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Pour commencer l’échange

Depuis le début de la colonisation du Brésil au XVe siècle, la diversité culturelle et linguistique a toujours représenté un obstacle pour le projet d’État brésilien et pour ceux qui veulent le « développement » ou « l’intégration » des peuples indigènes à la société nationale. C’est pourquoi l’historiographie brésilienne a toujours ignoré les informations sur le riche éventail de langues indigènes, dont beaucoup – environ 180 – sont encore parlées aujourd’hui, et remplissent différentes fonctions sociales. Elle ne s’est pas préoccupée de la trajectoire des langues des peuples indigènes, elle a ignoré leur littérature orale, ainsi que leurs mythologies orales et spirituelles.

Certains historiens et scientifiques de renom ont traité les langues indigènes comme des « dialectes monosyllabiques, incapables d’exprimer des idées universelles » (Nogueira 1876, 43). Un historien amazonien a attribué aux indigènes, en raison de leurs langues, « l’incapacité » de parler « la douce langue de Camões ». (Reis 1961, 493).

Ainsi commence, à partir du XVIe siècle, la politique linguistique de « réduction » des langues indigènes, en partant, à l’écrit, de la langue Tupi, qui s’est ébauchée en Amérique portugaise, et a notamment été utilisée par les missionnaires dans leur travail de conversion des indigènes. Selon Paulo Freire :

Le terme politique linguistique a été utilisé par la sociolinguistique pour désigner un ensemble de mesures, explicites ou implicites, adoptées principalement par l’État – mais aussi par d’autres agents sociaux – pour réglementer les langues parlées sur un territoire donné[1].

(2004, 90)

C’est la stratégie qui a été principalement utilisée par les colonisateurs en arrivant au Brésil. En outre, le discours colonial ethnocentrique qui vise à poursuivre la réduction des langues indigènes brésiliennes est encore présent aujourd’hui, même sur les plans académique et institutionnel.

C’est là que repose l’intérêt d’une étude descriptive. Il s’agira de restituer l’expérience de l’enseignement des langues et cultures indigènes à l’Université de Brasilia, lors du cours d’extension « Langues indigènes et leur diversité », offert par le Programme Permanent d’Extension UnB Idiomas en partenariat avec la Coordination des Questions Indigènes de l’UnB (COQUEI). L’objectif est de montrer les chemins, les défis, les avancées et les perspectives de cette expérience qui a commencé au deuxième semestre 2018 à l’UnB. À partir de ces premières expériences, nous nous sommes rendu compte que les chemins sont ardus, qu’il n’y a pas de progrès, qu’il y a beaucoup de limitations et de défis dans les discussions pour l’enseignement des langues indigènes à l’Université de Brasília-UnB.

Figure 2

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L’enseignement supérieur et les langues indigènes au Brésil

La Constitution fédérale de 1988 est considérée comme un tournant, car elle « a produit un changement conceptuel qui a modifié de manière significative les relations de l’État avec les peuples indigènes » (Bonin 2008, 99). Elle renverse officiellement les politiques de tutelle et d’intégration, en reconnaissant le droit aux formes d’organisation sociale des peuples originaires, à leurs langues, à leurs usages et à leurs coutumes, ainsi que le droit à une éducation scolaire bilingue et différenciée.

Selon Paladino (2013), le Brésil, à la fin des années 1990, a maintenu l’enseignement supérieur indigène en dehors de tout programme gouvernemental. L’auteure affirme que, même si des étudiants appartenant à des peuples indigènes ont obtenu leur diplôme à cette époque – dont beaucoup étaient des leaders du mouvement indigène –, il était alors plus urgent de mettre en place des écoles d’éducation de base dans les terres indigènes.

L’auteure indique que l’admission des indigènes à l’université a eu lieu au début des années 1990 par le biais d’accords entre la Fondation Nationale de L’Indien (FUNAI) et certaines institutions privées et communautaires. Actuellement, l’admission des indigènes dans l’enseignement supérieur public a lieu de deux façons : par des cours spécifiques, tels que le programme de licence interculturelle indigène (Prolind), créé par le ministère de l’éducation (MEC) ; et par l’offre de places spéciales ou supplémentaires dans les cours réguliers. Avant la loi fédérale n° 12.711/2012 (2012), une cinquantaine d’établissements d’enseignement supérieur développaient des politiques d’admission d’étudiants indigènes par le biais de diplômes interculturels, ou de postes vacants réservés ou supplémentaires, qui garantissaient en bonne partie l’admission effective de ce public dans les universités brésiliennes jusqu’à la promulgation de cette loi (2010). En 2012, avec la promulgation de la loi d’actions affirmatives (Brasil 2012), il est devenu obligatoire de réserver des postes vacants dans les universités fédérales pour les noirs, les métisses et les indigènes.

