Comptes rendus

Marcel Bellavance,Le Québec au siècle des nationalités. Essai d’histoire comparée, Montréal, VLB, 2004, 250 p. (Études québécoises.)[Notice]

  • Jean-Jacques Simard

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  • Jean-Jacques Simard
    Département de sociologie,
    Université Laval.

Cessons nos luttes fratricides ! La damnée « société distincte », c’est dépassé. La référence porteuse d’avenir – du fait même que les historiens nationaux, prenant le relais des idéologues, se soient mis à lui déterrer un passé, précisément – est celle de « société normale ». Pathétiquement « révisionnistes » d’après leur félon congénère Ronald Rudin, un peu trop « contaminés par l’analyse sociologique » au goût de l’ingrat sociologue Joseph Yvon Thériault, ils ont commencé par trouver que l’américanité québécoise avait été moderne quasiment de naissance, malgré quelques déviances forcées et corrigées entre-temps. Puis, en empruntant cette fois la méthode de l’histoire comparée, c’est à l’échelle des « cultures et nations du Nouveau Monde » que certains survenants de Mistouc étendront jusqu’aux aurores australiennes l’horizon de sa normalité génétique. Ouvertement installé dans ce dernier sillage, Marcel Bellavance, professeur d’histoire au « Fort Saint-Jean », campus croupion du Collège militaire de Kingston, ouvre la fenêtre de comparaison sur l’Europe pour illustrer comment le nationalisme « d’ici » n’a jamais été arriéré, étroitement tribaliste, mais au contraire constamment à jour, politiquement libéral et ouvert à la diversité, dès son éclosion au Bas-Canada à l’orée d’un XIXe siècle plus tard désigné comme celui des nationalités : « Jamais chez les leaders reconnus des Canadiens [français], l’idée ethniciste de la nation n’a dominé. Chez Papineau, par exemple, c’est la citoyenneté qui fonde la nation et la nation est inséparable de la démocratie. Chez Laflèche, c’est l’éducation. Chez l’historien Séguin, c’est l’agir collectif. » (P. 67.) Va pour la célèbre Tête-à-Papineau et Mgr Laflèche, influent maître de chorale ultramontaniste ; mais étirer le pas jusqu’au discret professeur Maurice Séguin… ? Soyons beaux joueurs : il est vrai que la vision de Séguin s’est répandue par une sorte de capillarité pédagogique, d’autant qu’elle arrivait à point. Affleure tout de même l’intention apologétique : c’est aux calomnies actuelles d’un soi-disant « chauvinisme québécois inné » que réplique l’auteur en empruntant un détour historique du plus grand intérêt, articulé en cinq chapitres d’un livre cohérent, érudit et convaincant : I) Le courant libéral et nationalitaire en Europe et au Canada ; II) Les définitions de la nation et du nationalisme, chez les acteurs d’abord, les penseurs ensuite ; III) Les théories expliquant l’émergence de l’État nation. Et deux autres pour appliquer tout ça au voisinage immédiat : IV) Les Rébellions ; V) Le Québec après le « Printemps des Peuples », 1848-1918 (saison assez maussade, chez nous). Entre le Congrès de Vienne (1815) et la Société des Nations (1919), sont apparus outremer les pays suivants (dans l’ordre alphabétique plutôt que chronologique) : Albanie, Allemagne, Autriche, Belgique, Bulgarie, Estonie, Finlande, Géorgie, Grèce, Hollande, Hongrie, Italie, Lettonie, Lituanie, Norvège, Pologne, Roumanie, Serbie, Tchécoslovaquie, Turquie, Yougoslavie (p. 21). Sans parler du découpage complet de l’Amérique latine, ni de la fondation des États-Unis, peu avant, ou de l’Irlande, juste après. Alors, un ou deux de plus ici même… pourquoi pas ? Dans un état subtilement avancé de contamination sociologique, l’historien Bellavance aborde l’affaire en reliant la genèse de la nation moderne à la montée des bourgeoisies contre les monarchies européennes de droit divin, jusque dans leurs colonies américaines. Il montre qu’à l’origine, en Angleterre, en France et ailleurs par la suite, le projet national fut un sous-produit du libéralisme, économique d’abord (unification, régulation et protection d’un marché intérieur), et par extension, politique (libertés personnelles de propriété, de religion, d’association, d’expression, etc., garanties par le parlementarisme et la représentation électorale). On ne visait pas tant, pour commencer, « une appropriation du pouvoir par le peuple [qu’une] libération de l’homme …

Parties annexes