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Même très schématique, un simple relevé statistique suffit à situer la référence à l’expérience et à l’imagerie du pasteur dans le Nouveau Testament.

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Quasi absent chez Paul et dans les Actes[6], c’est principalement dans les récits évangéliques (54 fois sur 77) que se retrouve le langage inspiré par le vécu du berger.

Chez les Synoptiques, il est frappant de constater qu’aucun des passages en ce sens ne se présente en parallèle dans les trois évangiles[7]. Comme cela ressort du tableau ci-dessus, Matthieu, à lui seul, contient plus d’occurrences (16) que Marc et Luc réunis (13). Ces passages où il est question du pasteur et des brebis concernent presque tous Jésus lui-même, sa personne, son activité, son enseignement. C’est ainsi que dès le début du premier évangile (Mt 2,6), Jésus se trouve d’emblée identifié au pasteur annoncé par le prophète Michée : « Bethléem, terre de Juda (…), de toi sortira un chef qui fera paître (poimainô) mon peuple Israël. » Par la suite, dans la description de son activité, les évangiles, à l’occasion, comparent Jésus à un berger : « … elles étaient comme des brebis (probata) n’ayant pas de berger (poimèn), et il se mit à leur enseigner beaucoup de choses » (Mc 6,34 par.). Ailleurs, c’est lui-même, Jésus, qui, dans l’énoncé de sa propre mission, se présentera comme un berger : « Je n’ai été envoyé qu’aux brebis (probata) perdues de la maison d’Israël » (Mt 15,24), après avoir confié aux Douze une mission de même type : « Ne prenez pas le chemin des païens, n’entrez pas dans une ville de Samaritains. Allez plutôt vers les brebis (probata) perdues de la maison d’Israël. » (Mt 10,5-6) Deux paraboles au moins nous ont été conservées dans lesquelles Jésus évoque l’activité du berger : celle de la brebis perdue en Mt (18,12) et Lc (15,4.6), pour suggérer quelque chose de la conduite miséricordieuse de Dieu, puis celle du jugement dernier (Mt 25,32-33) pour évoquer le rôle eschatologique du Fils de l’homme. Ici et là, dans l’enseignement aux disciples, percent encore au passage quelques références au monde pastoral[8]. À la fin, juste avant d’entrer dans sa passion, c’est de nouveau Jésus qui rend compte à travers la citation de Zacharie le prophète (13,7) de l’expérience à laquelle lui-même et ses disciples sont sur le point d’être confrontés : « … car il est écrit : “Je frapperai le pasteur (poimèn) et les brebis (probata) seront dispersées”. »

Chez Jean, à la différence des Synoptiques, où les références au pasteur et aux brebis apparaissent ainsi le plus souvent dans de simples comparaisons, en général brèves et disséminées ici et là, on les trouve au contraire presque toutes concentrées et développées dans une même péricope, communément désignée comme « parabole du bon pasteur ». C’est là en effet, en Jn 10, que les 6 mentions johanniques du pasteur (poimèn) se retrouvent toutes, ainsi que la presque totalité (13 sur 17) de celles des brebis (probata)[9].

C’est ce passage unique que nous nous proposons d’explorer ici après tant d’autres[10]. « Cette page admirable, écrivait le P. Lagrange il y a près d’un siècle, reçoit encore des interprétations très différentes[11]. » À considérer l’état présent de la recherche, on aurait volontiers l’impression que les choses n’ont guère changé depuis 1925 et que, pour l’essentiel, les points en litige sont toujours les mêmes.

Du moins existe-t-il un consensus sur la structure et la configuration globales du texte.

a) Une première partie (Jn 10,1-5), débutant par « Amen, amen, je vous dis », se détache d’elle-même. Formulée à la troisième personne, elle se rapporte de façon générale au berger et à sa relation aux brebis, le tout étant décrit par contraste. Elle se termine en 10,6 en faisant état des réactions d’incompréhension de l’auditoire de Jésus.

b) Une deuxième partie (10,7-21) débutant elle aussi par « Amen, amen, je vous dis » se présente ensuite à la première personne, Jésus s’y appliquant à lui-même quelque chose de l’imagerie du berger. En fonction des traits retenus, on y discerne généralement deux volets : un premier, en 10,7-10, où tout tourne autour d’une même proclamation en Egô eimi énoncée à deux reprises : « Moi, je suis la porte » ; un second, en 10,11-18, où tout tourne autour d’une autre proclamation en Egô eimi, également répétée à deux reprises : « Moi, je suis le pasteur, le bon[12] ». Dans les deux cas, la description procède de nouveau par contraste. Cette partie, comme la première, se termine en 10,19-21 par la mention des réactions, divergentes cette fois, de l’auditoire de Jésus.

Nous allons examiner de plus près chacune de ces parties en prêtant attention d’abord et avant tout à la christologie. La première partie, nous semble-t-il, sert à celle-ci d’ancrage dans l’expérience courante ou d’enracinement métaphorique dans la réalité. À partir de là, il est possible de dégager dans les deux volets de la seconde partie une sorte de condensé christologique où s’expriment successivement quatre aspects fondamentaux du mystère du Christ. En conclusion, nous proposerons, par mode d’esquisse, quelques observations sur le sens que peut avoir la métaphore et son application en relation avec l’expérience contemporaine du leadership.

La paroimia (Jn 10,1-6), ou l’ancrage dans la réalité

Reproduisons d’abord une traduction littérale du texte, en indiquant en caractères droits ce qui concerne le pasteur des brebis (versets 2-4), en caractères italiques gras le repoussoir décrit par contraste au début et à la fin (v. 1 et 5) et en encadré final (v. 6) les réactions de l’auditoire de Jésus.

1 « Amen, amen, je vous le dis :
celui qui n’entre pas par la porte dans l’enclos des brebis
mais qui escalade par un autre endroit,
celui-là est un voleur et un bandit.
2 Celui qui entre par la porte est le pasteur des brebis.
3 À celui-ci le portier ouvre
et les brebis écoutent sa voix
et ses brebis à lui, il les appelle (chacune) par son nom et il les fait sortir.
4 Quand il a poussé dehors toutes les siennes,
il marche devant elles
et les brebis le suivent, parce qu’elles connaissent sa voix.
5 Jamais elles ne suivront un étranger, mais elles s’enfuiront loin de lui,
car elles ne connaissent pas la voix des étrangers. »
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Dans le texte tel qu’il se présente, l’auditoire de Jésus est constitué de Pharisiens mentionnés antérieurement en 9,40 comme présents à la rencontre finale de Jésus avec l’aveugle de naissance auquel il a précédemment rendu la vue (9,6-7). Témoins de la reconnaissance de foi de l’aveugle guéri (9,35-39), ces Pharisiens interrogent Jésus sur ce qu’il paraît insinuer au sujet de leur propre aveuglement. Voilà qu’en 10,1, la réponse de Jésus, jusqu’alors (9,41) formulée en « vous » (« Vous dites : “Nous voyons”… ») passe de façon abrupte à la troisième personne (« Celui qui n’entre pas… ») et du langage direct (« … votre péché demeure ») au langage imagé (« … par la porte dans l’enclos des brebis »).

