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Le 27 mars 2019, le premier ministre indien Narendra Modi annonce que son pays a détruit un de ses engins spatiaux en orbite basse après le lancement réussi d’un missile antisatellite. La prouesse indienne a permis au pays de rejoindre le cercle très restreint des puissances spatiales dotées d’armements antisatellites dont les États-Unis, la Russie et la Chine étaient les seuls détenteurs jusqu’alors[1].

Dès l’aube de la conquête spatiale, l’homme n’a cessé d’exploiter l’espace extra-atmosphérique à des fins civiles et militaires, en faisant de cet environnement singulier une ressource indispensable, nécessaire, mais également disputée. Bien qu’aucun conflit basé exclusivement dans l’espace n’ait eu lieu, le développement de nouvelles puissances spatiales et de leur potentiel militaire dans l’espace extra-atmosphérique renforce la probabilité qu’un affrontement dans ce milieu survienne à l’avenir. Si le droit de l’espace a permis de réguler les activités humaines dans cet environnement, la question se pose de savoir dans quelle mesure cette branche du droit, à la lumière des autres régimes juridiques applicables, permet l’utilisation de l’espace à des fins militaires.

Cet article a ainsi pour objectif d’examiner dans quelle mesure l’utilisation militaire de l’espace extra-atmosphérique est licite en droit international. Après avoir éclairci quelques points terminologiques, nous commencerons par présenter les grandes étapes de la course à l’espace et ses utilisations à des fins militaires. Nous poursuivrons par une description succincte des technologies et capacités antisatellites utilisées et développées actuellement. Nous nous arrêterons brièvement sur l’avènement du droit de l’espace comme nouvelle branche de droit international. Nous effectuerons ensuite un travail d’interprétation des normes pertinentes de droit international quant à la question de la licéité de l’utilisation de l’espace extra-atmosphérique à des fins militaires. Il est à préciser que cette analyse ne se voudra, à aucun moment, exhaustive; seules quelques conventions et normes pertinentes, notamment du droit de l’espace, mais également du droit de la maîtrise des armements, du droit international général et du droit international humanitaire, seront traitées. Finalement, nous évaluerons la possibilité qu’un nouvel accord soit conclu prochainement au sein des forums onusiens dédiés et verrons si certains instruments non contraignants permettent de clarifier la situation juridique actuelle en matière d’utilisation militaire de l’espace extra-atmosphérique.

I. Militarisation ou arsenalisation de l’espace extra-atmosphérique[2]?

Dans le but de mieux saisir les enjeux que représente l’utilisation militaire de l’espace extra-atmosphérique, il nous paraît utile d’expliquer préalablement la signification de quelques termes. Les définitions exposées ici n’ont aucune valeur juridique et font par ailleurs l’objet de nombreux débats[3].

Les activités militaires dans le contexte spatial se réfèrent principalement à l’utilisation d’engins spatiaux apportant un appui à des opérations militaires sur Terre[4]. Ainsi, l’utilisation de satellites par les armées, notamment dans un but de commandement et de contrôle de troupes, de communication, de surveillance et de reconnaissance de l’ennemi ou encore de détection de missiles, sera généralement comprise comme faisant partie de la militarisation de l’espace extra-atmosphérique[5].

L’arsenalisation de l’espace extra-atmosphérique ou weaponization of outer space[6] peut être comprise, selon Fabio Tronchetti, comme l’envoi dans l’espace de dispositifs ayant une capacité de destruction dans l’espace ou sur Terre[7]. De façon similaire, David Cumin définit l’arsenalisation de l’espace extra-atmosphérique comme « le déploiement permanent, dès le temps de paix, d’armes spatiales, capable de frapper dans l’espace extra-atmosphérique ou sur la Terre »[8]. Si l’on retrouve dans les différentes définitions existantes l’idée d’un déploiement d’armes spatiales ayant la capacité de destruction sur Terre ou dans l’espace, aucun consensus juridique ou doctrinal n’existe concernant le sens exact à donner aux termes d’armes spatiales[9].

Bien que plusieurs définitions pratiques existent, elles sont souvent trop générales et ne permettent pas de fournir une typologie claire et précise de ce que constituent les armes spatiales[10]. Sans cadre définitionnel précis, une majorité doctrinale tend à considérer comme armes spatiales les capacités antisatellites déployées directement dans l’espace à des fins défensives ou offensives (on retrouve notamment les armes antisatellites à énergie cinétique ou dirigée, à rayonnement électromagnétique, les soft kills weapons ou encore les mines spatiales)[11]. Selon plusieurs experts, devraient aussi être appelés armes spatiales les systèmes au sol conçus pour détruire des biens spatiaux (certains systèmes lançant des missiles antisatellites [ASAT] par exemple)[12], mais également tout moyen mis en orbite dirigé contre des objectifs sur Terre[13]. Sans trancher cette question définitionnelle, notre étude se concentrera principalement sur la question de licéité de la mise en orbite et de l’utilisation des capacités antisatellites lato sensu[14].

À des fins de simplification, nous comprendrons dans cet article l’utilisation militaire de l’espace extra-atmosphérique ou utilisation de l’espace extra-atmosphérique à des fins militaires incluant à la fois la militarisation de l’espace, mais également son arsenalisation. Cette distinction sera notamment pertinente pour l’analyse juridique effectuée au chapitre (IV) et suivants.

II. De la course à l’espace à sa constante militarisation[15]

Des premières fusées de divertissement en Chine au début du Xe siècle en passant par les vols en aérostat des frères Montgolfier et finalement, au début de l’aviation avec le Wright Flyer, la volonté de l’homme de dominer la pesanteur n’a jamais cessé[16]. Les travaux de Robert Goddard avec le développement de la première fusée à combustible suivis de ceux de Wernher von Braun avec la création du premier missile balistique V-2, lancèrent la course effrénée à l’espace entre Américains et Soviétiques[17]. Celle-ci fut notamment marquée par la mise en orbite du premier satellite Spoutnik 1 le 4 octobre 1957 par l’URSS. L’apogée de l’exploration spatiale fut atteint le 20 juillet 1969 lorsque Neil Armstrong marcha le premier sur la Lune dans le cadre des missions Apollo[18].

Le début de l’ère spatiale alla de pair avec son utilisation à des fins militaires. Les premières étapes de la militarisation de l’espace commencèrent notamment en juin 1959 avec l’envoi des premiers satellites de reconnaissance américains dans le cadre du programme CORONA[19]. Ils furent suivis de près par les Soviétiques qui mirent en orbite leur premier satellite de reconnaissance nommé Zenit 2[20]. Furent ensuite rapidement développés les premiers systèmes de détection de départ de missile (missile warning system) dans le cadre du programme MIDAS ainsi que divers satellites de communication, météorologiques ou de navigation[21]. La guerre du Golfe de 1991 marqua un tournant dans la militarisation de l’espace[22]. L’utilisation des systèmes satellitaires américains permit notamment la géolocalisation des troupes au sol, mais également l’amélioration du guidage et de la précision de nombreuses armes[23]. Dans des conflits ultérieurs tels que la guerre du Kosovo, d’Afghanistan et d’Iraq, la dépendance aux systèmes spatiaux n’a fait que s’accroître, passant d’une utilisation tactique à un rôle opérationnel[24].

