VariaChronique

Le printemps arabe, entre guerre et révolte[Notice]

  • Milad Doueihi

Le printemps arabe ne fait que commencer. Après la Tunisie et l’Égypte, c’est presque toute la région qui fait écho au désir de changement profond. Chemin faisant, les spécificités locales retrouvent leur position décisive : en Libye, c’est une guerre civile sanglante qui s’annonce, au Bahrein, c’est le spectre d’un conflit sectaire à haut risque, au Yemen, c’est une forme de négociation indécise entre le pouvoir et les opposants, en Arabie Saoudite, les premiers signes d’une vraie contestation du pouvoir monarchique. En Iraq, c’est la légitimité même de la démocratie née de la guerre qui est en cause, alors qu’ailleurs, au Maroc, en Jordanie, en Syrie, les relais ne cessent de se tisser entre une population assoiffée de liberté et désireuse de vraie stabilité. Cet enchaînement fait problème et met à jour les difficultés de l’Amérique comme de l’Europe face au réveil arabe. Il suffit ici de comparer les postions officielles concernant la Libye, l’Égypte, d’une part, et le Bahrein, d’autre. On retrouve la litanie classique, celle des réformes pacifiques (pour la région du Golfe en tout cas), sortes de promesses sans fin qui ont pendant longtemps fait rêver les dictateurs et les monarques sur la sincérité de leurs bonnes volontés. Si les révoltes sont motivées en grande partie par la misère, l’argent seul ne suffira pas à les satisfaire. On l’a déjà vu dans le cas du Bahrein et nous le verrons en Arabie Saoudite. Car la misère en cause ici est la fille non pas seulement de la pauvreté, mais surtout d’une situation politique générale : celle de l’absence de toute véritable institution autonome, de la vie sous des lois d’urgence qui ne font qu’éliminer tout processus politique et exclure toute forme de participation. C’est cette convergence entre le politique et l’économique qui fait la spécificité de la révolte arabe actuelle. Les peuples ne veulent plus et ne peuvent plus être de simples spectateurs. Que s’est-il passé ? Un changement de regard, l’émergence d’une autre culture, insoupçonnée, et portée en grande partie par le numérique. Ces changements ont fait tomber la peur. La jeunesse a saisi pleinement les outils en les transformant en véritables armes contre le silence imposé par la censure. Plus encore, le numérique a permis et permet la formation de communautés efficaces car elles ont su décrire et défendre leur cause loin de toute surenchère et toute violence. Les principes, disons même les idéaux de cette démocratie virtuelle souvent mal comprise, ont ici fonctionner en direct. Certes, la chaîne Al Jazeera a joué elle aussi un rôle déterminant (en tout cas en Tunisie et en Égypte, et comme elle continue de le faire en Libye). Mais on voit aussi les limites de son pouvoir car elle reste réservée pour ne pas dire timide quand il s’agit de l’Arabie Saoudite ou du Bahrein. En un sens, Al Jazeera ne représente qu’un moment transitoire car elle est toujours issue du modèle ancien, celui du patronage des riches et des puissants. Al Jazeera est un agent provocateur, en tout cas pour l’Establishment. Inaccessible aux États-Unis, car longtemps soupçonnée de sympathie avec l’ennemi, elle s’est transformée, ces deux derniers mois, en symptôme d’un autre échec : celui, en premier lieu des politiques occidentales dans le monde arabe et, en second lieu, celui de la grande majorité des experts de la région. Mais au-delà de cette constatation, les mutations actuelles du monde arabe commencent à donner lieu à un regard auto-critique en Occident, et surtout aux États-Unis. Il est trop tôt pour juger des réalités politiques de cette introspection qui ne fait que commencer, mais on peut déjà soulever quelques …