Corps de l’article

Introduction

En janvier 2014, le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) a tenu le Forum national sur le plan d’action en santé mentale (PASM) 2014-2020. Les discussions étaient balisées par un document de consultation qui présentait les thèmes, enjeux et priorités suggérés par le MSSS pour élaborer le prochain plan d’action en santé mentale. Les avis des différents acteurs du réseau de la santé mentale ont été recueillis pour soutenir la rédaction du prochain PASM 2014-2020, dont la parution est annoncée pour le printemps 2014. Les trois Instituts universitaires en santé mentale et le Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke[1], réunis par leur mission et leurs responsabilités quant à la promotion et le soutien à la mise en place d’une organisation de services à la fine pointe des connaissances, ont mis en commun leurs réflexions et déposé un mémoire dont les éléments principaux sont repris dans cet article.

Nous commenterons l’ensemble des éléments présentés dans le document de consultation. D’abord, les principes directeurs et, ensuite, chacun des éléments regroupés sous quatre thématiques.

Les principes directeurs

Les quatre principes directeurs proposés sont le rétablissement, les soins de collaboration, la performance et l’amélioration continue. En continuité avec le PASM 2005-2010, ils sont pertinents mais ils nous apparaissent insuffisants pour répondre aux enjeux actuels. On pense notamment aux changements démographiques de la population, à la nécessité d’introduire une approche populationnelle basée sur les principes de santé publique et, aussi, au cadre financier limité. De même, nous suggérons que les principes énoncés soient plus explicites quant à la vision de ce que devrait être l’organisation des services en santé mentale en 2020. Ainsi, nous proposons que le premier principe soit celui de l’exercice de la pleine citoyenneté des personnes présentant des problèmes de santé mentale. Le document de consultation du MSSS le propose comme une thématique, mais nous estimons qu’il doit être présenté comme un principe directeur de manière à conditionner les orientations et les actions d’amélioration continue. Encore aujourd’hui, les personnes souffrant de troubles mentaux sont victimes de discrimination et ont de la difficulté à faire respecter leurs droits ainsi qu’à être impliquées dans les décisions qui les concernent. Elles ont difficilement accès aux opportunités sociales nécessaires pour prendre leur place au sein de la communauté et assumer leurs différents rôles sociaux, droits et responsabilités. Un principe directeur affirmant l’exercice de la pleine citoyenneté s’incarnera dans des actions concrètes à travers le respect des droits, l’action politique, les partenariats intersectoriels, et une offre de services allant de la prévention au rétablissement.

Pour le deuxième principe, nous suggérons l’organisation en réseaux intégrés de services plutôt que des soins de collaboration. Déjà bien documentés dans la littérature, les réseaux intégrés de services répondent mieux aux besoins d’un système complexe qui exige un niveau de coordination systématisé entre différents secteurs et établissements. Les partenaires deviennent conjointement imputables des résultats et réorganisent l’ensemble de leur système de soins afin de mieux coordonner les structures, les processus, les lignes de services, les pratiques et les trajectoires de soins (Fleury, 2011). Actuellement, cette vision d’une responsabilité partagée envers la population et des clientèles spécifiques est peu répandue, et les ruptures dans les trajectoires de services donnent à penser que les structures mises en place servent trop souvent à élever des frontières entre les dispensateurs de services.

En ce qui concerne le troisième principe présenté par le MSSS, soit la performance, le développement d’une culture de la mesure et de l’évaluation des services est incontournable. Nous rappelons cependant les recommandations du Commissaire à la santé et au bien-être qui indique qu’il faut aller plus loin que la quantification des processus. Il recommande de poursuivre le développement d’indicateurs concernant la prévention et le dépistage, la participation des usagers à l’organisation des services, la lutte à la stigmatisation et le respect des droits (CSBE, 2012). Par ailleurs, l’utilisation d’indicateurs pertinents, fiables et standardisés devra favoriser la comparaison de nos résultats sur le plan national, interprovincial et international.