Depuis 1976, la Force aérienne des États-Unis notamment, n’a cessé de développer et de tester divers armements antisatellites allant d’armes à énergie cinétique à celles utilisant l’énergie dirigée[25]. Il est reconnu aujourd’hui que plusieurs puissances spatiales détiennent des armes antisatellites et des armes antimissiles balistiques opérationnelles pouvant être déployées depuis des bases terrestres en cas de conflits armés[26]. Si la mise en orbite d’armes antisatellites ne semble pas encore avoir eu lieu, la recherche et le développement de nouvelles armes spatiales orbitales telles que les armes lasers, les armes à faisceaux de particules ou encore les armes électromagnétiques continuent d’être menés[27]. Face au développement technologique actuel en matière militaro-spatiale, l’espace extra-atmosphérique pourrait bien devenir, à terme, un nouveau champ de bataille.

Aujourd’hui, les puissances spatiales continuent d’affirmer leur prérogative en matière de sécurité dans l’espace extra-atmosphérique et se préparent à un éventuel conflit dans cet environnement. C’est ainsi que les États-Unis, souhaitant démontrer leur position dominante face aux « menaces russes et chinoises » notamment, ont établi la Force spatiale des États-Unis (United States Space Force) le 20 décembre 2019[28]. Le département de la Défense des États-Unis décrit d’ailleurs le nouveau rôle de la Space Force dans le Defense Space Strategy de juin 2020 :

Establishing the U.S. Space Force (USSF) as the newest branch of our Armed Forces and the U.S. Space Command (USSPACECOM) as a unified combatant command, as well as undertaking significant space acquisition reform across the DoD, has set a strategic path to expand spacepower for the Nation[29].

Reconnaissant également le rôle essentiel de l’espace en matière militaire, la France a mis en place, le 8 septembre 2019, son Commandement de l’espace (CDE)[30]. Comme l’a déclarée Florence Parly, ministre française des armées : « Aujourd’hui, nos alliés et nos adversaires militarisent l’espace. Et alors que le temps de la résilience se fait de plus en plus court, nous devons agir. Nous devons être prêts »[31].

III. L’actualité de l’utilisation militaire de l’espace extra-atmosphérique

Afin de mieux comprendre ce qu’implique l’utilisation de l’espace à des fins militaires de nos jours, il convient de faire un rapide tour d’horizon des différentes technologies militaires et spatiales qui ont été utilisées ou le sont encore aujourd’hui. Seront également brièvement présentées les armes spatiales au sens strict du terme, c’est-à-dire les dispositifs spatiaux ayant une capacité de destruction dans l’espace ou sur Terre.

A. Les satellites à usage militaire

Les satellites de reconnaissance, aussi appelés satellites de télédétection ou satellites-espions, ont été le type d’engins spatiaux militaires le plus développé depuis le début de l’ère spatiale. Équipés de radars imageurs et de capteurs optiques, ils prennent des photographies de la surface terrestre et permettent de récupérer des informations sur les installations civiles ou militaires[32]. Certains satellites-espions sont également capables de détecter des transmissions électroniques provenant de divers systèmes de communication et les lancements de missiles depuis la surface terrestre, grâce à des capteurs infrarouges[33]. Ces satellites militaires ont souvent un usage civil et scientifique également[34].

Les constellations de satellites de navigation et de ciblage militaire ont été développées initialement par les Russes et les Américains. Le système américain Global Positioning System (GPS) a été mis en place par le département de la Défense des États-Unis en 1973 et fait aujourd’hui partie intégrante de la US Air Force[35]. Ce système est composé de trois segments : le premier est spatial, le deuxième terrestre permet le contrôle des opérations et le troisième est le segment dit utilisateur[36]. Le segment spatial est composé de 24 satellites NAVSTAR[37]. Le système russe GLONASS et l’européen Galileo ont un fonctionnement similaire au GPS[38]. Bien que ces systèmes aient été créés à des fins militaires, ils servent aujourd’hui aussi à des usages civils[39].

Face aux avancées technologiques et aux besoins militaires croissants en matière d’échange et de traitement d’informations en situation de conflit, les puissances spatiales ont également développé des constellations de satellites de télécommunication. Les besoins militaires en matière de télécommunication étant toujours plus grands, de nombreux satellites commerciaux apportent aujourd’hui un appui aux armées quant au suivi des opérations militaires sur Terre[40].

Finalement, les satellites météorologiques fournissent aussi une aide considérable lors d’opérations militaires en permettant d’ajuster les plans opérationnels en fonction des données météorologiques recueillies[41]. La majorité des satellites météorologiques civils est utilisée à des fins militaires[42].

B. Typologie des capacités antisatellites[43]

Les armes à énergie cinétique (kinetic energy weapons) sont un type d’arme courant dans l’espace. Elles ne transportent pas d’explosifs, mais détruisent leurs cibles en les percutant, utilisant ainsi la vitesse extrêmement élevée à laquelle les objets placés en orbite basse se déplacent[44]. Les armes antisatellites à énergie cinétique (kinetic energy anti-satellite weapons)[45] peuvent être utilisées directement depuis l’espace, mais également depuis la Terre[46]. L’usage de ce type d’arme est néfaste pour la préservation de l’environnement spatial puisqu’il engendre des quantités énormes de débris et met en danger les autres objets spatiaux en orbite[47].

Les armes à énergie dirigée (directed energy weapons) peuvent comprendre plusieurs technologies telles que l’utilisation de faisceaux de particules ou de lasers[48]. Les lasers peuvent causer la destruction de satellites ou seulement leur neutralisation par « aveuglement » de leurs capteurs[49]. Ces technologies peuvent être utilisées comme armes antisatellites, mais également comme armes antimissiles[50].

Les armes à rayonnement électromagnétique (electromagnetic pulse and radiation weapons) utilisent l’énergie issue de la fission nucléaire pour endommager leurs cibles. Leur utilisation dans l’espace crée une impulsion électromagnétique qui permet de neutraliser voire de détruire les dispositifs électriques et électroniques des satellites[51].

Il existe encore une catégorie d’armes appelées soft kill weapons conçues non pour détruire des satellites, mais pour les rendre hors d’usage. Les attaques provenant de ces différentes techniques de neutralisation sont souvent difficiles à détecter puisqu’elles se confondent facilement avec des défaillances ordinaires[52]. Le brouillage électronique (electronic jamming) et les cyberattaques font partie des techniques les plus communes[53].

