Abstracts
Résumé
Bien que la sélection des étrangers par l’appareil administratif des États joue un rôle crucial pour la structuration des phénomènes migratoires actuels, il existe à ce jour peu d’études qui analysent empiriquement la manière dont de telles procédures fonctionnent et sont vécues lorsqu’elles s’appliquent à des catégories d’étrangers perçus comme « désirables ». La présente recherche tente de répondre à ce manque en proposant une étude de cas ethnographique qui met en lumière l’expérience et l’agentivité des différents acteurs impliqués dans la procédure de sélection des ressortissants non-européens hautement qualifiés cherchant à venir travailler en Suisse. L’analyse montre que l’accès à la mobilité repose sur un ensemble d’interactions complexes qui impliquent non seulement les candidats à l’immigration et les employés d’État, mais également des réseaux d’institutions non-étatiques pour lesquels la mobilité de travailleurs qualifiés représente une source de profit. Ces acteurs facilitent l’accès aux permis de séjour et de travail pour les étrangers dont ils espèrent tirer une plus-value économique. Cependant, ils peuvent également les contraindre à des situations de dépendances et d’immobilité dans la mesure où des systèmes d’admission restrictifs, en Suisse et ailleurs, rendent les étrangers concernés tributaires de leur soutien administratif.
Mots-clés :
- Étrangers hautement qualifiés,
- politiques migratoires,
- admission,
- intermédiaires de la migration,
- industries migratoires,
- agentivité,
- capital de mobilité
Abstract
Although migrant selection by state apparatuses plays a crucial role in structuring current migration processes, to date few studies have empirically analyzed how such procedures function and are experienced when applied to categories of foreigners perceived as “desirable.” The present study attempts to fill this gap by providing an ethnographic study that sheds light on the experience and agency of the different actors involved in the selection process of highly qualified non-European nationals who wish to come and work in Switzerland. The analysis shows that access to mobility is based on a set of complex interactions involving not only prospective immigrants and state employees, but also networks of non-state institutions that see the mobility of skilled workers as a source of profit. These actors facilitate access to residence and work permits for foreigners from whom they hope to derive economic added value. However, they can also force them into situations of dependency and immobility insofar as restrictive admission systems, in Switzerland and elsewhere, make the foreigners concerned dependent on their administrative support.
Keywords:
- highly skilled foreigners,
- migration policies,
- admission,
- migration intermediaries,
- migration industries,
- agency,
- mobility capital
Article body
Introduction
Malgré ce que nombre d’auteurs ont pu laisser entendre durant les années 1990 et 2000, la mondialisation n’a pas créé un monde sans frontières (Yuval-Davis, Wemyss et Cassidy 2018). Plutôt que de disparaître, les frontières sont devenues plus sélectives avec le développement, dans la plupart des États industrialisés, de programmes d’immigration visant à attirer les individus perçus comme « précieux » d’un point de vue économique, tout en empêchant l’entrée des personnes dites « indésirables » (Parsons et al. 2014). La nationalité, les diplômes et les compétences professionnelles sont devenus des critères centraux pour permettre aux États de départager entre les étrangers demandant l’accès à leur territoire et pour définir leurs conditions de résidence (Hercog et Sandoz 2018b). Dans ce contexte, de nouvelles possibilités de voyager et d’être mobile se sont développées pour les citoyens de pays riches, tandis que ces mêmes possibilités ont eu tendance à stagner, voire à diminuer, pour les habitants d’autres régions du monde (Mau et al. 2015).
Bien que la sélection des étrangers par l’appareil administratif des États joue un rôle crucial pour la structuration des phénomènes migratoires actuels, il existe à ce jour peu d’études qui analysent empiriquement la manière dont de telles procédures fonctionnent et sont vécues lorsqu’elles s’appliquent à des catégories d’étrangers perçus comme « désirables ». Il existe également peu d’études qui analysent sérieusement le rôle des individus participant à ces procédures et la façon dont chacun d’eux peut, à sa manière, influencer leur issue.
Cet article tente de répondre à ce manque en proposant une étude de cas concrète qui met en lumière le rôle, l’expérience et l’agentivité de différents acteurs impliqués dans la procédure de sélection des ressortissants non-européens hautement qualifiés cherchant à venir travailler en Suisse. Je commence par présenter mon cadre théorique dans lequel je connecte deux domaines de recherche en étude des migrations – les théories sur les infrastructures migratoires et les théories sur le capital de mobilité – dans le but d’aboutir à une compréhension plus globale des dynamiques qui structurent l’accès à la mobilité. Je présente, ensuite, mon étude ethnographique sur le processus d’admission pour les travailleurs étrangers hautement qualifiés en Suisse. J’adopte une approche multi-acteurs et analyse, en particulier, les perspectives : 1) des employés d’État chargés de la sélection des candidats à l’immigration ; 2) des acteurs du secteur privé pour lesquels attirer des travailleurs hautement qualifiés représente un intérêt économique ; et enfin, 3) des étrangers soumis à cette procédure bureaucratique d’admission. Cette partie rend visible les pratiques et la marge de manoeuvre dont dispose chacune des personnes impliquées pour influencer la procédure de sélection. Je conclus en discutant la manière dont l’analyse contribue à une compréhension plus globale du rôle de ces groupes d’acteurs dans la structuration des processus migratoires.
Cette recherche montre que l’accès à la mobilité repose sur un ensemble d’interactions complexes qui impliquent non seulement les candidats à l’immigration et les employés d’État, mais également des réseaux d’institutions non étatiques pour lesquels la mobilité des travailleurs qualifiés représente une source de profit. Ces acteurs facilitent l’accès aux permis de séjour et de travail pour les étrangers dont ils espèrent tirer une plus-value économique. Cependant, ils peuvent également les contraindre à des situations de dépendance et d’immobilité dans la mesure où des systèmes d’admission restrictifs, en Suisse et ailleurs, rendent les étrangers concernés tributaires de leur soutien administratif.
L’agentivité et le capital de mobilité dans la recherche sur les migrations
La question de l’agentivité (agency, en anglais) dans la recherche sur les pratiques bureaucratiques liées à la migration est généralement traitée du point de vue des agents d’immigration et de la manière dont ils exercent leur pouvoir décisionnel sur la base d’intuitions et d’affects (Affolter, Miaz et Poertner 2018 ; Eule 1972 ; Fuglerud 2004 ; Gilboy 1991 ; Hercog et Sandoz 2018b ; Lavanchy 2014 ; Maskens 2017 ; Spire 2008). Plus rarement, elle est abordée sous l’angle de l’expérience des étrangers et de leur capacité de décision et d’action (Collyer 2007 ; Hondagneu-Soleto 1994 ; Huijsmans 2012 ; Parreñas 2002 ; Sandoz 2020 ; Triandafyllidou 2017). Il existe, cependant, peu d’études sur la manière dont d’autres acteurs du secteur privé utilisent et détournent ces procédures dans le but de tirer profit de la mobilité internationale des personnes (Cranston, Schapendonk et Spaan 2018 ; Groutsis, Van den Broek et Harvey 2015 ; Lindquist, Xiang et Yeoh 2012). L’importance croissante des systèmes d’immigration axés sur la demande (c’est-à-dire parrainés par un employeur) nous encourage, pourtant, à considérer le fait que les travailleurs étrangers dépendent de plus en plus souvent du soutien des acteurs économiques pour accéder à de nouveaux territoires et de nouvelles opportunités d’emploi (Van den Broek, Harvey et Groutsis 2016 ; Sandoz et Santi 2019). Il est donc crucial de comprendre comment leur mobilité est organisée par ces acteurs privés si nous voulons que la recherche anthropologique continue à offrir une perspective complète des phénomènes sociaux à l’oeuvre dans le domaine de la migration (Xiang et Lindquist 2014).
