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Ni rose, ni réséda : les nostalgiques de l’absolu[Notice]

  • Krzysztof Jarosz

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  • Krzysztof Jarosz
    Université de Silésie

Les deux ouvrages qui font l’objet de cette chronique exigent à mon avis une prise de position idéologique, ce qui met le soussigné dans une situation peu commode, qui ne lui permet pas d’avancer masqué en faisant abstraction de ses propres convictions. Mais, en même temps, cette confrontation avec des idées placées à un niveau aussi sublime provoque une profonde réflexion intellectuelle et affective ; elle nous tire de l’état de somnolence dans lequel nous sommes habitués à passer notre vie de tous les jours, anesthésiés et, pour ainsi dire, vaccinés contre les idées de grandeur, d’absolu — le propre de l’intellectuel tel que je le conçois (même assoupi dans le confort des constructions a-idéologiques) étant une faculté d’empathie qui lui permet de sortir de ses convictions personnelles conscientes ou semi-conscientes afin d’essayer de comprendre les opinions des autres. Inutile de dire que c’est là ce qui distingue l’intellectuel de l’idéologue confortablement enfermé dans ses opinions et incapable de s’ouvrir aux autres systèmes de pensée. Les ouvrages dont je parle montrent en outre que le vieux fonds chrétien — qu’on a souvent tendance à considérer comme définitivement dépassé — ne cesse de constituer pour nous un point de référence incontournable et que les problèmes de spiritualité auxquels nous sommes exposés chaque fois que, éperonnés par un fait ou par une oeuvre d’art, nous nous mettons à nous poser des questions disons « verticales » qui freinent notre traversée plane et plate de voyageurs de l’espace bidimensionnel ne manquent pas de nous hanter. Je croyais naïvement que la jeune génération de Québécoises et de Québécois, élevée dans une ambiance laïque, était délivrée de ces préoccupations spirituelles et que, une fois passée la mode nouvel-âgiste qui était un adieu de leurs grands-parents à la religion des aïeux, elle constituait un exemple, rare dans le monde, d’une frange sociale totalement libérée de l’influence confessionnelle. Si c’est peut-être vrai en général, l’ouvrage de Sara Danièle Bélanger-Michaud constitue un démenti flagrant de ce diagnostic trop hâtif. Dans son essai intitulé Cioran ou Les vestiges du sacré dans l’écriture , texte écrit selon les règles du discours universitaire, on lit en filigrane l’aveu personnel de la fascination qu’éprouve la jeune chercheuse pour le célèbre veuf inconsolable de Dieu. Je me surprends, en y repensant, à confondre le sujet de ce livre avec le choix et la démarche de l’auteure. Bélanger-Michaud s’est donné pour tâche de relever, dans l’oeuvre de Cioran, les traces d’un sacré dépourvu des assises institutionnelles que représentaient tant les Églises que la foi elle-même, étant donné qu’« [o]n ne sait pas comment penser le sacré en dehors du cadre institutionnel, quel qu’il soit » (12). Comme elle le dit dans la première phrase, « [l]a réflexion qui s’amorce avec ces pages concerne deux pôles centraux : le sacré et l’écriture, et les différentes relations qui s’établissent entre eux dans l’oeuvre de Cioran » (11). Il est difficile d’imaginer une pensée plus exigeante et plus douloureuse que celle du Roumain, qui s’adonne à une quête de sacré sans la foi, en persistant à demeurer dans le doute à la fois épistémologique et ontologique, dans un no man’s land qui engendre l’angoisse et le malaise. Sa posture est par essence tragique. Comme le dit l’auteure de l’essai, selon Cioran, même le salut, si salut il y a, « ne doit pas résulter d’une recherche d’équilibre, ou d’une tentative d’atteindre quelque chose qui ressemblerait à l’état d’équanimité du bouddhisme » (87). Dans ses écrits, l’écrivain joue et rejoue le drame d’un exclu volontaire de la société des croyants, en forçat spirituel qui ne cesse de mettre …

Parties annexes