IV. De la création du droit de l’espace à ses premières normes contraignantes en matière d’utilisation militaire de l’espace extra-atmosphérique

A. Les prémices d’un droit de l’espace extra-atmosphérique

À la suite du lancement du satellite soviétique Spoutnik le 4 octobre 1957 et face à l’inquiétude générale que celui-ci avait provoquée, l’Assemblée générale des Nations unies se saisit de la question spatiale et adopta la résolution (no 1148 [XII]) sur « la réglementation, la limitation et la réduction équilibrée de toutes les forces armées et de tous les armements »[54]. Elle demanda notamment aux États intéressés « d’étudier en commun un système d’inspection qui permettrait de s’assurer que l’envoi d’objet à travers l’espace extra-atmosphérique se ferait à des fins exclusivement pacifiques et scientifiques »[55].

Suite à cela, l’Union soviétique et les États-Unis soumirent au secrétariat général de l’Organisation, respectivement en mars et septembre 1958, diverses propositions dans le but de favoriser la coopération entre États dans l’espace extra-atmosphérique[56]. Le 18 septembre 1958, les États-Unis suggérèrent à l’Assemblée générale d’instituer un comité ad hoc qui favoriserait la coopération internationale[57]. Cette proposition fut adoptée, notamment grâce aux pays du bloc soviétique, avec cinquante-quatre voix contre neuf et dix-huit abstentions[58].

Ce comité ad hoc mis en place en 1958 et qui comprenait dix-huit membres avait pour objectif principal de répertorier les problèmes juridiques en lien avec la course à l’espace[59]. Malgré la rivalité croissante entre les blocs, il fut finalement transformé en organe permanent de l’Assemblée générale sous l’appellation de « Comité sur les utilisations pacifiques de l’espace extra-atmosphérique » (CUPEEA), appelé Committee on the Peaceful Uses of Outer Space ou COPUOS en anglais[60]. Le Comité a été élargi à maintes reprises et compte en 2020 un total de quatre-vingt-quinze membres[61]. Il est divisé en deux sous-comités : le premier s’occupe des questions d’ordre juridique et le deuxième est axé sur les problèmes scientifiques et techniques[62].

Les années suivant la création du Comité, plusieurs démarches furent entreprises pour trouver une entente sur un régime juridique applicable à l’espace, mais en vain. L’accord passé entre les États-Unis et l’URSS qui aboutit au Traité de Moscou de 1963 limitant partiellement les essais d’armes nucléaires[63] permit à l’Assemblée générale d’adopter finalement le 13 décembre 1963 la « Déclaration de principes juridiques régissant les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique »[64]. Cette Déclaration cristallisa les principes fondamentaux du droit de l’espace, que le Traité de 1967 reprit[65]. Faisant suite au Traité de Moscou et à la Déclaration de 1963, l’Assemblée générale concrétisa dans sa résolution acceptée à l’unanimité le 17 octobre 1963[66], l’interdiction pour les États de placer des armes nucléaires et de destruction massive dans l’espace extra-atmosphérique. L’article IV du Traité de l’espace reprendra d’ailleurs presque mot pour mot cette interdiction[67].

B. Le droit de l’espace extra-atmosphérique comme nouvelle branche de droit international

Faisant suite aux différentes résolutions de l’Assemblée générale de l’ONU, le premier texte contraignant de droit de l’espace, considéré comme la charte fondamentale de l’espace extra-atmosphérique, sera signé le 27 janvier 1967. Il est intitulé Traité sur les principes régissant les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes[68] (Traité de l’espace de 1967). Quatre autres conventions sont venues le compléter et forment ainsi le corpus juris spatialis : l’Accord sur le sauvetage des astronautes, le retour des astronautes et la restitution des objets lancés dans l’espace extra-atmosphérique (1968)[69], la Convention sur la responsabilité internationale pour les dommages causés par les objets spatiaux (1972)[70], la Convention sur l’immatriculation des objets lancés dans l’espace extra-atmosphérique (1975-1976)[71], l’Accord régissant les activités des États sur la Lune et les autres corps célestes (1979-1984)[72].

Le droit de l’espace a été fondé grâce à la reconnaissance par les États de plusieurs principes dans diverses résolutions de l’Assemblée générale des Nations unies[73], repris et codifiés dans les cinq traités de l’espace. On retrouve ainsi le principe de la liberté d’exploration[74], d’utilisation et de non-appropriation de l’espace extra-atmosphérique[75], le principe de la responsabilité internationale des États[76], ou encore celui de la coopération et du respect de l’intérêt commun[77]. Le principe d’usage pacifique figure dans plusieurs dispositions du Traité de l’espace de 1967 et de l’Accord sur la Lune[78]. Il sera traité spécifiquement dans ce chapitre puisqu’il est essentiel à la question de la licéité de l’utilisation militaire de l’espace.

Bien que les autres normes de droit de l’espace viennent de sources diverses, elles sont majoritairement conventionnelles. En plus des cinq traités fondateurs, plusieurs règles relatives aux activités spatiales se trouvent dans différents traités bilatéraux ou multilatéraux, mais également dans les législations nationales. La place accordée à la coutume dans ce domaine est d’ailleurs de moindre importance[79]. Le droit de l’espace est également caractérisé par l’absence de jurisprudence[80]. Dans les cas où des différends entre États se présentent, ils seront préférablement réglés par des tractations diplomatiques gardées secrètes[81].

C. Le droit de l’espace et ses apports en matière d’utilisation militaire de l’espace extra-atmosphérique

Les dispositions régulant l’utilisation militaire de l’espace extra-atmosphérique se trouvant principalement dans le Traité de l’espace de 1967 et dans l’Accord sur la Lune de 1979[82], les autres conventions, qui n’ont que des implications indirectes sur cette question, ne seront pas étudiées ici.

1. Le Traité de l’espace de 1967

Si le Traité de l’espace énonce dans son préambule le principe de l’utilisation de l’espace extra-atmosphérique à des fins pacifiques, l’article IV va au-delà de cette déclaration de principe puisqu’il pose le fondement de la maîtrise des armements dans l’espace[83]. Deux régimes juridiques découlent ainsi de cette disposition quant à l’utilisation militaire de l’espace[84]. Le premier paragraphe cristallise le régime de démilitarisation partielle de l’espace et des corps célestes tandis que le deuxième énonce une démilitarisation totale de tous les corps célestes[85].

a) Paragraphe premier de l’article IV du Traité de l’espace[86]

Selon la première partie du paragraphe premier, les États ont choisi d’interdire le placement en orbite autour de la Terre d’objets porteurs d’armes nucléaires ou de tout autre type d’armes de destruction massive[87]. Si l’article IV interdit expressément la mise en orbite de ces deux types d’armes, il convient d’observer que leur utilisation per se dans l’espace n’est à aucun moment prohibée[88]. Selon certains auteurs, l’utilisation de l’expression « ou de tout autre type d’armes de destruction massive »[89] dans ce premier paragraphe, suggère que seules les armes nucléaires causant une destruction de masse[90] ne pourraient être mises en orbite autour de la Terre[91]. Ainsi serait rendu licite le stationnement d’armes nucléaires ne causant pas de destruction de masse telle que de petites mines spatiales ou d’autres armes à propulsion nucléaire[92]. Cependant, selon Fabio Tronchetti, il convient de rejeter une telle interprétation qui ne semble pas compatible avec la ratio legis du Traité et le contexte historique dans lequel celui-ci a été négocié[93]. La conclusion du Traité de Moscou de 1963[94], visant selon son article premier à interdire toute explosion nucléaire dans l’espace, soutient ainsi sa thèse[95]. On constatera que la mise en orbite et l’utilisation d’armes conventionnelles, ne faisant l’objet d’aucune restriction au sens de ce paragraphe, doivent également être considérées comme licites, dans la mesure où elles respectent les autres normes de droit international[96].

