TTR
Traduction, terminologie, re?daction
Volume 17, numéro 2, 2e semestre 2004 Traduction, éthique et société Translation, Ethics and Society Sous la direction de Marco A. Fiola
Sommaire (15 articles)
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Présentation
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Quelques considérations éthiques sur l’invisibilité du traducteur ou les vertus du silence en traduction
Sathya Rao
p. 13–25
RésuméFR :
L’objet de cet article est d’interroger le postulat éthique de l’invisibilité du traducteur. Si ce postulat doit être rejeté dans sa forme classique, il gagnerait à être préservé sous une forme inédite. Sous ce nouveau jour, l’(in)visibilité ouvrirait sur une éthique de la traduction donnant sa juste place aux silences du traducteur. À l’heure de l’activisme politique et social du traducteur, il est, plus que jamais, nécessaire de poser la question des conditions éthiques de son désengagement.
EN :
The purpose of this article is to question the ethical postulate of the translator’s invisibility. To be rejected under its classical formulation, such a postulate could however be maintained under a brand new version. In this latter version, (in)visibility could open onto an ethics of translation, giving its proper place to the translator’s silences. Indeed, in the age of political and social activism, it is high time to raise the question of the ethical conditions of the translator’s disengagement.
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Levinas, Latin American Thought and the Futures of Translational Ethics
Christopher Larkosh
p. 27–44
RésuméEN :
This article underscores the relevance of the ethical philosophy of Emmanuel Levinas to contemporary discussions of translational ethics, especially with respect to contemplations of the discipline’s future. It posits thinking of the future as an ethical imperative against the historical backdrop of the Holocaust and other human ethical crises. Despite the foreclosure of utopian thinking that such a context might imply, there are nonetheless other modes of imagining translation in other terms, whether “dés-inter-essement,” cross-identification, or other forms of transcultural ethical consciousness. The discussion is highlighted by examples from Latin American literature, liberation philosophy and anthropology, as well as from the historical trajectory of the discipline of translation studies from the 1970’s to the present.
FR :
Le présent article souligne la pertinence de la philosophie éthique d’Emmanuel Lévinas dans les débats actuels sur l’éthique dans la traduction, et en particulier à propos des considérations sur l’avenir de cette discipline. Avec l’Holocauste, ou d’autres crises éthiques humaines pour toile de fond, cet article postule une réflexion sur l’avenir comme impératif éthique. Bien qu’un tel contexte semble exclure la possibilité de toute pensée utopique, il existe néanmoins d’autres modes de concevoir la traduction, que ce soit par le « dés-intér-essement », la transidentification ou d’autres formes de conscience éthique transculturelle. Nous étayerons notre discussion par des exemples tirés de la littérature latino-américaine, de la philosophie de la libération, de l’anthropologie, ou encore pris dans la trajectoire historique de la discipline de la traductologie depuis les années soixante-dix.
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Le traducteur semeur d’éthique : pour une application de la pensée d’Emmanuel Lévinas à la traduction
Arnaud Laygues
p. 45–56
RésuméFR :
Cet article est une tentative d’application des notions d’« image » et de « visage » telles que les définit Emmanuel Lévinas. Ces concepts nous permettront d’aborder la traduction littéraire, non pas comme une ressemblance du texte-source mais comme le « visage » de l’auteur représenté par son texte. Cette appréhension particulière du texte modifie également le statut du traducteur en l’intégrant dans une relation inter-humaine dans laquelle sa responsabilité est totale. Enfin, nous proposerons au traducteur de promouvoir l’exigence éthique. Non seulement il devient le garant d’une traduction dont le centre est la relation à l’étranger mais plus encore il promeut cette relation éthique avec son propre lecteur.
EN :
This article is an attempt to apply the notions of “image” and “face” (visage) as defined by Emmanuel Lévinas. These concepts allow us to approach literary translation not in terms of creating a resemblance to the source text but as showing the “face” of the author re-presented through his text. This approach to the text modifies the status of the translator by integrating him into a human relationship in which he carries full responsibility. Finally, we will suggest that the translator promote ethical demands. He becomes the guarantor of a translation whose essence is the relation to the foreign, but beyond this he is also promoting this ethical relation with his reader.