Si le texte se contentait d’indiquer, comme il le fait au v. 6, que Jésus adressa à ces Pharisiens une paroimia, sans en préciser le contenu, on comprendrait qu’il leur répondit par quelque forme de sentence brève ayant l’allure d’un proverbe. C’est en effet ce sens que signalent en premier les lexiques et les dictionnaires de grec ancien sous le mot paroimia : « proverbe, maxime, sentence ou dicton populaire »[13]. Bien attesté dans les oeuvres de Platon[14], ce sens l’est encore à répétition dans la Rhétorique d’Aristote[15]. On le rencontre à quelques reprises dans l’Ancien Testament grec, notamment dans le titre et dans quelques passages du livre des Proverbes où il traduit l’hébreu mashal[16]. Ce sens est encore attesté à l’époque du Nouveau Testament, notamment chez Philon d’Alexandrie[17] et Plutarque[18]. Il se vérifie dans le Nouveau Testament lui-même dans un passage de la seconde lettre de Pierre. Pourfendant des croyants qui, « après avoir fui les souillures du monde par la connaissance du Seigneur et Sauveur Jésus Christ, s’y engagent de nouveau » (2,20), 2 P 2,22 cite à leur propos deux proverbes évoquant les moeurs étranges de deux animaux : « Le chien retourne à son propre vomissement » et « La truie, à peine lavée, se vautre dans le bourbier ».

Il est clair qu’en Jn 10,6, ce n’est pas de cela qu’il s’agit. La désignation paroimia ne renvoie pas à un proverbe ou à une courte sentence de sagesse populaire mais à un récit recouvrant l’ensemble des versets 1-5. Et ce qui est décrit au coeur de ce récit, aux v. 2-4, c’est une scène familière que l’on pouvait sans doute observer chaque matin dans la Palestine rurale du temps de Jésus. Durant la nuit, pour permettre aux bergers de prendre du repos, des brebis appartenant à des troupeaux divers étaient rassemblées non pas dans leurs bercails respectifs, mais dans une sorte de parc ou enclos (aulè) clôturé où elles étaient confiées à la garde d’un surveillant qui en contrôlait l’accès[19], d’où sa désignation de « portier » (thyrôros) au v. 3. Le matin venu, chaque pasteur, en se présentant à l’enclos, passait récupérer « ses propres brebis », ta idia probata (10,3.4).

Le récit met en relief deux traits propres au « pasteur des brebis » : a) l’accès à l’enclos commun : il y entre par la porte ; b) la familiarité réciproque qu’il possède avec ses propres brebis, qu’il connaît et appelle chacune par son nom et qui, de leur côté, savent reconnaître sa voix et se mettent à sa suite. Dans les deux cas, l’opposition est marquée on ne peut plus clairement par rapport au voleur et à l’étranger, les mêmes formules se répondant de part et d’autre. Alors que le pasteur est « celui qui entre par la porte » (ho eiserchomenos dia tès thyras, 10,2), le voleur, à l’inverse, est « celui qui n’entre pas par la porte » (ho mè eiserchomenos dia tès thyras, 10,1). Alors que les brebis « suivent le pasteur parce qu’elles connaissent sa voix » (ta probata autô akolouthei hoti oidasin tèn phônèn autou, 10,4b), elles « ne suivront jamais un étranger parce qu’elles ne connaissent pas la voix des étrangers » (allotriô ou mè akolouthèsousin … hoti ouk oidasin tôn allotriôn tèn phonèn, 10,5).

Comme le manifeste la suite (10,7-18), cette scène familière n’est pas décrite simplement pour elle-même. Ce qu’elle représente comme traits des brebis, du pasteur et des personnages mis en contraste avec lui possède une valeur métaphorique, visant à éclairer et à faire saisir une réalité d’un autre ordre. Et c’est ainsi que la paroimia, en l’occurrence le récit imagé de Jn 10,1-5, s’apparente à la parabole – le terme parabolè est absent en Jn –, éventuellement à l’allégorie, telles que l’exégèse néo-testamentaire a l’habitude de les définir à partir du donné synoptique. Parce que la paroimia ne parle pas directement de la réalité qu’elle vise à faire comprendre, elle garde une part de mystérieux, d’énigmatique, de difficile à saisir, par opposition à une manière de s’exprimer clairement et « sans figures ». D’où la réaction d’incompréhension des auditeurs de Jésus signalée à la suite en Jn 10,6.

D’où également ce qui sera dit dans deux autres passages de Jean – les seuls – où il sera de nouveau question de paroimia. Cela se trouve à la fin du discours d’adieux proprement dit (16,16-33), avant la grande prière finale (chapitre 17). Dans l’avant-dernière section, en 16,16-24, Jésus fait aux siens l’annonce d’un moment, imminent, où ils ne le verront plus, bientôt suivi d’un autre où ils le verront (16,16-19), puis évoque les sentiments qu’éprouveront alors les disciples (16,20-24). Les deux sont faits en termes voilés. L’annonce reste vague quant au sens exact de la disparition et des retrouvailles et du moment où ils se produiront : « encore un peu… et puis un peu encore » (16,16.19). Si bien que les disciples ne comprennent pas (16,17-18). Et pour évoquer ensuite leurs réactions, Jésus en appelle à l’expérience d’une femme sur le point d’accoucher (16,21). C’est ensuite que, dans la dernière section du discours (16,25-33), il est de nouveau question à deux reprises de paroimia. D’abord au verset 25, dans l’affirmation initiale de Jésus :

Ces choses, je vous les ai dites en figures (en paroimiais). L’heure vient où je ne vous parlerai plus en figures (en paroimiais) mais où je vous annoncerai ouvertement (parrèsia) ce qui concerne le Père.

C’est ensuite au tour des disciples, après la révélation que leur fait Jésus de son retour au Père, d’opposer paroimia et parrèsia :

Ses disciples (lui) disent : « Voici maintenant que tu parles ouvertement (parrèsia) et sans figure aucune (paroimian oudemian legeis). Nous savons maintenant que tu sais tout et que tu n’as pas besoin qu’on t’interroge. »

16,29-30a

Comme on le voit, ces deux passages portent moins sur la caractérisation ou l’illustration du mode d’expression qu’est la paroimia comme en Jn 10,6 que sur son côté énigmatique, son caractère crypté et l’imprécision qu’elle comporte par rapport à la réalité à laquelle elle renvoie. Ce qui nous mène à aborder, ne serait-ce que sommairement, la question fort débattue du genre littéraire de la paroimia en Jn 10, de ce qui l’assimile ou la distingue de la parabole et de l’allégorie[20].

