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« L’homme de tous les combats » (Étienne, 2024 : quatrième de couverture) « n’a pas dit son dernier mot » (Myles, 2009), confirme Natania Étienne, veuve de l’écrivain. Elle est enseignante dans une école publique à Moncton où Gérard Étienne enseigne le journalisme à l’université, après des études de lettres à l’Université de Montréal et un doctorat en linguistique à l’Université de Strasbourg, avec mention très honorable. Fondatrice et directrice des Éditions du Marais, elle y publie le livre posthume Le Bacoulou 2 (2018). Elle prépare la publication posthume de La guerrière de Saint-Domingue, Défilée la folle.
En travaillant sur le dossier « L’écriture combattante de Gérard Étienne » de la revue @nalyses (vol. 18, no 1, 2024), je me suis tournée vers Natania Étienne afin d’éclaircir certains points concernant l’oeuvre de l’écrivain. C’est à cette occasion que j’ai compris la nécessité d’un entretien plus approfondi avec celle qui fut sa compagne de tous les instants pendant quarante et un ans. Elle fut sa plus proche collaboratrice et sa confidente, le soutenant physiquement et moralement lors de ses multiples interventions chirurgicales, le suivant partout, en Haïti, et dans les congrès internationaux. Je les ai rencontrés pour la première fois au Congrès mondial du Conseil international d’études francophones (CIÉF). Exceptionnelle source d’informations, Natania garde encore aujourd’hui les noms, les titres, les fonctions qui constituent la petite histoire de tous ceux et celles ayant côtoyé l’écrivain.
Gérard Étienne, cet intellectuel venu chercher refuge au Québec, après avoir fui le régime Duvalier sous lequel il avait été emprisonné et torturé, n’a jamais cessé d’être profondément concerné par ce qui se passait dans son pays d’origine, Haïti, et de dénoncer les injustices et la corruption. C’est à l’Université de Montréal, section lettres, qu’il rencontre Natania Feuerwerker, fille de deux résistants français, qui ont milité dans le groupe Combat. Ses parents sont le rabbin[1] David Feuerwerker et Antoinette Feuerwerker, née Gluck[2], dont la famille déportée de Drancy a été assassinée à Auschwitz, à Kausnas Revel[3] et en Pologne. Située au 14, place des Vosges à Paris, leur maison reste ouverte à tous en permanence. Titulaire d’une licence en littérature et d’un doctorat en histoire de la Sorbonne, David Feuerwerker introduit l’hébreu au baccalauréat français. Il enseigne à la Sorbonne, 6e section, École Pratique des Hautes Études de 1962 à 1965. Il crée la chaire d’études juives. En 1966, il émigre au Canada après avoir accepté un poste de professeur de sociologie à l’Université de Montréal. Il occupe la fonction de juge à la cour rabbinique de la ville et est membre du conseil de la communauté juive de Montréal (« David Feuerwerker », 2024). L’état d’âme dans lequel se trouve Natania quand elle doit choisir entre ses parents et Gérard Étienne se comprend : « Je suis prise dans un étau, d’un côté, je suis la fille du rabbin, d’un autre, j’aime de toute mon âme un être que les filles de mon âge n’oseraient pas présenter à leurs parents. » (Extrait, « Étoile du nord »[4]) Cependant, dans le livre que Natania Étienne vient de publier aux Éditions du Marais, Kaddish pour un Haïtien (2024), qui rend compte des derniers jours de Gérard Étienne et l’immense douleur de sa famille, nous voyons qu’« après bien des péripéties, ils réussissent envers et contre tous, parfois au détour du chemin aussi à rencontrer des êtres exceptionnels capables de dépasser les préjugés de notre époque[5] ».
L’entretien avec Natania Étienne comporte des éléments inédits de la petite enfance de l’auteur, de sa famille biologique saccagée et de sa famille adoptive aimante. Il nous donne aussi un aperçu des personnes qui lui ont ouvert la voie de l’immigration au Québec et qui l’ont aidé dans son parcours. Natania nous révèle la façon dont ses romans prenaient forme à partir de quelques notes sur un petit bout de papier ou sur un paquet de cigarettes pour devenir un livre de 250 pages. Elle souligne l’assiduité et la rigueur de l’écrivain et nous renseigne sur la façon dont le roman La pacotille a été écrit pour combattre l’amnésie de l’auteur après ses deux opérations au cerveau à Moncton pour une hémorragie sous-durale. Elle nous parle de son livre phare, Le Nègre crucifié, édité à cinq reprises, et aujourd’hui enseigné dans plusieurs universités. Elle nous raconte comment Étienne a créé le département de journalisme et communication à l’Université de Moncton, afin de former des journalistes, et mentionne les personnes qui l’ont aidé et qui ont contribué au financement de ce département. Elle déplore le manque de reconnaissance de cette institution à son égard, pas même une plaque en son nom mentionnant qu’il en était le fondateur. En revanche, elle exprime sa reconnaissance à tous ceux qui ont soutenu l’auteur dans son combat contre l’injustice qu’il a subie à la suite d’une émission à Radio-Canada avec Denise Bombardier en 1993, après avoir été agressé par des partisans d’Aristide[6]. À la suite de cette agression, les partisans d’Aristide ont prétendu que les taches de sang qui souillaient sa chemise étaient du jus de tomates et de fraises. Il a été accusé de mentir et son nom a été traîné dans la boue. L’Université de Moncton lui a alors retiré des cours, une information dont Natania peut témoigner. Meurtri au plus profond de son âme, il rend compte des faits et du procès inéquitable qui lui a été fait dans le livre L’injustice! : désinformation et mépris de la loi (1998b). Viendront ensuite, beaucoup plus tard, les excuses officielles de Radio-Canada reconnaissant qu’il s’agissait bien de sang et non de jus de tomates et de fraises. Natania nous parle également de la judaïté d’Étienne et de son intérêt pour la Shoah ainsi que du rôle joué par Haïti pour sauver des Juifs et plus tard, pour apporter son soutien et son vote en faveur de la création de l’État d’Israël le 27 novembre 1947. Elle évoque enfin la retraite bénéfique et leur installation à Côte Saint-Luc ainsi que la productivité littéraire de Gérard Étienne jusqu’à son dernier jour. Après sa disparition, Natania nous confie sa peine devant la défection du milieu haïtien à son égard, y compris les insultes s’affichant sur Internet. Elle garde également le souvenir douloureux d’avoir été accusée d’appropriation culturelle par des étudiants américains après avoir été stigmatisée en tant que white privilege[7]. Ses souvenirs, aux côtés de Gérard Étienne à qui elle vouait un amour total, nous permettent de mieux apprécier l’homme derrière l’écrivain. Elle a connu avec lui une vie intellectuellement riche et foisonnante et nous donne un éclairage unique sur la part d’ombre que l’oeuvre de l’écrivain ne nous livre pas.
Enfance et parcours mal connus de Gérard Étienne
Maya Hauptman : Gérard Étienne a eu une enfance difficile : « J’ai été fouetté plusieurs fois dans ma vie » (2008b : 97), témoigne-t-il. Comment expliquez-vous qu’une enfance difficile ne l’ait pas amené à mal tourner?
Natania Étienne : Le Cap-Haïtien où Gérard Étienne est né et a grandi était selon lui un endroit très particulier où le racisme et le mépris des classes sociales vis-à-vis du peuple n’existaient pas. À la suite de son arrestation sous le président Magloire, il a été abandonné en prison par ses deux aînés, Windsor K. Laferrière et Luc B. Innocent, qui l’avaient convaincu de distribuer des tracts contre le gouvernement. Les deux compères venaient de milieux aisés et leurs familles leur apportaient des vivres et de l’argent qui leur permettaient de manger à leur faim et de soudoyer les gardiens pour avoir plus de confort. Abandonné à lui-même, Gérard Étienne a été aidé par un prisonnier métis plus âgé qui le protégeait des pédophiles en se couchant la nuit de travers près de lui. Étienne était quelqu’un qui avait une reconnaissance éternelle pour tous ceux qui lui tendaient la main. Quand il est sorti de prison, une vraie loque en haillons, il a croisé Raymond Magloire, un parent du président, comme lui, originaire du Cap. Celui-ci lui a donné de l’argent pour prendre le bus pour le Cap. Là, il a été accueilli par un couple métis chez qui il a habité pendant deux ans, Edner Sterlin (papa Nénère) et Germaine Sterlin (Man Nénère). Ils l’ont traité comme leurs six autres enfants, sa contribution étant de taper à la machine, manuelle dans ce temps-là, des documents légaux pour Edner Sterlin qui était officier d’état civil. Ainsi, à 16 ans, il apprend à taper sur un instrument qui deviendra l’outil indispensable de son écriture. Man Nénère, en exil à New York des années après, m’a montré le journal Haïti-Observateur qu’elle lisait religieusement toutes les semaines pour la chronique de Gérard Étienne. Elle m’a dit : « J’ai porté six enfants, mais c’est celui-ci dont je suis le plus fière ».
Quand l’époque de l’engagement politique est arrivée, Gérard Étienne s’est inscrit au Parti d’entente populaire (PEP) de Jacques Stephen Alexis, qui l’a présenté à Louis Déjoie, un Métis qui dirigeait le Parti agricole et industriel national (PAIN). Quoique de gauche, Jacques Stephen Alexis avait convaincu ses jeunes partisans que Déjoie, contrairement à Duvalier, représentait l’avenir du pays, puisqu’en industrialisant le pays, il allait créer une classe moyenne qui amènerait la prospérité. Déjoie a perdu, n’ayant pas eu le soutien de l’armée, et s’est exilé. Étienne est devenu un opposant farouche à François Duvalier, et dans son oeuvre, on voit qu’il n’a pas de parti pris de couleur.
