Article body

La transformation du rapport au religieux qui a découlé des nombreuses transformations sociologiques qu’a connues le Québec depuis la Deuxième Guerre mondiale a particulièrement marqué la génération des baby-boomers. Pour tenter d’y voir plus clair et documenter l’évolution du rapport à la religion de cette génération, bien souvent caractérisée par une certaine ambivalence, Géraldine Mossière a réuni des chercheurs de divers champs disciplinaires. Sociologues, anthropologues et spécialistes des sciences des religions se sont unis pour réaliser ce livre, mais surtout, proposer une péricope de ce phénomène de transformation du rapport au religieux, dichotomisé entre sa visibilité et son invisibilité, à partir de leur champ d’expertise. L’objectif général des contributions est de cerner le religieux, tel qu’il s’exprime dans la vie des enfants du baby-boom québécois pendant la période s’échelonnant de 1943 à 1965.

L’inspiration de départ de cet ouvrage est d’apporter un éclairage s’inscrivant dans la continuité des travaux de Raymond Lemieux, Martin Meunier et Jacques Grand’Maison, trois piliers de la sociologie des religions au Québec. La question de départ qui traverse cet ouvrage est de savoir « Comment la religion catholique se positionne-t-elle dans la vie des individus faisant partie de la génération des baby-boomers » ! Au fil des contributions, les thèmes abordés par les auteurs se centrent notamment autour de l’héritage de la religion catholique, les trajectoires religieuses des Québécois nés après les changements de la Révolution tranquille, les transformations de la culture québécoise et d’une nouvelle diversité religieuse avec l’arrivée de nouvelles vagues d’immigrants à partir des années 1970 - en provenance principalement d’Asie, d’Amérique latine et d’Afrique du Nord - et la question des accommodements raisonnables[1].

L’introduction, rédigée par Géraldine Mossière, fait un survol pour permettre au lecteur de bien saisir l’état de la recherche autour de l’identification religieuse des personnes appartenant à la génération des baby-boomers. L’introduction ne néglige aucun des aspects importants pour permettre au lectorat de saisir la complexité de la Révolution tranquille, mais aussi de cette relation entre l’Église et l’État : le rôle palliatif à l’État que l’Église avait joué depuis la conquête britannique, les relations entre le politique et la religion, l’arrivée au pouvoir du parti libéral de Jean Lesage, les transformations sociologiques, la prise de conscience des nombreux abus commis par des membres du clergé. Mossière souligne l’existence de nombreuses recherches réalisées aux États-Unis démontrant qu’en vieillissant ou lorsqu’ils sont confrontés à des épreuves ébranlant leur identité, les gens effectueraient un retour à la religion de leur enfance. Les références bibliographiques sur lesquelles appuyer ces recherches sont malheureusement absentes. Il aurait été pertinent d’appuyer le propos par la mention de quelques travaux qui se sont avérés importants sur la question, afin de permettre à la lectrice ou au lecteur intéressé(e) de pouvoir approfondir ses lectures.

Les chapitres rédigés par Ignace Olazabal, Guillaume Boucher, Isabelle Kostecki, Julia Itel présentent chacun un volet de la recherche dirigée par Mossière. Ignace Olazabal expose les profils démographique et socioculturel de cette génération de personnes, nées entre 1943 et 1965. Guillaume Boucher aborde la question de la reconstruction du religieux qui a suivi la Révolution tranquille. Isabelle Kostecki se penche sur « les rites intimes de la vie spirituelle d’un sous-groupe des baby-boomers québécois », c’est-à-dire des Québécois nés entre 1945 et 1957, à partir d’un corpus de données recueillies dans le cadre d’entrevues qualitatives réalisées en 2019. Un des constats auquel Kostecki arrive est que le parcours religieux est parfois un « bricolage religieux ». Ainsi, lorsqu’on s’attarde au vécu religieux, on y découvre une variété de positionnements dans le rapport au religieux (pratiquants, pratiquants non-croyants), mais aussi un éventail de pratiques. Par exemple, certaines personnes s’identifient moins à l’institution religieuse, mais trouvent parfois un réconfort dans les lieux de culte et la prière. À partir des propos des participants, Kostecki dégage également le caractère thérapeutique dont la religion peut être porteuse dans des moments de crises au cours de la vie. Ce même élément est repris dans le chapitre rédigé par Pierre-Alexandre Richard, « Des baby-boomers en attente d’une chirurgie cardiaque : Réflexion d’un intervenant en soins spirituels ». En s’appuyant sur son expérience d’intervenant en soins spirituels, Richard a pu situer cette relation à la religion dans le quotidien des soins, ce qui permet d’offrir un éclairage autre, ancré dans le vécu et l’urgence de la vie ressentie quelques minutes avant le départ pour une chirurgie cardiaque. Julia Itel quant à elle, dans son texte qu’on retrouve au chapitre huit intitulé « La génération d’après-guerre et l’émergence d’une conscience écosophique », y décrit le développement d’une conscience à la croisée de l’écologie, du féminisme, moteur du renouvellement de l’engagement social, qui va aussi servir de base au développement d’un nouveau rapport, mais aussi à une nouvelle compréhension de la spiritualité, de plus en plus affranchie de la religion catholique.

