In memoriam

Colette Carisse (1926-2008)[Notice]

  • Andrée Fortin

…plus d’informations

Retraitée de l’Université de Montréal depuis 1988, Colette Carisse avait fait carrière au Département de sociologie, à une époque où les femmes étaient rares dans le corps professoral. Elle-même « femme innovatrice » pour reprendre le titre d’un ouvrage qu’elle a écrit avec Joffre Dumazedier, au fil des ans, elle s’est tour à tour intéressée à la banlieue, aux prolétaires, à la condition féminine, à la famille, à la théorie des systèmes, aux médias et au chamanisme. Les travaux réalisés dans la foulée de sa thèse de doctorat, la première soutenue en sociologie à l’Université de Montréal, en 1964, ont porté sur les femmes, la famille et la planification des naissances. Sa carrière suit alors la trajectoire classique de la professeure d’université : publications d’ouvrages et d’articles, en anglais et en français, reposant souvent sur des enquêtes quantitatives. Mais vers 1970, sa trajectoire s’infléchit : en témoigne la traduction d’un article de Rapoport sur la théorie des systèmes. Graduellement, elle s’investira intellectuellement et personnellement dans les nouvelles technologies de communication et les approches qualitatives. Elle arrive aux médias en se penchant sur l’image des femmes dans la publicité. Mais bientôt, elle passe elle-même à l’utilisation de la vidéo, comme moyen d’enseignement, d’enquête et de diffusion des savoirs, et en fait réaliser à ses étudiants, comme en témoigne l’article de 1972, cosigné avec quatre étudiants. J’ai gardé le souvenir de Colette Carisse à cette époque comme femme redoutable, brillante, déterminée et absolument non conformiste. Au milieu des années 1980, nous avons réalisé ensemble une série télévisée, conçue à la fois comme cours à distance et intervention dans un débat social en cours sur les transformations de la famille. Pour la réalisation de la série télévisée De Famille en familles, Colette Carisse est « prêtée » à l’Université Laval (officiellement il s’agissait d’un échange de professeurs d’une session, mais en fait sa collaboration s’est étendue sur quelques années). Pour elle, il s’agissait d’un retour à son alma mater. Colette Carisse avait en effet étudié à l’Université Laval à la fin des années 1940, et fait méconnu, elle a été au coeur de la transmission de la tradition sociographique de ce département, dont cette revue témoigne éloquemment. Celle qui s’appelait encore Colette Beaudet a appris la sociologie et le travail de terrain, sociographique, auprès de Jean-Charles Falardeau, qui l’avait lui-même appris de Everett Hugues. Sous le nom de Colette Carisse, elle l’a enseigné à Denys Delâge, engagé au Département de sociologie de l’Université Laval au moment où Falardeau prenait sa retraite, et à l’origine d’un renouveau dans l’enseignement de la recherche de terrain dans ce département. Le passage de Colette Carisse au Département de sociologie de l’Université Laval dans les années 1980 a révélé, aux professeurs comme aux étudiants, une sociologue certes non conformiste, refusant la coupure trop nette entre la vie personnelle et la vie professionnelle, généreuse de son temps et de son savoir, mais aussi une analyste rigoureuse, aux observations fines. Pour elle l’imagination sociologique passait par le regard, à la fois empathique et distancié, par l’usage et l’analyse des images, par la vidéo, bien sûr, mais aussi l’observation, l’analyse de la publicité ou des dessins d’enfants. Dans les années 1980, elle passe plusieurs saisons hivernales au Mexique auprès des Huitchols, où elle est initiée comme chamane. Elle parlait de ce travail de terrain avec une ferveur critique et a laissé à ce sujet un manuscrit, malheureusement demeuré inédit. Ses terrains d’étude furent nombreux et divers, depuis son mémoire de licence, Banlieue réelle de la ville de Québec (1946), réalisé sous la direction de Falardeau, qui garde encore de …

Parties annexes