Récemment, plusieurs auteurs (Cranston, Schapendonk et Spaan 2018 ; Groutsis, Van den Broek et Harvey 2015) ont remarqué la multiplication des acteurs impliqués dans les processus migratoires et ils ont concentré leurs recherches sur « the institutions, networks and people that move migrants from one point to another » (Lindquist, Xiang et Yeoh 2012, 9). Ces auteurs ont souligné la tendance des gouvernements à externaliser une partie de leurs tâches de promotion économique et de contrôle migratoire au profit des acteurs non-étatiques (Groutsis, Van den Broek et Harvey 2015 ; Yuval-Davis, Wemyss et Cassidy 2018). Ils ont montré que, bien que ce phénomène ait principalement été étudié sous l’angle des migrations de travail peu qualifié (Cranston, Schapendonk et Spaan 2018 ; Goss et Lindquist 1995 ; Lindquist, Xiang et Yeoh 2012), il concerne également des catégories d’étrangers plus socialement privilégiés (Groutsis, Van den Broek et Harvey 2015 ; Van Riemsdijk 2013). Selon eux, les « infrastructures migratoires » (Xiang et Lindquist 2014) qui en résultent (composées d’agences de recrutement, de promotion économique, de relocalisation, etc.) ne contribuent pas seulement à connecter certains individus avec des lieux et des emplois spécifiques, elles permettent aussi de sélectionner ces individus, les motiver à se déplacer et guider leurs choix avant, pendant et après la migration (Van den Broek, Harvey et Groutsis 2016). L’État est partie prenante de ces processus, mais les pratiques qu’il déploie dans le cas de ces migrations « désirables » ne visent pas tant à contrôler et restreindre l’accès au territoire national, comme c’est le cas pour d’autres catégories d’étrangers, qu’à le faciliter et l’encourager (Sandoz 2019, 2020). Ces auteurs nous invitent donc à reconsidérer la migration comme un phénomène qui implique non seulement des individus mais aussi des infrastructures et des réseaux spécifiques.
Dans leur tentative de comprendre les relations entre les processus de décision individuels et les contextes plus larges dans lesquels ces décisions sont prises, ces auteurs se rapprochent d’un autre domaine d’étude qui considère que les différences dans la capacité à se déplacer – c’est-à-dire, le capital de mobilité des individus ou motility, en anglais – constituent une composante-clé de l’inégalité sociale (Beck 2007 ; Kaufmann, Bergman et Joye 2004 ; Rérat et Lees 2011 ; Weiss 2005). Les recherches sur le capital de mobilité visent à conceptualiser la relation entre structures sociales et mobilité (Kaufmann, Bergman et Joye 2004). Elles considèrent que « those who are able to choose optimal environments for themselves and their resources are in superior position than those who are limited by a nation state frame » (Weiss 2005, 714). En ce sens, les recherches sur le capital de mobilité ne sont pas centrées sur la mobilité en soi, mais plutôt sur le potentiel de mouvement, ainsi que sur la capacité à accéder, à reconnaître et à s’approprier de telles potentialités de mouvement dans un but de création de valeur (symbolique ou économique) et de mobilité sociale (Kaufmann, Bergman et Joye 2004 ; Moret 2018).
Cet article constitue une tentative d’articulation du rôle des infrastructures migratoires avec celui du capital de mobilité. L’étude de cas ethnographique démontre que l’analyse des processus migratoires doit prendre en compte des acteurs qui, bien que non nécessairement mobiles, contribuent à structurer la manière dont d’autres individus peuvent, ou non, se déplacer dans l’espace et traverser des frontières nationales. Il s’agit de mettre en lumière les relations complexes entre acteurs étatiques, acteurs économiques et étrangers, lors des processus bureaucratiques visant à sélectionner les personnes autorisées à accéder au territoire d’un État pour y travailler. En adoptant une perspective originale et peu explorée qui met en relief les interactions entre des acteurs intermédiaires dans les processus migratoires, cet article montre qu’au-delà de l’État, divers professionnels du secteur privé sont engagés dans ces processus et les influencent de manière parfois cruciale, devenant ainsi de véritables entrepreneurs de la migration. Une approche multi-acteurs permet donc d’analyser la manière dont différentes personnes et institutions influencent la mobilité et les possibilités d’action des travailleurs étrangers, tout en prenant également en compte le pouvoir qu’ont ces derniers d’utiliser les structures existantes de manière stratégique et de les transformer.
Méthodes
Cet article analyse les interactions entre les différents professionnels des secteurs public et privé impliqués dans les procédures d’admission de travailleurs étrangers non-européens et hautement qualifiés, en Suisse. À partir d’une recherche ethnographique dans deux cantons suisses (Bâle et Vaud) présentant un fort dynamisme économique et un taux d’immigration élevé, il met en évidence les stratégies développées par ces facilitateurs de l’admission pour contourner les barrières administratives liées à la procédure bureaucratique.
Dans les deux cantons étudiés, les sociétés multinationales jouent un rôle majeur pour l’économie locale. Le canton de Vaud accueille les sièges de grandes entreprises telles que Nestlé, Philip Morris, Medtronic, British American Tobacco, Chiquita et Nissan. Sont également présents dans le canton des établissements d’enseignement supérieur et de recherche renommés, des organisations internationales et des sociétés financières qui attirent, chaque année, un nombre important d’étrangers et génèrent des emplois au niveau local. De même, Bâle est un centre important pour les industries pharmaceutique et chimique. Des sociétés, telles que Novartis et Roche, dont les sièges sociaux sont à Bâle, constituent des sources de richesse convoitées tant par la région que par le pays[1]. L’une des conséquences de ce dynamisme économique est que la proportion d’étrangers, parmi la population résidente dans les deux cantons étudiés, est nettement supérieure à la moyenne suisse, avec 33,6 % d’étrangers dans le canton de Vaud et 35,2 % à Bâle, contre une moyenne nationale de 24,6 % (Office fédéral de la statistique 2016). De plus, un dense réseau d’institutions et de services s’est développé dans les deux régions autour de la mobilité et des besoins des étrangers hautement qualifiés travaillant pour ces entreprises.
