TTR
Traduction, terminologie, rédaction
Volume 23, numéro 1, 1er semestre 2010 Rencontres est-ouest East-West Encounters Sous la direction de Paul F. Bandia et Georges L. Bastin
Sommaire (12 articles)
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Presentation
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What’s Up, Tiger Lily? On Woody Allen and the Screen Translator’s Trojan Horse
Ryan Fraser
p. 17–39
RésuméEN :
Woody Allen made his transition from stand-up comedy to cinema not as an author, but as a dialogue adaptor and film dubber. In 1966, he transformed a Japanese spy thriller into an American comedy by removing the film’s original dialogue and soundtracks, and then synchronizing a new dialogue of his own penning with the original film’s images. The result was What’s Up, Tiger Lily? (1966), a film where Allen forces a cast of unwitting Japanese characters to act out one narrative visibly as they speak out another audibly. The film suggests a number of intriguing theoretical vectors for those interested in the subject of screen translation as a mode of intercultural appropriation (or misappropriation). What’s Up, Tiger Lily?, first of all, is a comedic exploration of authorial status in cinema. Indeed, the lesser status of “re-writer” becomes Allen’s cover, a way to avoid taking responsibility for a film that not only indulges in the most counterintuitive of experiments in the sound-image relationship, but also creates a particularly condescending form of Asian exploitation. Perhaps most important, however, is the perspective that the film offers on the voice-image antagonism implicit in any foreign-language dubbed film. Allen’s film may well offer a way for theory to transcend the aura of negativity with which academic discourse tends to surround the practice of dubbing, specifically by putting the latter to use in the service of intercultural parody. Michael Cronin’s latest work on globalization and Hollywood (2009) offers some helpful concepts for examining Allen’s film.
FR :
Ce n’est pas en tant qu’acteur, mais grâce à l’adaptation de dialogues et au doublage de films que Woody Allen est parvenu à passer du monde de la stand-up comedy à celui du cinéma. En 1966, il transforme un film d’espionnage japonais en comédie américaine en supprimant le dialogue original et la bande son du film puis en inventant un nouveau dialogue de son cru à partir des images du film. Le résultat fut Lily la tigresse (1966), un film où Allen force un groupe de personnages japonais à suivre, sans le savoir, un scénario par leurs gestes tout en prononçant des paroles correspondant à un autre scénario. Le film ouvre un champ de réflexion théorique sur la traduction audio-visuelle en tant que mode d’appropriation (ou d’aliénation) interculturelle. En premier lieu, Lily la tigresse remet en question le statut de l’auteur au cinéma. Allen fait de la « réécriture » un alibi contre des accusateurs potentiels qui pourraient réagir contre l’étrange distorsion de la relation son-image, et contre l’usage hautement stéréotypé de la culture asiatique. En deuxième lieu, le film offre une nouvelle perspective sur l’antagonisme entre la voix et l’image, qui est le propre de tout film doublé en langue étrangère. L’examen du film de Woody Allen offre à la théorie le moyen de dépasser le mépris que le discours universitaire réserve souvent au doublage, mettant celui-ci au service de la parodie interculturelle. Le dernier ouvrage de Michael Cronin (2009) sur la mondialisation et Hollywood fournit des concepts clés pour mener l’analyse du film.
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A Creditable Performance under the Circumstances? Suematsu Kenchô and the Pre-Waley Tale of Genji
Valerie Henitiuk
p. 41–70
RésuméEN :
Before Suematsu’s 1882 translation of the Tale of Genji, the information available in the West about Murasaki Shikibu’s masterpiece was sketchy and erroneous. The main objectives of this translator were to improve Japan’s political status by demonstrating that it has a rich literary tradition, and to make known to Westerners what is in effect that nation’s “cultural scripture” (Rowley). Reaction to his version was conflicted: readers and reviewers are curious about the previously unsuspected literary wealth presented to them, but struggle to comprehend and find points of reference. My article focuses on the circumstances that made possible this early representation of Japanese literature, while paradoxically keeping the Genji from being widely read and admired until Waley’s famous translation appeared some 40 years later. I argue that Suematsu, in using this book to critique Anglo-American imperialism, nonetheless reveals his own ambivalent relationship with the text and its author. Further, Western audiences were ill-equipped to judge what they were reading, as well as reluctant to accept a non-European interpreter, and thus the reception of this world masterpiece was long stalled for reasons that had little to do with literary or translation quality.
