Comptes rendus

Denis Simard, Jean-François Cardin et Olivier Lemieux (dir.), La pensée éducative et les intellectuels au Québec. La génération 1900-1915, Québec, Presses de l’Université Laval, coll. « Éducation et culture », 2020, 236 p.[Notice]

  • Gérard Fabre

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  • Gérard Fabre
    Centre d’étude des mouvements sociaux, CNRS/EHESS, Paris
    gfabre@ehess.fr

À la suite d’un premier volume sur les penseurs de l’éducation au Québec concernant la génération 1915-1930, Simard, Cardin et Lemieux en dirigent un deuxième sur 10 personnalités appartenant à la génération 1900-1915. La plupart d’entre elles partagent une pensée critique et des liens étroits avec l’Université Laval. Selon une conception thomiste, le père Georges-Henri Lévesque, traité par Morin, poursuit un idéal du bien commun adossé à l’éducation sociale. Il distingue sociologie et morale, tout en soulignant leur interaction. Après s’être opposé à Duplessis, il s’inquiète des changements pédagogiques des années 1960 : il y voit un risque de délestage de toute justification religieuse, regrettant notamment la minoration de la fonction dévolue aux parents, ce qui interroge la pertinence de la formule qu’on lui applique de « père de la Révolution tranquille ». En relevant les similitudes des pensées éducatives chez Charles De Koninck et Henri Bergson, Fradet dégage les préoccupations du philosophe polyglotte d’origine belge : la primauté des études classiques (grec et latin) pour éveiller à l’activité de traduction; l’ironie socratique et l’interdisciplinarité pour prendre conscience des limites des savoirs spécialisés; la politesse comme outil de communication des idées philosophiques; l’intelligibilité et l’accessibilité de la langue pour permettre la transmission. De Koninck défend un réalisme ontologique et une pédagogie non-constructiviste où la reconnaissance de l’ignorance conditionne le désir de connaissance. L’historien de l’éducation Louis-Philippe Audet est le sujet du texte signé par Lemieux et Stan. Devenu secrétaire général de la commission Parent, Audet se révèle un contempteur de l’ère Duplessis. Cependant, au même titre que Lévesque, il prend ses distances avec l’évolution bureaucratique du nouveau ministère de l’Éducation du Québec, tout en fustigeant les revendications du syndicalisme enseignant, qu’il juge excessives. Lacroix s’intéresse aux écrits de François Hertel sur l’enseignement des arts et de la littérature comme vecteurs d’apprentissage et d’émancipation. Peu sensible à l’influence thomiste, Hertel déplore que l’éducation ne soit pas assez nationale au Québec, rejoignant en cela ses aînés Lionel Groulx et Albert Tessier. Ses premiers écrits révèlent une réappropriation nationaliste de Nelligan, puis, à travers sa trilogie romanesque autour du personnage d’Anatole Laplante, il se fait le chantre de la rupture. Il s’affranchit des codes narratifs et suggère la virtualité d’un jeu agonique entre narrateur et lecteurs. Il prend fait et cause pour l’abstraction en peinture. Chez lui se superposent deux « figures emblématiques du maître et de l’éducation », en apparence contradictoires : « le berger nationaliste » et « l’artiste révolutionnaire ». Bédard traite du projet social-démocrate de Georges-Émile Lapalme, basé sur un volontarisme éducatif. Dans son essai Pour une politique, rédigé en 1959, Lapalme entend rénover une institution scolaire qu’il juge sclérosée et soumise à des intérêts partisans. Il prône la gratuité des études, la sélection au mérite et la création d’un ministère de l’Instruction publique. Il veut confier des enquêtes à des spécialistes de la pédagogie, et non à des personnes nommées en raison de leurs accointances politiciennes. Son ambitieux projet éducatif sera partiellement appliqué lors de la Révolution tranquille. Si désuète qu’elle puisse paraître de nos jours, la pensée de Marie-Paule Vinay, présentée par Warren et Moisan, a exercé une notable influence sur l’enseignement des instituts de pédagogie familiale et des écoles ménagères. C’est avec le soutien actif de Mgr Tessier que les manuels de Vinay sont diffusés au Québec dans les « écoles de bonheur ». Vinay reconduit une image essentialiste de la femme, caractérisée avant tout par sa fonction maternelle. La pédagogue développe une vision pessimiste d’une citadelle catholique menacée par la modernité technologique et les nouveaux modes de consommation. En faisant l’éloge de la souffrance, …