La recherche ethnographique s’appuie sur 22 entretiens avec des personnes impliquées dans les procédures d’admission en Suisse, sur des observations lors d’évènements rassemblant ces acteurs et sur l’analyse de documents officiels liés aux procédures d’admission en Suisse (textes de lois, directives administratives, rapports, etc.). Des entretiens semi-structurés d’une à deux heures ont été menés avec : a) deux responsables de services cantonaux chargés de l’octroi de permis de travail ; b) une conseillère juridique spécialisée dans les questions d’admission ; c) trois recruteurs professionnels ; d) deux cadres en ressources humaines travaillant pour des entreprises multinationales ; e) deux responsables d’un service dépendant d’une chambre de commerce qui conseille et soutient les employés d’entreprises multinationales et leurs familles ; f) un cadre travaillant pour une institution privée de promotion économique ; g) la responsable d’un département municipal de marketing urbain ; h) deux entrepreneurs spécialisés dans la relocalisation de travailleurs étrangers (relocation agents) ; et i) huit ressortissantes et ressortissants non-européens (originaires des États-Unis, de Colombie, du Brésil, d’Érythrée et de Russie) hautement qualifiés (formation universitaire) venus travailler en Suisse. J’ai également assisté à deux évènements d’information pour spécialistes en ressources humaines traitant de la mobilité internationale des travailleurs, ainsi qu’à deux évènements visant à accueillir les étrangers nouvellement arrivés dans les cantons de Vaud et de Bâle, durant lesquels j’ai rencontré plusieurs professionnels de la migration.
Comme dans toute enquête, ma position de chercheure et mes différentes relations d’enquête ont contribué à structurer mes données et analyses (Katz 2019). Premièrement, mon rôle de doctorante au sein du Pôle national de recherche « nccr – on the move », un projet financé par le Fonds national suisse de la recherche scientifique sur mandat du gouvernement fédéral, m’a assuré une certaine légitimité pour approcher les cadres des administrations cantonales que j’ai interrogés. Il m’a également permis de collaborer avec une autre chercheure, Dre. Metka Hercog, qui a accepté de partager avec moi trois des entretiens utilisés pour cette analyse. Deuxièmement, j’ai, dès le début de l’enquête, été soutenue par une employée de la Chambre de commerce du canton de Vaud, spécialisée dans le conseil aux entreprises multinationales installées dans la région. Cet appui m’a ouvert la porte à plusieurs évènements et m’a donné accès à certains partenaires d’entretien auprès desquels cette personne m’a recommandée. Finalement, le travail de mon conjoint au sein d’un cabinet de conseil, notamment spécialisé dans les questions de mobilité internationale, m’a permis d’obtenir des informations liées aux pratiques quotidiennes de négociation de la mobilité au sein des entreprises et m’a permis d’accéder à l’un des évènements pour les spécialistes en ressources humaines, mentionné ci-dessus. D’une manière générale, j’ai été surprise de ne pas rencontrer d’avantages d’obstacles lors de mon terrain et d’obtenir, de la part de mes informateurs, des informations qui me semblaient parfois politiquement sensibles. Les différents rôles évoqués ci-dessus, ainsi que ma position de jeune femme académique ont, je pense, contribué à les mettre en confiance.
D’une manière générale, mes entretiens et mes observations révèlent les enjeux à l’oeuvre dans les procédures d’admission de travailleurs hautement qualifiés, en Suisse et aident à comprendre le point de vue des différents acteurs impliqués (institutions étatiques, institutions du secteur privé, étrangers). Ils montrent qu’au-delà des règles d’admission en apparence très stricte, ces différents acteurs ont développé des stratégies pour contourner les obstacles administratifs et remplir leurs objectifs économiques, se transformant ainsi en véritables entrepreneurs de la migration capables d’influencer et de tirer profit des trajectoires de mobilité de certains individus.
Contexte : Le système suisse d’admission pour travailleurs non-européens
La Suisse est un état fédéral composé de 26 cantons qui, tous, disposent d’une certaine marge de manoeuvre pour appliquer les lois définies au niveau fédéral. La gestion de l’immigration obéit à un système dual d’admission qui distingue les ressortissants européens des non-européens. Bien que les citoyens des pays membres de l’Union européenne (UE) et de l’Association européenne de libre-échange (AELE) bénéficient de la libre circulation des personnes, les citoyens du reste du monde ne peuvent être admis en Suisse que pour des raisons exceptionnelles. L’une de ces raisons est le travail. Néanmoins, le système d’admission suisse pour travailleurs non-européens est très restrictif. La loi stipule clairement que leur admission doit servir les intérêts de l’économie dans son ensemble (art. 3 de la Loi suisse sur les étrangers du 16 décembre 2005, LEtr) et que « seuls les cadres, les spécialistes ou autres travailleurs qualifiés peuvent obtenir une autorisation de courte durée ou de séjour. » (art. 23 LEtr)[2]. Outre le principe général selon lequel seuls les étrangers hautement qualifiés correspondant à un intérêt économique peuvent être admis pour venir travailler en Suisse, deux autres mesures limitent l’accès des ressortissants non-européens au territoire suisse. Tout d’abord, comme dans la plupart des pays de l’OCDE (Van den Broek, Harvey et Groutsis 2016), un candidat à l’immigration ne peut être admis que si un employeur soutient sa demande d’admission et si cet employeur peut prouver qu’il n’a trouvé personne d’autre en Suisse ni dans l’UE pour occuper le poste à pourvoir. Ensuite, un système de quotas restreint le nombre total de travailleurs étrangers pouvant être admis chaque année dans le pays[3]. Ce système étant géré au niveau fédéral, chaque demande d’admission doit d’abord être approuvée par un canton puis, confirmée par l’administration fédérale (Sandoz 2016). Toutes ces réglementations compliquent fortement le recrutement de ressortissants non-européens pour les employeurs et rendent les candidats à l’immigration dépendants du soutien d’un sponsor pour obtenir une autorisation légale de séjour et de travail dans le pays (Sandoz et Santi 2019).
Certains cantons sont connus pour être plus restrictifs, d’autres sont moins restrictifs dans leur façon de mettre en oeuvre la loi fédérale. Dans la plupart des cantons suisses, l’autorité chargée de sélectionner les travailleurs non-européens souhaitant venir en Suisse s’occupe de la gestion des questions liées au marché du travail. De plus, elle est rattachée au département de l’économie. Nous allons voir dans la section suivante que, dans les cas que j’ai étudiés, ces autorités cantonales considèrent de leur devoir de faciliter l’accès aux permis de travail pour les entreprises qui contribuent au développement économique de leur région. Elles souhaitent maintenir de bonnes relations avec ces entreprises et les encourager à rester dans le canton. Elles développent donc toutes sortes de stratégies pour faciliter l’accès de certains employeurs aux permis de travail et assouplir de cette manière la loi fédérale restrictive.
Le rôle des autorités cantonales
Le travail de terrain, débuté en 2015, s’est tout d’abord concentré sur les employés d’État au niveau cantonal chargés de sélectionner les étrangers non-européens hautement qualifiés qui déposent une demande d’admission en Suisse, à des fins de travail. Je souhaitais comprendre comment se déroule cette sélection et comment les critères juridiques d’admission sont appliqués en pratique. Cette recherche a montré que les relations entre les employés de l’administration cantonale et les employeurs qui souhaitent engager des étrangers jouent un rôle crucial dans ce processus. Deux extraits d’entretiens avec des personnes chargées de la sélection des travailleurs étrangers, au niveau cantonal, illustrent cette observation :
Premier extrait :
Question : Quelles sont les priorités qui influencent votre travail ?
Réponse : Que les grandes entreprises restent ici et qu’elles puissent délivrer leurs services et aussi qu’elles obtiennent les travailleurs dont elles ont besoin.