Il ne s’agit donc pas de définir en quoi consiste la paroimia en elle-même mais uniquement dans le seul et unique passage de l’évangile de Jean (10,6) où ce terme est utilisé clairement pour désigner un certain mode d’expression qui, consigné par écrit, se présente effectivement comme un « genre littéraire ». Et ce que désigne le terme, c’est ce qui se présente aux versets précédents (10,1-5) comme un récit imagé. Et celui-ci, dans le contexte d’ensemble de Jn 10, possède une portée métaphorique, ce qui le rapproche de la parabole, telle que définie par la recherche exégétique à partir du témoignage synoptique. Le récit imagé en question décrit en outre une scène familière de la vie ordinaire, ce qui l’apparente de nouveau à la parabole. Selon la définition qu’en donne Ruben Zimmermann, la parabole possède six caractéristiques : « A parable is (1) a narrative, (2) fictional, (3) realistic, (4) metaphoric, (5) active in appeal and interpretation, (6) co-text and context related[21] ». Les quatre premières caractéristiques, précise-t-il, constituent des éléments essentiels pour qu’on puisse parler de parabole – ce qui me semble rejoindre les conceptions dominantes de la recherche –, alors que les deux suivantes ne sont pas nécessairement requises[22]. En Jn 10,1-5, les caractéristiques 1 et 4, à savoir le caractère narratif et métaphorique, se vérifient sans difficulté. Mais peut-on en dire autant des caractéristiques 2 et 3, concernant le caractère fictif et réaliste ? Tout dépend évidemment du sens que l’on donne aux mots. Mais si l’on entend par « fictifs » la description d’une scène ou le récit d’une expérience imaginaire mais néanmoins « réaliste », c’est-à-dire non survenue comme telle dans la réalité, mais néanmoins susceptible de se produire, ces qualifications conviennent-elles à ce que rapporte le récit de Jn 10,1-5 ? Une scène comme celle qui est décrite, de bergers venant chaque matin récupérer et appeler chacun ses brebis pour ensuite les mener paître, n’est pas fictive ni simplement réaliste mais bien réelle. Telle que le récit la retrace, une telle scène, ne se produisait-elle pas et n’était-elle pas observable tous les jours dans la Palestine rurale du temps de Jésus ? Pour qu’elle soit une scène de parabole, purement fictive mais néanmoins réaliste, ne lui manque-t-il pas l’ingrédient d’intrigue, d’inhabituel, voire d’extravagance, qui la rend particulière en la dégageant de l’habituel, de l’intemporel et de l’universel ? N’y a-t-il pas une différence entre le berger de Jn 10,1-5, refaisant chaque jour ce que font chaque jour tous les bergers, et tel berger bien typé, comme celui que met en scène chez Luc (15,3-7) et Matthieu (18,12-13) la parabole de la brebis perdue ? Non pas un berger comme tous les autres, mais le responsable d’un troupeau de 100 brebis bien comptées, qui, en ayant perdu une, fait l’option risquée, sinon déraisonnable, d’abandonner les 99 autres, puis, l’ayant retrouvée, la ramène joyeusement sur ses épaules ? De la même façon, peut-on parler d’une parabole comme le fait Zimmermann[23] à propos de l’expérience de la femme enceinte de Jn 16,21, éprouvant les sentiments qu’éprouvent toutes les femmes du monde quand vient pour elles l’heure de mettre au monde un enfant ?

Distincte de la parabole telle qu’on la trouve chez les Synoptiques, la paroimia de Jn 10,1-5 se distingue également de l’allégorie. Comme dans le cas de cette dernière, un certain nombre de traits du récit imagé sont ensuite repris, mais non pas en totalité ni systématiquement, comme par exemple dans le cas de l’allégorie de la vigne en Jn 15 qui identifie, l’une après l’autre, les significations des diverses composantes métaphoriques : la vigne est le Christ, le vigneron est le Père, les branches sont les disciples, l’émondage renvoie à la parole de Jésus, les branches improductives représentent les disciples qui se détachent du Christ, etc. Tandis que les applications qui sont faites en Jn 10,7-18, à la suite de la paroimia des versets 1-5, pour une part n’en reprennent que certains traits – opérant une sorte de « prélèvement sélectif » – en en laissant d’autres de côté (le portier, l’enclos, les brebis autres que celles du pasteur mis en scène, la voix du berger et celle des autres, etc.). En outre, comme nous allons vérifier en les examinant de plus près, les applications des v. 7-18, tout en prélevant certains traits, à l’occasion les transforment, les complètent ou les exploitent sous un angle différent. Si bien que le récit imagé des v. 1-5 apparaît comme une sorte de « réservoir métaphorique »[24] où les applications qui suivent vont puiser librement, sans reprendre systématiquement l’ensemble des motifs du récit et sans nécessairement les reprendre tels quels, mais en les ajustant en fonction du mystère qu’elles cherchent à éclairer.

S’il en est ainsi, la paroimia de Jn 10,1-5, simple récit imagé d’une scène quotidienne, est à lire et à accueillir pour elle-même dans un premier temps, sans en faire encore à ce stade une lecture allégorique comme le font certains commentateurs[25] sans attendre les applications ensuite proposées par Jésus lui-même et auxquelles nous arrivons maintenant.

La première application (10,7-10)

7 Jésus parla donc de nouveau :
« Amen, amen, je vous le dis :
Moi, je suis la porte (egô eimi hè thyra) des brebis.
8 Tous ceux qui sont venus [avant moi] sont des voleurs et des bandits ;
mais les brebis ne les ont pas écoutés.
9 Moi, je suis la porte (egô eimi hè thyra).
Si quelqu’un entre en passant par moi, il sera sauvé
et il entrera et il sortira et il trouvera un pâturage.
10 Le voleur ne vient que pour voler et égorger et faire périr.
Moi, je suis venu pour que les brebis aient la vie, qu’elles l’aient en abondance.

Alors qu’on s’attendrait tout naturellement à ce que Jésus reprenne le motif du pasteur pour se l’appliquer à lui-même, c’est plutôt à celui de la porte qu’il fait d’abord écho. Ainsi, le thème qui se présentait en premier au début de la paroimia (10,1-3a) est aussi celui qui se voit exploiter en premier dans la première application (10,7-10). C’est donc autour de lui que s’articule cette dernière, dont il devient le motif central. « Je suis la porte » : placée d’entrée de jeu en tête du développement en 10,7, la proclamation est ensuite réitérée en son coeur en 10,9. Prélevé dans le récit imagé, le motif est donc repris, mais moyennant ajustement. Le voilà exploité dans une ligne nouvelle : la porte, qui était celle par laquelle passe le pasteur (10,2-3a), devient maintenant « la porte des brebis », par laquelle doivent passer celles-ci pour avoir accès au pâturage (10,9).

Première donnée christologique : le sens de la mission pré-pascale de Jésus

Le motif de la porte se charge donc d’une valence symbolique nouvelle en tant que voie d’accès au pâturage, c’est-à-dire au don de la vie, finalité ultime de la mission de Jésus. C’est bien ce qu’affirme ce dernier en Jn 10,10b : « Je suis venu pour qu’elles (les brebis) aient la vie (hina zoèn echôsin). » Cela correspond, jusque dans la formulation, à ce que proclame Jn 3,16 au sujet de la finalité du « don » que Dieu a fait au monde de son Fils unique : « afin (hina) que quiconque croit en lui ne périsse pas mais qu’il ait la vie (echè zôèn) éternelle ». Et comment a-t-on accès à cette vie que Dieu offre ? C’est ici que le motif de la porte trouve tout son sens : « Si quelqu’un entre en passant par moi (di’emou)… », dit Jésus (10,9b). Cela ne correspond-il pas à ce qu’il affirmera encore en 14,6 : « Je suis le chemin, la vérité et la vie : nul ne va au Père si ce n’est en passant par moi (di’emou). » Ce dont on trouvera encore l’équivalent en 1 Jn 4,9 : « Dieu a envoyé son Fils unique dans le monde afin que nous vivions par lui (hina zèsômen di’autou).

