ChroniquesDramaturgie

La dignité des mères[Notice]

  • Lucie Robert

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  • Lucie Robert
    Université du Québec à Montréal

Que peut-on dire encore des mères aujourd’hui ? Célébrées ou haïes, le plus souvent les deux à la fois, elles sont à l’origine de la vie, mais aussi d’un éternel corps-à-corps où se joue, entre elles et leurs enfants, l’ambivalence d’une relation fondée sur la séparation. Les femmes ont beaucoup écrit sur la maternité, qui demeure un enjeu central de l’identité féminine. Les hommes, beaucoup moins. De même, la littérature a plus exploré la construction fictionnelle de la relation des mères à leurs filles que celle, tout aussi problématique, de la relation des mères à leurs fils. Entre les deux, la différence est pourtant essentielle, car le fils est non seulement différent de sa mère (alors que la fille est à certains égards reproduction du Même), il est à ses yeux un représentant du sexe opposé et, en ce sens, figure de l’Autre. Devant son fils, la mère a le choix de disparaître entièrement dans un rôle social qui ne lui reconnaît pas le pouvoir d’agir sur le monde ou de réaffirmer son identité de femme et de créatrice. Les femmes dont il est question ici sont donc mères comme par accident ; elles apparaissent parfois indignes, ce qui les rend dramatiquement plus intéressantes, puisque préoccupées de leur destin et de leur désir propre. Aux yeux des uns, elles sont des monstres d’égoïsme et de narcissisme ; aux yeux des autres, des sources d’inspiration. L’un ne va sans doute pas sans l’autre. Aussi fallait-il brouiller le point de vue pour faire jaillir quelques grands rôles féminins de ces jeux d’amour et de séduction, d’héritage et de raison. Jean-Daniel Lafond se dit fasciné par l’histoire exceptionnelle de Marie de l’Incarnation, que, dans sa mythologie personnelle, il place à côté d’Aimé Césaire et de Jacques Ferron . Marie de l’Incarnation ou La déraison d’amour , monologue écrit en collaboration avec la comédienne Marie Tifo, qui en fut d’ailleurs l’interprète au moment de sa création en octobre 2008 au Théâtre du Trident, s’inscrit dans le prolongement d’un autre film, Folle d’amour, lancé quelques mois plus tôt. Ce qui fascine tant Lafond est l’histoire d’une femme qui renonce aux gloires de la vie terrestre pour entrer en religion et contribuer à l’établissement d’un pays neuf, la Nouvelle-France, dans une vision utopique qui rompt avec la France des guerres de religion. Deux raisons paraissent l’avoir incité à concevoir ce texte destiné à la scène. La première est de donner à entendre « la beauté d’une langue qui tente d’exprimer l’indicible qui jouxte le sacré, entre le corps et l’esprit, entre l’organique et le spirituel » (67-68) et ainsi de faire comprendre « que le sacré fait partie de la culture, et qu’il n’est pas la propriété exclusive du religieux ». (68) Toutefois, la langue du théâtre est d’abord celle « qui expose à outrance le corps, qui médiatise l’intime au-dehors comme au-dedans » au sens précis où l’écrit Jacques Lacan : « le corps fonctionne comme avant tout dans le langage » (cité, 76). Aussi la rencontre entre le mysticisme et la scène, entre l’auteur et l’actrice, révèle-t-elle « le corps-à-corps d’une femme présente en chair et en os avec le fantôme d’une autre, extrême dans ses décisions et dans ses choix » (79). Inquiet de ce que devient le monde contemporain, Lafond cherche également à « rétablir la fonction matricielle de la spiritualité dans la vie sociale » (81). Lecture téléologique donc que ce monologue, qui saisit l’image d’une femme du xviie siècle comme révélatrice des tensions des xxe et xxie siècles, tout en offrant ce qui paraît être des …

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