Les chapitres rédigés par Burchards, Meintel, Meunier, Perreault et Wilkins-Laflamme mettent de l’avant les résultats de leurs propres travaux de recherches. Marian Burchards tente une explication sur les raisons pour lesquelles certains baby-boomers appuient la laïcité, à partir de données d’entrevues qu’elle a recueillies auprès d’un groupe activiste séculier, l’Association humaniste du Québec. Les longueurs des citations auraient pu être réduites afin de maintenir l’intérêt, mais aussi la fluidité du texte. Deirdre Meintel s’intéresse à la visibilité et à l’invisibilité du religieux au Québec, et aux enjeux que cela représente dans un Québec où les relations avec la religion ont parfois été tumultueuses. La contribution de Meintel est un des points forts de cet ouvrage. Ce chapitre situe avec beaucoup de précision les enjeux religieux du Québec actuel, mais aussi la façon dont peut s’exprimer la diversité religieuse et spirituelle. Le chapitre de Sarah Wilkins-Laflamme, « Le phénomène générationnel des sans-religion au Québec », brosse un portrait statistique de l’importance des croyances, ainsi que des pratiques religieuses, et dresse un portrait sommaire des pratiques religieuses chez les gens de cette période d’âge. Dans le sixième chapitre du livre, Meunier, Perreault et Wilkins-Laflamme présentent un survol de leur recherche qui s’intéresse au nouveau rapport à la religion, entreprise il y a déjà plusieurs années, qui complète les travaux de Mossière. Dans la première phase (2008-2011), l’équipe a utilisé les données statistiques pour dresser un portrait des pratiques religieuses au Canada. Lors de la deuxième phase (2011-2015), les chercheurs ont voulu comprendre ce que signifie l’appartenance catholique pour les Québécois et les raisons justifiant le choix de faire baptiser son enfant. Cette recherche longitudinale, toujours en cours, menée par cette équipe de recherche est très prometteuse pour cartographier l’évolution de ce nouveau rapport à la religion.

Dans cette recherche que Mossière nous présente dans son ouvrage, elle a privilégié la perspective de la religion vécue. Cette approche de la religion vécue met en relief l’expérience des individus. De plus, dans plusieurs des contributions de cet ouvrage, une place importante est accordée aux récits de vie des individus autour de leur vision et de leur vécu de la religion catholique. La méthode des récits de vie s’inscrit dans une approche qualitative qui, bien souvent, vise à comprendre un sujet déterminé à partir de l’expérience des personnes interrogées. C’est sans aucun doute un des apports importants de l’ouvrage de Mossière que d’avoir appliqué cette méthode à la sociologie des religions. L’utilisation du récit permet aux personnes de développer une compréhension d’elles-mêmes et des autres, et ainsi de construire leur identité, mais de voir aussi comment tout cela a évolué, car on peut se le dire, le Québec a vécu une crise identitaire religieuse. Le grand mérite de cet ouvrage est de mettre de l’avant l’importance des travaux et de la recherche non seulement sur la mémoire religieuse et l’évolution des pratiques religieuses au Québec, mais surtout, de donner une vitrine aux travaux de recherches réalisés au Québec en sociologie des religions.