (Jill Soloway, 2014-2019) et I Love Dick (Sarah Gubbins et Jill Soloway, 2016-2017). La posture queer permet de concentrer la multiplicité des options dans un parcours sériel (dans une logique où l’identité se trouve entre plusieurs options). Le montage est entendu comme : a) la relation entre les éléments au sein de l’épisode, semblable au montage cinématographique ; b) la relation des épisodes à la totalité de la saison et de la série ; c) une performance capable de réactiver certaines significations au fil des saisons, par des lectures et réécritures à rebours, qui bouleversent a posteriori le sens de l’ensemble. Si cette dernière catégorie joue avec une traduction un peu abusive du terme editing, elle a le mérite de souligner le geste de « réactivation sérielle » qui permet de mettre en évidence, par les effets de rythme et de mémoire spectatorielle, l’importance du potentiel queer de la sérialité.
EN:
This article examines the various kinds of editing in two series conceived for the new televisual streaming services: Transparent (Jill Soloway, 2014-19) and I Love Dick (Sarah Gubbins and Jill Soloway, 2016-17). These works’ queer posture enables them to concentrate a multiplicity of options in a serial format (in a logic in which identity is located between several options). Editing here is understood as: a) relations between the elements in each episode, similar to film editing; b) the relation between the episodes and the series’ entire season; and c) a performance capable of reactivating certain meanings across seasons through readings and against-the-grain rewritings which upset the meaning of the entire series after the fact. While this final category plays on a somewhat abusive translation of the English term editing, it has the merit of underscoring the “serial reactivation” gesture, which makes it possible to emphasize, by means of the effects of rhythm and of the viewer’s memory, the importance of the queer potential of seriality.
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Film Editing, Digital Montage, and the “Ontology” of Cinema
Marc Furstenau
pp. 29–49
AbstractEN:
This article offers an account of the advent of digital editing, or digital montage. While reference is often made in film theory to the “ontological” effects of technological change, the term itself is rarely defined in explicit fashion. Following the philosopher Gregory Currie, the author argues that an ontological analysis cannot begin from an accounting of any putatively necessary or definitive physical aspect of the cinema as a medium. Indeed, the author argues, following Noël Carroll, that the cinema is not a “medium,” but rather an art form that employs a wide range of media. In the transition from film editing to digital montage, the means for the creation of multimedia, audiovisual cinematic compositions have been consolidated in so far as most media are now rendered in digital form, allowing for more comprehensive and fine-grained manipulations and modifications. On the basis of a more adequate account of the ontology of the cinema, this can be seen as continuous with the history of film art.
FR:
Cet article rend compte de l’avènement du montage numérique. Bien que la théorie du cinéma fasse souvent référence aux effets « ontologiques » du changement technologique, elle définit rarement ce terme de manière explicite. À la suite du philosophe Gregory Currie, l’auteur soutient qu’une analyse ontologique ne peut être fondée sur la description d’un supposé aspect physique nécessaire ou définitif du cinéma en tant que médium. En effet, l’auteur affirme, comme Noël Carroll, que le cinéma n’est pas un « médium », mais plutôt une forme d’art qui a recourt à un large éventail de médias. Dans la transition entre montage analogue et montage numérique, les moyens de création de compositions cinématographiques audiovisuelles multimédia ont été consolidés, dans la mesure où la plupart des médias sont désormais restitués sous forme numérique, ce qui permet des manipulations et des modifications plus complètes et plus fines. En s’appuyant sur un compte-rendu plus adéquat de l’ontologie du cinéma, il est possible de voir comment cela s’inscrit dans la continuité de l’histoire de l’art cinématographique.
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Walter Murch et l’Open Media Framework (OMF) : penser l’interopérabilité pour une ambiguïté fructueuse
Simon Gervais
pp. 51–70
AbstractFR:
Walter Murch est l’un des rares monteurs de cinéma américain qui pratique le montage image et le montage sonore. Parce que sa pensée du montage fait chevaucher les continuums visuel et sonore, le rapport de Walter Murch au montage s’apparente à l’interopérabilité. Cet article explore d’abord la notion d’interopérabilité dans le contexte du cinéma en observant le format de fichier Open Media Framework Interchange (OMF). Conçue dans les années 1990, cette innovation est un protocole technique qui ouvre des canaux de communication entre les logiciels de montage image et sonore. Cet article soulève ensuite les conséquences des conceptions pratiques et philosophiques de l’OMF sur les pratiques, au quotidien, du montage image et sonore, pour les faire résonner avec la « pensée-montage » de Murch. Plus que tout, il cherche à décrire les réels enjeux d’une pratique interopérable du montage.