FR :
Avant la traduction du livre Le Dit du Genji par Suematsu en 1882, l’information disponible en Occident sur ce chef-d’oeuvre de Murasaki Shikibu était vague et erronée. Le traducteur s’était donné pour objectifs de redorer le statut politique du Japon en démontrant sa riche tradition littéraire et de faire connaître aux Occidentaux la véritable « cultural scripture » du pays (Rowley). Les réactions à sa version furent contradictoires : les lecteurs et les critiques se sont avérés curieux de ce monde littéraire auparavant insoupçonné, mais ils eurent du mal à le comprendre ou à y trouver des points de repère. Cet article se concentre sur les circonstances qui ont rendu possible cette première représentation de la littérature japonaise en Occident, mais qui, paradoxalement, ont empêché le Genji d’être lu et admiré à plus grande échelle, jusqu’à la publication de la célèbre traduction de Waley, environ quarante ans plus tard. Je considère que Suematsu, en se servant de cet ouvrage pour critiquer l’impérialisme anglo-américain, révèle toutefois son rapport ambivalent au texte et à son auteur. En outre, le public occidental n’était pas vraiment en mesure de juger ce qu’il avait sous les yeux ni prêt à accepter une interprétation non-européenne. Ce chef-d’oeuvre a donc longtemps tardé à être reconnu comme tel pour des raisons qui, en fin de compte, avaient peu à voir avec la qualité littéraire de l’ouvrage ou celle de la traduction.
japonais
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Lessons from Chinese History: Translation as a Collaborative and Multi-Stage Process
James St. André
p. 71–94
RésuméEN :
This paper examines how the development of translation practice under the influence of Buddhism, and also in the late Qing (1890-1911), serve to highlight two neglected areas of research in Translation Studies. First, there is the issue of the extent to which translation is a collaborative process. In both time periods, collaboration among 2 to 1000 people was the norm. Yet the models proposed in “classic” Translation Studies in the twentieth century theorized the translation process as being accomplished by a lone individual. The recent growth of translation companies has shown that collaboration is still common today, yet this remains a “black hole” in terms of research. Second, in both periods in China, relay translation through “pivot” languages played a vital role in the translation process. Again, this is a phenomenon that has been downplayed in Translation Studies; relay has been seen as a necessary evil, in a sense replicating the stigma attached to translation itself. These two phenomena thus deserve further study and have implications for translation pedagogy.
FR :
L’étude des pratiques de traduction en usage pendant deux périodes de l’histoire chinoise – la première lors de l’influence du bouddhisme et la deuxième vers la fin de la dynastie Qing (1890-1911) – révèle que la traductologie a négligé deux domaines de recherche. Il s’agit tout d’abord de la traduction comme pratique collective. Durant les deux périodes précitées, la traduction résultait de la collaboration d’au moins deux et jusqu’à mille personnes. Telle était la norme. Or, les théories développées au XXe siècle par la traductologie « classique » représentent la traduction comme une pratique individuelle. La multiplication récente des entreprises de traduction prouve que la pratique collaborative reste courante, sans attirer pour autant l’attention des chercheurs. C’est ensuite la traduction-relais passant par des langues « pivots » qui, durant les deux mêmes périodes de l’histoire chinoise, a joué un rôle essentiel dans le processus de traduction. La traductologie a également négligé ce phénomène. Le relais, ou recours à une traduction intermédiaire, a été vu comme un mal nécessaire, reproduisant en quelque sorte le stigmate imposé à la traduction elle-même. Ces deux phénomènes méritent d’être approfondis étant donné aussi leurs implications pour la pédagogie de traduction.
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Les motifs sonores dans la littérature africaine europhone : exemple et jalons théoriques dans une perspective traductive
Laurence Jay-Rayon
p. 95–122
RésuméFR :
Si personne ne conteste le fait que les littératures africaines sont hybrides, ni qu’elles reflètent une situation de diglossie, on ne s’intéresse encore que partiellement à l’esthétique de l’oralité dans ces littératures. Il est clair, cependant, que cette esthétique est ancrée dans des pratiques socioculturelles et linguistiques et qu’elle peut constituer un geste politique. Dans cet article, il sera question des enjeux esthétiques d’un texte hybride dans une perspective traductive, à partir du cas particulier de Sardines, quatrième roman de Nuruddin Farah, auteur somalien d’expression anglaise. Plus précisément, l’objectif consistera à montrer de quelle manière la langue orale et ses composantes formelles traditionnelles informent l’écriture de l’auteur. Une réflexion s’articulera ensuite autour de la réactivation de cette oralité dans son acception de « dimension sonore », que je propose d’envisager comme vecteur de signifiance, au sens bermanien du terme. À cette fin, le concept de traduction cratyléenne proposé par Ryan Fraser sera examiné.
EN :
While the hybridity and diglossia of African literatures are accepted realities within the field of postcolonial translation studies, the aesthetics of African literary orality has yet to be explored to the same degree. Nevertheless, it has been demonstrated that the oral aesthetic’s socio-cultural and linguistic roots can take on a political dimension. This article will explore the aesthetic issues of a hybrid text from a translation studies perspective with Sardines, the fourth English-language novel of Somali writer Nuruddin Farah. This essay will demonstrate how orality and its traditional formal elements shape Farah’s writing. In addition, it will look at the vocal and aural dimensions of orality as a Bermanian vecteur de signifiance, supported by Ryan Fraser’s concept of Cratylian translation.