Actuellement, le Brésil compte 2 368 établissements d’enseignement supérieur, pour un grand total de 8 081 369 places (Instituto Nacional de Estudos e Pesquisas Educacionais Anísio Teixeira (INEP) 2017). Parmi celles-ci, on estime que 7 000 sont occupées par des étudiants indigènes (2013).

Brève histoire des universitaires indigènes de l’UnB

L’Université de Brasilia (UnB) a été pionnière dans l’offre de places spécifiques aux populations indigènes, ayant signé un accord de coopération avec la Fondation nationale de l’Indien (FUNAI) en 2004 (Fundação Nacional do Índio (FUNAI) et Fundação Universidade de Brasília (FUB) 2004). Cet accord prévoyait la création de postes supplémentaires et d’examens spécifiques pour les étudiants indigènes. Quatorze ans après la signature de l’accord de coopération et six ans après la promulgation de la loi sur les quotas, les informations concernant la condition de ces étudiants à l’UnB sont encore embryonnaires. (Renault 2019, 6).

L’Université de Brasilia compte actuellement 40 903 étudiants de premier cycle, 9 117 de deuxième et troisième, 2 403 enseignants et 3 262 employés administratifs techniques répartis sur cinq niveaux, soit une communauté universitaire de plus de 55 000 personnes (Renault 2019, 27). Il convient de noter que 110 étudiants sur les 40 903 étudiants de premier cycle et 19 sur les 9 117 de deuxième/troisième sont indigènes, à cela s’ajoutent un employé administratif technique Karajá, sur l’ensemble des 3 262 employés et un indigène Kokama parmi les 2 403 enseignants. Au total, on dénombre actuellement 129 étudiants indigènes répartis le premier et le deuxième/troisième cycles.

Situation sociolinguistique des universitaires indigènes

Une enquête sociolinguistique est en cours auprès de ces universitaires afin de connaître les niveaux de connaissance de leurs langues : combien sont des locuteurs actifs, combien sont des locuteurs passifs et combien ne parlent plus leur langue paternelle ou maternelle. Ce travail a pour objectif de subventionner les programmes dans lesquels sont insérés ces étudiants. Cela permettra de contribuer à une stratégie pédagogique de diffusion des savoirs pour et par ces chercheurs et étudiants.

Tronc, familles linguistiques des universitaires indigènes de l’UnB

Nous identifions actuellement des étudiants appartenant à 29 peuples indigènes différents. Nous présentons ci-dessous un tableau des peuples, des troncs et des familles linguistiques auxquels appartiennent ces étudiants, sur la base de la classification de Rodrigues (2002).

Figure 3

Tronc, familles linguistiques et peuples parmi les Universitaires Indigènes à l’UnB. Tableau élaboré par l’auteur

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Comme nous pouvons le constater, les universitaires indigènes qui étudient à l’UnB sont divisés en deux grands troncs – Tupi et Macro Jê. Les 7 langues appartenant au tronc linguistique Tupi sont divisées en deux familles, les 6 langues appartenant au tronc linguistique Jê sont divisées en 5 familles. Les 13 autres langues sont réparties en 5 familles de langues, comme le montre le tableau 1. Il existe également une langue « Tikuna », qui est toujours considérée comme une langue isolée. À cela s’ajoute 7 peuples dont les langues sont soumises à une étude linguistique, afin de déterminer à quelle famille elles appartiennent.

Figure 4

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Expérience de l’enseignement des cultures et langues/langages indigènes à l’UnB

Auparavant, nous avons brièvement démontré la richesse de la diversité culturelle et linguistique présente depuis 2004 à l’Université de Brasilia. Ces peuples ont pourtant toujours été invisibles, malgré leur grand effort pour se rendre visibles.

Posons donc les questions suivantes à l’UnB :

  1. comment développer des activités d’enseignement, de recherche et d’extension[2], tout en reconnaissant, valorisant et respectant cette diversité culturelle et linguistique ?

  2. Allons au-delà, comment concilier la triade enseignement, recherche, extension, la langue dominante et les langues minoritaires, sans donner lieu à une hiérarchie entre ces éléments ?