Quant au quatrième principe, l’amélioration continue, nous estimons qu’il faut aller plus loin en y associant l’innovation. Telle que présentée, l’amélioration continue concerne surtout l’analyse des écarts, l’amélioration des processus et l’adéquation entre les besoins et les services. Ainsi, si on y associe l’innovation, nous ouvrons une autre perspective en étant à l’affût des nouvelles réalités, en travaillant de concert avec la recherche et en expérimentant des nouveaux programmes de soins et services. C’est une perspective d’amélioration qui nous rend plus proactifs dans l’évolution des pratiques et des services.

À ces principes, nous ajouterions celui d’une vision préventive et globale de la santé. Comme pour tous les problèmes de santé, l’apparition et l’évolution des troubles mentaux sont fortement influencées par les conditions sociales. Il faut agir en amont, repérer les populations à risque et offrir les services requis pour éviter une apparition ou une détérioration des symptômes. De plus, les chiffres dramatiques sur l’espérance de vie (Laurence et al., 2010) des personnes ayant des troubles mentaux nous obligent à insister sur une vision globale intégrant la santé physique et mentale. Il faudra lier les approches et les pratiques cliniques aux approches populationnelles et développer, pour la santé mentale, une vision de santé publique. D’une part, ceci implique de considérer dans l’organisation des services en santé mentale les déterminants sociaux de la santé et de répondre aux besoins de la clientèle à cet égard. D’autre part, la santé publique doit inclure dans sa vision la santé mentale de la population. Actuellement, les plans d’action en santé publique et ceux en santé mentale évoluent d’une manière parallèle. Or, l’importance des troubles mentaux et les liens étroits entre la santé physique et la santé mentale nécessitent une vision intégrée. Dans cette perspective, le plan d’action en santé mentale doit dépasser le cadre du MSSS pour devenir un engagement gouvernemental interministériel et proposer un plan de santé publique qui s’attarde aux conditions de santé mentale de la population en tenant compte, notamment, de la biologie humaine (génétique), de l’environnement, des habitudes de vie et de l’organisation des services.

Les thématiques

1. Le plein exercice de la citoyenneté

Bien que nous ayons suggéré que le plein exercice de la citoyenneté est plutôt un principe directeur, nous considérons que les éléments présentés dans cette section sont pertinents et révèlent les enjeux majeurs. On y parle de l’importance de la lutte contre la stigmatisation et contre la discrimination, de la participation active des usagers et de leurs proches, dans la planification, l’organisation et la prestation des services qui les concernent. On examine aussi les services résidentiels répondant aux besoins des personnes ainsi que les mesures visant l’intégration en milieu de travail et le maintien en emploi.

Ces éléments étaient centraux dans le PASM 2005-2010 et le bilan de son implantation (MSSS, 2012) a fait ressortir une atteinte partielle des résultats prévus. Notre expérience nous confronte régulièrement aux préjugés, à l’isolement et à l’exclusion dont sont encore souvent victimes les personnes, du simple fait qu’elles ont une maladie mentale. Ceci retarde l’accès aux soins et perturbe la vie quotidienne des personnes qui en souffrent (Corrigan et Wassel, 2008). Ultimement, l’interaction entre les nombreuses composantes du phénomène de la stigmatisation fait en sorte que la personne ciblée se trouve marginalisée et privée de ses droits (Stuart, 2011). Ainsi, il faut prévoir des actions de promotion et de prévention de la santé mentale, faciliter l’accès en temps opportun aux services, et intervenir près des milieux de vie des personnes. De plus, il faut revoir les programmes d’enseignement des futurs professionnels et s’assurer qu’ils abordent la stigmatisation des personnes atteintes de maladies mentales, en incluant les principes et la promotion du respect des personnes, de la pleine citoyenneté et du rétablissement dans le curriculum scolaire.

Par ailleurs, l’implication active des utilisateurs de services et leurs proches dans la planification des services est une condition essentielle à la transformation des pratiques cliniques et des modèles d’organisation de services. Nous devons soutenir les initiatives et les services qui favorisent le rétablissement de la personne, lui permettant ainsi de se redéfinir comme individu au sein de la société, au-delà de la maladie qui l’affecte. À cet égard, les Instituts supportent la promotion et l’actualisation du concept de patient partenaire (Université de Montréal, 2014). Ce partenariat permet de conjuguer les savoirs expérientiels aux savoirs professionnels et est fertile s’il s’inscrit dans un contexte de reconnaissance mutuelle.