Selon ce paragraphe encore, de telles armes ne peuvent être mises en orbite autour de la Terre (place in orbit around the Earth). Il faut ainsi comprendre une interdiction du placement des armes prohibées sur toutes les orbites terrestres, qu’elles soient basses ou géostationnaires. Il n’est en revanche pas précisé si l’objet mis en orbite doit avoir effectué une révolution complète autour de la Terre. Le Traité ne définissant pas l’orbite, la disposition reste peu claire quant à la licéité de la mise en orbite d’une arme nucléaire ou de destruction massive sur une orbite incomplète, soit fractionnaire[97]. Sans controverse aucune cependant, les engins balistiques tels que les missiles balistiques intercontinentaux dotés d’ogives nucléaires (intercontinental ballistic missile ou ICBM) ne sont pas interdits au sens de l’article IV puisqu’ils ne sont pas mis en orbite autour de la Terre. Ces derniers suivent seulement une trajectoire balistique et ne font ainsi que transiter dans l’espace extra-atmosphérique avant de retomber sur Terre[98].

Selon la suite et fin du paragraphe premier, les États parties au Traité s’engagent à ne pas installer de telles armes sur des corps célestes et à ne pas les placer, de toute autre manière, dans l’espace extra-atmosphérique[99]. Ainsi, ne peuvent être placées à la surface d’aucun corps célestes du système solaire aucune arme nucléaire ou de destruction massive[100]. Bien que la Lune ne soit pas mentionnée expressément dans ce paragraphe, il semble qu’elle soit incluse dans le champ d’application de celui-ci puisqu’elle est un corps céleste au sens ordinaire que l’on donne à ce terme[101]. Quant aux termes « installer » et « placer » (respectivement install et station), plusieurs questions se posent quant au sens à leur donner dans cette disposition. Si les termes ne sont pas définis dans le Traité de l’espace, il semble que le verbe « installer » signifie plus que la simple présence d’une arme illicite sur un corps céleste[102]. Il conviendrait de comprendre le verbe « placer » comme désignant « le stationnement d’une arme sur une orbite relativement fixe par rapport à un corps céleste, de façon telle que ce dernier se meuve à une vitesse identique à celle de la rotation de celui-ci »[103]. En ce sens, l’installation et le stationnement des armes devraient viser une forme de permanence. Les travaux préparatoires ne donnant pas d’indications supplémentaires, il s’avère difficile de préciser ces termes davantage[104].

b) Deuxième paragraphe de l’article IV du Traité de l’espace[105]

Selon la première phrase du deuxième paragraphe : « les États parties au Traité utiliseront la Lune et les autres corps célestes exclusivement à des fins pacifiques »[106]. Se pose la question de l’interprétation à donner au principe d’utilisation à des fins pacifiques[107], premièrement à la lumière de l’ensemble du Traité, puis dans un second temps, au sens spécifique du deuxième paragraphe de l’article IV qui réserve un régime particulier à la Lune et aux corps célestes. L’interprétation de ce principe a non seulement divisé les États, mais également la doctrine[108]. Ainsi, deux écoles doctrinales s’opposent sur la portée de ce principe. Selon la première, l’usage pacifique doit être compris comme un usage « non-militaire » de l’espace, tandis que la seconde défend un usage « non agressif » de celui-ci[109].

Selon la première école, toute activité militaire est prohibée, qu’un caractère agressif soit présent ou non[110]. L’argument principal selon lequel une telle interprétation devrait être retenue a été exposé par Marko G Markoff. Selon lui, les activités militaires dans l’espace sont totalement illicites en vertu de l’article I du Traité de l’espace[111] selon lequel les activités spatiales doivent être conformes à l’intérêt de tous les pays[112]. En ce sens, l’utilisation militaire de l’espace extra-atmosphérique, ne servant que les intérêts particuliers des États en faisant usage, ne pourrait être licite[113]. Un deuxième argument défendant cette thèse consiste à comparer le Traité de l’espace à celui sur l’Antarctique de 1959[114]. Selon les termes précis de ce dernier, l’utilisation de ce continent ne peut aucunement se faire à des fins militaires[115].

Selon l’approche dite « non agressive », des activités militaires peuvent être entreprises dans l’espace pour autant qu’elles ne soient pas contraires aux utilisations expressément interdites par le Traité[116]. Ces utilisations doivent également être conformes aux règles générales de droit international et notamment au quatrième paragraphe du deuxième article de la Charte des Nations unies[117] (ci-après, la Charte), selon lequel est interdit tout recours à la menace et à la force[118]. Une écrasante majorité doctrinale défend une telle interprétation[119].

Il convient de retenir l’approche « non agressive » pour deux raisons principales. Premièrement, rien ne laisse apparaître dans les travaux préparatoires du Traité de l’espace la volonté des États de démilitariser entièrement l’espace extra-atmosphérique[120]. Deuxièmement, la pratique subséquente des puissances spatiales a joué un rôle décisif quant au sens à donner au principe d’utilisation à des fins pacifiques[121]. L’URSS, qui avait toujours défendu publiquement la première école doctrinale, s’est ralliée par sa pratique à la position américaine en envoyant ses premiers satellites d’observation militaires en 1962[122]. Depuis les années 1960, les États-Unis, la Russie et plus récemment la Chine et l’Inde n’ont cessé de contribuer au développement de la militarisation de l’espace, concrétisée par l’envoi de satellites de télécommunication, de navigation militaire, de reconnaissance photographique, électronique ou météorologique, mais également par le transit de missiles[123]. Il est connu qu’aujourd’hui, plus de 70% des lancements spatiaux dans le monde font partie de missions militaires[124]. De par cette pratique constante des puissances étatiques en matière de militarisation de l’espace extra-atmosphérique, il s’avérerait ainsi périlleux de comprendre le principe d’utilisation pacifique comme devant être strictement non militaire[125]. La question se pose cependant de savoir qu’elle est sa portée concernant la Lune et les corps célestes.

