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Introduction

Les mouvements politiques pan autochtones des années 1960-1970 avaient comme objectif de contrer les effets destructeurs des pratiques et politiques coloniales d’extinction et d’assimilation (Bousquet 2016; CEPN 2002). Sur la scène internationale, il a fallu plusieurs décennies de discussions et de représentations pour aboutir au projet de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA). Cette dernière, adoptée par l’ONU en septembre 2007, est un instrument de droit international sur lequel les peuples autochtones de tous les horizons du monde s’appuient pour assurer l’avancement de la reconnaissance de leurs droits. Parmi ceux-ci, l’éducation continue d’être un enjeu phare. En fait, même avant le début des travaux autour de la Déclaration, l’éducation était considérée comme un des principaux piliers des revendications autochtones. On peut, par exemple, souligner l’importance qu’a eu le rapport intitulé « La maîtrise indienne de l’éducation indienne » rédigé par la Fraternité des Indiens du Canada (FIC) et publié en 1972. Ce rapport, prônant une prise en charge et une décolonisation de l’éducation par et pour les membres des communautés autochtones, constitue un document de référence sur lequel s’appuient les revendications autochtones en matière d’éducation (Dufour 2013; Lavoie, Blanchet-Cohen et Bacon 2021). Plus tard, dans la DNUDPA, on reconnait clairement le droit à la souveraineté des Autochtones en matière d’éducation : « Les peuples autochtones ont le droit d’établir et de contrôler leurs propres systèmes et établissements scolaires où l’enseignement est donné dans leur propre langue, d’une manière adaptée à leurs méthodes culturelles d’enseignement et d’apprentissage » (ONU 2007, art. 14.1.).

Ce texte présente une brève réflexion sur quelques contributions potentielles et effectives de la Déclaration dans le domaine de l’éducation autochtone. Le texte traite ainsi des principes d’autodétermination autochtones dans le domaine de l’éducation qui sont énoncés dans la Déclaration et mobilisés par les peuples autochtones eux-mêmes. Le texte présente enfin quelques initiatives institutionnelles éducatives autochtones au Québec qui vont dans le sens de la DNUDPA.

L’apport de la Déclaration à l’éducation autochtone

Des 46 articles contenus dans la DNUDPA (ONU 2007), 9 articles et leurs sous-articles touchent la question des droits à l’éducation et de la transmission des savoirs culturels autochtones (articles 8, 11, 12, 13, 14, 17, 21 et 31).Selon les thématiques organisées par le ministère de la Justice du Canada (2022), les 9 articles qui touchent la sphère éducative touchent aussi les aspects relevant des droits civils et politiques (art.17), des droits économiques et sociaux (art. 21), des droits culturels, religieux et linguistiques (art.8, 11, 12, 13 et 31) et des aspects relevant de l’éducation, de l’information et des médias (art. 14 et 15).

Les processus de consultation menés auprès des peuples autochtones à l’international tout au long de l’élaboration de la Déclaration ont fait ressortir cet enjeu précis et fondamental qu’est l’éducation. Comme le contenu de ces articles le démontre, l’éducation agit sur le plan sociétal à différents niveaux : (1) le maintien et la préservation des cultures autochtones; (2) la transmission intergénérationnelle des savoirs culturels autochtones; (3) l’autonomie et le développement des capacités individuelles et collectives; (4) la préservation et le développement des savoirs culturels et (5) la reconnaissance des droits de propriétés intellectuelles relatifs aux savoirs. À la lumière de ces articles, nous pouvons comprendre que les droits en éducation sont intrinsèques aux processus d'autodétermination des peuples autochtones. Nous constatons également que l’éducation des Autochtones représente plusieurs chantiers qui concernent notamment la prise en charge de l’éducation par et pour les Autochtones, la revitalisation et la protection des langues ancestrales, l’accès au système scolaire et son adaptation à la réalité locale ainsi que la coopération des États pour établir une relation d’égal à égal dans ce vaste projet de société. Autrement dit, ces dispositions appellent à une réforme fondamentale du système éducatif. Dans les prochaines lignes, nous aborderons des initiatives pédagogiques autochtones et allochtones qui illustrent ces droits et qui ont des retombées signifiantes pour les Autochtones eux-mêmes ainsi que pour la collectivité humaine globale qui profite de la richesse des savoirs et de la diversité culturelle.

