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  • Eftihia Mihelakis

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  • Eftihia Mihelakis
    Université de Brandon

Ce dossier est né d’un désir de comprendre comment le syntagme « fille-s » se décline dans l’imaginaire littéraire contemporain au Québec à travers les articulations culturelles, esthétiques et politiques de la fille ou des filles mises en oeuvre dans la littérature depuis la fin des années 1980. Contrairement aux présuppositions tant théoriques, critiques que morales qui ont largement contribué à l’avancement et à la dissémination des études portant sur les configurations contemporaines de la littérature au Québec, très peu a été rapporté sur la place des filles face au « bouleversement énorme qui [allait] suivre ». Or, il demeure important de reconnaître que « l’abolition de la distance qui sépare les femmes entre elles », celle qui se déploie implicitement ou explicitement dès la fin du xixe siècle chez les personnages de Laure Canon, de Germaine Guèvremont, d’Anne Hébert, de Gabrielle Roy, pour ne nommer que celles-ci, se matérialise nécessairement, affirme Patricia Smart, grâce à « la force des filles ». Le cheminement intellectuel qui se donne à lire à travers ces figures s’élabore aussi dans d’autres études sur les filles au Québec — je pense notamment aux travaux de Martine Delvaux dont l’essai Les filles en série a placé « les filles » à l’avant-scène de la réflexion féministe. Elle montre qu’il y a un effet « simultanément séduisant et anesthésiant d’une image sérielle qui s’offre à nous comme divertissement ». Mais cet essai associe un éventail d’images (des Tiller Girls aux Barbie en passant par les Pussy Riot) pour mettre en relief le fait que ces représentations du corps féminin sériel ne peuvent être cantonnées à une lecture homogène. Le pouvoir de résistance et de rébellion des filles lors du printemps 2012 au Québec se donne à lire dans le fait qu’elles se sont mobilisées dans la rue, sur la ligne de front, en risquant d’encaisser les coups. La fille est une figure qui vit donc à l’heure actuelle une sorte de nouvelle vague sur le plan de l’imaginaire littéraire. Par ailleurs, les années 1980 au Québec peuvent davantage être perçues comme un moment pivot qu’une conjoncture irréfragable où « la littérature […] entre dans l’ère du pluralisme ». C’est une ouverture qui donne à voir une prolifération et un remaniement des rapports de sexes, de classes et de races, lesquels se désinvestissent des modèles hiérarchiques pour déboucher sur une économie nouvelle, centrée sur la mutualité. Au centre de ces relations horizontales, se trouve celle « du rapport mère-fille [qui] transforme le paysage littéraire ». Les littératures des années 1980 imaginent et lisent les mères sur des modes accusant une quête qui ne peut pas passer par le refus de l’héritage ou par l’incorporation unilatérale du legs filial. Elles ouvrent sur des figures de connivence et forment autant de récits qui travaillent le silence aussi bien que la parole. Mais, comme le précise l’historienne culturelle Catherine Driscoll, afin de produire une analyse productive et complexe des filles, il faut commencer par reconnaître leur spécificité, examinée sous l’angle de leur relation avec les productions culturelles, lesquelles constituent de « singuliers assemblages qui fonctionnent comme un index nous permettant de comprendre les relations qu’elles entretiennent avec des champs qui sont socialement et historiquement en situation de domination dans le monde occidental ainsi que dans le monde globalisé ». Comment les récits contemporains articulent-ils les enjeux sociaux, culturels, économiques des filles ? Qui sont-elles ? Quelle est la place des filles dans la littérature du Québec aujourd’hui ? Une hypothèse s’est érigée à la base de ce projet : d’un point de vue sémantique, les mots « girl-s » …

Parties annexes