Gérard Étienne et le judaïsme
Maya Hauptman : Dans son entretien avec la fondatrice et la rédactrice en chef de Tribune juive, Ghila Sroka, Gérard Étienne répond à des questions sur sa conversion et confesse : « Je suis justement en train de rédiger un livre sur la conversion au judaïsme […] pour décrire une révélation découlant de mon fond de religiosité. Je questionne beaucoup la conversion au judaïsme. » Ce livre a-t-il vu le jour?
Natania Étienne : Non, la grande faucheuse est venue trop tôt empêcher Gérard Étienne d’écrire ce livre et plusieurs autres auxquels il pensait. Ayant vécu en exil pendant de nombreuses années dans une communauté où il a observé quantité de conversions superficielles qui ont eu des conséquences désastreuses, il faisait la différence entre une démarche motivée par un besoin de transcendance et celles qui consistaient à se procurer une promotion sociale.
Maya Hauptman : Le poète nous dit comment la religion juive l’émeut profondément à travers ses chants et sa spiritualité : « Et voici la religion que j’attendais / [...] / J’ai pleuré hier soir à chaudes larmes / En écoutant le Kol Nidré » (2008b : 103). Ailleurs, Gérard évoque « une révélation découlant de (s)on fond de religiosité », en parlant du judaïsme. Ce fond de religiosité vient-il de l’influence de sa mère, adventiste du septième jour, qui arrêtait tout travail du vendredi soir au samedi soir, comme dans le judaïsme, et qui lui faisait réciter les psaumes auxquels il aura recours plus tard comme tuteurs de résilience pour résister à la torture?
Natania Étienne : Gérard Étienne était reconnaissant envers sa mère qui l’avait élevé jusqu’à l’âge de sept ans avant de le laisser (comme il disait). Il n’utilisait pas le mot « abandonner », même s’il était profondément blessé par ce départ définitif qui a été suivi de souffrances morales et physiques. Il l’aimait au point de l’absoudre et de vouloir comprendre les circonstances de ce terrible abandon. Gérard Étienne faisait bien la différence entre la religion adventiste du septième jour et le judaïsme. Il a trouvé dans sa vie religieuse un équilibre. Membre de la communauté religieuse juive orthodoxe, il s’est fait des amitiés lors des rencontres régulières du shabbat. L’équilibre familial était un modèle pour ses deux enfants, Joël et Michaëla, qui lui ont rendu l’affection dont il avait besoin. Il est certain qu’il a eu très jeune à subir les conséquences de son appartenance à une communauté minoritaire, bien visible puisque les adventistes ne participaient ni aux cérémonies vaudous ni aux célébrations et aux messes catholiques et s’endimanchaient les samedis. Ils étaient pointés du doigt, et cela provoquait de violentes disputes entre la mère et le père, fervent vaudouisant. Quand, plus tard, sa mère a été rejetée de la communauté adventiste et qu’elle a fait baptiser sa petite soeur à l’église catholique, son père leur a coupé les vivres, et Gérard a connu la faim après le départ de sa mère. Il a rejeté les trois religions.
Profondément croyant, il n’accusait pas Dieu de ses souffrances, mais les humains sans humanité. Il est certain qu’ayant connu le shabbat et la nourriture de sa jeunesse, puisque les adventistes suivaient les règles de la nourriture commandée dans la Torah, il n’a pas ressenti de contraintes quand il a choisi de devenir Juif pratiquant.
Maya Hauptman : L’intérêt porté par Gérard Étienne au génocide des Juifs a-t-il été amplifié par le fait qu’il vous a épousée, vous, Juive descendante de rescapés de la Shoah?
Natania Étienne : Évidemment, la Shoah est tellement mal connue. Ne se fait-on pas souvent reprocher de refuser d’oublier le génocide? Quoiqu’il ne faille pas oublier que le gouvernement d’Haïti avait donné l’ordre à ses diplomates d’octroyer des passeports haïtiens aux Juifs qui en faisaient la demande. Lorsque nous allions à Montréal, Georges Rigaud nous prêtait gentiment son petit appartement sur la rue Van Horne. C’est ainsi que nous avons eu l’honneur de rencontrer sa femme, Ghislaine Rigaud-Élie, qui, alors qu’elle était jeune fille, avait aidé son père, l’ambassadeur Élie à Bruxelles, à remplir les passeports de sa belle écriture. Ils ont travaillé jour et nuit pour accomplir leur mission et n’ont pu trouver d’autres moyens de fuir que de rouler jusqu’en Espagne et de là, de prendre un bateau pour l’Amérique. Elle se souvenait de leur angoisse, de leur émotion et de leur soulagement en arrivant à New York, de l’accueil chaleureux et inoubliable de femmes bénévoles de la communauté juive qui, à quai, les avaient reçus avec des boissons chaudes et des gâteaux. Un ami, Frantz Voltaire, m’a raconté qu’alors qu’il vivait au Chili, un dimanche où il avait besoin d’argent et que les banques étaient fermées, un de ses amis lui avait dit d’aller dans un petit magasin. Arrivé là, un peu anxieux, il dit à la dame qu’il avait besoin de toucher un chèque que sa tante lui avait envoyé d’Haïti. Pour la rassurer, il avait ajouté que le chèque était solvable. Elle lui a répondu tout émue : « Bien sûr que j’accepte votre chèque, attendez une minute. » Elle est allée à l’arrière de la boutique chercher un passeport haïtien et lui a dit : « C’est grâce à ce passeport que j’ai été sauvée. Je dois ma vie à Haïti. » De son côté, Gérard racontait que le président Élie Lescot aurait écrit à Hitler une lettre pour réclamer des Juifs porteurs de passeports haïtiens, qui auraient été malgré tout déportés. Il aurait menacé d’attaquer l’Allemagne avec ses avions prêts à sillonner le ciel de Berlin. Toujours selon Gérard Étienne, alors qu’Haïti ne possédait que quelques petits avions, Hitler aurait cherché l’endroit où se trouvait Haïti sur la carte du monde et aurait dit que quand il dominerait le monde, il ferait d’Haïti son écurie… Lors des célébrations du jour de l’Holocauste, Gérard Étienne participait aux moments émouvants des prières pour les Juifs massacrés pendant la Shoah. En plus d’avoir lu quantité de livres sur la Shoah et d’avoir questionné maints survivants (Gérard Étienne cherchait à apprendre par lui-même…), il partageait avec intelligence et humanité toutes les émotions et les questionnements autour de ce sujet avec moi.
Maya Hauptman : Des membres de votre famille ont été déportés. L’une de vos tantes est revenue des camps et a conversé avec Gérard, n’est-ce pas?
Natania Étienne : Oui, ma tante Rose Gluck-Warfman, survivante d’Auschwitz, que Gérard a rencontrée à Paris. Ils ont partagé de longues heures de dialogue. Gérard comprenait très bien les défis que j’allais rencontrer en l’épousant, moi, fille de rabbin, Juive pratiquante. Il a beaucoup dialogué avec ma mère pour qui il avait un respect infini. Ces discussions ont eu une influence sur notre vie. Quand, à Moncton, j’ai eu des problèmes avec l’enseignement de la catéchèse dans les écoles publiques, à la différence des membres de la communauté trop apeurés pour oser demander que leurs enfants suivent des cours de morale (les vieilles peurs anciennes), il m’a soutenue dans la bataille qui a suivi. Quand je suis retournée à Moncton pour assister à une conférence sur Gérard Étienne en 2013 au cours de laquelle Denise Bombardier était venue défendre sa mémoire, j’ai eu les larmes aux yeux lorsque en sortant, Annette Arsenault, une ancienne enseignante de l’école Saint-Henri, est venue m’embrasser et me demander pardon pour les souffrances qui nous ont été infligées durant le débat sur la catéchèse et l’enseignement de la morale. Je ne voulais pas la suppression des cours de religion catholique, mais le choix pour les enfants qui avaient une autre foi. Elle était une fervente catholique et s’était engagée pour le maintien des cours de catéchèse obligatoires. Mais, m’a-t-elle dit, quand elle a vu comment se comportaient ses coreligionnaires vis-à-vis de nous, elle a choisi de faire son enseignement à l’église en disant : « Qui m’aime me suive… ». Rares ont été ceux qui ont été capables de demander pardon. De même, quand j’ai eu à confronter un collègue négationniste et raciste, Malcom Ross, qui a fini par être condamné par la justice et à qui on a interdit d’enseigner, Gérard a été à mes côtés sans jamais critiquer mes positions, qui nous ont affectés à la fois dans nos rapports avec la communauté juive et professionnellement. Il s’est montré d’un courage exceptionnel.
L’exil au Québec : ceux qui l’ont aidé à s’installer
Maya Hauptman : Pourquoi Gérard Étienne a-t-il choisi de s’exiler au Québec?