« Si quelqu’un entre en passant par moi », précise Jésus dans la suite de 10,9, « il sera sauvé ». Exprimée en termes de « vie », la finalité de la mission de Jésus l’est donc encore en termes de « salut ». Ce qui rejoint de nouveau des affirmations présentes ailleurs chez Jean. Pensons à celle de Jn 12,47 : « Je ne suis pas venu pour juger le monde mais pour le sauver (hina sôsô auton). Pensons encore à l’affirmation de Jn 3,17 : « Dieu n’a pas envoyé le Fils dans le monde pour qu’il juge le monde, mais afin que le monde soit sauvé par lui (hina sôthè di’autou). »

En même temps qu’il va puiser dans le récit imagé le thème de la porte à laquelle il s’identifie comme accès à la vie et au salut de Dieu, Jésus y prélève aussi le motif contrastant du voleur. Pour une part, celui-ci est prolongé en étant exploité dans la même ligne que dans la paroimia : étant des « étrangers » qui, dépourvus de familiarité avec les brebis, ne sont pas écoutés par elles, comme cela était dit en 10,5, les voleurs qui sont venus ne l’ont pas été effectivement (10,8b). Mais, en même temps, le thème des voleurs se trouve précisé dans une ligne nouvelle. Caractérisés au début de la paroimia comme ceux qui n’entrent pas par la porte mais escaladent par un autre endroit (10,1), les voleurs le sont maintenant par la finalité qui est la leur : « voler, égorger et faire périr » (10,10a). Cette finalité forme contraste par rapport à celle de la mission de Jésus qui consiste au contraire dans l’accès au don de la vie. Il est en effet significatif que, dans l’affirmation « Le voleur ne vient que pour (…) faire périr », le verbe utilisé est apollymi, le même exactement qui, en Jn 3,16, servait d’antithèse au don de la vie dans l’énoncé de la finalité de la mission : « Dieu (…) a donné son Fils unique pour que quiconque croit en lui ne périsse (apollymi) pas mais ait la vie (zôè) éternelle. » Dès lors, cela ne suggère-t-il pas déjà quelque chose concernant l’identité de ces « voleurs » comme de gens ayant fait obstacle à la mission de Jésus et à l’atteinte de sa finalité ?

Dans ce cas, il pourrait s’agir de contemporains, témoins de la mission de Jésus. Mais cela ne va-t-il pas à l’encontre de Jn 10,8 où Jésus en parle comme de « tous ceux qui sont venus avant moi (pro emou) » ? En réalité, comme l’indiquent les éditions critiques, cette dernière précision n’est pas du tout assurée du point de vue textuel, l’attestation manuscrite y laissant soupçonner une addition de copistes[26]. Le même verbe erchomai est employé au passé à propos des voleurs au v. 8 (littéralement « Tous ceux qui vinrent ») comme il l’est à propos de Jésus au v. 10 (littéralement : « Moi, je vins (èlthon) pour qu’ils aient la vie »). En rapport avec Jésus, l’aoriste fait alors référence, comme en d’autres passages de Jean[27], à sa venue dans le monde par suite de son envoi par le Père, aussi exprimé à l’aoriste[28]. Dans ce cas, l’aoriste de la venue des voleurs ne peut-il renvoyer lui aussi au même temps, c’est-à-dire celui de l’exercice de la mission ? La démarche des voleurs n’entretient pas alors un lien d’antériorité mais de concomitance, voire de postériorité, par rapport à la venue du Christ[29].

Dans notre passage, deux indices suggèrent de comprendre les choses en relation avec le contexte immédiat.

1) Jn 10,1, avons-nous vu, enchaîne directement avec le récit de l’aveugle-né en Jn 9, plus exactement avec la controverse de Jésus avec les Pharisiens rapportée en finale du récit (9,40-41). Ceux qu’au chapitre 9 Jean désigne, tantôt comme « Juifs » (9,18), tantôt comme « Pharisiens » (9,13.15.16.40), sont décrits en 9,22 comme redoutés par les parents de l’aveugle parce qu’ils avaient décrété que « si quelqu’un reconnaissait Jésus pour le Christ, il serait exclu de la synagogue ». Il s’agit donc de leaders du judaïsme – comme l’étaient devenus les Pharisiens à l’époque de la rédaction de l’évangile – menaçant des croyants, des « brebis de cet enclos ». Ce qui sera de nouveau affirmé en 12,42 à propos de gens qui, « même parmi les notables », ont cru en Jésus et qui n’osent se déclarer pour la même raison. Comme si ce n’était pas assez, Jésus lui-même à la fin du discours d’adieux évoquera au futur la même mesure répressive à l’égard des disciples, toujours avec le même terme aposynagôgos : « Ils vous feront exclus de la synagogue (aposynagôgous poièsousin hymas). »

2) En Jn 10,21, la mention des réactions de l’auditoire de Jésus à la suite de la « parabole » du pasteur, fera de nouveau mention des « Juifs » divisés à propos de Jésus comme ils l’avaient été lors au chapitre 9 lors de la comparution de l’aveugle devant eux. Le récit témoigne en effet de la même dynamique de part et d’autre.

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a) Certains portent sur Jésus un jugement négatif (9,16a : « cet homme-ci ne vient pas de Dieu » // 10,20 : « il a un démon, il délire. Pourquoi l’écoutez-vous[30] ?). Donc des gens qui s’efforcent d’en détourner d’autres de Jésus, comme le voleur vient pour voler les brebis.

b) D’autres (10,21a : « mais d’autres disaient » // 9,16b : « mais d’autres disaient ») leur résistent – cf. 10,8 : « elles ne les ont pas écoutés » – en argumentant de la même manière que le groupe qui, lors de la comparution de l’aveugle, n’acquiesçait pas à l’opinion négative (10,21 : « Ces paroles ne sont d’un démoniaque. Un démon peut-il ouvrir les yeux d’un aveugle ? » // 9,16b : « Comment un homme pécheur peut-il faire de tels signes ? »)

c) De part et d’autre, ici en finale (9,16c), là au début (10,19), on trouve le même terme schisma pour rendre compte de leurs divisions, avec, en plus, dans le second passage, l’adverbe palin (« de nouveau »), qui incite à rapprocher les deux scènes.

Menacer les disciples d’exclusion de la synagogue ou chercher à les dissuader de croire en Jésus (« pourquoi l’écoutez-vous ? »), ne revient-il pas à voler les brebis et à les détourner de leur pasteur[31] ?