Les autres dimensions concernent les services résidentiels, le soutien pour la persévérance scolaire et le maintien à l’emploi. Ce sont là des composantes des déterminants sociaux de la santé. Or, les opportunités associées à ces composantes sont encore en nombre insuffisant. L’accès à un logement décent demeure difficile, surtout dans un contexte où les personnes ayant un problème de santé mentale se retrouvent souvent sous le seuil de la pauvreté. De plus, les programmes de soutien aux études et de retour à l’emploi actuellement offerts ne sont pas en nombre suffisant pour répondre à la demande (MSSS, 2012). Dans une perspective de complémentarité, il faut reconnaître l’expertise des organismes communautaires qui offrent déjà des services à ce niveau et consolider leurs moyens. Nous proposons aussi de faire la promotion, particulièrement dans les milieux de travail spécialisés en services de santé mentale, de l’embauche de personnes qui, à compétence égale, ont un vécu expérientiel en lien avec la maladie mentale.

Toutes ces actions doivent s’étendre au-delà du réseau de la santé mentale. Sur le plan intersectoriel, les Instituts doivent être mis à contribution pour assurer le transfert des connaissances et développer des outils ou des formations accessibles aux réseaux scolaires, professionnels, économiques, etc. Le développement de programmes tels que Mental Health First Aid[2] pour outiller les différents secteurs d’activités est un exemple. Équivalent à un programme de premiers soins en santé physique, celui-ci vise à enseigner aux personnes, à leur entourage ou encore à leurs collègues, les connaissances de base pour aider les gens à mieux reconnaître les signes indiquant des problèmes de santé mentale, offrir une aide initiale et guider la personne vers une aide professionnelle appropriée. Ce programme sensibilise la population aux problématiques de santé mentale et implique chacun dans leur dépistage et la référence aux services.

Actuellement, les actions sont timides et fragmentées. Il faudra se doter d’un plan concerté et cohérent, faisant en sorte que la lutte contre la stigmatisation et le soutien à l’exercice de la pleine citoyenneté deviennent l’affaire de tous. Le récent cadre de référence La lutte contre la stigmatisation et la discrimination associées aux problématiques de santé mentale au Québec, développé par l’Association québécoise en réadaptation psychosociale (AQRP, 2014), constitue une action structurante et soutient plusieurs initiatives locales porteuses de changements.

2. La détection et l’intervention précoces chez les jeunes

Les Instituts croient qu’il est essentiel de porter une attention particulière aux jeunes atteints de troubles mentaux. Actuellement, ils sont rapidement stigmatisés et vivent des ruptures à répétition. De plus, la population des jeunes itinérants ayant des troubles mentaux, souvent conjugués à des problèmes légaux et de dépendance, est en croissance. L’organisation des services pour les jeunes doit ainsi réunir des acteurs de différents services, établissements et réseaux autour d’instances cliniques qui favorisent la prise en charge de personnes vivant des problématiques complexes, en périphérie des systèmes de services, marginalisées, et souvent en rupture sociale.

Des programmes de dépistage et d’intervention rapides sont à inclure dans notre gamme de services. L’intérêt de ces programmes est de mobiliser à la fois les réseaux de soins primaires et ceux des services spécialisés autour d’actions concertées. En effet, la fenêtre d’opportunité d’intervention nécessite généralement une évaluation et une intervention spécialisées dès le dépistage. Plusieurs programmes sont prometteurs et certains ont fait leurs preuves. Il faut retenir ceux qui ont été évalués et qui ont des balises et des cibles de performance précises, tout en s’assurant de les rendre disponibles dans toutes les régions (Skalli et Nicole, 2011).

La gamme de services pour les jeunes doit être diversifiée et les critères d’accès assouplis. À l’adolescence, il est parfois difficile de préciser un diagnostic. Il faut alors repérer davantage des profils plutôt que de cibler strictement une population avec un diagnostic précis. Outre les enjeux liés aux études, il faudra considérer le développement de ressources résidentielles spécialisées, notamment pour ceux dont l’accès à un logement, même avec soutien, est parfois prématuré ou encore, pour des jeunes familles itinérantes, nouveau phénomène urbain au Québec (Montpetit, 2012).