Employée cantonale chargée de la gestion des autorisations de travail pour ressortissant étrangers, entretien réalisé par Metka Hercog, à Bâle, le 28 mai 2015
Second extrait :
Ici, c’est le département de l’économie, au service de l’emploi, donc on est là aussi pour soutenir les entreprises vaudoises et leur offrir un service. Donc, si on n’arrive pas à répondre exactement à leurs voeux en termes de permis, on essaie de leur proposer des solutions intermédiaires ou de leur proposer un autre cheminement pour répondre à leurs besoins.
Employé cantonal chargé de la gestion des autorisations de travail pour ressortissant étrangers, entretien réalisé par Laure Sandoz, à Lausanne, le 6 mai 2015
Ces deux extraits d’entrevues montrent que les autorités cantonales en charge de la sélection des travailleurs non-européens ne contrôlent pas seulement les admissions. Une partie de leur travail consiste également à informer les entreprises génératrices d’emploi et à soutenir leurs demandes lorsqu’elles considèrent que ces dernières représentent un intérêt économique majeur pour leur canton. Les cadres des administrations cantonales interrogés ne perçoivent cependant pas les relations privilégiées qu’ils entretiennent avec certains employeurs comme problématiques. Au contraire, ils les estiment nécessaire au développement économique de leur canton et en ce sens, bénéfiques pour l’ensemble de la population (Hercog et Sandoz 2018b).
Dans les deux cantons de Vaud et de Bâle, ces autorités s’efforcent donc de faciliter l’accès aux permis de travail pour les principaux employeurs de la région, encourageant ainsi la mobilité d’une main-d’oeuvre construite comme socialement « désirable » (Yeung 2016) et « précieuse » sur le plan économique (Hercog et Sandoz 2018b). Par exemple, elles informent et conseillent les entreprises afin que leurs demandes d’admission pour travailleurs étrangers répondent aux exigences de l’administration fédérale. Elles négocient également des autorisations supplémentaires auprès de leurs collègues fédéraux lorsque leur quota de permis est épuisé (Sandoz 2016). Lorsqu’elles ne peuvent pas approuver une demande, elles proposent parfois des solutions alternatives, par exemple, des permis de travail à court terme plutôt que des permis à long terme. Enfin, elles collaborent activement avec des institutions de promotion économique afin de faciliter l’établissement de nouvelles entreprises dans leur canton (Sandoz 2019). Les autorités cantonales en charge de la gestion du marché du travail jouent donc un rôle intermédiaire clé entre l’administration fédérale et les employeurs basés dans le canton. Cette fonction a pour but de faciliter la tâche aux principaux acteurs économiques établis dans leur région en les aidant à interpréter les réglementations fédérales complexes et restrictives liées à l’immigration afin de leur permettre de remplir leurs objectifs. L’administration cantonale se pose ainsi en défenseuse d’intérêts privés au nom de l’utilité publique.
Dans certains cas, ce soutien va encore plus loin et la frontière entre les institutions publiques et privées devient floue. Par exemple, le service économique du canton de Vaud a créé et finance une organisation de droit privé, nommée « Développement économique vaudois » (DEV), qui offre des services gratuits aux entreprises internationales cherchant à s’installer dans le canton. L’analyse des profils Linkedin des employés du DEV révèle qu’ils disposent tous à la fois de solides relations au niveau local et de bonnes connaissances du contexte économique international pour avoir étudié et travaillé tant à l’étranger qu’au sein des principaux établissements de la région (école polytechnique, business schools, entreprises multinationales, etc.). Parmi les services proposés, le DEV aide certaines entreprises à effectuer les démarches administratives nécessaires pour engager des travailleurs étrangers. Ce procédé est efficace selon cet employé :
On va les [les entreprises] accompagner dans toutes les démarches afin d’obtenir des permis de travail, c’est aussi chez nous. On a des liens très étroits avec le service de l’emploi ici, qui est dans le département de l’économie, de manière à ce que quand on fait une demande, on soit assuré de l’obtention.
Entretien avec un employé du DEV dans le canton de Vaud, entretien réalisé par Laure Sandoz, à Lausanne, le 27 mai 2015
Suivant la même logique, le canton de Bâle mandate une association issue d’un partenariat public-privé pour favoriser l’implantation de nouvelles entreprises sur son territoire, notamment par le biais de services de conseil gratuits et d’allégements fiscaux. L’organisation sert d’intermédiaire entre différents organes de l’administration cantonale et les entreprises souhaitant s’implanter sur le territoire du canton, facilitant ainsi les procédures bureaucratiques et la négociation d’accords entre les différents acteurs concernés (par exemple, pour les questions fiscales, pour trouver un site d’établissement pour l’entreprise, en cas de besoin important de permis de travail, etc.).
Les autorités en charge du marché du travail et des questions économiques liées à l’immigration dans les deux cantons étudiés s’efforcent donc de maintenir des relations harmonieuses avec les entreprises établies sur leur territoire en les aidant à trouver des compromis satisfaisants entre leurs souhaits en matière d’emploi et les contraintes de la politique nationale d’admission. Plus qu’un rôle de contrôle, elles assument une fonction de médiation entre l’administration fédérale qui édicte des règles d’admission strictes et les employeurs en quête de solutions plus souples basées dans le canton. En conseillant ces entreprises dans leurs démarches, en collaborant avec des structures privées et semi-privées et en faisant remonter certaines demandes jusqu’au niveau fédéral, elles contribuent à tempérer pour certains employeurs le caractère en apparence rigide de la réglementation suisse en matière d’immigration. Elles constituent donc un maillon central au sein d’une infrastructure migratoire qui favorise, en premier lieu, la mobilité de personnes construites comme économiquement et socialement « désirables » du fait de leur importance pour des entreprises dont la contribution, en termes de développement local, est perçue comme précieuse par les autorités cantonales concernées.
Le rôle des acteurs économiques
Outre les préférences des autorités cantonales, le système d’admission repose aussi sur l’inventivité du secteur privé (Groutsis, Van den Broek et Harvey 2015). La loi suisse sur les étrangers est complexe et permet de nombreuses exceptions. Ceux qui savent les exploiter sont donc bien mieux placés pour obtenir des permis de travail par rapport à ceux qui manquent de temps, de ressources et de connaissances pour se lancer dans de telles procédures. Alors que les grandes multinationales disposent de spécialistes internes et de consultants externes pour gérer la mobilité de leurs employés, les petites et moyennes entreprises sont souvent moins bien armées pour s’engager dans une procédure d’admission. Ainsi, les entreprises ayant plus de ressources à investir dans les procédures bureaucratiques et les activités de lobbying sont particulièrement bien placées pour tirer profit de la mobilité des travailleurs non-européens hautement qualifiés (Sandoz 2019).