La seconde application (10,11-18)

11 Moi, je suis le bon pasteur (egô eimi ho poimèn ho kalos)
Le bon pasteur donne sa vie pour les brebis.
12 Le berger salarié et qui n’est pas le pasteur,
dont les brebis ne sont pas les siennes
voit venir le loup et il laisse les brebis et il s’enfuit
 et le loup s’en empare et les disperse –
13 parce qu’il est un berger salarié et il n’y a pas chez lui de souci à l’égard des brebis.
14 Moi, je suis le bon pasteur (egô eimi ho poimèn ho kalos)
 et je connais les miennes (brebis), et les miennes me connaissent,
 15 comme le Père me connaît, et que je connais le Père ;
et je donne ma vie pour mes brebis.
 16 Et j’ai d’autres brebis, qui ne sont pas de cet enclos
 et celles-là aussi, il faut que je les conduise et elles écouteront ma voix
 et il y aura un seul troupeau, un seul pasteur.
17 À cause de cela le Père m’aime :
parce que moi, je donne ma vie, pour que je la reçoive de nouveau.
18 Nul ne me l’enlève : je la donne de moi-même.
J’ai la liberté de la donner, j’ai aussi la possibilité de la recevoir de nouveau :
voilà le commandement que j’ai reçu de mon Père. »

Un examen attentif du contenu de cette dernière section mène aux observations suivantes.

a) Après s’être appliqué à lui-même le motif de la porte, prélevé dans le récit imagé de Jn 10,1-5, c’est maintenant celui du pasteur que Jésus reprend et s’applique de la même façon. Comme la première application, la seconde s’ouvre par une proclamation en Egô eimi : « Je suis le pasteur, le bon » (10,11). Et comme dans la première application, cette proclamation est ensuite reprise (10,14a), et de nouveau à la suite d’une mise contraste (10,12-13).

b) Le motif du pasteur se trouve cependant ajusté et exploité dans une ligne nouvelle. Il ne s’agit plus, comme dans la paroimia, du pasteur qui pénètre dans l’enclos par la porte et qui appelle ses brebis à le suivre, mais de celui qui va jusqu’à donner sa vie pour elles. Nous verrons que c’est bien en ce sens qu’il faut entendre le verbe tithèmi dans l’affirmation qui revient à cinq reprises du début à la fin (aux versets 11, 15, 17, plus deux fois au v. 18). Cette nouvelle thématique entraîne comme motif contrastant non plus celui du voleur, présent dans le récit imagé (10,1) et repris dans la première application (10,8.10a), mais celui du berger salarié qui, au lieu de risquer sa vie lorsque survient le danger, s’enfuit et abandonne les brebis (10,12-13).

c) Comme dans le récit imagé, le motif du pasteur s’accompagne de nouveau aux versets 14b-15 de celui de la familiarité ou de la connaissance réciproque existant entre le pasteur et les brebis. À première vue, il est vrai, on aurait l’impression que ces versets – en retrait dans le texte ci-dessus – viennent interrompre un développement continu sur le don de la vie et que, s’ils n’étaient pas là, on ne se rendrait pas compte qu’il manque quelque chose. À y regarder de plus près cependant, on comprend que ce passage explicite de deux façons le contraste qui précède (10,12-13) entre les deux bergers. Pour une part, dans le cas du salarié, les brebis ne sont pas les siennes propres (ouk estin ta probata idia) (10,12a) ; par contraste, est-il dit à deux reprises (10,14b), dans le cas de Jésus, le « bon berger », elles sont ta ema, « les miennes propres » (10,14), en précisant qu’il existe entre elles et lui une connaissance réciproque comme celle qui existe entre Jésus et le Père (10,15a). En outre, alors que le salarié s’enfuit quand survient le danger (10,12b), le v. 15b répète que Jésus, lui, donne sa vie pour ses brebis. La référence au Père, quant à elle, prépare ce qui va suivre : au v. 17a, elle sera exprimée, non plus sous l’angle de la connaissance réciproque mais de l’amour et au v. 18b sous l’angle du « commandement », de l’attente du Père, pour ainsi dire, à l’égard de Jésus.

d) Au verset 16 – également en retrait dans le texte ci-dessus car il semblerait interrompre le développement –, se présente la perspective vraiment nouvelle d’un accroissement à venir du troupeau, dont il est dit cependant que « les brebis écouteront ma voix », ce qui ramène en sourdine le thème de la familiarité par rapport au pasteur.

De ce contenu global de la seconde application, il se dégage en condensé trois autres données christologiques, qui viennent s’ajouter à celle que nous avons retracée en lien avec la première application.

Deuxième donnée christologique : le sens de la mort de Jésus (10,14-15)

Dans la traduction de Jn 10,11-18 proposée ci-dessus, tant à propos du bon berger (10,11) que dans l’application que Jésus fait ensuite à lui-même de ce motif à quatre reprises (10,15,17,18 bis), l’expression qui a été retenue est celle de « donner » sa vie pour ses brebis. En réalité, cette traduction ne rend pas strictement le grec. Celle que Jean utilise fait plutôt intervenir le verbe tithèmi, dont le sens courant est celui de « poser » au sens de « placer », « mettre », comme par exemple dans la question de Jésus à propos de Lazare : « Où l’avez-vous mis (tetheikate) ? » (11,34) ; ou encore à propos de l’écriteau précisant le motif de la condamnation de Jésus : « Pilate fit rédiger une inscription et la plaça (ethèken) sur la croix » (19,19). 8 fois sur 18 en Jn et 2 en 1 Jn – là seulement dans toute la Bible, sinon dans littérature ancienne –, le verbe a comme complément d’objet le substantif psychè, « vie, âme ». D’où chez les interprètes une diversité de traductions, plus ou moins décalées par rapport au grec et plus ou moins étranges en français : le bon berger, dira-t-on, « dépose », « expose », « livre », « offre », « donne » sa vie ou s’en « dessaisit ».

Là où cela est dit de Jésus, on s’entend cependant pour comprendre l’expression au sens du don ou du sacrifice de sa vie pour les autres. Le contexte suggère déjà cette compréhension dans certains passages où l’expression est employée à propos de quelqu’un d’autre. Par exemple Pierre dans le récit de la passion :

Pierre lui dit (à Jésus) : « Pourquoi ne puis-je pas te suivre à présent ? Je donnerai (littéralement : je « déposerai ») ma vie pour toi. » Jésus répond : « Tu donneras (litt. tu « déposeras ») ta vie pour moi ? Le coq ne chantera pas que tu m’aies renié trois fois. »

13,38-39

Dans le contexte, l’expression ne peut qu’avoir le sens de « donner sa vie en mourant », tout comme chez Marc et Matthieu dans le passage parallèle : « Devrais-je mourir avec toi, non, je ne te renierai pas. » (Mc 14,31 par.) La même signification se trouve également dictée par le contexte en Jn 15,13 : « Nul n’a d’amour plus grand que de donner (tithèmi) sa vie pour ses amis. » Et de même dans les deux occurrences de 1 Jn 3,16, cette fois en relation expresse avec Jésus[32] : « À ceci nous avons connu l’amour : celui-là a donné (tithèmi) sa vie pour nous ; nous aussi nous devons donner (tithèmi) nos vies pour nos frères. »

Ce sens n’est-il pas impliqué dans la dernière section de Jn 10, en particulier dans deux des quatre occurrences de l’expression dans son application à Jésus ? En 10,17b, celui-ci déclare en effet : Egô tithèmi tèn psychèn mou hina palin labô autèn, formule dont nous nous efforcerons de justifier plus loin la traduction : « Moi, je donne ma vie pour que je la reçoive de nouveau. ». Et de même au verset suivant : Exousian echô theinai autèn kai exousian echô palin labein autèn, « J’ai la liberté de la donner, j’ai aussi la possibilité de la recevoir de nouveau. » (10,18b). Présent dans les deux cas, l’adverbe palin notamment n’implique-t-il pas l’abandon de la vie à laquelle on aura de nouveau accès ? « Je donne ma vie pour (hyper) mes brebis », affirme encore Jésus en 10,15b. Dès lors, « donner sa vie pour » (theinai tèn psychèn hyper) doit avoir le même sens que « mourir pour » (apothneskein hyper), expression encore utilisée par Jean à trois reprises à propos de Jésus :

Caïphe, étant grand prêtre cette année-là, leur dit : « Vous ne comprenez rien. Vous ne considérez pas qu’il est avantageux pour vous qu’un seul homme meure pour tout le peuple (hina apothanè hyper tou laou) et que la nation tout entière ne périsse pas. »

11,49-50

Après quoi l’évangéliste ouvre une parenthèse explicative précisant la finalité de la mort de Jésus – fidèle à lui-même, il n’en rend pas compte dans sa dimension « négative » de rémission des péchés[33], mais en termes positifs d’unité et de rassemblement :

Cela, il ne le dit pas de lui-même, mais étant grand-prêtre cette année-là, il prophétisa que Jésus devait mourir pour (apothèskein hyper) la nation, et pas seulement pour la nation, mais pour rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés.