Natania Étienne : Gérard Étienne fuyait la dictature de François Duvalier, surnommé « Papa Doc » en Haïti, despote auquel il s’était opposé dans ses écrits. Déjà emprisonné et torturé sous ce régime, une autre arrestation lui aurait sûrement coûté la vie. La première étape de son périple a été Port-au-Prince, en direction de Porto Rico. Assis sur un banc à l’aéroport, il se demandait où aller. Normalement, les intellectuels haïtiens exilés, à toutes les époques, allaient chercher soutien et reconnaissance à Paris. À l’Institut français à Port-au-Prince, il avait rencontré un journaliste de la presse québécoise qui lui avait parlé avec enthousiasme du Québec. Gérard Étienne lui avait remis un recueil de poésie. Le journaliste, Fernand Beauregard, a remis le livre à Olivier Marchand. Ce dernier a écrit un article critique chaleureux dans le journal québécois, La Presse. Gérard Étienne a décidé d’appeler à frais virés au journal et a demandé à parler à Marchand qui, présent, a accepté l’appel. Quand Gérard Étienne lui a exposé son dilemme, sans hésiter, Marchand lui a répondu : « Viens au Québec ». Il l’a attendu à l’aéroport de Montréal, s’est porté garant et l’a invité à venir chez lui. Dans ce petit appartement où le journaliste habite avec sa femme et son bébé, il est accueilli durant quinze jours. Cet accueil généreux aura une influence non seulement sur la survie de Gérard Étienne, mais aussi sur son amour pour le Québec.
Maya Hauptman : Exilé politique, Gérard Étienne s’est-il bien adapté à son pays d’accueil?
Natania Étienne : Oui, en tant qu’exilé politique, il s’est bien adapté à son pays d’accueil, malgré toutes les difficultés rencontrées par les exilés politiques, longtemps sans papiers. Il a fait tous les efforts possibles pour s’adapter. Il s’est inscrit à l’Université de Montréal en licence spécialisée en lettres, y a suivi des cours sur l’histoire du Québec avec un professeur nationaliste et s’est intéressé à la culture et aux luttes des Québécois auxquels il s’identifiait. Exprimant un peu trop ses idées, il n’a pas obtenu la résidence canadienne à la fin de ses études, mais plutôt un ordre de déportation. Il a été le seul Haïtien intellectuel à vivre dans l’angoisse constante au Québec et au Nouveau-Brunswick pendant qu’il faisait appel de cette décision. Il a enseigné trente ans à l’Université de Moncton, tout en travaillant pour des journaux et à la radio. C’est lui qui m’a fait connaître l’histoire et la culture québécoises. Il était très engagé dans le développement culturel. Il encourageait de jeunes étudiants à publier, et c’est lui qui a créé le théâtre de Matane. Il a mis en scène Les justes de Camus en juin 1967 à l’Université de Montréal alors qu’il était étudiant. C’était un membre actif de l’Union des écrivains québécois.
Maya Hauptman : Gérard a-t-il reçu de l’aide des deux centres communautaires, le Bureau de la communauté haïtienne de Montréal (BCHM) et la Maison d’Haïti?
Natania Étienne : Non, cela n’existait pas. Il faisait partie des tout premiers Haïtiens qui étaient venus chercher refuge au Québec. Gérard a ouvert la voie à d’autres Haïtiens. Les intellectuels québécois étaient des sympathisants des Haïtiens et de leurs problèmes. Il a reçu une bourse de la Société Saint-Jean-Baptiste, arrivée tard, à la fin de ses études; sa santé s’était déjà détériorée. Mais il en a été heureux, il y a vu un symbole d’acceptation.
Maya Hauptman : Y a-t-il une organisation haïtienne qui l’a aidé à régulariser sa situation?
Natania Étienne : Non, ce sont des Québécois qui l’ont soutenu.
Maya Hauptman : En exil au Canada, combien de temps est-il resté sans papiers?
Natania Étienne : De 1964 à 1972. Il avait reçu une lettre de déportation, mais il a pris un avocat et a fait appel. Le juge lui a octroyé la résidence au Canada. Entre-temps, après 25 ans, il a retrouvé sa mère, mais il ne pouvait pas quitter le pays au risque de ne pouvoir y retourner, puisqu’il était un sans-papiers. Il ne pouvait donc pas partir en République dominicaine voir sa mère. Il a cependant été recommandé au ministre Gérard Pelletier par Jean Marchand et a obtenu un permis spécial du ministre pour quitter le Canada quelques jours et y revenir.
La réception des livres de Gérard Étienne
Maya Hauptman : Directrice des Éditions du Marais, vous recevez des commandes de livres de Gérard Étienne, qui sont enseignés dans des universités. De quels livres s’agit-il et dans quelles universités ses livres sont-ils enseignés?
Natania Étienne : Le Nègre crucifié a été enseigné dans plusieurs universités, dont l’Université York à Toronto. Il a été traduit en anglais sous le titre Crucified in Haiti et a été enseigné aux États-Unis, en Californie, à New York ainsi qu’au Canada. Le roman Une femme muette a été traduit en portugais et enseigné au Brésil. Le récit La Reine Soleil levée a été traduit en allemand et enseigné à l’Université d’Heidelberg. En Italie aussi, après sa traduction en italien. Le long poème de cent pages, Natania, a été traduit en espagnol et enseigné en Espagne.
Maya Hauptman : Quel a été le destin de son livre phare, Le Nègre crucifié?
Natania Étienne : Le Nègre crucifié est un de ses livres majeurs. Toute une polémique s’est développée autour du mot « Nègre ». Le Nouveau Monde cherche à aseptiser la langue au nom d’un idéal d’amour universel qui tombe malheureusement dans une nouvelle sorte de violence. La chasse aux sorcières prend un masque qui consiste à accuser la langue de préjugés. La liste est longue de mots devenus tabous ou qui sont récupérés, ayant perdu leur sens ancien pour convenir aux nouvelles idéologies à la mode. D’un côté, chez Gérard Étienne, il y a une volonté d’affirmation identitaire et un besoin de vérité. Je me suis fait menacer sur Facebook pour avoir cité Le Nègre crucifié. Or il a sciemment cherché dans son oeuvre à utiliser un vocabulaire particulier à son île.
Le mot « Nègre » est plus qu’un vocable sous sa plume, c’est un concept qui appartient à sa culture. S’arroger le droit de l’interdire est aussi grave que de détruire des statues de Bouddha (le Bouddha souterrain n’est pas destructible). Du point de vue de l’histoire littéraire et de l’histoire de l’arrivée des Haïtiens au Québec, il faut rappeler que ces derniers avaient l’habitude de faire des lectures publiques de leur poésie en Haïti. À Montréal, Carlo Juste a ouvert le Perchoir d’Haïti, un club où les Haïtiens en exil se rencontraient, qui est vite devenu le lieu où la poésie se disait. Les jeunes intellectuels québécois, jusque-là timides, venaient les rencontrer. C’est de là que sont nées les soirées de poésie au Québec et en Acadie. Entre la danse et la poésie s’est dessiné ce dont Gérard Étienne rêvait : l’interculturalisme, l’échange culturel qui a transformé le Québec. C’est là qu’est née l’inspiration qui fera écrire à Pierre Vallières Nègres blancs d’Amérique. Impossible de nier cette fraternité, et peut-on envisager que la littérature meure faute de la lire dans son contexte?
Maya Hauptman : Justement à ce propos, le mot « Nègre » dérange certains, alors qu’il est revendiqué par l’auteur. Cependant, lorsqu’Étienne écrit Au coeur de l’anorexie (2003), il tient compte de la condamnation de ce terme dont le sens est devenu péjoratif et au lieu du mot « Nègre », il utilise le terme « Afro-Américain ». C’est ainsi que nous trouvons : « J’envoie un salut spécial au juge Guy dont le garçon, d’après la directrice de mon école, était l’étudiant favori d’un professeur Afro-Américain. » (p. 94)
Natania Étienne : Étienne s’explique à ce sujet dans son entretien avec la journaliste Ghila Sroka :
Je vais dans le sens des fondateurs de la négritude : Roumain, Césaire, Senghor. Ils avaient raison de donner au mot « Nègre » une connotation superlative, puisqu’il était utilisé pour nous diminuer en nous comparant au singe. […] actuellement, nous assistons en effet à une remise en question du mot, devant la ségrégation aux États-Unis. Et comme les peuples choisissent des mots ou des notions qui conviennent à leurs préoccupations psychologiques, le choix des Noirs américains me paraît justifié. Même moi j’ai dû m’ajuster. Dans mon dernier roman, on trouvera le terme « Afro-Américain » en lieu et place du mot « Nègre ».
Mais cette évolution ne remet pas en question les textes précédents qu’il n’a jamais reniés.
Maya Hauptman : Pouvez-vous nous dire comment le roman Une femme muette a été accueilli?
Natania Étienne : Durant la période de féminisme radical, beaucoup de gens ne lui pardonnaient pas d’avoir écrit Une femme muette. Il était tabou pour un homme de dénoncer l’abus fait aux femmes. J’avais une chronique de livres à Radio-Canada. J’ai refusé de parler du sien par souci d’impartialité. Je l’ai amèrement regretté. Il a été incendié brutalement. Notre fils Joël à peine âgé de dix ans a fait la réflexion suivante : « Mais elles n’ont pas compris. C’est pourtant évident en lisant la dédicace à sa mère et aux femmes qui l’ont entourées » :
À ma femme NATANIA
À la mémoire de ma mère
À toutes celles qui m’ont fait découvrir nos faiblesses,
Nos impuissances et notre lâcheté.
Moncton, 1983.
Il a fallu l’enthousiasme de Ginette Adamson, qui a retrouvé des femmes qu’elle a reconnues dans ce livre, pour que La femme muette soit réédité avec une préface de cette dernière avec, de façon très symbolique, la peinture de Michaëla Étienne sur la couverture de la deuxième édition. La femme muette est universelle et beaucoup de femmes qui ont lu le livre s’y sont retrouvées. Je me disais que tant que les hommes n’auraient pas compris et que les femmes ne se seraient pas solidarisées, le monde ne pourrait pas changer. Il a fallu le mouvement #MeToo pour qu’une nouvelle lecture donne vie à ce livre, devenu indispensable selon des lectrices de la nouvelle génération. D’une générosité sans bornes, il appliquait les idées qu’il défendait. Peut-on s’étonner que les mouvements féministes aient été récupérés aujourd’hui…?