Au sens du deuxième paragraphe de l’article IV, les États ont choisi de soumettre la Lune et les autres corps célestes à une utilisation exclusivement à des fins pacifiques. De plus, sont spécifiquement interdits « l’aménagement de bases et installations militaires et de fortifications, les essais d’armes de tous types et l’exécution de manoeuvres militaires »[126]. Des exceptions sont toutefois prévues à la fin de la disposition : l’utilisation de personnel militaire à des fins de recherche scientifique ou à toute autre fin pacifique et l’utilisation de tout équipement ou installation nécessaire à l’exploration pacifique de la Lune et des autres corps célestes ne sont pas interdites. Pour certains auteurs[127], l’ajout du terme exclusivement dans cette disposition précise que la Lune et les corps célestes ne peuvent faire l’objet d’aucune utilisation militaire sous réserve des quelques exceptions strictes prévues par la disposition. Les interdictions mentionnées formeraient ainsi une liste exhaustive. Pour d’autres auteurs cependant[128], il convient d’interpréter l’utilisation exclusivement à des fins pacifiques comme signifiant une utilisation « non agressive », mais dont la portée serait plus restrictive que celle applicable au vide spatial. Les interdictions formulées ne seraient ainsi pas exhaustives et serviraient d’exemples; toutes actions militaires seraient donc licites pour autant qu’elles respectent les règles générales de droit international. Ces auteurs argumentent que la mention faite à la possibilité d’utiliser du matériel et du personnel militaire rend l’interprétation « non-militaire » dénuée de tout fondement. Si la distinction entre les deux interprétations diffère théoriquement, il n’y a en pratique pas de différence importante au vu du développement technologique actuel[129].

2. L’Accord sur la Lune de 1979[130]

L’Accord sur la Lune de 1979 est le dernier instrument juridiquement contraignant conclu sous l’initiative du CUPEEA[131]. Après le Traité de l’espace, cette convention est celle qui contient des dispositions essentielles quant au droit des États d’utiliser l’espace extra-atmosphérique à des fins militaires[132].

Si le premier paragraphe de l’article III de l'Accord sur la Lune réitère la prescription d’un usage exclusivement pacifique de la Lune et des autres corps célestes[133], le deuxième paragraphe étend les interdictions formulées à l’article IV du Traité de l’espace. En effet, est également prohibé tout recours à la menace ou à l’emploi de la force ou à tout autre acte d’hostilité ou menace d’acte d’hostilité sur la Lune[134]. Il est pertinent de se demander si l’ajout de ce paragraphe permettrait d’apporter quelques clarifications concernant la portée du principe d’utilisation pacifique codifié précédemment dans le Traité de l’espace[135]. Cela ne semble pas être le cas[136]. Sans prendre la peine de définir les termes d’acte hostile, les rédacteurs de l’Accord sur la Lune n’ont fait que de rappeler le principe d’interdiction de la menace ou de l’emploi de la force de l’article 2 (4) de la Charte[137], déjà applicable par l’intermédiaire de l’article II de l’Accord sur la Lune[138], sans préciser le sens à donner au principe d’utilisation pacifique applicable à la Lune et aux autres corps célestes.

Contrairement au deuxième paragraphe de l’article III de l’Accord sur la Lune, le troisième paragraphe du même article clarifie plusieurs limites imposées aux États parties à l’Accord puisqu’il interdit le placement et l’utilisation d’objets porteurs d’armes nucléaires ou de tout autre type d’armes de destruction massive sur et dans le sol lunaire, mais également leur mise en orbite autour de la Lune ou sur une autre trajectoire en direction ou autour de celle-ci[139]. L’article IV (1) du Traité de l’espace interdisant l’installation d’armes nucléaires et de destruction massive sur des corps célestes, une ambiguïté était présente quant à l’application de cette interdiction à la Lune et à ses orbites[140]. L’Accord sur la Lune étend explicitement cette interdiction[141]. On remarque également que de telles armes ne devront pas être placées sur la Lune et les corps célestes. L’article IV (1) du Traité de l’espace utilisant le verbe installer, une certaine permanence semblait être requise. Tel ne semble pas être le cas selon l’article III (3) de l’Accord sur la Lune[142]. Finalement, l’utilisation d’armes nucléaires et de destruction massive est interdite explicitement; au contraire du Traité de l’espace qui ne prohibait explicitement que leurs mises en orbite[143].

Si l’Accord sur la Lune propose des avancées considérables en matière de dénucléarisation de la Lune et des corps célestes, aucune percée majeure n’est faite concernant l’interprétation et la portée du principe d’utilisation pacifique de la Lune et des corps célestes[144]. Bien que le traité soit en vigueur, il n’a été ratifié que par dix-huit États (situation en 2020)[145] et aucune puissance spatiale majeure n’en fait partie.

V. Les apports du droit de la maîtrise des armements dans le domaine spatial

Le Traité de l’espace et l’Accord sur la Lune permettent ainsi de réguler, dans une certaine mesure, les activités militaires des États dans l’espace extra-atmosphérique. Il paraît cependant que les dispositions précédemment examinées ne fournissent pas un cadre légal complet quant à l’utilisation militaire de l’espace. Il conviendra dans cette section d’examiner de manière succincte quelques accords bilatéraux ou multilatéraux pertinents en matière de maîtrise des armements dans l’espace extra-atmosphérique.

A. Le Traité de Moscou de 1963[146]

Le Traité de Moscou de 1963 est un des premiers traités multilatéraux à limiter les armements et leur utilisation dans l’espace extra-atmosphérique[147]. Selon le premier paragraphe de l’article I :

[c]hacune des Parties au présent Traité s’engage à interdire, à empêcher et à s’abstenir d’effectuer toute explosion expérimentale d’arme nucléaire, ou toute autre explosion nucléaire, en tout lieu relevant de sa juridiction ou de son contrôle : a) Dans l’atmosphère, au-delà de ses limites, y compris l’espace extra-atmosphérique […][148].

Selon le deuxième paragraphe du même article :

[c]hacune des Parties au présent Traité s’engage en outre à s’abstenir de provoquer ou d’encourager l’exécution — ou de participer de quelque manière que ce soit à l’exécution — de toute explosion expérimentale d’arme nucléaire, ou de toute autre explosion nucléaire, qui aurait lieu où que ce soit dans l’un quelconque des milieux indiqués ci-dessus ou qui aurait les effets indiqués au paragraphe 1 du présent article[149].

Si ce Traité a inspiré l’élaboration de l’article IV du Traité de l’espace, il s’est limité à interdire les essais d’armes nucléaires dans des environnements physiques particuliers, mais n’a pas prohibé leur développement ou déploiement dans l’espace per se[150]. Bien que le Traité ait été prévu pour une durée illimitée, les États parties peuvent le dénoncer dans le cas d’événements extraordinaires en notifiant les autres Parties par préavis de trois mois[151]. Plusieurs puissances spatiales importantes possédant l’arme nucléaire telle que la Chine et la France n’y ont pas adhéré[152]. Pour ces raisons, ce Traité a souvent été perçu comme n’étant pas particulièrement significatif en matière de désarmement. Il est finalement notable de préciser qu’à la lumière du titre du Traité, l’intention des États parties est d’interdire les essais nucléaires en temps de paix et non de réguler leur utilisation en temps de guerre, cette convention ne serait ainsi pas applicable en cas de conflit armé[153].

B. La Convention ENMOD de 1976[154]

La Convention ENMOD a un rôle significatif quant à l’utilisation militaire de l’espace extra-atmosphérique puisque selon son article premier :

[l]es États parties à la Convention s’engagent à ne pas utiliser à des fins militaires ou toutes autres fins hostiles des techniques de modification de l’environnement ayant des effets étendus, durables, ou graves, en tant que moyens de causer des destructions, des dommages, ou des préjudices à tout autre État partie[155].