La transition entre les services aux jeunes et ceux réservés aux adultes constitue, depuis longtemps, un trou dans notre filet de services dans lequel tombent plusieurs jeunes ayant des troubles mentaux. Cette problématique est due à l’arrimage insuffisant et à la norme liée à l’âge dit « adulte » qui est souvent en décalage avec le développement cognitif et comportemental. Il faut favoriser des programmes de transition 15-25 ou 14-30 ans, et prévoir des programmes conjoints entre pédopsychiatrie et psychiatrie adulte répondant mieux aux besoins des personnes et de leur entourage.

Plus nous serons efficaces dans le dépistage des troubles, plus nous devrons garantir notre capacité de prise en charge en temps opportun. L’accent mis sur le dépistage nous oblige à travailler sur la déstigmatisation, sur la réduction d’effets toxiques des croyances courantes envers un jeune présentant des troubles mentaux et sa famille, tout en intervenant pour prévenir ou réduire les symptômes et agir sur son environnement. Un plan stratégique devra inclure des actions concertées entre la santé publique, les milieux scolaires, les centres jeunesse, les CSSS, les hôpitaux et les Instituts en santé mentale afin d’organiser une offre de services qui inclut la prévention, le dépistage et l’intervention précoce.

3. La gamme de services en santé mentale

Cette thématique inclut les services de première ligne, les services spécialisés, le suivi et le soutien en communauté (SI-SIV), de même que l’offre de services aux personnes présentant une comorbidité[3].

D’entrée de jeu, le MSSS annonce une possible délocalisation des équipes de santé mentale de la première ligne vers les groupes de médecine de famille (GMF). Rappelons que les Centres de santé et de services sociaux (CSSS) ont mis beaucoup d’efforts à organiser les soins primaires et à mettre en place les équipes de santé mentale. Ils démontrent un souci continu pour améliorer la qualité des services, mais leurs moyens pour encadrer cette qualité sont limités. Nous sommes conscients que les GMF accueillent une clientèle importante en santé mentale et qu’ils ont besoin de soutien professionnel dans ce domaine. Nous croyons toutefois que les actions devraient se centrer davantage sur l’arrimage, la liaison et la concertation entre les GMF et les équipes de santé mentale. Le déplacement de celles-ci des CLSC vers les GMF ne suffira pas pour atteindre ces résultats.

La présentation de la gamme de services spécialisés en santé mentale est trop restrictive. Les services spécialisés ne sont pas uniquement des services d’hospitalisation ; au contraire, la gamme de services en ambulatoire doit être au coeur de l’offre de services spécialisés en santé mentale. Les services spécialisés en deuxième ligne répondent à une clientèle avec des besoins plus complexes et des problématiques sévères ou résistantes au traitement. Ils se déclinent sous forme de suivi en consultations externes, d’équipes mobiles, etc., offrant des approches et des traitements spécialisés. L’organisation de services privilégiée est souvent constituée en programmes, répondant ainsi aux besoins spécifiques de clientèles qui ont des caractéristiques communes, comme la gérontopsychiatrie, les troubles anxieux et de l’humeur, etc. L’organisation par programmes permet de réunir les expertises et de potentialiser le développement des savoirs afin de mieux répondre à des problématiques multifactorielles, graves ou réfractaires. Les professionnels des services ambulatoires spécialisés en deuxième ligne possèdent une expertise importante et sont des acteurs significatifs dans le soutien et le transfert des connaissances à la première ligne.

Les services d’hospitalisation demeurent un élément essentiel dans la gamme de services et ils doivent être utilisés de façon optimale. Une hospitalisation, aussi longue que nécessaire, mais aussi courte que possible, n’est possible que si des services en amont et en aval de l’hospitalisation sont disponibles et efficaces. Il existe encore une organisation de services hospitalo-centrés qui fait en sorte que nous recherchons des solutions à l’engorgement des lits à l’intérieur des murs de l’hôpital. Pourtant, ces solutions sont dans l’optimisation des services ambulatoires. Un mouvement est amorcé pour mettre davantage l’accent sur les services ambulatoires et surtout pour s’assurer que ceux-ci sont bien arrimés aux services de première ligne. L’un des pièges actuels de la hiérarchisation des services est de concevoir les lignes de services comme des étapes successives avec une prise en charge complète par chaque ligne. Or, la personne en besoin de services ne doit pas avoir la responsabilité de passer d’une ligne à l’autre. Il appartient aux dispensateurs de services de se concerter et d’offrir, en simultané, les services requis, qu’ils soient généraux, spécialisés ou surspécialisés.

