Notes critiques

Comment devient-on Guy Rocher?Pierre Duchesne, Guy Rocher T.1: 1924-1963 Voir, juger, agir, Montréal, Québec-Amérique, 2019, 458 p.[Notice]

  • Jean-Philippe Warren

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Pierre Duchesne est journaliste de formation, et cela transpire dans le premier tome de sa biographie de Guy Rocher. S’intéressant d’abord aux tribulations d’un homme confronté à l’histoire, de son enfance jusqu’à la Commission Parent, il recherche l’événement, comme lorsqu’il retraçait le parcours de Jacques Parizeau. Rempli de renseignements précieux, son livre permet d’en connaître davantage sur une des figures intellectuelles les plus marquantes du Québec de la deuxième moitié du 20e siècle. Elle aide du même coup à mieux faire connaître et reconnaître la place de la discipline sociologique dans la construction d’une société québécoise plus libre, plus égalitaire et plus juste. Je crois cependant que maints sociologues seront en partie déçus par le portrait tracé dans ce premier tome. Deux travers journalistiques affectent en effet l’approche adoptée par Duchesne. D’abord, pour compenser le manque de suspens et de rebondissements vraiment captivants dans la vie de son sujet, il arrive que l’ancien journaliste cède à l’enflure rhétorique. Par exemple, pour cerner la place occupée par l’Église catholique au Québec au seuil des années 1960, il affirme : « L’Église catholique règne sans partage sur la société québécoise depuis la conquête anglaise » (p. 445). Pour décrire l’élection du gouvernement de Jean Lesage, en juin 1960, les termes choisis sont tout aussi hyperboliques : « Il a fallu attendre quinze ans avant que le grand vent du changement fasse place à un temps de réforme, désenclavant l’avenir, ouvrant les voies de tous les possibles » (p. 354). Ces tentatives de mettre un peu de couleurs et de relief dans un récit autrement plat et sans grandes péripéties sont réalisées au prix de la vérité historique. Ensuite, habitué aux méthodes de travail du métier de journaliste, Duchesne s’appuie trop pesamment sur des sources tirées des entrevues et des rencontres avec des informateurs et informatrices clés (dont je suis), ainsi que sur les archives personnelles de Rocher. J’y vois deux pièges. En premier lieu, la biographie de Duchesne ouvre parfois des apartés et fournit des détails insignifiants, sans suivre d’autre logique, semble-t-il, que le plaisir de raconter pour raconter. Le fait que le premier tome de Duchesne fasse plus de 450 pages est déjà un signe, selon moi, que l’auteur a été incapable de faire un tri rigoureux dans les renseignements qu’il a glanés au fil de ses découvertes. En deuxième lieu, croyant que tout est dit par ses interlocuteurs et interlocutrices, Duchesne passe à côté de sources et de faits importants. On ne retrouve dans son livre que très peu d’analyses des textes écrits par Rocher, à part de brèves références à son mémoire de maîtrise sur Spencer ou sur son doctorat sur les relations entre l’Église et l’État en Nouvelle-France. On s’étonne également qu’aucune mention ne soit faite du concile Vatican II, pourtant ouvert en octobre 1962, justement au moment où se déroulent les travaux de la Commission Parent. Dans cette note critique, je voudrais donc ajouter quelques morceaux au portrait tracé par Duchesne afin de répondre à une question que le journaliste a largement éludée et qui me paraît pourtant centrale : comment Guy Rocher en est-il arrivé à penser comme il pense? Mon ambition vise uniquement à compléter par des informations supplémentaires ce qui se trouve déjà dans l’ouvrage de Duchesne, en revenant sur ce que je considère être la contribution fondamentale de Rocher, c’est-à-dire la maîtrise d’une posture savante, que l’on définira ici comme la manière singulière pour un individu de négocier son positionnement comme chercheur au sein, principalement, du champ politique et du champ scientifique (Sapiro, 2009). Car, il faut rappeler que si …

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