11,51-52

Quand viendra pour Jésus l’heure de mourir, Jean, dans le récit de la passion, fera écho pour une troisième fois – indice de l’importance qu’il y attache – à la parole du grand-prêtre : « Caïphe était celui qui avait conseillé aux Juifs qu’il était avantageux qu’un seul homme meure pour le peuple (apothanein hyper tou laou). » (18,14)

Mais qu’en est-il du berger auquel Jésus se compare ? Peut-on vraiment dire que « le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis » (10,11b) ? Des auteurs[34] estiment déraisonnable et tout à fait exceptionnel – et par surcroît dommageable pour les brebis ainsi laissées seules pour affronter le danger – qu’un pasteur aille jusqu’à sacrifier sa vie pour ses bêtes[35] – « combien un être humain vaut-il mieux qu’une brebis ! » (Mt 12,12). En conséquence, appliquée au pasteur, l’expression tithenai tèn psychèn ne serait pas à comprendre au sens fort de « mourir pour », comme dans le cas de Jésus, mais simplement de « risquer sa vie ». En principe, il n’est pas impensable que Jean, qui joue volontiers sur le double sens, entende l’expression en ce sens affaibli : alors qu’un bon berger n’hésite pas à mettre sa vie en danger s’il le faut pour sauver ses brebis, Jésus, lui, donnera réellement sa vie pour elles. Mais comment en être sûr ? Trouve-t-on jamais quelque part ailleurs l’expression tithenai tèn psychèn en ce sens ? De toutes manières, cela ne change rien à l’affirmation christologique qui, elle, ne fait aucun doute : la vie de Jésus sera une vie donnée – et donnée librement, sera-t-il précisé en 10,17-18.

Troisième donnée christologique : la mission post-pascale (10,16)

Avant d’y arriver, il faut considérer, en suivant l’ordre du texte, l’annonce faite par Jésus en 10,16 d’un accroissement du troupeau. Jusqu’alors au présent, la description, faisant intervenir subitement la perspective d’autres brebis à venir, passe au futur : « elles écouteront ma voix et il y aura un seul troupeau, un seul pasteur ».

Ainsi donc, dans l’avenir, des brebis viendront s’ajouter à celles qui ont déjà été rassemblées dans l’enclos (10,16a) ; elles écouteront la voix du Christ pasteur (10,16b), de sorte que l’ensemble des brebis ne formeront qu’un seul troupeau (10,16c).

Qui sont ces brebis à venir ? Désignées comme probata, elles doivent présenter les mêmes traits qui, dans la paroimia comme dans la première application, définissaient les brebis déjà rassemblées. De fait, les deux traits mentionnés à leur propos l’ont été déjà à propos de celles-ci.

a) Tout d’abord, « elles écouteront ma voix » (10,16c). N’avons-nous pas ici l’écho de 10,3b (« elles écoutent sa voix ») et de ce qui était affirmé par contraste en 10,8 (« mais les brebis ne les ont pas écoutés ») ? Il est clair qu’écouter ne consiste pas seulement à entendre, à prêter attention à la voix du pasteur, mais à lui obéir, à se conformer à l’appel reçu : « elles le suivent », était-il dit en 10,4b et, par contraste, en 10,5a : « elles ne suivront pas un étranger mais elles s’enfuiront loin de lui ». Or, en Jn, ces deux verbes, « écouter » (akouô) et « suivre » (akoloutheô) sont des équivalents métaphoriques de « croire » (pisteuô). N’est-ce pas ce qui sera affirmé un peu plus loin dans le même chapitre ? « Vous ne croyez (pisteuô) pas, dira Jésus à des Juifs qui l’interrogent, parce que vous n’êtes pas de mes brebis. Mes brebis écoutent (akouô) ma voix, et moi je les connais, et elle me suivent (akoloutheô) et moi, je leur donne la vie éternelle. » (10,26-28a)[36].

b) Puisqu’elles écouteront ainsi la voix du pasteur, les brebis dont il est question au futur possèderont avec lui une familiarité, comme celles dont il vient tout juste d’être question en 10,14 : « je connais mes brebis et mes brebis me connaissent ». Or, chez Jean, le verbe ginôskô, très fréquent chez lui (57 fois), y a, lui aussi parfois, le sens de « croire », comme en témoigne par exemple la grande prière du chapitre 17 : « …ils ont vraiment connu (egnôsan) que je suis sorti de toi et ils ont cru (episteusan) que tu m’as envoyé » (17,8). Comme la foi[37], cette « connaissance » ouvre l’accès à la vie éternelle : « La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent (ginôskôsin), toi, le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ. » (17,3).

Ainsi, les brebis à venir seront, fondamentalement, comme celles qui du vivant de Jésus font déjà partie du troupeau, des croyants qui auront entendu sa voix et qui le suivront. D’après Jn 18,37, « écouter la voix » de Jésus, c’est accueillir ce pour quoi il est venu dans le monde : « Je ne suis né, je ne suis venu dans le monde que pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité écoute ma voix. » Or, la vérité n’est rien d’autre que la parole ou la révélation apportée dans le monde par Jésus : « Sanctifie-les dans la vérité. Ta parole est vérité. » (17,17).

Est-il possible, à partir d’autres données de Jn 10,1-18, de préciser davantage l’identité de ces brebis à venir ? Définissant le rôle qu’il exercera à leur égard, Jésus affirme : « celles-là aussi, il faut que je les conduise (agagein) (…) et il y aura un seul troupeau et un seul (heis) pasteur ». N’est-il pas frappant de trouver ici la même formulation et les mêmes idées qu’au chapitre suivant, dans le passage d’importance majeure que nous avons croisé plus haut sur la finalité de la mort de Jésus : « …et pas seulement pour la nation, mais pour conduire ensemble (synagagè) dans l’unité (eis hen) les enfants de Dieu dispersés » (Jn 11,52). D’un passage à l’autre, on a donc : a) le même verbe : agô, « conduire », en 10,16, et son composé synagô, « conduire ensemble », en 11,52[38] ; b) l’expression d’une même tension vers l’unité : « un seul troupeau, un seul pasteur » en 10,16 ; « (conduire ensemble) vers l’un », en 11,52. Or, ce dernier passage précise que ceux qu’il s’agit ainsi de conduire ensemble vers l’unité, ce sont « les enfants de Dieu (ta tekna tou Theou) dispersés ». Et qui sont ces « enfants de Dieu » ? Les mêmes sans doute que ceux dont il n’a été question qu’une seule fois ailleurs, dès le prologue de l’évangile :

Il est venu chez les siens et les siens ne l’ont pas accueilli. Mais à tous ceux qui l’ont reçu, il a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu (tekna Theou), à ceux qui croient en son nom.