Les techniques de modification de l’environnement sont définies dans l’article 2, ils doivent « avoir pour objectif de modifier — grâce à une manipulation délibérée de processus naturels — la dynamique, la composition ou la structure de la Terre […] ou l’espace extra-atmosphérique »[156]. Il faut préciser que la Convention n’interdit pas l’utilisation de telles modifications si elles sont effectuées à des fins pacifiques et dans le respect du droit international applicable en la matière[157]. Cette Convention semble pertinente quant à la question de la licéité de l’utilisation d’armes antisatellites (ASAT). L’utilisation de ce type d’arme génère en effet une quantité considérable de débris spatiaux, « polluant » les orbites terrestres à long terme. Il est cependant délicat d’interpréter l’utilisation hostile de ces armes comme violant les normes de la Convention. En effet, l’usage d’armes antisatellites ne pourrait être compris comme modifiant grâce à une manipulation délibérée de processus naturels la dynamique, la composition ou la structure de l’espace extra-atmosphérique[158]. La Convention reste cependant importante à titre de précaution pour l’élaboration et l’utilisation de futures armes[159].

C. Le Traité ABM de 1972[160]

Le Traité ABM était également un accord bilatéral significatif en matière d’utilisation de l’espace à des fins militaires et de contrôle des armements. Faisant directement suite au Traité de l’espace de 1967, il renforça le régime de militarisation partielle de l’espace atmosphérique en interdisant la réalisation, l’essai et la mise en place de systèmes antimissiles ou d’éléments de ceux-ci basés en mer, dans l’air, dans l’espace ou sur des plates-formes terrestres mobiles[161]. Le Traité était important, car il limitait également l’usage d’armes antisatellites (ASAT)[162]. Les États-Unis s’en sont cependant retirés et celui-ci a officiellement pris fin en 2002[163].

D. Le Traité TICEN de 1996[164]

Le Traité TICEN de 1996 fait suite à celui de Moscou de 1963, mais élargit son champ d’application puisqu’il interdit les explosions nucléaires dans tous les environnements[165], qu’elles soient menées à des fins militaires ou civiles[166]. Ainsi, selon l’article premier du Traité TICEN : « [c]haque État partie s’engage à ne pas effectuer d’explosion expérimentale d’arme nucléaire ou d’autre explosion nucléaire et à interdire et empêcher toute explosion de cette nature en tout lieu placé sous sa juridiction ou son contrôle »[167]. Le Traité TICEN va plus loin puisqu’il établit la création de l’Organisation du traité d’interdiction complète des essais nucléaires qui a pour objectif de vérifier le respect des dispositions du Traité par les États parties[168]. Bien que 168 États l’aient ratifié, le Traité n’est pas encore entré en vigueur[169].

VI. Opérations militaires spatiales et droit international humanitaire[170]

On comprend par droit international humanitaire (DIH) ou jus in bello le droit de Genève dont le but est principalement de protéger les personnes hors de combat et le droit de La Haye qui régit quant à lui, la conduite des hostilités[171]. La question se pose ainsi de savoir dans quelle mesure le DIH est applicable à des opérations militaires prenant place dans l’espace extra-atmosphérique et, si tel est le cas, quelles seraient les règles les plus pertinentes quant à d’éventuels conflits dans cet environnement.

Le DIH a été développé initialement pour réguler les conflits armés sur terre, en mer et dans l’air. Il convient donc de se demander si les normes conventionnelles de DIH seraient applicables à des opérations militaires spatiales. Le Protocole additionnel premier aux Conventions de Genève[172] (PA I), dans sa section traitant de la protection générale de la population civile contre les effets des hostilités, étend son champ d’application

à toute opération terrestre, aérienne ou navale pouvant affecter, sur terre, la population civile, les personnes civiles et les biens de caractère civil. Elles s’appliquent en outre à toutes les attaques navales ou aériennes dirigées contre des objectifs sur terre, mais n’affectent pas autrement les règles du droit international applicable dans les conflits armés sur mer ou dans les airs[173].

Pour que les dispositions de cette section s’appliquent, une opération doit donc soit avoir des répercussions terrestres ou alors être directement menée contre un objectif situé sur terre[174]. Les opérations militaires spatiales n’étant pas mentionnées explicitement dans cette disposition, faudrait-il en conclure que celles-ci ne seraient ainsi pas régies par les règles conventionnelles du DIH? Selon une interprétation littérale et restrictive de cet article, tel serait le cas[175]. Cependant, comme le suggère une grande majorité d’auteurs[176], il convient de rejeter une telle interprétation et d’étendre le champ d’application de cette provision en incluant des opérations militaires prenant place dans l’espace. En effet, il ne ressort pas des travaux préparatoires la volonté des États parties d’exclure l’espace extra-atmosphérique de son champ d’application[177]. Ainsi, en cas d’application du PA I à titre conventionnel, l’interprétation la plus raisonnable serait d’inclure non seulement des opérations spatiales avec des attaques menées depuis l’espace contre un objectif au sol, mais également des attaques entre satellites affectant la population civile[178].

Si l’interprétation de la lex scripta est sujette à débat, il est reconnu que les principes de DIH tels que ceux de distinction, de proportionnalité, de précaution, de nécessité militaire ou d’humanité sont applicables, peu importe le milieu, en tant que règle coutumière de droit international[179]. La CIJ, dans son Avis consultatif sur la Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, précise à ce sujet que les principes de DIH « s’appliquent à toutes les formes de guerre et à toutes les armes, celles du passé, comme celles du présent et de l’avenir »[180].

Selon le premier paragraphe de l’article 49 du PA I, une attaque, soit « un acte de violence contre l’adversaire, qu’il soit offensif ou défensif[181] », doit être strictement dirigée contre un objectif militaire au sens du deuxième paragraphe de l’article 52 (PA I). Ceux-ci sont limités « aux biens qui, par leur nature, leur emplacement, leur destination ou leur utilisation apportent une contribution effective à l’action militaire et dont la destruction totale ou partielle, la capture ou la neutralisation offre en l’occurrence un avantage militaire précis »[182]. Ainsi, si les satellites militaires sont des objectifs militaires par leur nature, des satellites civils utilisés dans le cadre d’opération militaire le seront par leur utilisation (double usage)[183]. Les critères de destination et d’emplacement seront cependant plus difficiles à appréhender dans le contexte spatial[184]. Si un objectif militaire peut être qualifié comme tel, une attaque à son encontre devra respecter les principes de précaution et de proportionnalité.