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L’épistémologie cinétique de la traduction : catalyseur d’éthique
Pier-Pascale Boulanger
p. 57–66
RésuméFR :
Tant dans sa pratique que sa réflexion, la traduction génère un savoir et un savoir-faire pluriels et éparpillés. À ce titre, ils empêchent la continentalisation de la traductologie et l’implantation d’une métathéorie prédominante. La dispersion des théories hétérogènes de la traduction, leur mouvement migratoire, participe d’une épistémologie cinétique, selon laquelle il n’est que de situations et de positions, qu’elles soient polysystémiques, sociologiques, féministes, postcolonialistes, herméneutiques ou poétiques. Le geste même d’admettre sa situation, sa position, témoigne d’un comportement éthique.
EN :
Through its practice as well as its theorization, translation generates knowledge and know-hows that are plural and scattered. As such, they frustrate the federation of translation theories into a monolithic domain, hence foiling the domination of any one metatheory. Because of their dispersion, heterogeneous theories of translation seem to follow a migratory movement, pointing to a kinetic epistemology. The act of admitting where one stands, one’s position-be it in polysystems theory, sociology, feminism, postcolonialism, hermeneutics or poetics-is the foundation of an ethical behavior.
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Du droit à l’éthique du traducteur
Salah Basalamah
p. 67–88
RésuméFR :
Avant de prétendre à un code de déontologie, le traducteur est tenu de se conformer à un droit. De fait, on constate que les deux documents qui visent à améliorer la condition du traducteur et lui préciser ses droits et devoirs sont la Recommandation de Nairobi (1976) et la Charte du traducteur (1963-1994). Or, ces documents ne sont pas contraignants et n’ont pas de valeur juridique autonome dans la mesure où ils sont soumis à la législation qui administre le droit du traducteur qui est, en l’occurrence, le droit de l’auteur. Alors que sur le plan philosophico-juridique le droit du traducteur est sous-tendu par les déterminants d’un droit de la traduction et du métadiscours littéraire sur l’auctorialité, cet article tente de mettre au jour une éthique du traducteur, dans le contexte du déséquilibre dans la production du savoir et de la culture entre pays industrialisés et pays en développement, qui réponde aux besoins de la construction d’un nouvel ethos traductif, d’une nouvelle identité pour le traducteur. Dans le prolongement des pensées philosophiques derridiennes et de la traductologie post-coloniale, il s’agira d’énoncer les principes qui devraient contribuer à penser l’élaboration d’une éthique traductive « citoyenne et altermondialiste ».
EN :
Before any code of professional ethics, the translator is required to abide by the law-the copyright law. In fact, the condition of the translator-which is governed by the Recommendation of Nairobi (1976) and the Translator’s Charter (1963-1994)-is closely tied to the international copyright law, as these two documents don’t have any autonomous legal power. Whereas at the legal and philosophical levels, the translator’s rights are determined by the aforementioned laws and the literary meta-discourse about authorship, this article purports to develop a translator’s ethics-within the context of the culture and knowledge production unbalance between industrialized and developing countries-in order to construct a new identity, a new ethos for the translating subject. In suit with Derrida’s philosophy and post-colonial translation studies, our task will concentrate on defining the principles which would contribute to put forth a translational ethics of “citizenship and alterglobalism.”
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Is Fidelity Ethical? The Social Role of the Healthcare Interpreter
Andrew Clifford
p. 89–114
RésuméEN :
This article explores the conduit model so often promoted in community interpreting and its connection with ethical behaviour. The author begins by exploring the origin of the model and the pathways through which it came to be applied in community interpreting. He then considers the model against the backdrop of competing ethical approaches and questions why it continues to be promoted in the face of mounting evidence of its shortcomings. Finally, he presents new information derived from interviews with stakeholders in the healthcare sector. The author argues that this information indicates practitioners may be willing to work with interpreters who take on a wider role, and he concludes by underlining the need to recognize the complexity in the work interpreters do.