Des directives de plus de 250 pages, produites par l’administration fédérale, afin de promouvoir l’harmonisation des pratiques cantonales à l’échelle nationale, nous donnent un aperçu de la complexité de la loi sur les étrangers (State Secretariat for Migration 2015). Entre autres exceptions, les étrangers en cours de formation universitaire, les étrangers diplômés d’une haute école suisse, les stagiaires et les personnes faisant l’objet d’une mutation à l’intérieur de leur entreprise peuvent bénéficier d’un traitement spécial. Il existe également des dérogations pour des secteurs d’activités spécifiques tels que la santé, le tourisme, les arts et le sport. Ces exceptions peuvent permettre à un candidat de contourner le système de quotas ou le principe de priorité pour les travailleurs locaux. Comme le montre cet extrait d’entretien mené avec une juriste occupant une fonction de cadre au service de l’emploi du canton de Bâle, la compréhension de ce système nécessite des connaissances poussées :
Le système de quota est un peu une science en soi. Qui est soumis aux contingents [système de quota], qui ne l’est pas ? […] Même moi je ne les connais pas tous, tous ces trucs.
Employée cantonale chargée de la gestion des autorisations de travail pour ressortissant étrangers, entretien réalisé par Metka Hercog, à Bâle, le 28 mai 2015
Les experts qui savent tirer parti des subtilités du système d’admission sont donc particulièrement utiles aux entreprises qui emploient des travailleurs étrangers. Par exemple, les grandes entreprises ont souvent recours aux services de sociétés de conseil externes, spécialisées dans les questions d’immigration. Ces spécialistes maîtrisent les exigences cantonales et fédérales en matière d’admission, ce qui leur permet de préparer des demandes claires, complètes et convaincantes. Au besoin, ils peuvent également négocier avec les autorités cantonales concernées au nom d’un employeur spécifique. Cependant, en raison de leur prix élevé, ces services sont réservés aux entreprises qui ont les moyens de se les offrir[4].
Outre les consultants et les avocats experts des questions de migration, les agences de relocalisation (relocation agencies), spécialisées dans l’organisation de la mobilité des travailleurs étrangers, constituent une autre ressource importante pour les entreprises. Les plus grands employeurs mandatent, en effet, souvent des prestataires de services externes pour organiser la venue de leurs (futurs) employés et favoriser, ainsi, des expériences de mobilité fluides pour les étrangers dont les compétences sont les plus recherchées (Ravasi, Salamin et Davoine 2015). Les paquets de relocalisation financés par les employeurs peuvent couvrir de nombreux aspects de la vie quotidienne et coûter entre quelques milliers et plusieurs dizaines de milliers de francs suisses, en fonction du niveau hiérarchique du travailleur à déplacer et de l’importance de ses compétences pour l’entreprise (Sandoz 2019)[5]. Les permis de séjour et de travail sont généralement compris dans ces forfaits de relocalisation. Dans ce cas, l’agence de relocalisation gère elle-même la demande d’admission ou collabore avec une autre agence, comme le montre cet extrait d’entretien avec une spécialiste de la relocalisation à Bâle, une femme originaire des États-Unis, arrivée en Suisse dans les années 1980, qui a su utiliser le réseau professionnel de son mari et ses propres contacts au sein de la communauté anglophone de Bâle pour créer son entreprise :
Je dis toujours à mes clients, si vous voulez lancer un business, faites-le ici, faites-le à Bâle, parce que c’est beaucoup plus facile que partout ailleurs. […] Ils [l’administration cantonale] ont juste besoin de bonnes raisons pour justifier pourquoi ces personnes ont besoin de venir. Vous devez suivre les règles […] Nous faisons tout ça.
Vous le faites pour l’entreprise ?
Je travaille avec une avocate et on le fait ensemble. […] On collecte toutes les informations et les choses normales et, s’il y a une raison spéciale pour faire quelque-chose différemment, elle [l’avocate] explique pourquoi.
Patronne d’une entreprise de relocalisation, entretien réalisé par Laure Sandoz, à Bâle, le 18 novembre 2015
L’implication d’un vaste réseau de prestataires de services externes montre à quel point les connaissances au sujet des subtilités du système d’admission sont importantes pour les entreprises qui souhaitent engager des travailleurs étrangers. La persévérance et les contacts personnels avec l’administration sont également importants, comme le montre cet extrait d’entretien avec un cadre en ressources humaines d’origine suisse travaillant pour une banque portugaise basée dans le canton de Vaud et offrant des formations en communication et networking dans la région :
La procédure elle est… si tu veux, il n’y a personne qui lead. Il n’y a pas quelqu’un dans la procédure qui vérifie que le dossier circule. Ça fonctionne, mais j’ai dû beaucoup pousser, beaucoup téléphoner. J’avais des copains ici, des copains là : où est-ce que ça en est ? Donne-moi l’information, qu’est-ce qu’on peut faire ? Donc c’est laborieux !
Cadre en ressources humaines dans le secteur bancaire, entretien réalisé par Laure Sandoz, à Morges, le 11 avril 2015
Ces différents éléments soulignent l’importance pour les travailleurs étrangers souhaitant venir en Suisse d’être soutenus par des employeurs ayant la motivation et les ressources nécessaires pour se lancer dans une procédure d’admission. Le développement d’une « industrie de la migration » (Cranston, Schapendonk et Spaan 2018 ; Gammeltoft-Hansen et Nyberg Sørensen 2013) composée d’avocats, de consultants et de spécialistes de la relocalisation montre que les différents acteurs économiques impliqués dans ces procédures ont compris l’importance de l’expertise et du réseau pour obtenir des permis de travail, et ont adaptés leurs pratiques en conséquence. En ce sens, l’analyse suggère que le succès d’une procédure d’admission repose largement sur le pouvoir de négociation de l’employeur vis-à-vis des autorités cantonales, ainsi que sur sa capacité à mobiliser des ressources et des connaissances pour mener cette procédure à bien. Le capital de mobilité de l’étranger se trouve ainsi directement lié à la situation de son employeur.
Ces résultats rappellent les recherches d’Alexis Spire (2012) sur les pratiques des autorités fiscales en France. Spire montre que les contacts personnels, la mobilisation de connaissances légales et le recours à des spécialistes pour traiter avec les autorités permettent aux contribuables les plus riches d’obtenir un meilleur traitement que les contribuables moins fortunés. Néanmoins, mes analyses diffèrent dans la mesure où, contrairement aux contribuables, les candidats à l’admission dépendent de leur employeur pour obtenir une autorisation de séjour. Dans ce cas, ce n’est pas tant la relation de pouvoir entre le travailleur étranger et l’administration qui est importante que la relation de pouvoir entre l’employeur et l’administration. Alors que certains employeurs sont bien équipés pour faire aboutir leurs demandes d’admission, d’autres manquent d’expérience, de ressources ou de motivation pour s’engager dans de telles procédures.
Pour les travailleurs étrangers, cette dépendance vis-à-vis de leur employeur contribue à créer des expériences très différentes d’accès au territoire suisse. Leur capital de mobilité est donc lié à l’infrastructure migratoire dans laquelle ils s’insèrent et aux rapports de pouvoir entre les différents acteurs chargés de soutenir et traiter leur demande d’admission. Si des entreprises, telles que Nestlé et Novartis, habituées à engager de la main-d’oeuvre étrangère et considérées comme des clients importants par les autorités en charge de l’économie dans les cantons étudiés, peuvent offrir des conditions de mobilité fluides à leurs futurs employés, il n’en est pas de même pour d’autres employeurs moins bien informés et positionnés, comme nous allons le voir dans la prochaine section.