Les indigènes, lorsqu’ils arrivent dans un établissement d’enseignement supérieur, public ou privé, ont de nombreux obstacles à surmonter. Nous ne les aborderons pas dans cet article et n’en soulignerons qu’un seul : le manque de reconnaissance et d’appréciation de leurs savoirs culturels et linguistiques. Au contraire, ils sont obligés d’améliorer leur aisance en portugais, surtout à l’écrit et d’apprendre en plus une nouvelle langue comme l’anglais, le français ou autre, car la plupart des lectures de leur formation sont dans ces langues. Apprendre une autre langue n’est pas une mauvaise chose ; le problème, c’est le manque de soutien ou de ressources économiques nécessaires pour payer ces cours. De plus, la structure de ces langues est souvent différente de celle des langues indigènes, ce qui rend encore plus difficile l’apprentissage de base. Voici certains des défis à relever.

Pour tenter d’atténuer ces difficultés, l’Association des Universitaires Indigènes, conjointement avec la coordination indigène de l’UnB, a lancé un partenariat avec UnB Idiomas au second semestre 2018. Dans le cadre de ce partenariat, l’UnB Idiomas offre un cours d’anglais gratuit aux universitaires indigènes, qui doivent en échange proposer aux étudiants non indigènes un cours gratuit de 45 heures sur « les langues indigènes et leur diversité ».

Mise en œuvre des cours

Cours I : août à décembre 2018

Le premier cours sur « les langues indigènes et leur diversité » a eu lieu d’août à décembre 2018, lors duquel les langues tupi, quechua et tikuna ont été enseignées. Il se tenait le samedi au Centre multiculturel des peuples indigènes – Maloca. Les enseignants indigènes des langues quechua et tikuna en sont des locuteurs actifs, parce que ces langues sont toujours vivantes. Le tupi est considéré comme une langue morte, mais certains idiomes sont toujours vivants. Pendant le cours, les conférenciers ont discuté et exposé la culture de chaque peuple parlant ces langues.

Cours II : de mars à juin 2019

Le deuxième cours a été proposé et dispensé entre mars et juin 2019, aux mêmes jours et au même endroit. Les langues étudiées étaient le baniwa, le tupinambá et le quechua. Les enseignants étaient des locuteurs indigènes actifs de ces langues. Nous soulignons que le baniwa est une langue encore vivante, tandis que le tupinambá est une langue considérée comme morte, regroupant toutefois des idiomes vivants. Pendant le cours, en plus d’étudier un peu de la culture de chaque peuple parlant ces langues, un aperçu général des notions grammaticales de chaque langue a été proposé. Cinquante-huit étudiants y étaient inscrits et seulement vingt-cinq l’ont terminé (Martins Melgueiro 2018).

Cours III : août à décembre 2019

Comme évoqué auparavant, le premier et le deuxième cours visaient à montrer la diversité des cultures et des langues indigènes aux non-indigènes. Dans le troisième cours, les langues suivantes ont été abordées : le Tikuna, le Kokama et le Tupi moderne/Nheengatu. Dans cette phase les dialogues ont commencé à partir de :

  1. les conceptions mythologiques de ces langues (origine, territorialité, spiritualité, oralité etc.) pour chaque peuple ;

  2. les esquisses grammaticales de ces langues comme : leur phonétique, leur morphologie, leur syntaxe et leur sémantique ;

  3. la politique de renforcement culturel, spirituel, matériel et professionnel de ces langues et sa planification.

Les enseignants de cette phase sont des locuteurs actifs de ces langues, comme dans les autres cours, en plus d’en être chercheurs. Vingt-sept étudiants se sont inscrits au cours, mais seuls 12 l’ont terminé. Dans cette étape, nous avons pu produire un petit matériel paradidactique trilingue, dans les trois langues étudiées, qui est en cours d’organisation et sera bientôt publié. Il servira à renforcer les langues indigènes à l’UnB et à subventionner les prochains cours et leurs enseignants.

Figure 5

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Discussions et perspectives

Créer des programmes, des projets, des ateliers, des cours et d’autres types de formations pour les peuples indigènes qui envisagent des modalités « spécifiques, différenciées, bi/multilingues ou interculturelles » – comme le prévoit l’arrêté CNE/CEB nº 13/2012 du 10 mai 2012/Directives du programme national pour l’éducation scolaire indigène – n’a jamais été facile et ne le sera jamais. Imaginons maintenant qu’une discipline intitulée « Les langues indigènes et leur diversité » soit proposée dans un cours d’extension linguistique de 45 heures à l’UnB, dans un environnement où les cours de langues proposés apportent des avantages économiques, sociaux et culturels aux non-indigènes, dans l’une des plus grandes universités du Brésil.

