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« Le combat est loin d’être gagné. » C’est l’indubitable constat auquel je suis arrivé au terme de la lecture de l’ouvrage de Beauchamp et Watine. J’aurais tant souhaité déposer le livre et me dire, confiant : « Finalement, voilà qu’avec la multiplication des médias et l’accroissement des plates-formes de diffusion, l’avenir des communautés francophones au pays apparaît plus prometteur. »

Les sempiternels efforts non seulement de survivance mais également d’épanouissement des diverses communautés francophones canadiennes, surtout hors Québec, sont au coeur des réflexions et des bilans d’expérience auxquels la quinzaine de collaborateurs à cet ouvrage se sont livrés. Non que l’éclairage qu’il nous apporte soit inaccoutumé : de nombreux auteurs ont déjà largement ratissé cette préoccupante question sous de multiples angles et ont, dans la plupart des cas, conclu à l’urgence d’agir. L’apport spécifique de ce collectif réside dans le fait que le débat est cette fois centré autour du rôle que peuvent et devraient jouer – occasionnellement elles parviennent à le faire – la radio, la télé et la presse comme moyens d’expression des communautés francophones locales au pays.

Le plaidoyer est présenté en quatre parties : 1) la pratique du journalisme en milieu minoritaire francophone dans laquelle on retrouve cinq textes ; 2) les défis régionaux de Radio-Canada qui contient trois chapitres ; 3) le rôle des hebdomadaires régionaux et des médias communautaires qui est traité à partir de deux expériences et une 4e, intitulée « Autres contributions », composée de deux textes. L’ouvrage milite en faveur d’engagements politiques plus soutenus de la part de l’État, d’appuis plus sentis sur les plans économique, social et moral venant des acteurs locaux et, bien entendu, de la complexité de toute mission qui a pour but de mobiliser une communauté autour d’une initiative à caractère médiatique qui se veut rassembleuse.

Certes l’une des observations les plus perturbatrices est liée à l’affirmation chez plusieurs des collaborateurs que l’usage des médias en contexte francophone hors des grands centres urbains que sont Montréal, Québec et la région de Gatineau-Ottawa, et tout particulièrement en situation minoritaire, donne souvent lieu à ce que Ignacio Ramonet, dans son livre La Tyrannie de la communication, appelle le « journalisme de révérence ». Ce phénomène d’engagement parfois trop partisan de la part des journalistes – coincés entre leur volonté d’assumer à la fois leur rôle de dispensateurs d’information neutre et crédible en conformité avec les canons de la pratique journalistique et celle d’assurer la santé financière du médium pour lequel ils travaillent – aboutit, nous indique-t-on, à un rapport de force où la nécessité de ne pas déplaire aux commanditaires vient à émasculer toute tentative d’agir comme un véritable organe d’information.

On signalera à cet égard le texte de Bernier qui sert d’abécédaire aux fondements classiques de la pratique journalistique et qui aurait eu avantage à figurer au début de la première partie de l’ouvrage plutôt que de la clore. Pour le lecteur non initié à l’éthique et à la déontologie du journalisme, cette section met en relief des éléments de contextualisation qui permettent de mieux comprendre la taille du défi auquel sont confrontées les entreprises de presse oeuvrant en milieu minoritaire et ainsi de mieux juger la réticence qu’ont les publics cibles à s’y référer, voire à s’y identifier.

Seule entreprise d’information francophone accessible sur la presque totalité du territoire canadien, Radio-Canada fait l’objet de deux chapitres. Celui de Boutin est très en lien avec la problématique centrale de l’ouvrage, mais en revanche, on pourrait reprocher au texte de Proulx une trop forte tendance à analyser la situation actuelle à partir d’observations faites il y a 20 ans et consignées dans le rapport Caplan-Sauvageau. Par ailleurs, il aurait été souhaitable d’illustrer l’environnement télévisuel des communautés francophones canadiennes par l’entremise d’une étude de cas de TFO, la télévision éducative et culturelle de l’Ontario français, dont la prégnance au sein du milieu éducationnel de la province est riche en enseignements.

Somme toute, à l’heure où les grands circuits numériques sont en passe de se substituer à plusieurs fonctions associées aux « vieux » médias, cet ouvrage non seulement galvanise la réflexion sur la fonction des médias traditionnels dans la dynamique de l’affirmation culturelle mais sert également de mise en garde pour éviter que ne se répètent les mêmes frustrations dans la colonisation des nouveaux espaces numériques franco-canadiens. Devant la montée en force des portails de réseautage social (social networking) à la YouTube, MySpace, SkyBlog, Flickr et compagnie, l’adéquation « médias » et « milieux francophones » est susceptible de connaître un bouleversement dont on peut à peine aujourd’hui imaginer l’ampleur. La problématique est loin de se simplifier dans la mesure où la mise en place de super-réseaux de communication rend désormais obsolètes les contraintes géographiques et plus inquiétant encore, relance la réflexion autour de la définition de ce que sont les « spécificités locales ».

Si plusieurs des initiatives décrites dans cet ouvrage déplorent l’insuffisance des appuis fournis par l’État pour sauvegarder ce qui semblait vital à la survie des communautés francophones concernées, on voit d’ici ce qui sera requis pour promouvoir la capacité, la volonté et la conviction d’apprivoiser les nouveaux dispositifs techniques comme instruments de propagation de l’unicité culturelle. Les perturbations que provoquent les médias émergents de même que l’imposante force d’attraction que suscitent plusieurs des contenus qu’ils véhiculent ne peuvent aller qu’en s’accélérant. Dans un tel contexte, Médias et milieux francophones se présente comme un phare qui pointe vers les écueils qui jonchent çà et là le paysage médiatique des communautés francophones du Canada.