EN:
Walter Murch is one of the few film editors in American cinema to practice both image and sound editing. Because his thinking about editing sees the visual and audio continuums as overlapping, Murch’s relation towards editing is interoperable. First, this article explores interoperability in the context of cinema through the Open Media Framework Interchange (OMF) file format. This innovation, conceived in the 1990s, is a technical protocol which opens communication channels between image and sound editing software. Next, this article addresses the consequences of the practical and philosophical conceptions of the OMF on everyday image and sound editing practices. It then compares these conceptions with Murch’s thinking about editing. Above all, it seeks to raise the real issues around an interoperable editing practice.
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Real Time Zidane
Janine Marchessault
pp. 71–91
AbstractEN:
While television editing was developed on the basis of switching between cameras, video editing was from the start difficult and cumbersome, and as such editing was often limited to linear blocky assemblage as opposed to cinematic montage and continuity editing. But what video did offer (contra film’s re-presentation) and what early video art deconstructed was the illusion of immediacy, durée, transmission and “real time.” This article will consider the construction of “real time” (an expression that comes from informatics, meaning time mediated through technology) in the single channel version of Zidane: A 21st Century Portrait by Douglas Gordon and Phillip Parreno. In many ways, this work can be seen as a manifestation or culmination of early video art’s critique of simultaneity, which Gordon and Parreno merge with television’s real time ideologies. Zidane was shot with seventeen different cameras fixed on one player. These real time views were mixed by the artists like a piece of music and a performance to create a twenty-first-century portrait of mediation.
FR:
Alors le montage télévisuel s’est développé sur la base du passage d’une caméra à l’autre, le montage vidéo s’est révélé d’emblée difficile et fastidieux et, de ce fait, il s’est limité souvent à un assemblage de blocs linéaires, par opposition au montage cinématographique en continu. Mais ce que la vidéo a offert (en réponse à la re-présentation du cinéma) et ce que l’art vidéo a déconstruit à ses débuts, c’est l’illusion d’immédiateté, de durée, de transmission et de « temps réel ». Cet article traitera de la construction du « temps réel » (une expression issue de l’informatique décrivant le temps médié par la technologie) dans la version à canal unique de Zidane, un portrait du 21e siècle de Douglas Gordon et Phillip Parreno. À bien des égards, ce travail peut être vu comme une manifestation ou un aboutissement de la critique de la simultanéité par les premiers artistes vidéo, que Gordon et Parreno fusionnent avec les idéologies de la télévision en temps réel. Zidane a été tourné avec dix-sept caméras différentes fixées sur un seul joueur. Ces vues en temps réel ont été mixées par les artistes comme une pièce musicale et une performance pour créer un portrait de la médiation au 21e siècle.
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(Re)monter le cinéma sur le web
Martin Bonnard
pp. 93–109
AbstractFR:
Une idée de montage énoncée et expérimentée à la fin des années soixante par Sylvie Pierre, Jean Narboni et Jacques Rivette permet d’éclairer sous un nouveau jour les assemblages du numérique, et en particulier ceux entourant les films des catalogues de vidéo par abonnement. Cette idée vise l’étude du montage des films sur deux niveaux : celui de la juxtaposition des plans et celui de la combinaison exploratoire des films entre eux. Inspiré par cette perspective, à la fois ouverte sur le contexte de circulation des films et sur les principes guidant le montage de chacun d’eux, cet article se penche sur trois mutations de la diffusion du cinéma en ligne : la fragmentation des oeuvres, le rôle de la machine et des algorithmes de recommandation, ainsi que la capacité d’interroger, par le montage, les nouveaux assemblages d’images en réseau.