L’application du principe de distinction pose également la question du statut légal des astronautes en cas de conflits armés spatiaux[185]. Au sens du droit de l’espace, les astronautes, reconnus comme « envoyés de l’humanité »[186], bénéficient d’une protection particulière puisque les États parties au Traité de l’espace devront notamment leur prêter « toute l’assistance possible en cas d’accident, de détresse ou d’atterrissage forcé sur le territoire d’un autre État partie au Traité ou d’amerrissage en haute mer »[187]. Le statut spécial accordé aux astronautes va même plus loin puisque leur est également conférée, selon la formulation choisie, une protection quasi diplomatique[188]. Cependant, il paraît évident qu’en cas de conflit armé, un astronaute militaire, considéré comme belligérant au sens du DIH[189], n’exercerait plus de fonctions diplomatiques que lui conférait son titre d’envoyé de l’humanité et perdrait ainsi toute immunité particulière[190].

Selon le principe de précaution, la partie au conflit qui prépare une attaque contre un satellite doit notamment « prendre toutes les précautions pratiquement possibles quant au choix des moyens et méthodes d’attaque »[191] en vue d’éviter et de minimiser les dommages collatéraux. Au sens de ce principe et afin d’éviter la création de débris avec la destruction d’un satellite[192], il faudrait, lors d’une attaque, favoriser l’utilisation d’armes non cinétiques telles que les softkill weapons (le brouillage électronique ou les cyberattaques par exemple). Si les dommages collatéraux entrainés sont moindres, voire inexistants, l’avantage militaire sera identique[193]. À titre de précaution également, l’État préparant une attaque contre un satellite devrait vérifier sa fonction auprès du Secrétariat général des Nations unies selon la Convention sur l’immatriculation des objets lancés dans l’espace extra-atmosphérique[194]. De plus,

[l]orsque le choix est possible entre plusieurs objectifs militaires pour obtenir un avantage militaire équivalent, ce choix doit porter sur l’objectif dont on peut penser que l’attaque présente le moins de danger pour les personnes civiles ou pour les biens de caractère civil[195].

Si un satellite peut être neutralisé grâce à la destruction de sa base de contrôle au sol (dans le respect des règles de DIH), la destruction du satellite par arme cinétique sera à prohiber[196].

Au sens du principe de proportionnalité sont interdites :

les attaques dont on peut attendre qu’elles causent incidemment des pertes en vies humaines dans la population civile, des blessures aux personnes civiles, des dommages aux biens de caractère civil, ou une combinaison de ces pertes et dommages, qui seraient excessifs par rapport à l’avantage militaire concret et direct attendu[197].

Ainsi, concernant l’attaque de satellites à double usage par exemple, il conviendrait de mettre en balance l’avantage militaire obtenu par leur destruction et les dommages collatéraux provoqués. Selon ce principe encore et rejoignant ce qui a été dit pour celui de la précaution, il faudrait également prendre en considération la création de débris pouvant endommager d’autres objets spatiaux en orbite lors de la prévision d’une attaque[198].

D’autres normes de DIH seraient applicables en cas de conflits dans l’espace extra-atmosphérique, notamment concernant les méthodes et les moyens de guerre utilisés[199]. Selon le protocole additionnel premier : « [i]l est interdit d’utiliser des méthodes ou moyens de guerre qui sont conçus pour causer, ou dont on peut attendre qu’ils causeront, des dommages étendus, durables et graves à l’environnement naturel »[200]. Comme l’explique Michel Bourbonnière, c’est bien l’environnement naturel qui est l’objet de protection au sens de cette disposition[201]. Les conditions énoncées dans cette disposition doivent ainsi être réalisées cumulativement afin qu’une méthode ou un moyen de guerre, par exemple certaines capacités antisatellites, soient considérés illicites. Par conséquent, l’utilisation de missiles antisatellites produisant des quantités importantes de débris se verrait interdite[202]. Complétant cette disposition, l’article 55 PA I interdit quant à lui les méthodes et moyens de guerre compromettant la santé et la survie de la population[203]. Cette disposition, dépendant de la définition donnée aux termes « d’environnement naturel »[204], trouve ainsi à s’appliquer à l’espace extra-atmosphérique dans la mesure où celui-ci est habité. Par conséquent, en appliquant au terme « population » un sens large, sans tenir compte du nombre d’astronautes présents dans une station ou un véhicule spatial, l’utilisation d’une arme antisatellite devrait être interdite si elle altérait l’orbite sur laquelle de tels engins habités se trouvent[205].

VII. L’utilisation militaire de l’espace extra-atmosphérique à la lumière de la Charte des Nations unies

L’application des normes de la Charte des Nations unies[206] sur la question de la licéité de l’utilisation militaire de l’espace extra-atmosphérique soulève préalablement la question du rapport entre le droit international général et le droit de l’espace. Au sens de l’article III du Traité de l’espace, les activités des États parties doivent être effectuées conformément au droit international et à la Charte, notamment dans le but de maintenir la paix et la sécurité internationale[207]. Selon les termes de cette disposition, les règles générales de droit international, dont celles de la Charte font partie, sont applicables aux activités spatiales des États. Ainsi, toute norme de droit spatial devra être interprétée à la lumière du droit international[208]. Il faut cependant relever qu’en cas de conflit entre un traité de droit spatial et la Charte, le premier prévaudrait dans la mesure où les normes postérieures priment les normes plus anciennes[209]. Ce principe s’applique sous réserve de l’article 103 de la Charte selon lequel les obligations émanant de la Charte prévalent sur celles découlant d’autres accords internationaux[210]. L’adage latin lex specialis derogat legi general[211] serait également pertinent en cas de conflit entre plusieurs normes. Selon ce principe, les règles spécifiques de droit spatial devraient prévaloir sur celles de droit international général sauf si certaines règles de droit spatial ne sont pas suffisamment précises ou sont contestées[212].

Selon l’article II paragraphe 4 de la Charte : « [l] es Membres de l’Organisation s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies »[213]. Si les États membres doivent régler leurs différends par des moyens pacifiques selon l’article II paragraphe 3 et 33 de la Charte[214], deux exceptions à l’interdiction du recours à la menace et à la force existent. Selon le chapitre VII de la Charte, le Conseil de sécurité constate « l’existence d’une menace contre la paix, d’une rupture de celle-ci ou d’un acte d’agression »[215]. Il peut également faire des recommandations ou décider de prendre des mesures selon les articles 41 et 42 de la Charte pour maintenir et rétablir la paix et la sécurité internationale[216]. De plus, selon l’article 51 de la Charte, est reconnu un droit naturel de légitime défense individuelle ou collectif dans le cas où un membre de l’ONU serait visé par une agression armée[217].

Le Conseil de sécurité n’a encore jamais pris de mesures au sens du chapitre VII de la Charte autorisant par exemple l’utilisation de la force dans l’espace extra-atmosphérique bien que cela semble pratiquement possible, mais politiquement difficile au vu du droit de véto dont bénéficient les membres permanents[218]. Si un tel scénario devait se réaliser, des mesures prises selon l’article 42 de la Charte créeraient donc des obligations pour les États membres. Ainsi, un conflit entre une obligation émanant d’une norme de droit de l’espace, par exemple de l’article IV du Traité de l’espace, et d’une obligation d’utiliser la force armée selon des mesures prises par le Conseil de sécurité, s’avérerait possible. Dans la mesure où l’article IV du Traité de l’espace ne représente pas une norme de jus cogens, l’article 103 de la Charte s’appliquerait, et les mesures prises selon l’article 42 prévaudraient[219].