Des initiatives éducatives par et pour les Premiers peuples

À partir de certains projets éducatifs régionaux et locaux, dont certains remontent à plus de cinq décennies, nous verrons comment se mobilisent les institutions d’enseignement dans une perspective d’autodétermination autochtone par l’éducation. En effet, des organisations en éducation autochtone ainsi que des institutions d’enseignement supérieur se sont démarquées par des innovations éducatives qui répondent déjà, dans la mesure de leurs moyens, aux dispositions de la DNUDPA. Sans être exhaustif, nous soulignons ici quelques exemples au Québec :

  • Depuis son ouverture en 1979, l’Akwesasne Freedom School, située sur la frontière du Québec et de l’État de New-York, se distingue par son approche centrée sur l’identité culturelle des élèves autochtones du primaire. L’enseignement est offert exclusivement en langue Kanienke:ha[1] du préscolaire à la 8e année (AFS, s.d.). Louellyn White (2009 : 68) ajoute qu’il s’agit d’un modèle d’éducation autochtone holistique qui intègre enseignements traditionnels, méthodes fondées sur l’expérience et immersion linguistique et permet l’acquisition de valeurs mohawks. La réappropriation de la langue est donc un refus de la dépossession des modes de connaissances traditionnelles et de leur identité Kanien’keha:ka (McCarty et al. 2018).

  • Créé en 2011 à l’issue de discussions du Conseil en Éducation des Premières Nations (CEPN[2]), du ministère de l’Éducation du Québec et du ministère des Affaires indiennes, l’Institut Kiuna est le seul collège autochtone du Québec offrant des programmes et une approche ancrée dans les cultures, l’histoire et les savoirs autochtones. L’Institut Kiuna, situé à Odanak, en territoire Waban-Aki, offre 3 programmes préuniversitaires en sciences humaines profil Premières Nations, un diplôme en études collégiales (DEC) en arts et un DEC en cinéma en collaboration avec la Wapikoni mobile[3]. De plus, Kiuna offre 5 attestations d’études collégiales (AEC) : coordination d’événements, travail administratif, comptabilité, éducation spécialisée et le programme d'éducation inclusive pour les futurs professionnels qui désirent travailler auprès des jeunes autochtones de 0 à 12 ans ayant des besoins particuliers. Ces programmes sont offerts à tous les membres des Premières Nations du Québec, peu importe leur communauté d’origine. Bien que les programmes d’études offerts à Kiuna soient élaborés par et pour les étudiants autochtones, les programmes sont également ouverts aux étudiants allochtones qui souhaitent en apprendre davantage sur les réalités et les enjeux autochtones. Cette hétérogénéité des groupes favorise enfin le développement de relations interculturelles entre différentes nations.

  • L’Institut Tshakapesh participe de manière importante au rayonnement de la langue innue, l’innu- aimun et de la culture innue, l’innu-aitun. À sa création, en 1978, l’organisme se nommait l’Institut éducatif culturel atikamekw montagnais (IECAM) pour ensuite porter le nom de l’Institut Tshakapesh en 2010 (Tshakapesh, s.d.). Sa mission éducative est d’assurer la préservation et l’enseignement de la langue innue. Tshakapesh offre son soutien à différentes activités éducatives des communautés afin de favoriser la réussite scolaire des jeunes des sept communautés innues membres au sein de la Nation. L’Institut Tshakapesh oeuvre aussi à la valorisation de l’éducation des Autochtones en dehors des institutions scolaires. Par exemple, le projet Petitesplumes, réalisé en partenariat avec la Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador (CSSSPNQL) et le CEPN, offre aux parents des élèves préscolaires un sac de matériel et un livret d’activités éducatives visant à aider la transition des enfants vers l’école primaire de leur communauté. En plus d’encourager le développement de l’enfant, le projet vise le développement du pouvoir d’agir des parents pour la transition petite enfance – préscolaire. Dans le cadre de l’enseignement scolaire, l’Institut encourage les enseignantes et enseignants autochtones à raffiner sur leurs connaissances linguistiques et à transmettre leur langue ancestrale avec le programme de Certificat de perfectionnement en transmission d'une langue autochtone au Centre des Premières Nations Nikanite, à l’Université du Québec à Chicoutimi.