On doit miser sur une coexistence dynamique des approches préventives et des traitements spécialisés, et développer un regard évaluatif très spécialisé pour aborder des problématiques générales et spécifiques. Ce n’est pas à travers la mise en place d’une gestion centralisée de l’accès aux services spécialisés que nous aurons une organisation de services en réseaux intégrés, mais bien par une vision d’organisation de services complète allant de la prévention au rétablissement, avec un arrimage serré entre les dispensateurs de services spécialisés autour de la première ligne.

La pertinence et l’efficacité des équipes de suivi intensif dans le milieu (SIM) et de soutien d’intensité variable (SIV) ne sont plus à discuter et nous appuyons la volonté de poursuivre le déploiement de ces équipes. Le centre national d’excellence en santé mentale (CNESM) rappelle l’importance de s’assurer que les équipes SIM et SIV ont des pratiques conformes aux modèles de services prévus et qu’elles desservent les bonnes clientèles. Il indique aussi qu’il existe des niveaux de soutien moins intensifs[4], tout aussi pertinents, offerts par d’autres dispensateurs de services. Il faudra dynamiser les interfaces entre les différentes équipes de soutien et de suivi dans la communauté, et les arrimer aux services spécialisés offerts en consultations externes où les programmations de services sont davantage caractérisées par les activités spécialisées de traitement et de réadaptation. L’offre de services en ambulatoire doit donc être structurée autour de niveaux de soutien variés et de programmations spécialisées.

Concernant la psychiatrie légale, les travaux en cours démontrent bien que les difficultés d’accès aux services et l’insuffisance de services spécialisés et intégrés font en sorte que plusieurs personnes avec des troubles mentaux sont mal desservies et, ainsi, voient leur situation se détériorer rapidement (Duhamel et Gervais, 2012). On constate aussi une judiciarisation des problèmes de santé mentale de plus en plus grande, ce qui constitue un enjeu central pour l’exercice de la pleine citoyenneté. Il est urgent de renforcer les liens entre les milieux de la justice et ceux de la santé. Les problématiques liées aux troubles concomitants nécessitent le développement de pratiques cliniques fondées sur des approches intégrées, appuyées par une organisation de services répondant aux critères des réseaux intégrés de services. Elles requièrent aussi la mise en place de plans d’action intersectoriels agissant sur les déterminants de la santé.

Ce même regard se pose sur l’offre de services aux autochtones. Les services actuels sont non seulement insuffisants mais peu adaptés aux réalités culturelles, et ne tiennent pas compte des enjeux psychosociaux auxquels les communautés autochtones sont confrontées. Le dépistage et l’intervention précoces sont d’autant plus cruciaux dans ces communautés que les jeunes y sont aux prises avec des problématiques sociales majeures qui affectent gravement leur santé mentale. Il faut soutenir les programmes émergents originaux qui visent les jeunes autochtones tels que le projet Cirquiniq (programme de cirque social) et le Quebec Inuit Mental Health Project[5] en collaboration avec le Kativik School Board.

Finalement, la section sur la gamme de services spécialisés fait complètement abstraction des services surspécialisés de troisième ligne. Or, le développement et la consolidation de ces services sont essentiels pour offrir des services spécifiques à des clientèles avec des troubles mentaux graves, très complexes, et résistants aux traitements réguliers. Ces personnes et leur entourage sont souffrants et très affectés dans toutes les sphères de leur vie. Elles ont souvent une réponse partielle à leurs besoins et voient peu d’amélioration à leur condition de santé mentale. Elles doivent avoir accès à des services surspécialisés. Les services de troisième ligne sont aussi des lieux permettant d’expérimenter des approches et des modèles de services. L’interaction fertile entre la recherche et les pratiques cliniques déployées dans les services surspécialisés nourrissent le développement des connaissances et des pratiques. La question des services de troisième ligne doit enfin être posée, et des orientations doivent être précisées en tenant compte des rôles et responsabilités des Instituts et des réseaux universitaires intégrés de services (RUIS).