EN:
An idea of montage articulated and tested in the late 1960s by Sylvie Pierre, Jean Narboni and Jacques Rivette makes it possible to shed new light on digital assemblages, and especially those around subscription video-on-demand film catalogues. This idea seeks to study film montage on two levels: that of the juxtaposition of shots and that of the exploratory combination of the films themselves. The present article, inspired by this perspective, at once open to the context in which films circulate and to the principles guiding the montage of each of them, examines three mutations of the online dissemination of films: the fragmentation of the work; the role of the machine and of algorithms for suggested viewing; and the ability, through montage, to interrogate new assemblages of networked images.
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Editing and the Institutionalization of Cinema, 1913-1917
Nick Shaw and Charlie Keil
pp. 111–132
AbstractEN:
How was editing imagined during the transitional period, as cinema became an institution? How closely did the trade press’s representation of editing, as a formal system subject to change, align with trends apparent on the screen? Did commentators of the day register editing’s changing functions? To what degree can we detect an “editing consciousness” within the trade press, and how did it operate in the crucial years of 1913-17? To better answer these questions, this essay looks at the terminology that writers employed when writing about editing during these years, the advisories that they issued, and the factors that may have influenced their conceptions of editing. These observations will help us define with more precision how the industry reconciled itself to editing’s ascendancy and reaffirm the uneven contours of the process of institutionalization.
FR:
Comment imaginait-on le montage au cours de la période de transition, alors que le cinéma devient une institution ? Dans quelle mesure la représentation du montage en tant que système formel sujet au changement que l’on trouve dans la presse spécialisée de l’époque correspondait-elle aux tendances qui apparaissent à l’écran ? Les commentateurs avaient-ils remarqué les fonctions changeantes du montage ? À quel point peut-on détecter une « conscience du montage » dans la presse spécialisée, et comment opérait-elle au cours des années cruciales de 1913 à 1917 ? Pour mieux répondre à ces questions, cet article examine la terminologie employée par les auteurs pour écrire au sujet du montage durant cette période, les avis qu’ils ont émis et les facteurs qui peuvent avoir influencé leurs conceptions du montage. Ces observations permettent de définir plus précisément la manière dont l’industrie s’est réconciliée avec l’ascension du montage et de réaffirmer les contours inégaux du processus d’institutionnalisation.
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Le jeu vidéo et la notion de montage : se « couper » du cinématocentrisme
Hugo Montembeault, Maxime Deslongchamps-Gagnon and Bernard Perron
pp. 133–154
AbstractFR:
Cet article s’intéresse aux relations de remédiation entre le cinéma et le jeu vidéo envisagées à travers le prisme du montage cinématographique et des termes utilisés pour le décriree. L’argumentation s’appuie sur une analyse du discours des productions épistémiques de deux communautés francophones spécialisées en jeu vidéo : les universitaires issus des études vidéoludiques et les journalistes principalement regroupés autour de trois revues françaises incontournables, soit Tilt (1982-1994), Génération 4 (1987-2004) et Joystick (1988-2012). S’ensuit une synthèse des analyses réalisées à partir d’un corpus composé de textes portant sur les ponts cinéma/jeu vidéo ou encore sur des jeux réputés pour leur réemploi des codes cinématographiques. La présentation de ce portrait est l’occasion de cerner plusieurs irrégularités sémantiques en ce qui concerne l’usage des notions « clés » liées aux théories du montage (coupe, plan, transition, raccord, angle de caméra, ralenti, cinématique, etc.). À la lumière de tels écarts de signification, la pertinence d’une lecture cinématocentriste des formes d’assemblage du jeu vidéo est remise en question en vertu d’un préjugé d’interprétation donnant préséance à l’aspect audiovisuel au détriment de la jouabilité.
EN:
This article explores the remediation between cinema and video games through the lens of film editing or montage terminological framework. The argument is based on a discourse analysis of epistemic productions from two French-speaking communities specialized in video games: gaming scholars and game journalists from three essential French magazines, Tilt (1982-84), Génération 4 (1987-2004) and Joystick (1988-2012). The analysis of this body of texts dealing with the links between film and video game or with games well known for their cinematic qualities highlights (dis)connections regarding how editing codes are discussed from the standpoint of the communities under study. This portrait identifies several semantic discrepancies around the use of “key” editing concepts (cut, shot, transition, continuity shot, camera angles, slow motion, cut-scenes, etc.). In light of such gaps in meaning, a cinemacentric reading of the forms of video game assemblage is called into question on the basis of its interpretive bias, which gives precedence to the audiovisual aspect at the expense of gameplay.
