VariaChronique

Le sens de la dette publique[Notice]

  • Christophe Premat

La complainte de la dette alimente une bonne partie des journaux quotidiens. Nous ne savons pas exactement en quoi consiste la crise, si ce n’est qu’elle est financière et qu’elle conditionne notre manière d’envisager l’avenir. La crise fait ressortir l’idée de dette publique car nous vivons au-dessus de nos moyens et sommes redevables au système qui ne fonctionne plus. Cet été, seize personnalités comptant parmi les plus grandes fortunes de France ont lancé un appel pour contribuer de manière plus forte au remboursement de la dette (voir un article du Figaro). En d’autres termes, elles ont affirmé vouloir faire un don à l’État. Cet acte révèle en profondeur la manière dont nous envisageons les deniers publics. L’État est perçu comme une caisse qu’il suffirait de remplir pour avoir de meilleures politiques publiques et des services qui fonctionnent. Il n’est pourtant pas si facile d’effectuer un don à la puissance publique qui est régie par des codes et des procédures administratives complexes. Cette soudaine charité se trouve rendue impossible et devient insupportable en ce qu’elle accentue le manque de perspective collective. Les mauvaises langues diraient que le Capital contribue à l’effort étatique pour mieux le posséder. C’en est presque cocasse quand on pense aux multiples dons défiscalisés que l’État a pu faire dans le passé. Alors de quelle dette publique parle-t-on ? De la dette des citoyens envers l’État ou de la dette de l’État envers ses administrés ? S’agit-il d’une nouvelle culpabilité que nous devons porter, pour remplacer la faute originelle biblique ? Comment identifier quelle est cette faute et la manière de la réparer ? Avons-nous gaspillé des ressources, de l’énergie, avons-nous abusé de privilèges sociaux, ce dont on nous affuble volontiers ? La génération du luxe a-t-elle laissé place à la génération de la dette ? Celle-ci doit-elle payer la jouissance passée de ses aïeux ? Toutes ces questions, évidemment absurdes quand nous les envisageons séparément, sont devenues notre lot quotidien, tandis que la raison computationnelle enferme le sens de chacune de nos actions : combien coûtent les retraites ? Les congés maladies ? Tous ces droits sociaux ont un coût et font perdre de l’argent à la société. Allons-nous poursuivre cet arraisonnement financier ? Heidegger identifiait à la fin des années 1940 le Ge-stell comme l’ensemble des comportements visant à maîtriser et contrôler les ressources naturelles par la technique. De nos jours, l’arraisonnement a revêtu les habits de la dette publique. Comment en sommes-nous arrivés là, à l’époque où des organismes privés évaluent de manière comptable le montant de nos dettes ? Que les fortunes du CAC 40 puissent aujourd’hui en appeler à des dons à la puissance publique, dont elles ont été les premières à remettre en cause l’efficacité, montrent que nous avons basculé complètement dans le paradigme néolibéral. L’État doit être dressé dans l’idéologie de la bonne gestion des affaires publiques. Il existe une différence profonde entre le libéralisme classique, soucieux de préserver la liberté des individus face aux empiétements de la puissance publique, et le néolibéralisme dans lequel l’État impose des contraintes et des normes sociales pour que les individus s’adaptent à la société du marché. La rupture est ainsi consommée entre la volonté de préserver la société civile des interventions de l’État dans la vie économique et celle de diriger les forces de cette même société civile. « L’agenda du néolibéralisme est guidé par la nécessité d’une adaptation permanente des hommes et des institutions à un ordre économique intrinsèquement variable, fondé sur une concurrence généralisée et sans répit ». Le choix rationnel des individus ainsi que le culte de la performance …

Parties annexes