En cette période où l’on célèbre la multidisciplinarité en sciences sociales, la géographie est souvent étrangement négligée dans l’étude des phénomènes religieux. Pourtant, comme on le sait, l’Église catholique a eu une influence décisive dans la définition de l’espace et du territoire québécois. La géographie des religions permet pour cette raison de poser un regard spécifique et stimulant sur la société québécoise en nous renseignant, entre autres, sur l’occupation religieuse de l’espace social et les diverses stratégies de recomposition du territoire. D’où le très grand intérêt des trois ouvrages que le géographe français Fabien Venon a proposé depuis 2011, monographies qui permettent, d’une part, de saisir la transformation de la discipline géographique au Québec et, d’autre part, d’explorer le développement des paroisses de Montréal et de ses périphéries. Il propose dans ses travaux une approche spatiale et sociale qui peut éclairer la situation actuelle du religieux dans l’espace paroissial montréalais. Dans son premier essai intitulé Géographie et religion en France et au Québec et publié en 2011, Venon brosse le portrait de l’évolution de la discipline géographique en France et au Québec dans son rapport au fait religieux. L’auteur commence par observer l’évolution de la géographie religieuse jusqu’au 19e siècle en France. Selon lui, une « rupture épistémologique » s’effectue au sein de la discipline et du milieu universitaire lorsque, sous l’impulsion des idéologies républicaines et d’une sécularisation en gestation, des géographes proposent une vision plus dynamique du fait religieux, l’un des premiers étant Paul Vidal de la Blache (Venon, 2011, p. 60). Cette approche plus dynamique permet d’observer l’influence de la géographie, de l’espace et des genres de vie sur le religieux : ce n’est plus le religieux qui détermine l’ensemble de la vie sociale et de son interprétation. Venon soutient que cette rupture épistémologique consomme le passage d’une géographie religieuse à une géographie des religions qui, intégrant davantage le point de vue des croyants et de l’Église, délaisse le déterminisme naturel et religieux qui était au coeur de la géographie religieuse. On s’éloigne donc d’une perspective « paysagère » où le religieux imprègne les interprétations de la nature et où l’Église influence la compréhension de l’espace. Cette tendance, qui mène à une géographie des religions étudiant les faits religieux, est reprise au cours du 20e siècle sous différentes perspectives : Élisée Reclus et André Siegfried (étude du religieux en dehors des idéologies et des institutions), Jean Bruhmes et Pierre Deffontaines (géographie des religions spiritualistes), Pierre Gourou, Jacques Richard Molard et Xavier de Planhol (approfondissement des systèmes agri-religieux). Ce recadrage de la discipline vers une géographie des religions invite les chercheurs à utiliser des outils « statistiques et cartographiques, pour rendre compte de l’inscription individuelle et collective dans l’espace » (Venon, 2011, p. 142). En parallèle, on retrouve des périodes similaires dans le rapport entre géographie et fait religieux au Canada français. Selon Venon, la période qui s’étend du 17e siècle au début du 19e siècle est celle des explorateurs et des missionnaires. Elle est dominée par une perspective téléologique : le religieux détermine la nature, l’espace et l’activité humaine dans les récits géographiques, le paysage rend compte de « la complexité des rapports de l’homme au divin » (Venon, 2011, p. 141). À la fin du 19e siècle, une nouvelle étape s’amorce, celle de la « nation catholique ». Toujours selon l’auteur, la géographie au Québec demeure alors cloîtrée, sclérosée au sein de l’Église catholique. Un regard extérieur se développe toutefois avec l’intérêt grandissant de certains géographes français pour le Canada au tournant du 20e siècle. …
Parties annexes
Bibliographie
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- Lemieux, Raymond et Jean-Paul Montminy, 1992 « La vitalité paradoxale du catholicisme québécois », dans: Gérard Daigle et Guy Rocher (dir.), Le Québec en jeu. Comprendre les grands défis, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, p. 575-606.
- Maffesoli, Michel, 1997 Du nomadisme. Vagabondage initiatique, Paris, Librairie Générale Française.
- Meunier, E.-Martin, Jean-François Laniel et Jean-Christophe Demers, 2010 « Permanence et recomposition de la religion culturelle. Aperçu socio-historique du catholicisme québécois (1970-2006) », dans : Robert Mager et Serge Cantin (dir.), Modernité et religion au Québec, Québec, Presses de l’Université Laval, p. 79-128.
- Meunier, E.-Martin et Sarah Wilkins-Laflamme, 2011 « Sécularisation, catholicisme et transformation du régime de religiosité au Québec. Étude comparative avec le catholicisme au Canada (1968-2007) », Recherches sociographiques, LII, 3: 683-729.
- Moreux, Colette, 1969 La fin d’une religion? Monographie d’une paroisse canadienne-française, Montréal, Presses de l’Université de Montréal.
- Palard, Jacques, 2011 Dieu a changé au Québec. Regards sur un catholicisme à l’épreuve du politique, Québec, Presses de l’Université Laval.
- Remiggi, Frank W. et Louis Rousseau (dir.), 1998 Atlas historique des pratiques religieuses. Le Sud-Ouest du Québec au XIXe siècle, Ottawa, Presses de l’Université d’Ottawa.
- Siegfried, André, 1906 Le Canada, les deux races : problèmes politiques contemporains, Paris, Armand Colin.
- Venon, Fabien, 2011 Géographie et religion en France et au Québec, Paris, L’Harmattan.
- Venon, Fabien, 2012 Les paroisses de Montréal en crise. La fin d’un bastion catholique?, Paris, L’Harmattan.
- Venon, Fabien, 2013 Les paroisses au défi de la postmodernité. L’archidiocèse de Montréal, Paris, L’Harmattan.
- Warren, Jean-Philippe, 2003 L’engagement sociologique. La tradition sociologique du Québec francophone (1886-1955), Montréal, Boréal.
- Warren, Jean-Philippe, 2012 « Some thoughts on Catholicism and the secularization question in Quebec: worldly and otherworldly rewards (1960-1970) », Historical Studies, 78, p. 81-91.