En ce qui concerne les institutions universitaires, il convient de souligner que l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue est une pionnière quant au développement de programmes postsecondaires autochtones au Québec. L’École d’études autochtones, fondée en 2016, abrite le premier et le seul département en études autochtones au Québec. Avant même la création de ce département, l’UQAT avait une longue expérience de collaboration et de développement de programmes autochtones. Depuis maintenant plus de 30 ans, l’Unité de recherche, de formation et de développement en éducation en milieu autochtone (URFDEMA) de l’UQAT joue un rôle de premier plan dans la formation des maîtres autochtones, offrant un cursus qui est culturellement adapté à la réalité de ces derniers. Actuellement, les membres de l’URFDEMA coconstruisent le curriculum en langue inuktitut en partenariat avec les villages inuits d’Ivujivik et de Puvirnituq. Ce projet de coconstruction s’incarne dans une démarche de décolonisation de l’éducation dans la mesure où les fondements même du curriculum sont définis par les Inuit à partir de leurs valeurs, pratiques et principes éducatifs (URFDEMA 2022). La même approche est actuellement développé avec les Anicinapek de la région de l’Abitibi-Témiscamingue.

D’autres universités québécoises emboitent le pas et travaillent à la décolonisation de l’éducation postsecondaire et de son administration. Pour revoir les orientations et structures des programmes académiques, les institutions universitaires québécoises peuvent alors s’inspirer des démarches faites dans les dernières décennies par les organisations autochtones. Ces dernières ont développé des structures et des stratégies favorisant la création de programmes éducatifs et scolaires autochtones.

Conclusion

L’éducation autochtone joue un rôle central dans l’autonomisation individuelle et collective et dans la préservation et la transmission des savoirs et des cultures autochtones. Les articles issus de la DNUDPA qui sont présentés ici soulignent bien la nécessité de mettre en place des programmes, des stratégies et des structures adéquates pour répondre aux aspirations autochtones en matière d’éducation.

Ce texte présente quelques initiatives institutionnelles développées dans les dernières décennies au Québec en matière d’éducation et d’autochtonisation des programmes scolaires. Nous sommes conscients que les initiatives présentées ici se limitent au Québec et qu’elles ne représentent qu’une infime partie des projets éducatifs autochtones. Comme pour bien des projets mis sur pied par des organisations autochtones, les initiatives décrites dans ce texte répondent aux recommandations et aux articles issus de la DNUDPA en matière d’éducation. Elles favorisent notamment la préservation, la transmission des savoirs culturels et linguistiques autochtones et travaillent à l’autodétermination et à la prise en charge locale de l’éducation.

L’adoption de la DNUDPA par les différents gouvernements n’a toutefois pas été automatique. Ainsi, au Canada, l’adoption de la Déclaration et l’application de mesures subséquentes ont été le fruit d’un large travail de sensibilisation et des recommandations faites par différentes commissions publiques, dont la Commission de vérité et réconciliation du Canada en 2015 (appel no 26), de l'Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées en 2019 (appel no 9) et de la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics en 2019 (appel no 11). À la suite de ces commissions publiques, le gouvernement canadien a adopté, le 21 juin 2021, la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Cette loi engage le gouvernement canadien à présenter un plan d’action national de la mise en oeuvre de la DNUDPA pour l'année 2023. Il sera alors intéressant de voir la place que prendra l’éducation autochtone au sein de ce plan d’action qui sera déposé très prochainement. Par exemple, quels efforts seront octroyés à revoir les programmes et cursus scolaires pour inclure davantage les réalités et perspectives autochtones? Quelles ressources seront disponibles pour développer des institutions éducatives par et pour les Autochtones? Quelles ressources et programmes seront offerts aux communautés afin de développer des activités éducatives mettant en valeur les savoirs autochtones, comme les langues et les savoirs territoriaux? Il y a tant d’aspects à améliorer et à valoriser dans le secteur de l’éducation autochtone! En espérant que ce plan d’action qui devra proposer des actions concrètes puisse répondre à quelques-uns des besoins identifiés par les Premières Nations et Inuit en matière d’éducation.