Le rôle des candidats à l’admission
Cette section présente deux études de cas qui donnent un aperçu plus précis de la manière dont les procédures d’admission sont vécues par les ressortissants non-européens hautement qualifiés que j’ai interrogés. Je commence par l’histoire de Susana et José[6], un couple colombien qui a bénéficié d’un paquet de relocalisation particulièrement généreux grâce à la situation économique privilégiée du nouvel employeur de Susana. Je poursuis par l’histoire de Luca, un jeune homme d’origine brésilienne qui a tenté de transformer son statut légal d’étudiant en celui de travailleur et a dû faire face à de nombreuses péripéties administratives liées au manque d’expérience de son employeur avec ce type de procédure. Ces deux récits illustrent la manière dont les employeurs contribuent à structurer l’expérience et le capital de mobilité des étrangers soumis au régime migratoire suisse pour les travailleurs non-européens. Ils me permettent également d’analyser plus en détail le rôle de l’agentivité des candidats durant les procédures d’admission.
Premier récit : La relocalisation aisée d’un couple colombien
José et Susana ont grandi en Colombie dans des familles de classe moyenne supérieure. Ils ont tous deux étudié dans des écoles internationales en Colombie, avant de se rencontrer dans une université privée de Bogota où leur relation a commencé. Leur première expérience de vie à l’étranger a eu lieu durant cette période : Susana a étudié à Londres pendant une année, tandis que José a obtenu une bourse gouvernementale pour étudier l’économie aux États-Unis. Il est ensuite retourné en Colombie pour travailler dans une banque locale, tandis que Susana a été engagée par une entreprise multinationale. Le travail de cette dernière impliquait des missions de courte durée hors de Colombie, ce qui lui a permis de développer un réseau international. Elle a ensuite déménagé aux États-Unis pour compléter une Maîtrise en ingénierie, accompagnée de José qui s’est inscrit à un programme de MBA en finance. Une fois leurs diplômes respectifs obtenus, tous deux ont décidé de rester aux États-Unis et ont facilement trouvé un emploi. Cependant, un an après avoir terminé leurs études, l’administration états-unienne a exigé qu’ils obtiennent des autorisations de travail plus stables. Ils ont donc postulé au système de loterie pour visas H1B[7]. Susana a obtenu le sien, mais l’autorisation de José a été refusée et il s’est trouvé incapable de travailler légalement aux États-Unis.
Pour José, il était impensable de rester aux États-Unis dans ces conditions. Le couple a, tout d’abord, pensé retourner en Colombie mais un ancien collègue de Susana l’a informée que la multinationale pour laquelle elle avait déjà travaillé en Colombie mettait un poste au concours en Suisse. Elle a décidé de postuler et a obtenu une offre de travail.
Avant d’accepter le nouveau poste, le couple s’est renseigné sur les possibilités pour José de trouver du travail en Suisse. Ce point était crucial pour eux, car José souhaitait rester économiquement actif. Les informations fournies par le département des ressources humaines du futur employeur de Susana, selon lesquelles José obtiendrait un permis de travail en tant que conjoint accompagnant, les ont convaincus. L’entreprise les a également mis en contact avec une agence de relocalisation et leur a fourni une liste de consultants spécialisés dans la recherche d’emploi auprès desquels José a pu se renseigner sur la situation du marché du travail suisse. Ces échanges l’ont rassuré et l’ont motivé à déménager.
Après avoir signé son contrat de travail, Susana a attendu quelques mois avant de recevoir la confirmation que leurs autorisations de séjour et de travail pour la Suisse avaient été approuvées. Comme son futur employeur avait tout organisé, elle n’a pas eu besoin de s’impliquer dans ce processus administratif. De plus, le futur employeur de Susana a financé l’ensemble du déménagement, a fourni au couple un appartement meublé pour les trois premiers mois en Suisse, a mis à disposition une voiture de location durant un mois et a financé quarante heures de cours de langue. José a également bénéficié d’un forfait spécial destiné aux conjoints accompagnants : il a été invité à participer à des évènements hebdomadaires dans l’entreprise durant lesquels il a pu se créer un réseau et obtenir des informations liées à la recherche d’emploi, au développement personnel et à la vie en Suisse. Il a également reçu plusieurs milliers de francs suisses à utiliser pour des activités susceptibles d’améliorer ses chances de trouver du travail localement. José a décidé d’investir cet argent dans des cours de leadership et un coach personnel en recherche d’emploi. Il a finalement obtenu un poste dans la même entreprise que Susana.
Au moment de l’entretien, Susana et José travaillaient toujours pour la même entreprise et Susana était enceinte. Interrogés sur leurs projets d’avenir, José a déclaré :
La Suisse est un endroit merveilleux. Il n’y a pas de doute. C’est une des raisons pour lesquelles beaucoup de gens viennent s’installer ici. … Nous sommes dans un pays avec des multinationales qui, si vous êtes bon et que vous vous donnez à 100 %, à 110 %, et que vous travaillez dur, que vous étudiez et que vous comprenez les choses, vous pouvez continuer à avancer dans votre carrière.
Spécialiste en finance, entretien réalisé par Laure Sandoz, à Neuchâtel, le 17 avril 2016
Second récit : Les déboires administratifs d’un ingénieur brésilien
Luca est un homme âgé d’une trentaine d’années, originaire du Brésil, qui a grandi dans une famille jouissant d’un mode de vie confortable. Il a quitté l’Amérique du Sud, pour la première fois, durant sa formation universitaire d’ingénieur, grâce à une bourse de son école lui permettant d’étudier un semestre en France. Il a, ensuite, été accepté comme étudiant en Master dans une université suisse. Son statut d’étudiant et le fait que ses parents disposaient de ressources suffisantes pour le soutenir lui ont permis d’obtenir facilement un visa pour la Suisse.
Une fois son diplôme d’ingénieur en poche, Luca s’est rapidement fait offrir un poste de trois mois dans une entreprise suisse. Malheureusement, le responsable des ressources humaines a annulé l’offre lorsqu’il s’est rendu compte que Luca n’avait pas encore de permis de travail. Après cette déception, Luca s’est montré plus prudent dans sa manière de communiquer à propos de son statut légal. Lorsqu’il a été invité pour un entretien d’embauche par une autre entreprise suisse, il a tu le fait qu’il ne possédait pas encore de permis de travail et s’est fait offrir un poste intéressant qu’il a accepté.
Luca a immédiatement contacté le service des ressources humaines de l’entreprise pour résoudre les problèmes administratifs liés à son statut d’étranger. Cependant, il s’est vite rendu compte que les personnes en charge du dossier ne savaient pas comment s’y prendre pour embaucher une personne non-européenne car les premières directives qu’elles lui ont fournies se sont révélées incorrectes et ont entraîné un retard dans la procédure.
De retour au Brésil pour passer Noël avec sa famille, Luca a reçu des nouvelles décevantes. Sa demande de permis de travail avait bien été acceptée, mais l’autorisation qui lui avait été attribuée n’était valable qu’un an[8]. Dans ces circonstances, l’entreprise ne souhaitait plus l’engager car elle avait besoin de quelqu’un pour une période plus longue. Néanmoins, un employé des ressources humaines lui a promis de se renseigner pour savoir si le permis pourrait être renouvelé après son échéance.
