Présentation[Notice]

  • Clara Foz et
  • Marc Charron

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  • Clara Foz
    Université d’Ottawa

  • Marc Charron
    Université d’Ottawa

Disons d’emblée que le thème auquel ce numéro de TTR est consacré, Traduire les Amériques, est ambitieux, voire quelque peu démesuré. Prenons-le à rebours : les Amériques, ce (double) continent de quelque 900 millions d’habitants inégalement répartis, comme le dit le cliché de l’Arctique à la Terre de Feu, représentent un espace géographique, politique et culturel immense dont tracer, du point de vue de la réalité traductionnelle, ne serait-ce qu’une esquisse, semble impossible. Comment ne pas voir, cependant, que l’espace américain et ses contrastes, ses zones frontières, ses migrations et mouvements, ses métissages, ses richesses et ses conflits, politiques, entre autres, ouvrent des perspectives pluridisciplinaires au sein desquelles les pratiques interculturelles et transculturelles, et, par là même, la traduction, occupent une place de choix. Traduire, oui, puisque ces lieux, depuis la colonisation européenne d’il y a plus de cinq siècles, constituent des lieux marqués par la pratique de la traduction : conquête et endoctrinement des populations autochtones, adoption, imitation ou dépassement de modèles littéraires, importation de savoirs de tous ordres ou de textes politiques, représentent quelques-unes des manifestations de la traduction dans les Amériques. Pour autant, ce que l’histoire, telle que construite par les historiens de profession, ne montre pas toujours, c’est le rôle joué par la traduction dans la création et la construction des identités tout comme des communautés imaginaires. Variées et plurielles, les Amériques se présentent comme un immense laboratoire linguistique : aux quatre langues très largement majoritaires imposées par la colonisation, langues qui sont, par la force des choses et des pouvoirs économiques et culturels en jeu, celles de la traduction, s’en ajoutent environ un millier qui survivent ou tendent vers la disparition lente mais inévitable. Certaines seront sauvées ou plutôt répertoriées in extremis, d’autres, comme le quechua, ont d’ores et déjà leur place sur Internet et son principal moteur de recherche. D’autres encore, qui sait, serviront de porte-étendard à d’éventuelles revendications identitaires, autant de tentatives, dans un monde aux repères incertains, qui tentent de renouer avec une identité naturelle et homogène, pour sûr inventée, imaginée. Il n’est guère étonnant dès lors que, depuis diverses disciplines, se soit posée, sur ce continent de ruptures et de contrastes qui résiste à toute représentation unificatrice et englobante, la question d’une certaine ou possible identité américaine, ou américanité, notion qui fait référence à une expérience américaine au sens large, de nature essentiellement historique et source d’un univers de discours et de références identitaires partagés. En quoi les pratiques traductives ont-elles contribué jusqu’ici à forger cette notion, à en délimiter les frontières, à les effacer, voire à exacerber les différences américaines? Quel a été, sur le terrain des rapports de force ou de domination exercés de l’intérieur (dans les rapports Nord-Sud) ou de l’extérieur (en contexte colonial), le rôle des traducteurs comme agents ou négociateurs culturels? Leur rôle s’est-il transformé du fait des événements marquants qu’ont été la décolonisation et l’accession pour la plupart des pays à l’indépendance politique? Quel est et pourrait être leur rôle dans l’intégration économique continentale qui de plus en plus s’affirme et se confirme? Autant de questions auxquelles il est impossible de répondre dans le cadre qui est ici le nôtre, mais que directement ou indirectement les auteurs ayant participé à ce numéro de TTR touchent de diverses manières. « Traduire les Amériques » réunit des textes de chercheurs venus de divers horizons et qui ont comme préoccupations communes les pratiques de traduction passées, présentes ou à venir sur notre vaste continent, un thème qui se décline de diverses manières et qui relève d’une actualité on ne peut plus …