Maya Hauptman : En effet, dans sa pièce de théâtre et dans ses romans, les femmes jouent un rôle social important. Dans la première, ce sont les révolutionnaires Germaine et Lucienne qui aident à dévoiler les crimes du président et qui l’amènent à sa chute. Et c’est Mimi, la femme du président, qui, dans un plaidoyer farouche, redonne à la femme noire de la valeur, reconnaissant sa beauté et son intelligence bien supérieures à celles du président et des « gros messieurs » nantis. Dans le roman La Romance en do mineur de Maître Clo, Adrienne, ouvrière d’usine fiable, responsable et compétente, arrive grâce à ses qualités à se hisser au rang de bourgeoise en répondant à l’intérêt de l’ingénieur de l’usine de textile, Claude D’Allaire. De même, le roman Une femme muette se termine sur une note d’espoir pour Anna qui, après la mort par étouffement de son mari dans le restaurant où ils dînent, retrouve sa voix usurpée par ce dernier, ingrat et arriviste. Enfin libérée (Toyo, 2010), elle fredonne sur le perron de son pavillon une chanson en créole.
Maya Hauptman : Après avoir écrit un petit livre, Le Bacoulou, Étienne en écrit un autre, plus épais, qu’il n’a pas le temps de publier et que vous publiez à titre posthume sous le titre de Le Bacoulou 2. Pourquoi a-t-il écrit un deuxième Bacoulou?
Natania Étienne : Une employée de la poste, à Côte Saint-Luc, d’origine haïtienne, lui a dit qu’elle avait beaucoup aimé le livre, mais qu’il était trop court. Elle voulait qu’il écrive un livre qui soit plus complet! Il l’a fait.
Maya Hauptman : Y a-t-il un autre livre que vous comptez publier à titre posthume?
Natania Étienne : Oui, je compte bientôt publier un gros livre de fiction à caractère historique, La guerrière de Saint-Domingue, Défilée la folle.
Maya Hauptman : Pouvez-vous nous parler de ce livre que vous comptez bientôt publier?
Natania Étienne : La guerrière de Saint-Domingue, Défilée la folle est un immense manuscrit que Gérard Étienne a écrit avec passion. C’est un roman posthume dont la version originale est de 2000 pages. Il a aussi écrit une version de taille réduite de 600 pages. Il s’agit d’un roman historique. Histoire? Roman? Fiction ou pas? Haïti, les jours précédant 1804, voit se jouer un conflit de civilisations entre le monde ancien et le nouveau. Première défaite de Napoléon. Les femmes et les peuples alliés dans la guerre d’indépendance pourraient, en suivant le parcours de la guerrière de Saint-Domingue, faire de 1804 non pas la fin de l’aliénation impossible à défaire, mais un avenir où tout sera possible sous la plume quasiment prophétique de Gérard Étienne. Amour, guerre, défi, traîtrise. Les alliances qui se dessinaient pourraient se réaligner.
Roman historique? Fiction? Oui, mais aussi la relecture des événements précédant 1804 et la guerre d’indépendance. Étienne appelait regarder dans le rétroviseur le fait d’être obnubilé par les événements du passé, sans les voir comme des outils de développement et de modernisation. Il donne vie aux femmes qui ont participé à part entière à la guerre d’indépendance et à tous les éléments de la société qui ont rendu la victoire possible. Il montre comment la plaie des préjugés et des ambitions est responsable du destin du pays d’Haïti. Oui, à lire comme un roman, mais aussi comme la vraie source de fierté des Haïtiens, qui peuvent contribuer à écrire la page suivante.
L’injustice
Maya Hauptman : Dans quelles circonstances Gérard Étienne a-t-il écrit le livre L’injustice! : désinformation et mépris de la loi, qui expose ce qui lui est arrivé à Radio-Canada, à Montréal, en janvier 1993?
Natania Étienne : Une agression a eu lieu contre Gérard Étienne sur le terrain de Radio-Canada à Montréal en janvier 1993, alors qu’il allait être interviewé par Denise Bombardier à l’émission Raison passion, une animatrice très connue pour son courage et les invités qu’elle recevait à son émission. (Rappelons son intervention célèbre à l’émission Apostrophes de Bernard Pivot, où seule contre tous elle a dénoncé la pédophilie). Ce soir-là, il a été blessé au visage et à la tête par une bande aux motivations politiques claires, alors qu’il avait été opéré au cerveau à deux reprises en 1990. Malgré sa fragilité (peu apparente), il refuse de se faire hospitaliser et présent à l’émission, il dénonce la violence de l’enfant chéri des médias, Jean-Bertrand Aristide. Il n’imaginait pas le pouvoir qu’il affrontait ni la persécution qui allait suivre. Alors que Denise Bombardier a eu à essuyer agressions médiatiques et verbales et moqueries, elle a eu le courage inouï de défendre son invité. Cet événement a eu des conséquences dans la vie d’Étienne, qui a dû faire face à des humiliations, à des agressions verbales et à un boycottage intellectuel agressif de tous ceux qui soudain voulaient participer à le museler. Il n’imaginait pas que la liberté d’expression se réduisait comme une peau de chagrin quand on ne récitait pas la doxa. Il s’est fait offrir une belle retraite. Il y a même eu des pressions sur moi pour que je le pousse à la prendre. J’ai répondu : « Pas question », il avait le droit de travailler jusqu’à soixante-cinq ans, il lui restait cinq ans. Voilà vingt-cinq ans que j’aurais voulu partir… J’étais jour après jour restée pour lui. Aucun argent au monde n’allait m’acheter. Son honneur valait plus que ma vie. Le boycottage a été atroce, il s’est fait retirer les cours qu’il avait créés, et on l’a envoyé enseigner le français à des étudiants de sciences de première année. Quel battant! Il est entré en classe et a déclaré aux étudiants qu’en tant que professeur de journalisme et de communication, il allait leur enseigner le cours en leur donnant des armes pour rédiger des rapports et des communiqués de presse scientifiques. Les étudiants ont adoré ce cours. Quand, cinq ans plus tard, il a pris sa retraite, la vague de mensonges sur Aristide était passée. Le seul qui avait refusé de se plier, qui avait dénoncé les meurtres dans les rues de Port-au-Prince par le supplice du collier sous le régime sanguinaire d’Aristide, avait eu raison. Malheureusement, tous ceux qui avaient collaboré avec le régime ont prétendu qu’ils ne savaient pas et se sont gardés de s’excuser. Le discours d’adieu, lors de la réception donnée pour son départ à la retraite, a été plein de témoignages d’admiration. J’étais amère, il était plus généreux que moi. Enfin, la grande aventure a commencé : partir, partir… Sans se retourner. Montréal! Radio Shalom, Haïti-Observateur, la pièce de théâtre Monsieur le Président, jouée par la compagnie Racine avec beaucoup de succès. Philippe Régnoux, directeur de la troupe de théâtre Racine a joué dans la pièce le premier rôle et a organisé un événement pour collecter de l’argent pour les décors. Écrire et encore écrire, sans harassement, une période d’écriture plus douce. La bataille était gagnée. Il y a eu l’UNEQ (l’Union des écrivains québécois) avec du travail sur les thèmes littérature et indépendance, des rencontres passionnantes. Le lundi 17 août 2009, Radio-Canada reconnaît l’erreur commise dans son téléjournal, concernant l’agression de Gérard Étienne, et déclare qu’il s’agissait bien de taches de sang, contrairement à ce qu’on avait laissé entendre au téléjournal du 15 décembre 2008[8] :
Au téléjournal du 15 décembre 2008, nous avons rappelé une entrevue qu’il avait donnée à la télévision de Radio-Canada en 1993. Notre relation des faits comportait une erreur d’importance.
M. Étienne avait été pris à partie par d’anciens compatriotes sur le parvis de Radio-Canada, avant de se présenter en studio avec des taches de sang sur la chemise. Certains ont alors cru qu’il s’agissait d’une mise en scène et de jus de fraises, plutôt que de taches de sang. Nous reconnaissons qu’il s’agissait bien de taches de sang, contrairement à ce qu’a laissé entendre le téléjournal du 15 décembre.
Cela est arrivé à la suite de ma plainte à l’ombudsman (protecteur du citoyen) de Radio-Canada, Julie Miville-Deschênes, aujourd’hui sénatrice, qui, à mon grand soulagement, a su s’élever au-dessus de la mêlée et a pris la peine de faire la recherche nécessaire pour, avec objectivité, rendre à Gérard Étienne son honneur et sa dignité. De victime d’une agression, la propagande a voulu le tourner en ridicule. Elle a présenté les excuses de Radio-Canada pour l’erreur d’importance commise dans son téléjournal.
Maya Hauptman : Dans une publication sur Facebook du 14 décembre 2022 en commémoration du quatorzième anniversaire de la mort de Gérard, vous remerciez un journaliste et des hommes de lettres qui vous ont soutenus lors d’une véritable cabale contre Gérard, dont Marie-Claire Blais, Bruno Roy, Jocelyne Delage, Denise Bombardier, Claude Le Bouthillier, Raymond Joseph, François Latour, Frantz Voltaire, Benoît Duguay, Gilbert Finn, Alain Picard, le journaliste honnête qui a sauvé l’honneur de Gérard en démontrant, preuves en main, que Gérard avait vraiment été battu, malgré les médisances de ceux qui soutenaient Aristide, la TBDJ, Tifereth Beth David Jerusalem, le CIÉF et l’UNEQ, l’Union des écrivains québécois. Pouvez-vous expliquer ce qu’est le supplice du collier?