1,11-12

Voilà donc qui vient confirmer les données recueillies plus haut concernant l’identité des brebis à venir. Ces brebis seront, de façon générale et indifférenciée, les « enfants de Dieu », qui qu’ils soient[39], qui croiront en Jésus.

Cette façon de comprendre ne rejoint-elle pas davantage les perspectives de Jean que l’interprétation dominante selon laquelle les « autres brebis » à venir sont à identifier aux païens[40] ? Une telle identification est loin d’aller de soi. Rien, en tout cas, ne paraît la suggérer au chapitre 10 lui-même. De façon plus générale, ethnè, le terme qu’utilise le plus souvent le Nouveau Testament pour désigner les païens, n’est jamais présent en ce sens chez Jean, où il n’apparaît que cinq fois en tout et pour tout. Quatre fois sur cinq, les emplois sont concentrés en Jn 11,48-52, où le terme renvoie spécifiquement à la « nation » juive. Il en va de même en 18,35, dans l’interrogation de Pilate à Jésus : « Ta nation (ethnos) et les grands prêtres t’ont livré à moi. Qu’as-tu fait ? » Mais, dira-t-on, n’est-il pas aussi question chez Jean (12,20) de « Grecs » (hellènes) – l’autre terme désignant les païens dans le Nouveau Testament – désireux de voir Jésus ? Ne seraient-ils pas, juste avant que celui-ci ne déclare : « Je les attirerai tous à moi » (12,32), l’anticipation des païens qui croiront dans l’avenir ? En réalité, ces « Grecs » ne sont pas des païens, mais « de ceux qui montaient pour adorer durant la fête (« la Pâque des Juifs ») » (12,20). Donc des gens gagnés au judaïsme, ceux que les Actes désignent comme « craignant Dieu »[41]. Tellement présente chez Paul, la problématique Juifs-païens ne l’est plus guère chez Jean.

Si tout cela est juste, les « autres brebis » désignées par Jésus en Jn 10,16 doivent correspondre à ces croyants, d’où qu’ils viennent, qu’évoquera plus loin la grande prière au Père : « Je ne prie pas pour eux seulement, mais pour ceux qui, grâce à leur parole, croiront en moi. » (17,20) La mission alors ne sera plus exercée par Jésus comme celle d’avant Pâques, mais par les disciples « envoyés dans le monde » par lui (17,18). Mais c’est Jésus qui demeurera le « seul pasteur », dont les brebis écouteront la voix, relayée désormais par celle des disciples. Cette perspective rejoint celle d’autres traditions du Nouveau Testament utilisant l’imagerie du pasteur pour rendre compte de la présence et de l’action du Christ ressuscité dans la mission ecclésiale d’après Pâques. Ainsi en est-il au début de la grande bénédiction finale de He 13,20-21 évoquant « le grand pasteur (ton poimena ton megan) des brebis », identifié à « notre Seigneur Jésus », celui que Dieu a fait « remonter d’entre les morts ». Ainsi en est-il également dans la première lettre de Pierre qui, après avoir désigné le Christ, dans son rôle à l’égard des croyants, comme « le pasteur et le surveillant (poimena kai episkopon) de vos âmes » (2,25), le propose ensuite en modèle aux responsables des communautés : « Paissez le troupeau qui vous est confié (…). Et quand paraîtra le chef des pasteurs (tou archipoimenos), vous recevrez l’impérissable couronne de gloire. » (5,2.4)

Quatrième donnée christologique : la mort et la résurrection, ou la vie donnée et la vie reçue (10,17-18)

Après l’évocation du futur (10,16), le texte en finale (10,17-18) revient au présent et renoue avec le thème du don de la vie, de nouveau mentionné à trois reprises, et toujours à travers le même verbe tithèmi. La perspective cependant est changée. Désormais, le recours à l’imagerie est absent, il n’est plus question du pasteur et des brebis. Le sens de la mort de Jésus n’est plus exprimé en rapport avec celles-ci mais en relation avec le Père, dont les deux mentions se répondent au début (v. 17a : « c’est pourquoi le Père m’aime ») et à la fin (v. 18b : « voilà le commandement que j’ai reçu de mon Père »).

Jésus affirme trois choses au sujet du don de sa vie. Ce don : a) il va le faire librement (ap’emautou, « de moi-même »), sans y être contraint ; b) il va le faire conformément au « commandement » qu’il a reçu de son Père, en communion à son vouloir ; c) sera suivi d’un lendemain, pour ainsi dire, évoqué à deux reprises, et de la même manière d’un verset à l’autre : hina palin labô autèn, au v. 17, et exousian echô palin labein autèn.

Ainsi, de même que le don de la vie était exprimé à travers le verbe tithèmi, ce qui le suivra l’est à travers le verbe lambanô. De nouveau, il s’agit d’un verbe très courant, figurant à pas moins de 258 fois dans le Nouveau Testament, tantôt au sens de « prendre », tantôt de « recevoir ». Chez Jean lui-même, il revient 46 fois, donc 43 en dehors de nos deux versets[42], 18 au sens de « prendre » et 25 au sens de « recevoir ». Lequel des deux le contexte de Jn 10,17-18 recommande-t-il ? Les options sont partagées. « Je donne ma vie pour la reprendre[43] », lit-on dans certaines traductions françaises ; dans d’autres : « Je donne ma vie pour la recevoir à nouveau[44] ».

Puisqu’il est question de la vie donnée pour les autres jusqu’à mourir, l’adverbe palin doit renvoyer à la résurrection qui suivra la mort de Jésus. En Jn, les deux verbes utilisés pour « ressusciter » sont rarement utilisés à propos de Jésus. Egeirô ne l’est qu’à deux reprises, une fois au début (2,22) et une fois à la fin de l’évangile (21,14). Quant à anistèmi, on ne le trouve guère qu’en 20,9 : « … ils ne comprenaient pas encore l’Écriture (selon laquelle) il fallait qu’il se levât d’entre les morts ». Ce dont il est question plus fréquemment, c’est de la glorification de Jésus par suite de sa résurrection, certains passages indiquant une équivalence entre les deux :

… quand donc il eut été ressuscité des morts, ses disciples se souvinrent qu’il avait dit cela.

2,22

… quand Jésus eut été glorifié, alors ils se souvinrent (…) qu’on lui avait fait cela.