4. Les pratiques organisationnelles et cliniques

Ce thème concerne les mesures de soutien requises pour maintenir et développer les compétences professionnelles des intervenants impliqués dans le suivi et le soutien des personnes atteintes de troubles mentaux. Les omnipraticiens et les équipes de santé mentale de la première ligne doivent avoir accès aux ressources professionnelles spécialisées, développer les compétences requises, avoir une compréhension fine de la culture à développer en première ligne, et avoir le soutien nécessaire pour assurer une amélioration continue des services qu’ils offrent. Pour assumer leurs responsabilités, ces professionnels doivent mettre à jour leurs connaissances quant aux meilleures pratiques en lien avec l’évaluation et le traitement des troubles mentaux. L’accès à des services spécialisés, afin de préciser leurs évaluations, est essentiel pour soutenir la décision quant à l’offre de services requise et pour s’assurer de l’efficience des services offerts (OMS, 2003).

La mission des Instituts composée des volets soins, enseignement, recherche et évaluation, confirme leurs responsabilités quant au développement, au transfert des connaissances et à la promotion des bonnes pratiques. Plusieurs initiatives existent et, avec le soutien des Instituts, nous pourrions consolider des programmes d’orientation et de formation continue en santé mentale accessibles aux intervenants non professionnels et à ceux de la première ligne.

Ces programmes de soutien et de supervision clinique sont complémentaires à la consolidation du soutien professionnel aux omnipraticiens. La fonction du médecin spécialiste répondant en psychiatrie (MSRP) est pertinente. On sait toutefois qu’il faut poursuivre les efforts pour soutenir efficacement son déploiement. Les bilans faits à ce jour et la recherche nous donnent des indications sur les actions à entreprendre pour consolider cette fonction (Fleury, 2013 ; IUSMM, 2013). Ainsi, on souligne la faible intégration des MSRP dans les groupes de médecine de famille et les cliniques privées, et le risque omniprésent de gaspiller nos ressources, en n’assurant pas les meilleures conditions pour soutenir la pratique du MSRP. Aussi, les expériences actuelles démontrent que la seule présence du MSRP est souvent insuffisante. Il faut donc poursuivre avec le développement de la fonction de professionnel répondant, et prévoir des tandems professionnel-psychiatre qui reproduisent la valeur du travail interdisciplinaire en santé mentale et offrent le soutien concerté aux omnipraticiens et aux équipes de base en santé mentale.

Conclusion

Il est important d’avoir un plan national porteur d’une vision et rassemblant les forces vives vers une organisation de services en santé mentale à l’avant-garde, pertinente, cohérente et équitable.

Le document de consultation présenté au Forum national sur le Plan d’action en santé mentale 2014-2020 a le mérite d’inscrire des thèmes et des enjeux en continuité avec le PASM 2005-2010. Les principes directeurs doivent être plus explicites quant à la vision de l’organisation des services dans les prochaines années. Aussi, nous y apportons quelques modifications, en les déclinant comme suit : l’exercice de la pleine citoyenneté, une organisation en réseaux intégrés de services, la performance, l’amélioration continue et l’innovation, ainsi qu’une vision globale et intégrée de la santé.

Par ailleurs, nous insistons sur l’importance de faire converger vers des intérêts communs les personnes utilisatrices de services, leur famille, et les différents partenaires communautaires et institutionnels, à travers une vision juste et complémentaire de l’apport de chacun. Il importe aussi d’agir autant sur la prévention que sur le rétablissement des personnes atteintes de troubles mentaux. Cela implique de mieux reconnaître les services spécialisés et surspécialisés en psychiatrie, afin de répondre plus efficacement aux besoins des personnes ayant des troubles graves et résistants, et de soutenir le développement des connaissances par la recherche. Le prochain plan d’action devra mobiliser les acteurs non pas dans des changements de structures mais bien dans l’optimisation des processus, des pratiques et de l’intégration des services. Finalement, nous réitérons l’importance de prendre en compte les déterminants sociaux de la santé, et de développer une vision de santé publique pour la santé mentale à travers un plan d’action interministériel.

Sur tous les plans, il faudra développer une culture de partenariat, de coopération et d’intégration de services.