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English against Englishing: The Case of an Early English Translation of an Oriya Novel
Himansu S. Mohapatra
p. 123–149
RésuméEN :
Successive translations of a text mirror the shifting translatory practices of a culture. Paradigms for/of translation can be tracked by following the trajectory of these translations. Usually, however, the “translative turn” is read off from the latest in the series of translations inspired by a text. It is the other way round with the translated Oriya novel, Fakir Mohan Senapati’s Chhamana Athaguntha (1902), which is an exception to this developmentalist rule. An early English translation of the novel titled The Stubble under the Cloven Hoof (1967), produced by C.V.N. Das, shows a highly visible and active translator. In this Das uses English to counter the Englishing tendencies that are the inevitable end result of his attempt, as he says, at “rechristening” a vernacular tale. This essay demonstrates this and also explains the related phenomenon of the foregrounding of the task of the translator.
FR :
Les traductions successives d’un texte reflètent le développement des pratiques traduisantes d’une culture. Les paradigmes de la traduction peuvent être déduits de la trajectoire de ces traductions. Le plus souvent, c’est la traduction la plus récente d’un texte qui permet de constater le « tournant traductionnel ». Le roman oriya qui a suscité le plus grand nombre de traductions, Chhamana athaguntha de Fakir Mohan Senapati (1902), constitue une exception à cette règle. Dans ce cas, c’est dans une des premières traductions anglaises, celle de C.V.N. Das, publiée en 1967 sous le titre The Stubble under the Cloven Hoof, que le traducteur et son activité sont rendus visibles. Dans son approche de la traduction, Das se sert de la langue anglaise pour contrer la tendance inévitable à « angliciser », selon sa volonté de « rebaptiser », comme il le dit, ce récit vernaculaire. Cet article présente son approche et explique le phénomène associé de la mise en valeur de la tâche du traducteur.
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Naoki Sakai : penser la traduction entre l’Orient et l’Occident
Sathya Rao
p. 151–164
RésuméFR :
L’objet de cet article est de donner une présentation critique de la théorie de la traduction élaborée par Naoki Sakai. Dans la mesure où elle trouve une partie de son inspiration dans des élaborations européennes (en particulier, la pensée poststructuraliste française) tout en prenant pour objet la modernité japonaise, cette théorie constitue en elle-même le lieu d’un dialogue original entre l’Est et l’Ouest. Critique à l’égard des prétentions de domination de l’Ouest autant que des réflexes de mimétisme de la part de l’Est, Sakai inaugure un dialogue où les grandes certitudes métaphysiques laissent place au risque de l’échec pour autant qu’il affecte toute traduction comme toute communication.
EN :
This article provides a critical outline of Naoki Sakai’s theory of translation. As Sakai’s theory uses European thought (particularly French post-structuralism) as a critical lens for the analysis of Japanese modernity, the theory itself represents an unprecedented East-West dialogue. Critical both of claims of Western dominance and Eastern mimicry, Sakai casts aside the question of translatability, instead favoring an analysis of the potential failure of translation, which is inherent to all acts of translation and communication.
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Translation in Intersystemic Interaction: A Case Study of Eighteenth-Century Russia
Sergey Tyulenev
p. 165–189
RésuméEN :
The article considers the applicability of Niklas Luhmann’s social systems theory to the study of translation. The focus of this paper is the intersystemic aspect of translation’s social involvements. Translation is considered as a social subsystem acting as a boundary phenomenon (opening/closing the system) and as a mechanism of the system/environment throughput. The theory of social-systemic functioning of translation is exemplified by a case study of the translation history of eighteenth-century Russia.
FR :
L’article traite du rôle de la traduction dans les systèmes sociaux en appliquant la théorie des systèmes sociaux, élaborée par Niklas Luhmann. Cet article se concentre sur le concept d’interaction intersystémique dans les implications sociales de la traduction. La traduction est envisagée comme un sous-système social jouant le double rôle de frontière du système (ouverture/fermeture du système) et de mécanisme d’échange entre le système et l’environnement. La théorie du fonctionnement systémique et social de la traduction sera illustrée par des exemples tirés de l’histoire de la traduction en Russie au XVIIIe siècle.
Comptes rendus
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Leonardo Bruni. De interpretatione recta. De la traduction parfaite. Traduction du latin, introduction et notes de Charles Le Blanc. Ottawa, Les Presses de l’Université d’Ottawa, 2008, 132 p.
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Paul F. Bandia. Translation as Reparation: Writing and Translation in Postcolonial Africa. Manchester, UK et Kinderhook, NY, St. Jerome Publishing, 2008, 270 p.
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Gisèle Sapiro, dir. Translatio. Le Marché de la traduction en France à l’heure de la mondialisation. Paris, CNRS éditions, collection « Culture et société », 2008, 430 p. [CNRS Éditions : 15, rue Malebranche – 75005 PARIS France.]
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Antoine Berman. L’Âge de la traduction. « La tâche du traducteur » de Walter Benjamin, un commentaire. Texte établi par Isabelle Berman avec la collaboration de Valentina Sommella. Saint-Denis, Presses Universitaires de Vincennes, coll. « Intempestives », 2008