12,16

Or, en rapport avec la glorification de Jésus, il est clairement indiqué que c’est le Père qui en est l’auteur[45]. Dès lors, en Jn 10,17-18, ne faut-il pas comprendre lambanô au sens de « recevoir » plutôt que de « reprendre », qui pourrait laisser entendre que Jésus est l’auteur de sa propre résurrection et glorification ? D’autant plus que le verbe y apparaît entre deux mentions du Père, dont Jésus affirme notamment qu’il l’aime parce qu’il donne sa vie (10,17a) et avant une troisième où le même verbe a très clairement le sens de « recevoir » (« le commandement que j’ai reçu du Père » : 10,18b). N’a-t-on pas l’impression qu’en ce passage de Jean, c’est Jésus lui-même qui en quelque sorte proclame ce que confessera à son sujet la foi chrétienne selon l’hymne ancienne citée en Ph 2,8-9 : « il s’abaissa, devenu obéissant jusqu’à la mort (…) c’est pourquoi Dieu l’exalta… » ? Les termes varient, mais le mystère exprimé est le même. Pour tenir compte de ce qui s’exprime en ces versets, d’une part la vie donnée librement par Jésus et, d’autre part, celle à laquelle le Père lui donne accès en retour, ne pourrait-on pas entendre d’une double façon le terme exousia en 10,18 : « J’ai la liberté de la donner (ma vie), j’ai aussi la possibilité (en raison de l’amour du Père) de la recevoir de nouveau » ? Mais alors faut-il comprendre que, par suite de sa résurrrection-glorification, Jésus aura accès à une vie semblable – puisque désignée de la même manière (psychè) – à celle de son existence terrestre antérieure ? Ne faut-il pas relire alors ce que proclamera encore Jésus, au terme de la première partie de l’évangile : « qui aime sa vie (tèn psychèn autou) la perd et qui hait sa vie (tèn psychèn autou) en ce monde la gardera en vie éternelle (eis zôèn aiônion). » (12,25) La psychè d’ici-bas sera donc transformée, prenant visage d’une zôè à ampleur d’éternité.

Conclusion

Des quelque quatre-vingts passages du Nouveau Testament où intervient l’imagerie du pasteur, Jn 10,1-21 se présente comme le plus élaboré, le plus original et sans doute le plus riche théologiquement.

Cette péricope unique comporte d’abord le récit imagé d’une expérience pastorale observable quotidiennement dans la Palestine contemporaine de Jésus (10,1-5). Ni parabole ni allégorie telles qu’on les entend communément, tout en présentant des affinités avec les deux, ce récit joue un rôle d’ancrage dans la réalité familière et d’une sorte de réservoir métaphorique, dans lequel vont ensuite puiser successivement les deux applications faites à lui-même par Jésus. Plus brève, la première (10,7-10), dans laquelle celui-ci se compare à la « porte des brebis », suggère, en termes typiquement johanniques, la finalité de sa mission, par contraste, semble-t-il, avec les leaders contemporains du judaïsme tels que les représente le quatrième évangile. Plus élaborée, la seconde application (10,11-18), où Jésus développe le motif central du pasteur, éclaire trois autres facettes du mystère christologique. En se présentant d’abord, par contraste avec le berger salarié, comme le bon pasteur qui donne sa vie pour ses brebis, Jésus suggère quelque chose du sens qu’aura sa mort pour les autres. En évoquant ensuite le rôle de l’unique pasteur qu’il continuera de jouer dans l’avenir, il révèle quelque chose de sa mission post-pascale, le caractère permanent de son activité et de sa présence. Enfin, en exprimant sa certitude qu’à sa vie donnée répondra une vie reçue, redevable à l’amour du Père, Jésus évoque le mystère fondamental de son « heure » et de ce qu’elle représente, non plus seulement pour les autres mais pour lui-même.

C’est donc dans cette ligne christologique que se situe l’utilisation fondamentale de la métaphore du pasteur en Jn 10. Attentifs au questionnement du présent numéro de Science et Esprit, demandons-nous brièvement en terminant si, en elle-même pour ainsi dire, cette métaphore peut encore éclairer et inspirer aujourd’hui la conception et la pratique du leadership. Non seulement celui qu’évoque Jn 10,16 dans une perspective proprement « pastorale », mais encore celui qui, de façon diversifiée, a à se déployer dans divers secteurs de l’activité humaine.

Ne faut-il pas commencer par signaler le double handicap auquel se heurte aujourd’hui la pertinence de la métaphore du berger ? Pour une part, l’expérience à laquelle elle fait référence, omniprésente dans le monde ancien et reflétée dans la Bible, est pratiquement disparue et fait figure d’inconnue dans nos cultures actuelles. En outre, le leadership auquel elle renvoie ne concerne pas la conduite d’une communauté humaine mais d’un troupeau animal. Son pouvoir d’attraction ne s’en trouve-t-il pas diminué d’autant, excluant toute relation d’égalité entre le pasteur et ses « moutons », assimilés de façon péjorative à des êtres dépendants, au comportement grégaire, dépourvus d’initiative et d’autonomie ?

En Jn 10, néanmoins, c’est d’abord sur le pasteur que porte l’attention. Et les traits majeurs soulignés à son propos se ramènent, selon l’ordre où ils se présentent, aux quatre suivants.

a) La légitimité. Condition fondamentale de l’exercice d’un leadership, elle se trouve affirmée d’emblée, reconnue par le portier de l’enclos (10,3) comme par les brebis qui écoutent la voix de leur pasteur (10,3, puis 10,16) et qui le suivent (10,4.5).

b) La familiarité. Elle prend visage dans le récit de la connaissance réciproque et de la relation « personnalisée » qu’entretient le pasteur avec chacune de ses brebis. Celles-ci connaissent leur berger et savent reconnaître sa voix (10,4b.5b, puis 14b), comme lui-même les connaît et appelle chacune par son nom (10,3). Aussi bien, le rôle du pasteur est-il défini, non seulement en fonction du troupeau en général mais de chaque brebis en particulier.

Cela ne se vérifie-t-il pas toujours dans des milieux plus restreints où par exemple des responsables de soins de santé peuvent intervenir à la faveur d’un climat et de contacts humains individualisés ? Même à échelle plus vaste, la pandémie récente n’a-t-elle pas mis en relief un aspect particulier du leadership politique, soucieux non seulement de la gestion de la chose publique en général, mais encore du bien-être de chaque citoyen, comme l’est un berger à l’égard de ses brebis ? Et la négligence de cet aspect n’est-elle pas apparue assez importante pour mettre en jeu la position même de dirigeants priorisant le maintien d’une prospérité économique notamment mais se révélant incapables de « gérer la crise » et son impact auprès des divers secteurs de la population ?

c) L’ampleur du rôle exercé. Celui du pasteur se définit en fonction de la « vie » elle-même entendue en un double sens : d’une part, l’entretien de la vie de ses brebis qu’il conduit au pâturage (10,9) et dont il voit ainsi à la subsistance ; d’autre part, le maintien de cette vie en lui assurant protection et sécurité, à l’encontre de ce qui la menace du côté des voleurs (10,10) ou des loups (10.12). Une telle représentation ne reste-t-elle pas pertinente pour qui a la responsabilité d’assurer par exemple, au sein d’une société, des mesures de santé et de sécurité en faveur de tous ?

d) L’ampleur de l’investissement. Décrit comme pouvant aller, chez le pasteur, jusqu’au don de sa propre vie (10,11), sans doute cet investissement se trouve-t-il majoré en vue des applications christologiques qui vont suivre (10,15.17.18). Mais n’a-t-on pas vu, en temps de pandémie encore, des responsables de soins de santé qui, souvent, ont risqué leur vie, parfois l’ont sacrificiée, au service de personnes atteintes ou plus vulnérables ? « Le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis… »