Natania Étienne : Une opposante d’Aristide, Marie Claude, est venue nous voir, Gérard Étienne et moi, pour nous raconter la terreur quand elle a été menacée du supplice du collier. Un grand partisan d’Aristide qui s’opposera plus tard à lui, un journaliste, dirigeait une foule armée de machettes et de bâtons ainsi que de pneus et de gazoline. Le supplice consiste à passer des pneus sur les personnes désignées comme celles à abattre et ensuite, à verser de la gazoline sur la personne, puis à y mettre le feu. La personne immolée ne peut s’échapper, d’une part parce qu’elle est encerclée par la foule et d’autre part parce qu’elle est immobilisée par les pneus. Cette personne avait un père très engagé en politique qui a été assassiné et qui était proche du peuple, un homme dans la foule l’a reconnue et s’est opposé à ce qu’elle soit immolée, il lui a sauvé la vie. Antonin Dumas Pierre, un ami haïtien très proche, qui avait l’habitude de partager avec moi ses angoisses, m’a raconté qu’il était passé en voiture près d’un événement pareil, qu’il a accéléré, s’est enfui et a vomi plus loin. Aristide, dans un de ses discours, a déclaré qu’il aimait cette odeur. Le supplice du collier était pratiqué en Afrique du Sud et avait été importé en Haïti par les partisans d’Aristide. Gérard Étienne a écrit des articles dans Haïti-Observateur contre ce phénomène appelé par les partisans d’Aristide, « la justice de la rue ».
L’écriture de Gérard Étienne
Maya Hauptman : Comment Gérard Étienne écrivait-il?
Natania Étienne : À cause de son enfance martyre, puis de ses emprisonnements politiques, il avait l’habitude de ne disposer que de très peu de papier. Il a remédié à ce problème de façon étonnante, alors que le moindre bout de papier servait à noter à tout moment les idées qui surgissaient et qu’il ne voulait pas perdre. Il écrivait six jours par semaine à partir du moment où il a choisi de trouver dans le judaïsme une ancre de survie. Jusqu’à huit heures par jour, parfois sur des cartons de cigarettes, partout sur les coins de table d’une écriture illisible. Il a gardé en effet l’habitude d’écrire tous les mots collés les uns aux autres sans espace (il avait conscience de vivre sur du temps emprunté), le premier jet était sur des blocs de papier ligné où il écrivait sans marge, sans espace, entre les lignes, en partant du coin gauche. La page terminée, illisible pour le commun des mortels, ressemblait à un tableau avec des vagues. Parfois, une ligne traversait la page pour compléter des idées, comme une cicatrice. Quinze pages devenaient, une fois recopiées d’abord à la main, puis tapées avec l’index droit à la machine à écrire manuelle et ensuite imprimées, un livre de deux cents cinquante pages. Il pouvait ainsi rester des jours entiers à écrire. Étrange thérapie d’un être blessé, souffrant de post-traumatisme et habité par l’angoisse et le besoin de témoigner, de dire le mal qui rongeait son corps, qui jamais ne se remit des coups et des blessures.
Journalisme et communication à l’Université de Moncton
Maya Hauptman : Comment est né le département de journalisme et communication créé par le professeur Gérard Étienne à l’Université de Moncton?
Natania Étienne : La crise provoquée par la fermeture du journal L’Évangéline a fait comprendre à Gérard Étienne la nécessité de former des journalistes et des communicateurs. Quand il a proposé la création du programme, il a rencontré de l’opposition, mais il a aussi reçu l’appui de Gilbert Finn, qui a donné une généreuse contribution pour soutenir le projet. Info-com est né. Le 14 décembre 2008, Gérard Étienne, visionnaire et précurseur, a laissé un travail qui n’a pas pris de rides. À l’Université de Moncton, passionné de toutes les formes d’écriture, de la poésie au roman, à l’essai, il voulait des débouchés pour ses étudiants. Homme du tiers monde, il se sentait responsable d’eux et voulait qu’ils puissent s’épanouir dans un travail au service de la communauté acadienne et par lequel ils participeraient à la marche vers la modernité.
Soutenu par celui qui deviendra gouverneur général du Nouveau-Brunswick, l’honorable Gilbert Finn a veillé à la survie du programme information-communication (nom qu’Étienne lui a donné) en offrant les fonds nécessaires. Puis les doyens, le père Chamard et Fernand Arsenault, ont continué à soutenir le travail d’Étienne avec une ouverture d’esprit remarquable, par des échanges intellectuels et fraternels. Exigeant envers lui-même et envers ses étudiants, il voulait que ceux-ci atteignent un haut niveau de professionnalisme. Fondateur, directeur, professeur, avec Info-com, comme il appelait son programme avec toute la passion qu’il y a mis, il a ouvert des portes à plusieurs générations de communicateurs et de journalistes de la presse écrite et orale en Acadie. Avec Melvin Gallant, il a lancé les Éditions d’Acadie pour donner un espace de publication aux jeunes poètes qui venaient lui montrer leurs manuscrits. Une chose m’interpelle cependant. Il est étonnant que son nom n’apparaisse nulle part dans ce département qu’il a porté sur ses épaules et qui a beaucoup dérangé les envieux, et ceux qui voulaient garder le statu quo n’ont gagné par cet oubli, à mes yeux, que de reprendre la formule de Duvalier : « La reconnaissance est une lâcheté… ».
Maya Hauptman : Qu’est-ce qui a incité Gérard Étienne à former des journalistes en Acadie?
Natania Étienne : Gérard Étienne admirait la liberté de pensée et la résistance, à la mode d’Albert Camus. En avance sur son temps, il a répondu aux attentes des jeunes intellectuels, lecteurs avides de liberté de pensée et d’une vraie lutte non violente pour les droits. Il tenait une chronique dans le journal Haïti-Observateur de New York, intitulée « La révolution tranquille haïtienne ». Écrivain prolifique, il était convaincu qu’un journalisme libre et respectueux de la vérité était nécessaire pour qu’une société trouve un équilibre et soit fermement démocratique.
Maya Hauptman : Gérard Étienne a créé des journaux et des émissions de radio. Pouvez-vous nous dire lesquels et dans quelles circonstances?
Natania Étienne : Infatigable, il a dirigé la Revue de l’Université de Moncton et créé le magazine Le Perroquet. À la suite d’un scandale qui a affecté une étudiante acadienne et un jeune Africain, qui selon Gérard Étienne était dû aux différences culturelles, il a lancé une émission de radio, intitulée Apprenons à nous connaître. Plus tard, à Montréal, il a eu une émission hebdomadaire à Radio Shalom consacrée à la littérature ainsi que sa chronique dans Haïti-Observateur, « La révolution tranquille haïtienne ». Avec Éric Goguen, il a écrit dans Le Moniteur, Le Voilier, Le Point, les journaux d’Alphée Michaud.
La mémoire retrouvée avec la rédaction de La pacotille
Maya Hauptman : Dans la dédicace du roman La pacotille, Gérard écrit : « Et toujours à toi Natania pour l’idée originelle de ce roman. » Comment est née cette idée et dans quel contexte?
Natania Étienne : La pacotille, comment appeler ce roman? Celui du miracle. Non, celui de la volonté. Gérard Étienne a subi deux hémorragies cérébrales, deux opérations majeures au cerveau à Moncton en l’espace d’une semaine. Aux soins intensifs, il m’a demandé une feuille de papier et un stylo. J’étais affolée, mais je ne voulais rien lui refuser. Il était bardé de tubes, dont un là où l’hémorragie s’écoulait goutte à goutte. Il a insisté. Le Dr Quarty, le neurochirurgien, était dans la salle. Je me suis approchée et lui ai expliqué ce qui se passait. Il m’a répondu : « Donne-lui ». « Mais, dis-je, les cols bleus ne viennent pas ici avec leur marteau. » Il a souri et a répété : « Donne-lui. » Alors a commencé la grande aventure. L’article qu’il publiera dans Haïti-Observateur cette semaine-là demandera trois heures d’effort, contrairement à la petite heure habituelle. Il a peiné, cherché ses mots, des perles placées une à une. Une victoire contre l’oubli. En effet, à un moment donné, il a souffert d’une totale amnésie. Les yeux dans le vague, il se souvenait seulement d’un mot, lui le ténor, il a bredouillé : « Natania ». Des visiteurs venaient le voir, il avait l’air alerte, mais aussitôt qu’ils étaient partis, il ne se rappelait pas les avoir vus. On avait envisagé qu’il parte quelques mois à Saint-Jean pour sa réhabilitation, mais il n’était pas question de l’abandonner. Pas à pas, nous marchions très lentement au même rythme. Et pour mon grand bonheur, je parle parfaitement sa langue natale, le créole. Il m’a raconté les joies, les peines et les tortures. Ensemble, jour après jour, nous rebâtissions le passé lointain. Les enfants participaient par leurs questions à reconstruire la mémoire récente. Il restait la mémoire d’après l’exil. Et je lui ai proposé de l’écrire. Un chapitre à la fois. Un dans la chambre de torture et l’autre dans la tempête. Je lui ai dit et lui ai répété : « Raconte, parle de tous ceux que tu as rencontrés au Québec, de l’influence que toi et tes amis ont eu sur leur ouverture sur le monde. Raconte le Perchoir d’Haïti, les soirées de poésie où les Québécois ont appris à dire la poésie, comme tu le faisais en Haïti. » Il a repris la course. Il a écrit avec ferveur, il a fouillé, fouillé sa mémoire pour dire l’exil, la souffrance, la neige qui gicle sur le visage dans la tempête et tous ses compagnons des années de la Révolution tranquille. L’amante qui l’a abandonné pour un Métis argenté. La compagne de combat, agonisante dans la cellule, Ghilaine Sévère, et le mot de la fin grâce au Dr Obrenovich, qui lui disait à peu près ceci : « Pardonner à vos tortionnaires n’est pas de la lâcheté. Vous ne seriez pas Gérard Étienne si vous n’aviez pas cette générosité. » On a travaillé la mémoire lointaine qui est revenue rapidement, la mémoire proche a suivi, et c’est avec l’écriture de La pacotille qu’il retrouvera la mémoire moyenne. Fascinant, ce livre qui, d’un chapitre à l’autre, plonge dans la prison en Haïti et revient au Québec de sa jeunesse. Le Dr Joël Des Rosiers dira qu’il y a 250 noms de Québécois. Ce qui est là surtout, dans cette pénible recherche du temps perdu, sera la clé du triomphe. Il a retrouvé les noms des compagnons québécois de ses débuts au Québec, alors qu’il était étudiant et de ceux qui ont eu des rôles de chefs de file dans la société par la suite, mais au moment où Gérard Étienne écrit, il n’y a pas l’aide d’Internet, les journaux ne parlent plus d’eux, seule la mémoire leur redonne vie.
