Comptes rendus de lecture

Traduction : Les échanges littéraires internationaux. Actes de la recherche en sciences sociales, n° 144, septembre 2002, 106 p.[Notice]

  • Alexandra Fukari

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  • Alexandra Fukari
    Université de Graz, Autriche

Qu’est-ce qu’une analyse sociologique de la traduction littéraire est susceptible d’apporter à la traductologie ? Que peut-on attendre de ce qui pourrait être qualifié (et nous nous contenterons ici d’évoquer prudemment la problématique de la dénomination) de « sociologie de la traduction » ou de « sociotraductologie »? Le présent volume, qui réunit plus de la moitié des communications faites lors d’une journée d’étude pluridisciplinaire organisée en septembre 2001 à la Maison des sciences de l’homme à Paris, laisse entrevoir le potentiel scientifique d’une étude de la traduction sous cet angle. Le recueil, paru dans les Actes de la recherche en sciences sociales, revue trimestrielle fondée en 1975 par Pierre Bourdieu, s’ouvre par l’article « La traduction littéraire, un objet sociologique ». Ce texte est une prise de position théorique des deux co-éditeurs et co-organisateurs de la journée d’études, Johan Heilbron et Gisèle Sapiro, dans laquelle est tracée « l’approche proprement sociologique » de la traduction littéraire inhérente aux sept articles qui suivront. Cette approche repose essentiellement sur les concepts de Bourdieu et rejoint, selon les dires des auteurs, « les Translation Studies et les études des processus de transfert culturel ». En effet, dans le cadre de ces deux domaines de recherche sont apparues, parmi d’autres, des questions « sociologiques […] qui portent sur les enjeux et les fonctions des traductions, leurs agences et agents, l’espace dans lequel elles se situent ». D’après les auteurs, adopter un regard « proprement » sociologique sur la traduction serait donc prendre en considération la « pluralité des agents impliqués », « l’ensemble des relations pertinentes au sein desquelles les traductions sont produites et circulent », voir la traduction comme « imbriqué[e] dans des rapports de force entre des pays et leurs langues », bref, envisager la traduction comme un acte engageant des dominants et des dominés à tous les niveaux. Ouverture prometteuse qui laisse espérer que cette démarche comblera quelques lacunes des recherches effectuées en traductologie, en analysant de plus près, par exemple, non seulement la pluralité des agents impliqués dans la culture-« cible », mais aussi ceux agissant dans la culture-« source » (ou ailleurs). Ouverture également exigeante dans la mesure où, afin d’éviter d’enfoncer des portes ouvertes, elle implique la nécessité de tenir compte de tous les travaux de recherche déjà réalisés en traductologie et intégrant d’une manière ou d’une autre des vues et concepts sociologiques (par exemple Gouanvic, 1999, 2002; Simeoni, 1998; Wolf, 1999, 2002). L’article qui illustre peut-être le mieux ces enjeux, l’intérêt scientifique à tirer d’une « logique sociologique de la traduction » et les écueils à contourner, est « Consécration et accumulation de capital littéraire. La traduction comme échange inégal » de Pascale Casanova. Casanova se concentre sur deux cas de figure : la traduction d’un texte écrit dans une langue dominante vers une langue dominée (« dominante » et « dominée » se référant au capital littéraire attaché à une langue) et la même opération dans le sens inverse. Dans le premier cas s’effectue une « traduction-accumulation » lors de laquelle il s’agit surtout d’importer du capital littéraire dans les espaces littéraires nationaux dominés (Casanova évoque essentiellement la politique de traduction des romantiques allemands), dans le deuxième, on assiste à une « traduction-consécration » qui permet aux auteurs écrivant dans une langue dominée d’acquérir de la légitimité dans ce que Casanova nomme la « République mondiale des lettres » (1999). L’intérêt scientifique du travail de Casanova réside incontestablement dans une systématisation rigoureuse et probante qui s’appuie sur des éléments de la théorie bourdieusienne. Le cadre conceptuel méthodologique qu’elle suggère pour révéler l’enjeu …