À la mi-janvier, Luca n’avait reçu aucune nouvelle, ni de son employeur potentiel, ni du canton. Il a pourtant décidé de retourner en Suisse avec un visa de retour valable 21 jours. Il a séjourné quelques temps chez un ami et a finalement été contraint de quitter le pays lorsque son visa est arrivé à échéance. En transit à Londres, il a appris que l’entreprise avait finalement accepté de l’embaucher car le canton avait confirmé que le renouvellement de son permis après un an ne poserait pas de problème. Luca a donc annulé son vol pour le Brésil et est retourné immédiatement en Suisse.
Son aventure ne s’est pourtant pas terminée là car, une fois la décision prise par le canton, Luca a encore dû obtenir le document physique qui attesterait de son autorisation de séjour auprès de la municipalité. Il a, pour cela, d’abord dû demander un nouveau visa qui ne pouvait, en principe, lui être délivré que dans son pays d’origine. Heureusement, Luca est parvenu à négocier une exception pour aller le retirer à Paris plutôt qu’au Brésil.
Luca a encore découvert qu’il devait rapidement trouver un appartement car les permis de séjour sont délivrés sous condition que le requérant dispose d’un logement salubre dans le canton qui a approuvé la demande d’admission. Il n’avait pas prévu cette nouvelle contrainte mais n’a eu d’autre choix que de s’y conformer. Il s’estime chanceux que cette recherche ne lui ait pris que quelques jours car obtenir un contrat de bail sans permis de séjour n’est pas chose facile en Suisse. Après quatre mois de revers administratifs, il a enfin obtenu son permis de travail et a pu commencer à travailler.
Au cours de l’entretien, Luca m’a dit être satisfait de son travail. Cependant, il se sent encore pris au piège de sa situation juridique. Depuis qu’il a commencé à travailler, il a déjà pu renouveler son permis une fois mais n’a à nouveau obtenu qu’un permis de courte durée limité à une année. Bien qu’il puisse raisonnablement espérer obtenir un permis de longue durée la prochaine fois, le fait que sa situation légale dépende du bon vouloir des autorités cantonales l’inquiète. À cela s’ajoute le fait que la situation économique de son entreprise est précaire et Luca sait que s’il perd son emploi, il perdra également son droit de séjour en Suisse. Pourtant, il souhaite rester en Suisse maintenant qu’il est tombé amoureux d’une personne vivant dans la même ville que lui mais il sait qu’il lui faudra encore attendre plusieurs années avant de pouvoir accéder à un statut de résidence stable. Il me décrit sa situation comme suit :
Parfois, tu deviens plus obéissant. Parfois, tu en viens à être plus d’accord avec les chefs. Ce n’est pas ma personnalité mais parfois, tu le fais parce que tu as peur. Tu fais ce qu’ils veulent, le chef ou l’entreprise, parce que si tu perds ton job, c’est fini. […] C’est très stressant.
Ingénieur en matériaux, entretien réalisé par Laure Sandoz, à Bâle, le 6 octobre 2015
Discussion
Ces deux récits illustrent des expériences très différentes d’immigration en Suisse. Dans le premier cas, l’expérience est vécue comme non problématique et positive du fait d’un soutien important de l’employeur qui a permis de décharger les deux personnes concernées de tout un ensemble de contraintes administratives et courantes, liées à leur installation en Suisse. Dans le second cas, le processus d’admission est vécu comme une expérience beaucoup plus difficile et stressante, bien que la personne concernée ait pu s’appuyer sur diverses ressources, dont les siennes, pour surmonter les obstacles rencontrés.
Le soutien particulièrement important reçu par Susana et José est directement lié au fait que l’employeur est une entreprise multinationale de grande taille (plus de 70 000 employés et plus de 70 milliards de chiffre d’affaire) dont l’activité en Suisse dépend, dans une large mesure, de sa capacité à attirer une main-d’oeuvre étrangère hautement spécialisée. En revanche, l’employeur de Luca est une entreprise de plus petite taille en voie d’internationalisation mais avec peu d’expérience dans le domaine de l’immigration. Le type de ressources que la première entreprise est prête à investir pour faciliter l’admission des étrangers qu’elle souhaite engager est donc totalement disproportionné par rapport à ce dont dispose la seconde entreprise. Ce décalage se répercute sur l’expérience des personnes concernées. Le fait que l’ensemble du processus de mobilité soit pris en charge par l’employeur, dans le cas de Susana et José, crée une impression de facilité et de fluidité qui permet au couple de passer au-travers de la procédure suisse d’admission, sans même prendre conscience de sa nature restrictive. Des services, tels que la mise à disposition d’un appartement dès leur arrivée, contribuent à lever les obstacles bureaucratiques qui, pour d’autres étrangers, peuvent devenir un motif de refus. Luca, en revanche, doit davantage compter sur ses propres ressources pour convaincre son employeur d’aller jusqu’au bout du processus et s’adapter aux exigences de l’administration. Différentes formes de capitaux social, culturel et économique accumulés durant son parcours de vie lui sont donc nécessaires pour obtenir le droit de rester en Suisse.
Dans les deux récits présentés, les candidats à l’admission doivent passer par un double processus de sélection pour obtenir leurs permis de résidence et de travail : d’abord, par l’employeur ; puis, par l’État. De plus, leur droit de séjour reste lié à leur employeur, même une fois la procédure d’entrée dans ce régime migratoire achevée. Ce dernier point est particulièrement visible dans le récit de Luca qui dit se sentir piégé par l’infrastructure administrative dont il est devenu dépendant, ce qui influence son comportement au travail en le rendant « plus obéissant ». José et Susana, bien que moins soucieux de cette situation, sont soumis aux mêmes contraintes puisque leur titre de séjour est également lié à leur travail, ce qui limite leur capacité à changer d’emploi ou à déménager dans un autre canton. L’employeur est donc une figure centrale à qui l’État délègue une part de ses tâches de contrôle migratoire en lui permettant de structurer le potentiel de mobilité des personnes qui dépendent de lui au sein du régime restrictif pour travailleurs non-européens. Plus que des intermédiaires, les entreprises dont l’apport économique est valorisé par les acteurs étatiques deviennent ainsi des entrepreneurs de la migration qui capitalisent sur leur capacité à attirer et exploiter les compétences dont elles ont besoin.
En ce sens, les récits de Susana, José et Luca sont emblématiques de la façon dont la migration est structurée et contrainte par différents acteurs aux intérêts parfois opposés. Bien plus qu’un choix individuel, il s’agit d’un marché dans lequel certains candidats doivent se vendre et prouver leur valeur afin d’obtenir le soutien des acteurs institutionnels capables de leur ouvrir la porte des territoires auxquels ils souhaitent accéder. Certains individus partent sur de meilleures bases que d’autres pour négocier ces accès : leur nationalité, leur niveau de formation, leur expérience migratoire, leurs origines sociales, leurs compétences linguistiques et relationnelles sont autant de ressources qu’ils peuvent mobiliser afin de renforcer leur capital de mobilité (Martiniello et Rea 2011 ; Moret 2018). Néanmoins, quelles que soient leurs caractéristiques et leurs compétences, leur statut d’étranger au sein d’un système d’immigration restrictif les place dans une situation de dépendance vis-à-vis de décisions prises par d’autres acteurs qui peuvent, dans certains cas, avoir des conséquences marquantes sur leur vie.