FR :
Cet article s’intéresse aux enjeux éthiques d’une notion souvent préconisée dans le monde de l’interprétation communautaire et selon laquelle le rôle de l’interprète doit se limiter à celui de simple « intermédiaire » entre émetteur et récepteur (« conduit model »). L’auteur retrace la genèse de cette notion et montre par quelles voies elle a trouvé son application au domaine de l’interprétation communautaire. À la lumière de plusieurs approches éthiques, il remet en question sa légitimité encore défendue aujourd’hui malgré ses lacunes de plus en plus attestées. Il présente ensuite le témoignage offert par des informateurs dans le domaine de la santé. Ces derniers semblent prêts à accepter un rôle élargi pour l’interprète, et l’auteur conclut en soulignant la nécessité de reconnaître la complexité de l’interprétation en milieu communautaire.
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Le « gain et le dommage » de l’interprétation en milieu social
Marco A. Fiola
p. 115–130
RésuméFR :
Si l’on s’entend pour reconnaître l’importance de la traduction et de l’interprétation au plan social, on s’est peu intéressé jusqu’à présent aux retombées négatives possibles que ces deux pratiques peuvent avoir tant pour ceux qui pratiquent la traduction et l’interprétation que pour ceux qui en bénéficient. L’auteur entame une réflexion sur certains effets – positifs et négatifs – de l’interprétation en milieu social en proposant comme point d’appui, d’une part, deux décisions rendues par des tribunaux du Canada et, d’autre part, la Déclaration universelle des droits de l’homme. L’auteur conclut en défendant la nécessité de l’interprétation en milieu social tout en appelant à une restructuration de cette pratique.
EN :
Although most would agree on the usefulness of translation and community interpretation, little attention has been paid this far to the possible negative impact of these activities, both on those who provide and those who benefit from translation and interpretation services. In this paper, the author initiates a reflection on some of the effects – be they negative or positive – of community interpretation by taking as starting points two decisions by Canadian tribunals and the Universal Declaration of Human Rights. In conclusion, the author supports the need for community interpretation while calling for a restructuring of the profession.
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Xhuyaa et Ts’ehk’i : les traductions de deux versions des hauts faits du corbeau et l’éthique de la traduction des récits traditionnels des Premières Nations
Philippe Cardinal
p. 131–141
RésuméFR :
L’article compare trois traductions de la version haïda skidegate des hauts faits du corbeau, le « trickster » des Premières Nations du nord-ouest de l’Amérique, à une traduction de la version tuchoni septentrionale du même mythe. Les trois traductions du récit haïda ont été effectuées par trois universitaires non autochtones, qui ont tous eu recours à des interprètes haïdas, dont ils ont ensuite modifié les traductions avant de les publier. L’analyse de ces traductions révèle plus de similarités que de différences entre les trois textes d’arrivée et une tendance généralisée à l’occidentalisation. La traduction de la version tuchoni septentrionale du même mythe, réalisée par un aîné de cette nation yukonnaise, s’avère cependant fidèle aux traditions amérindiennes.
EN :
This article compares three translations of the Skidegate Haida version of the adventures of the raven, the trickster of many of North America’s North-Western First Nations, with a translation of the Northern Tuchoni version of the same myth. The Haida tale was translated by three non-aboriginal academics with the help of native Haida interpreters, whose translations the academics modified before publishing them. The analysis of the translations of the Haida version shows little difference between the three target texts and a common westernising tendency. A Northern Tuchoni elder’s translation of the same myth, however, remains faithful to aboriginal traditions.
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Au-delà de la médiation linguistique : le rôle de l’interprète dans les négociations des traités conclus avec les Autochtones du Canada (1850-1923)
Marjorie Agrifoglio
p. 143–159
RésuméFR :
L’objet de cet article est d’analyser le rôle des interprètes dans les négociations des traités de cession de territoire conclus avec les Autochtones au Canada entre 1850 et 1923. Nous examinons, dans un premier temps, le contexte des négociations et présentons quelques données préliminaires sur les interprètes qui y ont participé. Il apparaît que le rôle des interprètes se caractérisait par le cumul des fonctions de « négociateur », d’« informateur » et de « conseiller » et qu’il allait donc bien au-delà de la médiation linguistique. Dans un deuxième temps, nous présentons quelques considérations théoriques sur l’interprétation conçue comme instrument d’assimilation ou de résistance, ainsi que comme véhicule pour transmettre des valeurs et non seulement des contenus. Ainsi, c’est en reconnaissant et en analysant le pouvoir qu’a l’interprète de devenir « visible » et d’intervenir délibérément dans le déroulement des rencontres que l’on peut envisager l’interprétation comme un acte social, culturel et idéologique.