Les expériences des trois cours organisés jusqu’à présent nous ont permis de voir des points positifs et négatifs et de nouvelles perspectives pour la vie des langues indigènes à UnB Idiomas et dans les programmes de premier et deuxième cycle de l’Université de Brasilia.

Points positifs

  1. L’inscription gratuite des élèves indigènes aux cours d’anglais et, en contrepartie, la collaboration gratuite de professeurs indigènes pour l’enseignement des langues indigènes.

  2. Grâce à ces cours, les langues indigènes commencent à être rendues visibles pour les enseignants et les étudiants non indigènes de l’UnB, de la même manière que les indigènes eux-mêmes commencent à connaître d’autres langues que la leur, ce qui contribue à leur formation matérielle et spirituelle.

  3. Lors de l’évaluation finale, nous avons interrogé les étudiants sur l’importance de l’étude des langues indigènes ; toutes les réponses peuvent se résumer ainsi :

L’étude des langues indigènes est importante pour plusieurs raisons. Parmi elles, il y a la possibilité de connaître et d’élargir les subjectivités, de s’ouvrir à de nouvelles manières d’être, à de nouvelles cosmologies et cosmovisions, de récupérer les connaissances assaillies par tant de générations. En outre, l’étude des langues indigènes est une position politique et critique à l’égard des politiques coloniales d’extermination des peuples indigènes.

(« Avaliação resumida dos alunos e alunas » 2019)

Points négatifs

D’autre part, cet exercice nous a permis de prendre partiellement conscience des défis tels que :

  1. Un grand besoin d’améliorer le dialogue interculturel entre les enseignants/techniciens administratifs et les élèves indigènes ainsi que le dialogue intraculturel entre les indigènes eux-mêmes.

  2. Nous avons noté qu’il existe toujours une grande lacune dans l’étude des cultures et des langues indigènes, tant dans les cours et les programmes de premier cycle que dans les programmes de deuxième cycle de l’université de Brasilia. Seuls les programmes en linguistique (PPGL) travaillent dans cette perspective, et cela reste insuffisant.

  3. Bien qu’il existe un programme de premier et de deuxième cycle en linguistique, nous nous rendons compte que les indigènes et les non-indigènes ont besoin d’élargir leurs connaissances linguistiques, notamment en politique et en planification linguistique, en sociolinguistique et en linguistique appliquée, afin de pouvoir contribuer davantage aux langues indigènes dans l’enseignement, la recherche et les programmes d’extension.

Enfin, il est prévu que ces cours et d’autres à venir puissent aider à la construction de connaissances scientifiques techniques/pédagogiques contribuant à améliorer le dialogue interculturel entre les enseignants/techniciens administratifs et le dialogue intraculturel entre les étudiants indigènes à l’Université de Brasilia.

Points de vue

Le point de vue de tous les étudiants est que ce cours devrait continuer, comme le déclare l’un d’entre eux :

« Il serait très important de poursuivre ces études, comme un moyen de diffuser et de valoriser les cultures » (« Avaliação resumida dos alunos e alunas » 2019).

Conclusion

Des études montrent que la connaissance, la préservation et l’enseignement des langues indigènes brésiliennes sont d’une importance fondamentale, car elles permettent d’appréhender les connaissances traditionnelles des peuples indigènes sur leur monde matériel et spirituel. Toutefois, on sait que cette voie est difficile et doit être suivie dans plusieurs domaines, notamment dans les autres universités. Par conséquent, nous défendons que la conception de l’enseignement des langues indigènes devrait suivre des études mythologiques de ces langues (origine, territorialité, spiritualité, oralité, etc.) et de ces peuples et des esquisses grammaticales de ces langues. En plus, la politique et la planification de ces langues et finalement un perfectionnement professionnel. Les langues indigènes ne devraient pas être enseignées par le biais numérique, car en plus d’avoir une fonction communicative et sociale, chaque langue a une vie matérielle et spirituelle. Enfin, l’expérience commencée ici à UnB Idiomas peut être étendue et insérée à moyen terme dans les programmes de la formation en Lettres ou dans d’autres formations et programmes de l’UnB, tant au niveau du premier cycle que du deuxième.

Figure 6

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