L’Université lui avait offert un congé de maladie. À son retour, après l’avoir suivi partout pendant trois jours et avoir assisté à ses cours, j’ai compris que le sauvetage viendrait de son engagement. Après vingt-trois ans de compagnonnage, il arrivait encore à me fasciner. Un an après, sans jamais arrêter d’écrire, il a récupéré toutes ses capacités mémorielles. Suivront, en plus de l’enseignement, les combats politiques.
La retraite
Maya Hauptman : Parti à Montréal à la retraite, Gérard Étienne a-t-il cessé d’écrire?
Natania Étienne : Bien au contraire. Les dernières années à Montréal ont été fructueuses, Gérard Étienne paraissait être né avec une plume à la main et il la gardera vivante non seulement jusqu’au dernier jour de sa vie, mais au-delà. Il ne cherchait pas la gloire, il voulait transmettre un message de justice. Parmi ses dernières publications, il y a la pièce de théâtre Monsieur le Président (2008a), le chant littéraire Natania (2008b) et les publications posthumes, les romans Le Bacoulou 2, Une femme muette (2e version) et La guerrière de Saint-Domingue, Défilée la folle (à paraître).
Maya Hauptman : Dans la deuxième version d’Une femme muette, le prénom de l’héroïne se transforme d’Anne-Marie en Anna. Pour quelle raison?
Natania Étienne : Dans la première version d’Une femme muette (1983), le nom de l’héroïne est Anne-Marie, Gérard l’a changé en Anna dans la deuxième version (2018), car il ne voulait aucune association avec le roman de Lucien Bodard, Anne-Marie, qui a reçu le prix Goncourt en 1981.
Maya Hauptman : Vous avez fait don des manuscrits de Gérard Étienne à la Bibliothèque nationale, comment peut-on avoir accès à ses archives?
Natania Étienne : En effet, ses manuscrits sont aux archives de la Bibliothèque nationale du Québec, fonds Gérard-Étienne, cote P1002, Id 696732[9].
Le rôle de l’écrivain
Maya Hauptman : Comment Gérard Étienne voyait-il le rôle de l’écrivain?
Natania Étienne : Le rôle de l’écrivain était, pour lui, de dénoncer les injustices et de témoigner pour l’Histoire. Il travaillait des heures avec de jeunes écrivains acadiens pour les soutenir afin qu’à leur tour ils deviennent des témoins. Parlons des écrivaines et des écrivains Dyane Léger, Daniel Dugas, Rose Després, Gérald Leblanc, Claude Le Bouthillier, Robert Pichette, Hélène Harbec, et des longues soirées de travail avec Melvin Gallant et tant d’autres qui avaient besoin du soutien de Gérard Etienne pour rédiger un article ou une thèse et faire corriger leurs manuscrits.
Il avait eu en Haïti un mentor, Raymond Philoctète, qui avait travaillé avec lui (il le faisait avec d’autres, mais seul Gérard Etienne en avait profité pour apprendre à ciseler la langue française.) Notons qu’il disait que la langue de l’esclavagiste et du colon avait été acquise dans la sueur et le sang et qu’elle était aussi bien la propriété de celui devenu libre à condition de pouvoir en dominer toute la beauté. Ce n’était pas une idée à la mode, (il était question d’éliminer l’usage du français.) Lui a pris du plaisir à exprimer ses révoltes, à introduire des mots qui disaient son île et qui selon lui pouvaient enrichir la langue française. Cela, sans renoncer à l’autre langue de son enfance, le créole, qui a inspiré son sujet de thèse de doctorat, une première thèse sur ce sujet.
Ajoutons le souvenir de ses courses à Radio-Canada avant les heures de présentation du journal télévisé pour corriger les textes et leur donner le ton professionnel nécessaire. Tout cela bénévolement, jusqu’à ce que les journalistes puissent voler de leurs propres ailes. De ces heures de dévouement, surtout le journaliste Benoît Duguay s’en est souvenu.
Je me rappelle avec un peu d’ironie de la revue de l’Université de Moncton quand il a été élu au poste de directeur à l’unanimité, de la réunion spéciale où les mêmes lui ont fait comprendre que le titre de directeur ne convenait pas pour lui, et qu’il serait préférable qu’il soit simplement rédacteur en chef (Les paroles s’en vont, les écrits restent : les numéros précédents montrent que la fonction a été changée). J’étais moins généreuse que lui, je voulais qu’il refuse, mais il m’a dit qu’il ne faisait pas cela pour un titre, et que son engagement pour les autres était plus important que lui-même, que l’écriture et la recherche donneraient à d’autres d’innombrables possibilités.
Maya Hauptman : Il remplissait donc le rôle de l’intellectuel, tel que défini par Michel Foucault[10], qui affirme : « Le rôle de l’intellectuel consiste […] à rendre visibles les mécanismes de pouvoir répressif qui sont exercés de manière dissimulée[11] ». Stanley Péan déplore le décès de cet intellectuel :
[…] l’écrivain haïtiano-montréalais Gérard Vergniaud Étienne. Romancier, poète, essayiste, journaliste et linguiste, Gérard appartenait à l’instar d’Anthony Phelps ou [d’]Émile Ollivier à cette génération d’intellectuels issus de mon île natale qui m’avaient pris sous leur aile, à mes tout débuts.
Natania Étienne : Oui, absolument.
Maya Hauptman : Ses romans étaient donc basés sur des faits réels?
Natania Étienne : Oui, tout à fait. Il disait et répétait que s’il écrivait des témoignages politiques ou des pamphlets, d’autres viendraient le contredire ou nier la vérité. Que seuls des romans pouvaient témoigner. Comme l’a si bien écrit Danielle Dumontet, « Gérard Étienne pratique une écriture de la résistance contre les non-dits de l’Histoire, contre les poncifs et les lieux communs[12] ».
Maya Hauptman : Quel genre d’écrivain était Gérard Étienne?
Natania Étienne : C’était un écrivain de passion. Écrire était un moyen d’expression qui l’habitait complètement. Il croyait que c’était la façon de pouvoir aider son pays à changer et que le pouvoir des médias devait jouer un rôle positif pour améliorer le sort du monde. C’était un écrivain de l’urgence et de la dénonciation. Il a toujours dénoncé les abus et lutté pour la justice et l’égalité des chances, dénonçant la corruption et les exactions gouvernementales. Avec les frères Raymond et Léo Joseph, il voulait amener son pays à la démocratie par un journalisme de combat et d’honnêteté.
Maya Hauptman : Gérard Étienne a écrit le chant littéraire, Natania, d’un jet de plume, en une semaine, juste avant de « fermer le rideau », afin d’exprimer sa gratitude à une femme qui lui a tout donné : son soutien, son amour, un foyer stable et des enfants. Elle a joué plusieurs rôles, celui de mère, d’amie, de guide spirituelle, de muse, de garde-malade et de rédemptrice pendant quarante et un ans. Quel effet ce poème d’amour, laudatif, a-t-il eu sur vous?
Natania Étienne : Gérard n’était pas un homme qui exprimait ses émotions personnelles. J’ai ressenti que j’avais fait ce que j’avais à faire. Je lui ai donné la consolation dont il avait besoin. J’étais sa femme et sa mère. Je ne considérais pas le livre Natania comme laudatif, mais comme un cadeau bien plus beau que des bijoux ou autres luxes, qui disait notre parcours d’amour et de luttes. Envers et contre tous, nous avons réussi à préserver notre amour. Je vois le livre Natania comme l’oeuvre d’un homme capable d’aimer et comme un cri pour dire que l’antisémitisme et le racisme n’ont pas leur place dans un monde viable pour tous. Même après la mort, il laisse un témoignage de son courage.
Maya Hauptman : Lui arrivait-il d’écrire plusieurs livres à la fois, ou bien attendait-il d’en terminer un pour en commencer un autre?
Natania Étienne : Il écrivait tout le temps et parfois plusieurs livres à la fois. Il était très organisé dans tout, dans sa vie et intellectuellement. Cela ne lui posait pas de problème d’écrire plusieurs textes à la fois. Même dans la reconstruction de sa mémoire, à la suite de ses opérations au cerveau, je ne l’ai jamais senti confus.
Maya Hauptman : Avez-vous gardé le contact avec la communauté haïtienne après la mort de Gérard?