EN :
The purpose of this paper is to analyze the role of interpreters during the negotiation of land surrender treaties signed with Canada’s First Nations from 1850 to 1923. Firstly, the context of the negotiations is examined and some preliminary information about the interpreters is provided. The role of interpreters includes the functions of “negotiator”, “informant” and “advisor”, going beyond simple linguistic mediation. Secondly, we present some theoretical considerations to conceive of interpreting as an instrument of assimilation and resistance, as well as a vehicle for transmitting values and not just content. By acknowledging and analyzing the power of the interpreter to become “visible” and intervene deliberately in the exchange, we are able to define interpreting as a social, cultural and ideological act.
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The Oral Translator’s “Visibility”: The Chinese Translation of David Copperfield by Lin Shu and Wei Yi
Rachel Lung
p. 161–184
RésuméEN :
An important feature in the translation history of China in the early 20th century was the collaboration between a Chinese monolingual and a Chinese bilingual in a large-scale translation of Western fiction. Such a collaboration pattern lasted for almost two decades before more Chinese bilinguals were trained in the 1920s. The partnership of Lin Shu (1852-1924) (a prominent written translator) and Wei Yi (1880-1933) (one of Lin Shu’s oral translators) lasted for 10 years, during which they translated over 40 English novels into Chinese. Through textual analyses of their co-translation of Charles Dickens’s David Copperfield in 1908, this article unravels the long-neglected contribution of Wei Yi in the work, and points to the importance of “orality” in their translation process in shaping Lin Shu’s translations. The article is structured into two parts: first, the background of Lin Shu and Wei Yi, and their collaboration; second, evidence of Wei Yi’s visibility in the translation in terms of textual changes from indirect speech to direct speech, the use of annotations, and the characteristics of the translation.
FR :
Les collaborations en tandem monolingue-bilingue dans la traduction d’un large corpus d’oeuvres occidentales ont marqué l’histoire de la traduction en Chine au début du XXe siècle. On trouve des exemples de ce type de collaboration sur une période de presque vingt ans, jusqu’à ce qu’un plus grand nombre de traducteurs bilingues soient formés dans les années 1920. Le travail commun de Lin Shu (1852-1924), célèbre traducteur monolingue, et de Wei Yi (1880-1933), l’un des traducteurs oraux de Lin Shu, s’étendit sur dix années au cours desquelles les deux hommes traduisirent plus de quarante romans anglais. L’analyse de leur traduction de David Copperfield en 1908 met en lumière le rôle trop souvent négligé de Wei Yi, ainsi que l’importance de l’oralité dans leur processus de traduction et son influence sur le travail de Lin Shu. Cet article comporte deux parties : la première s’attache à présenter les traducteurs et les détails de leur collaboration ; la seconde expose les traces de l’influence de Wei Yi – visibles dans le passage du discours indirect au discours direct, le recours aux notes et d’autres marques textuelles.
Comptes rendus de lecture
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Malcolm Williams. Translation Quality Assessment: An Argumentation-Centred Approach. Ottawa, University of Ottawa Press, 2004, 188 p.
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Maria Tymoczko and Edwin Gentzler (eds.). Translation and Power. University of Massachusetts Press, 2002, 244 p.
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Monique C. Cormier et Aline Francoeur (dir.). Les dictionnaires Larousse, genèse et évolution. Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, coll. « Paramètres », 2005.
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Georges Mounin. Louis Leboucher dit Georges Mounin. Textes inédits rassemblés et publiés par Christian Balliu. Bruxelles, Les Éditions du Haz/sard, collection Traductologie, 2003, 112 pages, plus un CD.