ChroniquesPoésie

Du côté de l’Hexagone[Notice]

  • André Brochu

…plus d’informations

  • André Brochu
    Université de Montréal

Une stratégie de la présente chronique consiste à consacrer, de temps à autre, quelques pages à des recueils récents d’un même éditeur. C’est ainsi que j’ai présenté déjà des parutions du Noroît et des Herbes rouges, histoire d’appeler l’attention sur un foisonnement particulier. Aujourd’hui, je poursuis ce petit tour d’horizon de notre poésie avec les éditions de l’Hexagone. La poésie de Francis Catalano a de quoi étonner, par son refus de la tradition (je pense aux formes courantes de l’humanisme bien-pensant) aussi bien que par un côté avenant qui la rend facile à côtoyer. Elle est faite de mots simples, parfois familiers, qui forment ensemble des messages à la fois lumineux et obscurs. Voici un exemple, choisi entre mille, car tout, dans Au coeur des esquisses, est de la même encre : Quel rapport y a-t-il entre l’injonction initiale, isolée par la parenthèse, et les jolies suggestions de plein-air qui suivent ? Du vent, rien que du vent, et cela se termine par la virgule comme tous les textes du recueil, selon le parti pris de l’auteur. Pourquoi ? Peut-être parce que le tissu de la vie est sans fin, et celui du poème également. Le point final serait affaire de dogmatisme et d’entêtement. Vive plutôt l’incessant chant des ruisseaux et la présence labile des truites, ou encore, dirions-nous, de l’arc-en-ciel (objet de la prière ?)… La nature fait de bien agréables apparitions dans les poèmes, mais la contribution essentielle aux « esquisses » qu’évoque le titre est constituée d’espaces géographiques. Le monde est tout entier présent, virtuellement du moins, à travers des villes et des lieux chargés d’évocation tels des sites de Californie (mêlés aux rappels de Pompéi, du Vésuve), des Caraïbes, d’Amérique latine ; ou encore comme New York, le Canada, le Costa Rica, l’Espagne, Milan, etc. Rien de proprement touristique dans ces mentions qui sont comme une mémoire de l’espace et du temps les plus vastes. Les poèmes de Catalano accueillent tout, aussi bien les peuples présents et passés que les mages récents « d’un cinéma cartésien d’un schéma derridien » (49). Ce qui permet la mise en perspective de tant d’éléments disparates et qui les préserve de la gratuité, c’est une maîtrise du langage poussée très loin. Car l’étoffe des mots est garante de celle des choses, constituant peut-être ce « coeur des esquisses » du titre. Par exemple, je lis : « le climat serait à Lima ce qu’un lama est à son crachat » (32), où les homophonies mettent en rapport la ville et l’animal (« Lima » et « lama »), l’atmosphère et l’expulsion glaireuse (« climat » et « crachat »). Je relève aussi, parmi tant d’autres tours de force de la langue, « rêves d’insectes brisés secs sur le pare-brise » (55) : « insectes »/« secs », « brisés »/« pare-brise », qui fractionnent les significations pour les réinventer à nouveaux frais. Malgré l’attrait d’un discours libre, capable de tout réinventer, on peut cependant remarquer l’absence des grands traits qui sont la caractéristique, depuis toujours, de la poésie. Par exemple, le lyrisme, sans doute associé à toute une tradition dont on voudrait peut-être aujourd’hui se passer, et qui a déterminé pendant des siècles l’attachement du lecteur à la parole inspirée. Également, dans les parages immédiats du lyrisme, le grand thème de l’amour. Il se trouve très peu de figures féminines dans le recueil, et elles ne sont nullement engagées dans une relation sentimentale ou charnelle. « Se pourrait-il, demande l’auteur, que le sexe ne soit qu’une représentation, on dirait une fresque chez les Anciens, et qu’en s’acharnant sur le …

Parties annexes