Hors dossier / Miscellaneous
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L’image-mouvement au cinéma, de la chronophotographie à la performance capture
Miriam Meriam Ouertani
pp. 157–170
AbstractFR:
À son origine, l’image-mouvement au cinéma est définie par Deleuze comme une succession mécanique d’instantanés caractérisée essentiellement par l’équidistance. La succession mécanique du mouvement par un codage serait intrinsèque à l’agencement dans l’image-mouvement. La problématique de l’image-mouvement réside dans l’idée selon laquelle la perception du mouvement à l’aide d’une succession de poses et la perception du mouvement par l’intermédiaire de dispositifs réduisent l’interprétation du mouvement à un temps uniforme. À quel point cela va-t-il contraindre à saisir l’essentiel du mouvement, à savoir les micromouvements qui entrent dans ce régime de l’image-mouvement intensif et qui échappent à la mesurabilité de même qu’à l’agencement ? Dans ce cas précis, la question serait de savoir non pas comment un mouvement succède à un autre mouvement, mais plutôt comment un mouvement donné se continue dans le mouvement suivant. Nous entamerons une catégorisation de l’image-mouvement par le biais de la capture du mouvement numérique transférée sur les personnages en images de synthèse du film Avatar.
EN:
Image-movement in the cinema was originally defined by Deleuze as a mechanical succession of snapshots essentially characterized by equidistance. The mechanical succession of moving images through encoding was intrinsic to their ordering in image-movement. The question raised by image-movement lies in the idea that the perception of movement by means of a succession of exposures and the perception of movement through an apparatus reduce the interpretation of movement to a uniform time. At what point does this make it possible to grasp the essential aspect of movement—the micro-movements which enter this intensive image-movement regime and elude both measurability and ordering? In this specific case, it is a question of knowing, not how one movement succeeds another, but rather how a given movement continues on in the following movement. This article offers a categorization of image-movement by means of the digital recording of movement transferred to the computer-generated images of characters in the film Avatar (James Cameron, 2009).
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Un essai d’éthique et de pratique politique : San Michele aveva un gallo de Paolo et Vittorio Taviani
Alessandro Marini
pp. 171–189
AbstractFR:
Cet article s’intéresse au film San Michele aveva un gallo de Paolo et Vittorio Taviani (1972), une adaptation du récit Le divin et l’humain de Tolstoï (1906). On retrouve au centre de la réflexion des deux oeuvres un discours sur la transformation possible de la société dans laquelle elles se situent. Dans le film, l’histoire de Giulio Manieri, un anarchiste internationaliste du xixe siècle, fait allusion de façon allégorique au climat contemporain – les luttes populaires de la fin des années 1960 – et exprime le processus de marginalisation des instances révolutionnaires qui le caractérisèrent. Le parcours tragique de Giulio – révolution, emprisonnement et suicide – représente ainsi une sorte d’épitaphe sur la fin des espoirs de transformation de la société italienne suscités par la Résistance et désormais définitivement perdus. Cet article a pour but de mettre en évidence la façon dont le scénario, la construction de l’espace scénique et les références extratextuelles contribuent à donner forme à un apologue sociopolitique dépourvu d’illusions.
EN:
This article explores the Paolo and Vittorio Taviani film San Michele aveva un gallo (St. Michael Had a Rooster, 1972), an adaptation of Leo Tolstoy’s story Divine and Human (1906). At the heart of the ideas expressed by each work lies a discourse on the possibilities for transforming the society in which it is set. In the film, the story of Giulio Manieri, a nineteenth-century internationalist anarchist, is an allegorical allusion to the contemporary climate—the popular struggles of the late 1960s—and expresses the process by which the revolutionary forces which characterized it were marginalized. Giulio’s tragic itinerary—revolution, imprisonment, suicide—thus represents a kind of epitaph on the end of the hope of transforming Italian society raised by the Resistance and now definitively lost. The goal of this article is to demonstrate how the script, the construction of the space of the film and its intertextual references contribute to giving shape to a sociopolitical apologue stripped of all illusions.