Natania Étienne : Après le décès de Gérard Étienne, j’ai eu un double choc : non seulement j’avais perdu ma vie, mon amour, mais ceux qui nous entouraient avaient pour la plupart disparu. J’étais devenue un accessoire sans importance. Je n’attendais pas de condoléances de Moncton, mais du côté des Haïtiens, j’avais du mal à supporter ce silence. Pendant plus de quarante ans, ils avaient été le centre de ma vie. J’étais abonnée à près de cinq forums haïtiens sur l’Internet. J’avais toujours pu dire ce que je pensais. Puis est apparu un étrange personnage délégué par des partisans d’Aristide ou loup solitaire, impossible de le savoir puisqu’aujourd’hui il semble très isolé, abandonné par ses amis ou pas. Pendant deux ans, ce monsieur Pompilus s’est lancé dans une campagne d’insultes horribles. J’étais selon lui une Blanche en mal de besoins sexuels. Jour après jour, j’essuyais des insultes; on me traitait de tous les noms, de prostituée et de folle à interner. Grâce à l’Internet, j’ai vite découvert où ce monsieur habitait, et son lieu de travail. Je me questionnais me rappelant la thérapie de Gérard Étienne qui pardonnait à ses pires ennemis. J’aurais pu contacter Yahoo qui l’hébergeait, mais non, je ne pouvais pas enlever le pain de la bouche de ce personnage, même violent. Je n’aurais pas été fidèle aux principes que Gérard Étienne et moi défendions.
C’est un peu comme si certains personnages des romans d’Étienne s’étaient manifestés. Depuis, j’ai pu entrer en contact avec des amis anciens et nouveaux grâce aux réseaux sociaux, et Raymond Joseph, ancien ambassadeur de Haïti aux Nations Unies, a gracieusement traduit le livre Kaddish pour un Haïtien, en créole. Ce qui est un grand honneur à mes yeux venant du traducteur de la Bible en créole et du chroniqueur en créole de Haïti-Observateur. Pierre-Roland Bain, le directeur du Mois du créole et de KEPKAA à Montréal, m’a invitée à plusieurs reprises pour parler de Gérard Étienne et m’a remis un magnifique trophée pour mon intervention et ma défense du mot « NÈGRE ». Aujourd’hui, je reçois des messages d’Haïtiens qui me soutiennent, et c’est très apprécié. Invitée à prendre la parole dans une université américaine, j’ai raconté l’anecdote de notre visite dans une minuscule case à La Petite Anse, où Gérard Étienne avait vécu après le départ de sa mère, et où je me suis fait offrir la seule chaise. Je n’ai pas osé refuser, mais j’étais terriblement embarrassée. Alors, j’ai pris un enfant sur chaque genou et ils se sont mis à caresser mes cheveux, surpris de leur texture lisse. Une vieille dame a dit à Gérard : « Cette femme n’est pas blanche, elle est une femme noire[13]. » Je l’ai remerciée avec émotion. Cette anecdote a carrément créé la panique. J’ai été horrifiée d’entendre me faire dire que dans mon couple, je jouissais du statut de « white privilege », et que de parler de Gérard Étienne était de l’appropriation culturelle.
Ô combien le peuple haïtien mérite le respect! Gérard Étienne disait qu’« un jour les fourmis viendraient dans sa tombe lui dire qu’Haïti enfin avait fait sa Révolution tranquille. » Je remercie Gérard Étienne de m’avoir incluse dans ses combats et dans sa lutte et de ne m’avoir jamais fait sentir étrangère.
Maya Hauptman : Vous avez dit à Brian Myles venu vous voir : « Il était d’un courage et d’un humanisme qui n’existent plus. On a cassé le moule ». « Il est mort dans mes bras, en me demandant de l’aider à s’habiller pour aller écrire ». « Il est mort debout, totalement, réellement[14] ». Gérard a donc écrit jusqu’au dernier moment?
Natania Étienne : Oui, tout à fait. Il est décédé à l’âge de 72 ans, le 14 décembre 2008, à notre domicile de Côte Saint-Luc, et son dernier souhait était de se lever pour écrire.
La résilience de Gérard Étienne
Maya Hauptman : Dans Natania, Étienne nous raconte comment le psaume 91 lui a servi de tuteur de résilience dans la prison duvaliériste. Il nous dit également voir en vous un tuteur de résilience[15]. Or voilà que suite à la parution de son quatrième livre sur la résilience, Parler d’amour au bord du gouffre, Boris Cyrulnik affirme dans un entretien avec Laurence Lemoine que « le couple peut panser les blessures de l’enfance » (2004)[16]. C’est ce couple qu’il formera avec vous qui l’aidera à rebondir. C’est votre amour inconditionnel qui l’a aidé à faire face à l’adversité et à se reconstruire. Êtes-vous d’accord avec cela? Si oui, pouvez-vous nous donner quelques exemples?
Natania Étienne : Il aimait le fait que nous pouvions partager nos idées. Il disait et répétait qu’il ne voulait pas prendre une épouse pour la couleur de sa peau. Il avait insisté pour que je fasse des études universitaires. Alors qu’il avait accepté un poste d’enseignant au collège de Matane, j’aurais voulu me marier et avoir des enfants. J’avais 19 ans quand je l’ai rencontré et je ne m’imaginais pas capable d’atteindre son niveau. Jamais. Mais il a insisté pour que je reste à Montréal. Il disait que c’était la condition sine qua non pour que je puisse devenir son égale. J’ai pleuré, crié, supplié, il n’a pas cédé, et je n’ai pas regretté notre cheminement commun. Il me voulait forte pour l’accompagner. Il affirmait que jamais il n’aurait pu écrire aussi librement et publier les articles politiques qu’il écrivait sans l’appui et la communion de pensée que je partageais avec lui. Quant à moi, j’étais heureuse d’avoir une vie si riche en aventures affectives et intellectuelles.
Maya Hauptman : Merci, Natania, d’avoir partagé avec nous vos souvenirs. Cet entretien nous a permis de voir l’homme derrière l’écrivain et l’oeuvre, avec toutes ses faiblesses, son humilité et son humanité. Malgré sa santé très fragile[17], il n’a pas abandonné le combat et jusqu’au dernier moment, il a cherché à dénoncer les injustices. Nous pouvons dire que Gérard Étienne était un révolutionnaire pas comme les autres. Révolutionnaire, oui, mécréant, non. Il a insisté sur cette particularité, comme le montre l’emploi de « mais » dans un passage de la dernière page de Natania, où il réaffirme sa foi en un seul Dieu :
2008b : 105-106Je pousse de toutes mes forces
Le cri du révolutionnaire
Mais dont la foi en un seul DIEU
Demeurera absolue
Appendices
Notes biographiques
Maya Hauptman est chercheuse au département de littérature hébraïque et comparée à l’Université de Haïfa. Ses travaux portent sur la littérature francophone postcoloniale maghrébine et nord-américaine. Elle est l’autrice du livre Tahar Ben Jelloun : l’influence du pouvoir politique et de la société traditionaliste sur l’individu (Paris, Publisud, 2011). Elle a écrit de nombreux articles sur Tahar Ben Jelloun et sur d’autres auteurs maghrébins, dont Assia Jebbar et Albert Memmi, et de nombreux articles sur Gérard Étienne. Elle fait partie de l’AFEC (Association française des études sur le Canada), du CIÉF (Conseil international d’études francophones), de la MLA (Modern Language Association), de la SFLGC (Société française de littérature générale et comparée), et du groupe ADARR (Analyse du discours, argumentation et rhétorique). L’immigration, les sociétés de contrôle, la société patriarcale, le statut de la femme, la violence symbolique, le racisme et l’antisémitisme sont au centre de ses recherches.
Natania Étienne-Feuerwerker est la veuve de l’écrivain d’origine haïtienne Gérard Étienne. Elle est née à Paris 16e et a grandi à la Place des Vosges. Elle immigre au Québec en 1966 avec ses parents. C’est à l’Université de Montréal qu’elle rencontre l’écrivain. Alors que ce dernier enseigne à l’Université de Moncton, elle enseigne dans une école publique de cette ville. Elle est fondatrice et directrice des Éditions du Marais, et tient une chronique littéraire dans les journaux et à Radio-Canada. Elle vient de publier aux Éditions du Marais son livre Kaddish pour un Haïtien (2024) et travaille sur un livre autobiographique.
Notes
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[1]
Voir [https://www.cairn.info/revue-archives-juives1-2002-2-page-136.htm] (consulté le 15 juin 2024).
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[2]
Voir [https://fr.wikipedia.org/wiki/Antoinette_Feuerwerker] (consulté le 15 juin 2024).
-
[3]
Mentionné également dans Natania Étienne, Kaddish pour un Haïtien, p. 24.
-
[4]
Cité dans Natania Étienne, Kaddish pour un Haïtien, quatrième de couverture, publié dans L’anthologie des sépharades du Québec, p. 490.
-
[5]
Ibid.
-
[6]
Jean-Bertrand Aristide est un ancien prêtre devenu président haïtien. « En Haïti, une enquête menée par le gouvernement révèle que l’ancien président Jean-Bertrand Aristide aurait détourné 127 millions de dollars des caisses de l’État entre 2001 et 2004 ». Il « aurait également trempé dans des affaires de blanchiment d’argent, de trafic de stupéfiants et de corruption » (Radio-Canada, 2005).