Conclusion
La recherche sur la migration a démontré le pouvoir des États à créer des catégories, définir des frontières et attribuer des droits spécifiques à différents groupes d’individus (Kalman 2018). Néanmoins, peu d’auteurs ont cherché à analyser en détail la manière dont les processus concrets de sélection des étrangers perçus comme « désirables » par l’appareil bureaucratique des États se déroulent. De plus, le rôle des acteurs non-étatiques dans le déroulement de ces procédures a largement été oublié.
Cet article a pourtant montré qu’au-delà des administrations publiques, un vaste réseau d’acteurs existe pour qui, la mobilité de certains travailleurs qualifiés représente une ressource importante. Ces intermédiaires collaborent avec des institutions dépendant de l’État, parfois même sur mandat de ces dernières, et développent des stratégies pour garantir l’accès des travailleurs qu’ils considèrent comme particulièrement précieux à des territoires et des marchés spécifiques. Comme d’autres auteurs l’ont montré, le développement de ces « industries de la migration » n’est pas un phénomène limité à la Suisse mais gagne en importance dans tous les pays pour lesquels la sélection des étrangers sur la base de critères économiques est devenu un enjeu majeur de la politique migratoire (Cranston, Schapendonk et Spaan 2018 ; Gammeltoft-Hansen et Nyberg Sørensen 2013 ; Hercog et Sandoz 2018a).
Il est donc important que les auteurs qui s’intéressent à la manière dont l’accès à la mobilité est structuré prennent en compte ce phénomène. Dans cet article, j’ai montré que l’admission des travailleurs non-européens souhaitant venir en Suisse repose en grande partie sur le soutien d’un employeur désireux et capable de mobiliser les ressources nécessaires pour faire aboutir la procédure de sélection. Ainsi, l’expérience de la migration peut largement varier en fonction du type de soutien fourni par l’employeur ou par les intermédiaires qu’il mandate. Alors que certains étrangers n’ont pas à se soucier de la procédure bureaucratique et bénéficient de toute l’aide nécessaire dès leur arrivée en Suisse (Sandoz et Santi 2019), d’autres doivent se montrer beaucoup plus actifs afin de convaincre un employeur de leur rentabilité économique et compenser son manque d’expérience, de ressources ou de volonté. De plus, si les entreprises peuvent permettre à certains étrangers d’obtenir un accès privilégié au territoire et au marché du travail d’un État, n’oublions pas que leur pouvoir entraîne l’établissement d’une relation de dépendance dans laquelle l’étranger a besoin de conserver les faveurs de son employeur afin de maintenir ses privilèges (c’est-à-dire son droit de séjour, son permis de travail, éventuellement l’accès à d’autres avantages tels qu’un appartement subventionné, la prise en charge des frais d’écolage en école privée pour les enfants, etc.).
La relation entre un système restrictif d’immigration et la volonté de différents acteurs, tant étatiques que privés, à le contourner crée donc une dynamique ambiguë entre mobilité et immobilité. Elle rend les candidats à l’admission dépendants de la valeur économique que ces différents entrepreneurs de la migration leurs attribuent et structure leurs conditions de séjour sur des territoires spécifiques. Une première phase de mobilité désirée, obtenue grâce au soutien d’un employeur, peut ainsi être suivie d’une phase d’immobilité non désirée lorsque l’étranger réalise que son droit de séjour est lié à son employeur et au canton qui l’a admis. Cette dynamique concerne même des travailleurs très qualifiés, que la littérature scientifique présente souvent comme plus libres et au contrôle de leur mobilité, en comparaison d’autres étrangers moins bien dotés en termes de capitaux économique et culturel (Favell, Feldblum et Smith 2006 ; Weiss 2005). Néanmoins, les individus concernés ne sont pas uniquement victimes de ce système. Leurs ressources personnelles forment également un capital qu’ils peuvent mobiliser afin de devenir, eux aussi, entrepreneurs de leur propre migration.
Je conclus cet article en encourageant d’avantage d’auteurs à prendre au sérieux la marge de manoeuvre dont disposent différentes catégories d’acteurs pour influencer les processus migratoires. Je suis convaincue que l’étude des relations entre mobilité et inégalité sociale ne peut pas se contenter de spéculations théoriques mais doit également analyser de manière concrète et ethnographique toutes ces interactions, parfois anodines, qui peuvent pourtant profondément transformer la vie d’un individu. Une compréhension holistique de l’agentivité des personnes migrantes doit donc prendre en compte la manière dont leur capacité d’action et de mouvement est restreinte ou autorisée par les choix d’autres acteurs, eux aussi soumis à des contraintes spécifiques.
Appendices
Remerciements
Cette recherche a été soutenue par le Pôle national de recherche sur la migration et la mobilité nccr-on the move, financé par le Fonds national suisse pour la recherche scientifique. J’aimerais remercier en particulier les professeurs Walter Leimgruber et Anne-Catherine Wagner, ainsi que ma collègue Dre. Metka Hercog pour leurs contributions à cet article.
Notes
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[1]
Novartis et Roche affichent chacun un chiffre d’affaire annuel d’environ 50 milliards de dollars (données de 2016) et emploient environ 100 000 personnes dans le monde (Fortune 2016).
-
[2]
LEtr fait référence à la Loi fédérale sur les étrangers du 16 décembre 2005 qui règle l’admission et le séjour des ressortissants non-européens sur le territoire suisse. Pour plus d’information, voir : https://www.admin.ch/opc/fr/classified-compilation/20020232/index.html.
-
[3]
En 2017, le nombre maximum d’autorisations pouvant être délivrées à des ressortissants non-européens qualifiés pour motif de travail était de 7500. Pour plus d’information, se référer à l’Ordonnance relative à l’admission, au séjour et à l’exercice d’une activité lucrative, OASA : https://www.admin.ch/opc/fr/classified-compilation/ 20070993/index.html.
-
[4]
Le tarif journalier pour ce type de consultant se situe autour des 2000 à 4000 francs suisses (soit 2700 à 5400 CAD).
-
[5]
1000 francs suisses valent environ 1356 dollars canadiens (février 2020).
-
[6]
Tous les prénoms des partenaires de recherche utilisés dans cette section sont des prénoms d’emprunt.
-
[7]
Les visas H1B sont des autorisations pour les travailleurs étrangers hautement qualifiés souhaitant travailler aux États-Unis. Le système de loterie consiste en un processus de sélection aléatoire au-travers duquel une partie de ces autorisations est attribuée.
-
[8]
Les permis de séjour les plus courants pour travailleurs étrangers non-européens en Suisse sont les permis L pour séjours de courte durée (un an renouvelable) et les permis B pour séjours de longue durée (cinq ans renouvelables). Néanmoins, en raison du système de quota évoqué plus haut, les cantons disposent d’un nombre limité de permis B et L. Il arrive donc souvent qu’ils décident d’attribuer un permis L à un travailleur engagé à durée indéterminée, soit parce que leur quota de permis B est épuisé, soit parce qu’ils souhaitent garder des permis B en réserve pour d’autres entreprises ou d’autres secteurs d’activité.
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