Comptes rendus

Yvan Lamonde (avec la collaboration de Claude Corbo), Historien et citoyen. Navigations au long cours, Montréal, Fides, 2008, 173 p.[Notice]

  • Éric Bédard

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Voilà un ouvrage incongru et tout à fait étonnant. Un historien au sommet de son art, en pleine possession de ses moyens, en train de publier l’oeuvre maîtresse d’une carrière exemplaire, fait un pas de côté et revient sur son parcours. Parce qu’il « se préoccupe que la substance de ses abondants travaux ne soit pas toujours bien comprise », explique Claude Corbo dans l’avant-propos, Yvan Lamonde rappelle, sur le mode parfois intimiste de l’autobiographie « scientifique », ses premières années d’études au Séminaire de Joliette et explique son passage – fondamental dans son cheminement intellectuel – de la philosophie à l’histoire. Trois des quatre chapitres sont consacrés aux « massifs » de son oeuvre : la nécessité, d’abord, d’arpenter le terrain de l’histoire culturelle et intellectuelle en recensant et en publiant des bibliographies, écrits et documents pertinents ; ensuite l’immense travail de synthèse en histoire des idées qui l’amène à préciser ses intentions et à mettre en valeur ses découvertes ; enfin, sa ferme volonté de comparer le Québec avec d’autres sociétés et d’ainsi mesurer les influences extérieures sur nos débats, nos façons de voir et nos institutions. L’ouvrage est complété par quatre « annexes » qui précisent certains aspects de la pensée de l’auteur et qui offrent une bibliographie complète de ses ouvrages. Yvan Lamonde est un historien rigoureux, méthodique, patient même. C’est ce que montrent les deux premiers tomes de son Histoire sociale des idées. Rien ne semble lui avoir échappé : sources primaires et secondaires ; mémoires de maîtrise et thèses de doctorat ; analyse interne et externe des idées en circulation. Ce qu’il cherche cependant à montrer dans Historien et citoyen, c’est que cette prodigieuse érudition devait, ultimement, éclairer le citoyen, l’intellectuel, l’homme et ainsi servir un dessein plus élevé, une finalité civique plus grande. En premier lieu, il s’agissait de s’attaquer à l’image négative de la culture politique québécoise propagée notamment par Pierre Elliott Trudeau à partir des années 1950. Contrairement à ce qu’avait pu croire ce dernier, le Québec français des XVIIIe et XIXe siècles n’a pas été « un désert vide de toute pensée démocratique » (p. 51). Des Canadiens ont souhaité l’avènement du parlementarisme britannique dès le XVIIIe siècle ; les rebelles de 1837-38 se sont inspirés des idées républicaines qui circulaient en Amérique ; un décollage culturel s’est produit dès les années 1840 ; une véritable autonomie du sujet aurait émergé, lentement mais sûrement, tout au long du XXe siècle. Sur ce plan, la démonstration de Lamonde est très convaincante et son immense contribution à notre historiographie n’est plus à démontrer. Mais il y a plus. C’est que, dans son esprit, « établir l’existence d’une tradition démocratique propre au Québec français » (p. 47) allait permettre une véritable « décolonisation mentale » (p. 6). C’est précisément là que l’historien tente de rejoindre le citoyen. En se découvrant un autre passé que celui de la « Grande noirceur », en prenant toute la mesure des riches débats politiques qui avaient eu cours ici, en comprenant que de grands personnages avaient défendu l’idéal de la liberté, les Québécois pourront assumer plus sereinement un passé qui passe mal, encore aujourd’hui, et ainsi « universaliser leur spécificité ». De la même manière, Yvan Lamonde a fait le pari qu’en analysant les multiples influences qui avaient fait le Québec, en montrant que l’apport de la France ou de Rome devait être relativisé par rapport à celui de la Grande-Bretagne ou des États-Unis, il amènerait les Québécois à porter un regard décomplexé sur eux-mêmes et à mieux saisir toute la …