-
[7]
Expression utilisée pour la première fois en 1988 par l’Américaine Peggy McIntosh, afin de soutenir la thèse selon laquelle les personnes blanches, dans les pays occidentaux, bénéficieraient sans en avoir conscience de privilèges sociaux, sociétaux, politiques ou économiques, qui ne seraient pas accordés aux personnes non blanches dans le même contexte, ce qui constituerait un « ensemble invisible d’avantages non mérités ». Développée principalement aux États-Unis et utilisée dans certaines universités dans le domaine des sciences sociales et des humanités, cette notion controversée de privilège blanc a ensuite été reprise dans différents contextes, notamment dans le monde anglo-saxon et les anciennes colonies européennes. Des théories universitaires ou militantes, comme la critical race theory et la blanchité s’appuient sur cette notion pour analyser les effets du racisme sur les individus (ou les groupes) socialement construits comme blancs (« Privilège blanc », 2024).
-
[8]
Une pensée reconnaissante va à Jean-Robert Deschênes, ancien étudiant en information et communication qui, après avoir vu à la télévision ce qui était arrivé à Gérard, est rapidement venu de Québec à Montréal, dans une terrible tempête de neige. Comme les médecins ne voulaient pas qu’Étienne s’endorme après avoir reçu des coups à la tête, Jean-Robert Deschênes a passé la nuit à lui raconter des blagues pour le garder réveillé. De peur de le voir battu par les Haïtiens qui travaillaient à l’aéroport, il l’a emmené à l’aéroport de Québec, plutôt qu’à celui de Montréal, pour prendre l’avion en direction de Moncton.
- [9]
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[10]
Michel Foucault, Dits et écrits, vol. IV, p. 772, cité dans Maya Hauptman, Tahar Ben Jelloun : l’influence du pouvoir politique et de la société traditionaliste sur l’individu, p. 365-366.
-
[11]
Ibid., p. 772.
-
[12]
Danielle Dumontet, quatrième de couverture d’Une femme muette (Éditions du Marais).
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[13]
Il est intéressant de noter que dans la dernière oeuvre littéraire de Gérard Étienne, Natania, sa muse, se métamorphose en une femme noire, en l’assimilant à Sephora, qui n’est autre que « Tsipora », la femme noire de Moïse : « Ruth […] / Laisse-moi écouter ta voix de Sephora / Cette femme tremblante de frissons / Dans les bras de Moïse » (2008b : 9). Ruth est un des noms hébraïques de Natania Feuerwerker. Et Sephora est la traduction du nom hébraïque Tsipora.
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[14]
L’article de Brian Myles, aujourd’hui directeur du journal Le Devoir, a paru dans Le Devoir du 8 janvier 2008, « Mort d’un écrivain engagé : Gérard Étienne n’a pas dit son dernier mot ». Reproduit sur le site de Stanley Péan.
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[15]
« Tu confirmes ma résurrection / À l’heure où ma maman me faisait réciter le psaume 91 / Le même psaume que je disais / Dans la cellule d’une prison le 15 août 1961 / Je disais le psaume avec une telle ferveur / Une telle énergie de l’esprit / Que je ne ressentais plus les douleurs / Des châtiments corporels / Que les officiers du Chef / M’infligeaient au cours de ma torture / […] / Oui je reconnais fortement que tu es la moitié de moi-même / Malgré la couleur de la peau / Malgré le peuple d’origine / Malgré nos ancêtres / Je reconnais aussi que tu possèdes / Le secret / De préserver mon âme » (2008b : 83-84).
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[16]
Laurence Lemoine, « Quand l’amour guérit », Psychologies, 12 avril 2009, modifié le 5 juillet 2010, [En ligne], [https://www.psychologies.com/Therapies/Toutes-les-therapies/Therapeutes/Articles-et-Dossiers/Quand-l-amour-guerit] (consulté le 31 octobre 2024). Cette même idée avait été formulée dans Les vilains petits canards (2001), où Cyrulnik citait Tim Guénard qui affirmait : « Je témoigne qu’il n’y a pas de blessures qui ne puissent être lentement cicatrisées par l’amour » (p. 204).
-
[17]
Mentionné dans Kaddish pour un Haïtien, p. 27 : « Les enfants et moi étions seuls à savoir à quel point il était fragile. »
Bibliographie
- Bensoussan, David (dir.) (2010). Anthologie des écrivains sépharades du Québec, Montréal, Éditions du Marais.
- Cyrulnik, Boris (2001). Les vilains petits canards, Paris, Odile Jacob.
- Cyrulnik, Boris (2004). Parler d’amour au bord du gouffre, Paris, Odile Jacob.
- « Antoinette Feuerwerker » (2024). Dernière modification le 28 juillet, sur le site Wikipédia, [https://fr.wikipedia.org/wiki/Antoinette_Feuerwerker] (consulté le 31 octobre 2024).
- « David Feuerwerker » (2024). Dernière modification le 8 juillet, sur le site Wikipédia, [https://fr.wikipedia.org/wiki/David_Feuerwerker] (consulté le 8 juin 2024).
- Étienne, Gérard ([1974, 1990, 1994] 2008). Le Nègre crucifié, Montréal, Éditions du Marais.
- Étienne, Gérard ([1983] 2018). Une femme muette, Montréal, Éditions du Marais. D’abord publié par Nouvelle Optique.
- Étienne, Gérard ([1987] 1989). La Reine Soleil levée, Genève, Métropolis. D’abord publié par Guérin (version que nous utilisons).
- Étienne, Gérard (1991). La pacotille, Montréal, Éditions de l’Hexagone.
- Étienne, Gérard ([1998a] 2018). Le bacoulou 2, Montréal, Éditions du Marais.
- Étienne, Gérard (1998b). L’injustice! : désinformation et mépris de la loi, Brossard, Éditions Humanitas, coll. « Circonstances ».
- Étienne, Gérard ([1998c] 2007). La femme noire dans le discours littéraire haïtien, Montréal, Éditions du Marais.
- Étienne, Gérard (2000). La Romance en do mineur de Maître Clo, Montréal, Éditions Balzac.
- Étienne, Gérard (2002). « La Révolution (tranquille) : mobilisations populaires contre Préval/Lavalas », Haïti-Observateur, 26 novembre-3 décembre, p. 1.
- Étienne, Gérard (2008a). Monsieur le président, Montréal, Éditions du Marais.
- Étienne, Gérard (2008b). Natania, Montréal, Éditions du Marais.
- Étienne, Gérard ([2003] 2012). Au coeur de l’anorexie, Montréal, Éditions du Marais.
- Étienne, Natania (1998). « En guise de préface », dans Gérard Étienne, L’injustice! : désinformation et mépris de la loi, Brossard, Éditions Humanitas, p. 9-12, coll. « Circonstances ».
- Étienne, Natania (2010). « Étoile du Nord », dans David Bensoussan (dir.), Anthologie des écrivains sépharades québécois, Montréal, Éditions du Marais, p. 490-495.
- Étienne, Natania (2024). Kaddish pour un Haïtien, Montréal, Éditions du Marais.
- Guénard, Tim (1999). Plus fort que la haine, Montréal, Presses de la Renaissance.
- Hauptman, Maya (2011). Tahar Ben Jelloun : l’influence du pouvoir politique et de la société traditionaliste sur l’individu, Paris, Publisud.
- Hauptman, Maya (2013a). « Monsieur le Président de Gérard Étienne, un discours polémique », Interculturel Francophonies, « Tissage et métissage dans l’oeuvre de Gérard Étienne », dirigé par Simone Grossman et Danielle Schaub, no 24 (novembre-décembre), p. 103-123.
- Hauptman, Maya (2013b). « Natania de Gérard Étienne : lyrisme, intertextualité et polémique », dans Najib Redouane et Yvette Benayoun-Szmidt (dir.), Le pari poétique de Gérard Étienne, Paris, L’Harmattan, p. 209-235, coll. « Espaces littéraires ».
- Hauptman, Maya (2022). « Solidarité et résilience féminines, classe ouvrière et problématique migratoire dans l’oeuvre de Gérard Étienne », dans Lélia Young (dir.), Les degrés de la parole dans l’oeuvre de Gérard Étienne, Montréal, Éditions du CIDIHCA (Centre international de documentation et d’information sur Haïti, les diasporas caribéennes et les communautés afro-canadiennes), p. 75-91.
- Lemoine, Laurence (2009). « Quand l’amour guérit », Psychologies, 12 avril, modifié le 5 juillet 2010, [En ligne], [https://www.psychologies.com/Therapies/Toutes-les-therapies/Therapeutes/Articles-et-Dossiers/Quand-l-amour-guerit] (consulté le 31 octobre 2024).
- Myles, Brian (2009). « Mort d’un écrivain engagé : Gérard Étienne n’a pas dit son dernier mot », Le Devoir, 8 janvier, sur le site de Stanley Péan, [https://www.stanleypean.com/gerard-etienne-na-pas-dit-son-dernier-mot/] (consulté le 20 octobre 2023).
- « Privilège blanc » (2024). Dernière modification le 28 août, sur le site Wikipédia, [https://fr.wikipedia.org/wiki/Privil%C3%A8ge_blanc] (consulté le 15 juin 2024).
- Radio-Canada (2005). « Nouvelles accusations de malversation contre Jean-Bertrand Aristide », 1er novembre, sur le site Info Radio-Canada, [https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/277996/aristide-detournement] (consulté le 25 juin 2024).
- Sroka, Ghila (2003). « Le Juif nègre », La Tribune juive, vol. 19, no 4 (mars), p. 8-14, [En ligne], [http://ile-en-ile.org/gerard-Étienne-le-juif-negre/] (consulté le 30 avril 2023).
- Toyo, Frantz (2010). « Haïti, être femme dans une société patriarcale », Le Nouvelliste, 10 septembre, [En ligne], [https://lenouvelliste.com/article/83361/haiti-etre-femme-dans-une-societe-patriarcale] (consulté le 30 avril 2023).