La question se pose de savoir dans quelle mesure les États pourraient agir en légitime défense dans l’espace extra-atmosphérique[220]. Si les États continuent d’affirmer leur droit d’agir en légitime défense dans l’espace extra-atmosphérique pour protéger leurs systèmes satellitaires[221], l’applicabilité du droit de légitime défense dans l’espace n’est toutefois pas aisée. Comme l’explique Fabio Tronchetti, plusieurs facteurs rendent l’applicabilité de ce droit pratiquement difficile. Premièrement, l’environnement spatial, comme discuté précédemment[222], est particulièrement sujet à la prolifération de débris spatiaux lors d’attaques cinétiques, mettant en péril nombre d’engins spatiaux d’États tiers[223]. En second lieu, le droit d’agir en légitime défense est un droit traditionnellement terrestre et son applicabilité dans l’espace demande une interprétation étendue de ces éléments constitutifs conformément à la nature singulière de cet environnement[224]. Finalement, l’usage de la force dans l’espace extra-atmosphérique n’ayant pas encore fait l’objet de procédure contentieuse devant la Cour internationale de justice, aucune indication jurisprudentielle ne soutient la licéité de l’usage de ce droit dans l’espace[225].

Si le droit d’agir en légitime défense sur la Lune et les corps célestes semble difficilement possible à cause de leur régime de démilitarisation totale[226], il est majoritairement reconnu comme applicable dans le vide spatial[227]. L’étendue de son application reste cependant débattue et pose certains problèmes[228]. Il est notamment question de savoir quelle interprétation donner à une agression armée[229] effectuée dans l’espace extra-atmosphérique par un État. Préalablement, une attaque menée contre un objet spatial d’un État devrait être comprise comme étant une attaque contre « son territoire », l’article VIII du Traité de l’espace donnant un statut quasi territorial aux objets spatiaux enregistrés[230]. Ainsi, sans grande controverse, la destruction d’un satellite par l’utilisation d’une arme cinétique par exemple, semblerait constituer une agression armée au sens de l’article 51 de la Charte[231]. Au contraire, la simple mise en orbite ou l’installation des armes interdites selon l’article IV du Traité de l’espace ne pourraient être reconnues comme l’emploi de la force armée contre l’intégrité territoriale[232]. La question de savoir si une cyberattaque menée contre un satellite, mais n’entraînant pas sa destruction constituerait une agression est plus difficile à appréhender[233]. Si tel était le cas, les actes entrepris par l’État lésé devraient respecter les conditions de proportionnalité et de nécessité de manière stricte, en tenant notamment compte de la fréquence de l’attaque et du lien de celle-ci avec d’autres opérations militaires effectuées sur terre[234].

De manière générale, les actes entrepris par l’État lésé devraient également prendre en considération la nature particulière de l’espace[235], en respectant les conditions de proportionnalité et de nécessité et en veillant à éviter autant que possible des dommages collatéraux[236]. À titre d’exemple, en cas d’attaque au sol, une riposte contre un satellite ennemi entreprise par l’État lésé ne serait pas proportionnelle au vu des conséquences néfastes pour les États tiers[237]. Dans le cas de la destruction d’un objet spatial par un assaillant, une contre-attaque menée contre un objectif militaire au sol ou l’utilisation d’approches alternatives telle qu’une cyberattaque, une attaque laser ou un brouillage radio contre un satellite ennemi sembleraient satisfaire de manière plus adéquate aux exigences posées par l’article 51 de la Charte[238]. Quant à la question du cadre temporel dans lequel s’insère une action en légitime défense effectuée par l’État lésé, une action en légitime défense anticipée dans l’environnement spatial pourrait être licite, à condition que l’imminence de l’attaque puisse être prouvée[239].

VIII. Blocages institutionnels et normes contraignantes trop générales : vers une mise en exergue du soft law face à une utilisation militaire de l’espace extra-atmosphérique grandissante?

Face à des normes contraignantes de droit international trop générales, parfois peu claires et grandement sujettes à débat en matière d’utilisation militaire de l’espace extra-atmosphérique, la question se pose de savoir si de nouveaux instruments juridiques, négociés dans les forums onusiens, viendraient à être conclus prochainement afin de mieux réguler l’utilisation militaire de l’espace, non seulement en temps de paix, mais surtout en cas de conflits armés dans cet environnement. Il conviendra également de brièvement voir si des instruments non contraignants permettent de clarifier la situation juridique actuelle.

Le Comité du désarmement, créé en 1979 et renommé Conférence du désarmement en 1984 a permis de renforcer, dans le cadre d’une instance multilatérale de négociations, les efforts pour le contrôle des armements dans l’espace extra-atmosphérique[240]. En 1985, la Conférence a créé un comité ad hoc sur la prévention d’une course aux armements dans l’espace (Prevention of an Arms Race in Outer Space ou PAROS) qui a encore aujourd’hui comme but d’entreprendre des négociations afin d’arriver à des accords sur le contrôle des armements dans l’espace[241]. Dans le cadre de la Conférence du désarmement et sous la supervision de ce Comité ont été proposées des ébauches de traités (Draft PPWT treaties) en 2002, 2008 et 2014 par la Chine et la Russie visant à interdire tout placement d’armes en orbite terrestre[242]. Face à une vive opposition des États-Unis et au manque de consensus quant au sens à donner aux termes utilisés dans les différentes ébauches, les négociations sont aujourd’hui au point mort[243]. Concernant le Comité sur les utilisations pacifiques de l’espace extra-atmosphérique, bien que son mandat reste d’actualité, aucune avancée n’a été faite concernant l’adoption d’un nouvel accord en matière d’utilisation militaire de l’espace depuis la conclusion de l’Accord sur la Lune en 1979[244].

Comme l’expliquent Ram S Jakhu, Cassandra Steer et Kuan-Wei Chen, si ces deux forums onusiens, de par leur évidente légitimité, sont les plus à même de produire un nouveau texte contraignant qui pourrait clarifier les règles applicables en matière d’utilisation militaire de l’espace et de maîtrise des armements, les décisions par consensus, les intérêts des États extrêmement divergents et la nature stratégique de l’environnement spatial, rendent la tâche quasiment impossible[245]. Cependant, face à ces blocages, plusieurs instruments non contraignants ont été adoptés par les États ces dernières années en matière d’utilisation militaire de l’espace[246]. Il convient d’en examiner deux principaux et d’évaluer leur portée[247].

En vertu de la résolution 65/68 de l’Assemblée générale[248], le Secrétariat général des Nations unies a créé en 2011 un Groupe d’experts gouvernementaux (GGE) venant de quinze pays afin de mener une étude sur des mesures de transparence et de confiance (TCBM) relative aux activités spatiales. Les experts ont remis un rapport[249] à l’Assemblée générale dans lequel ils se sont entendus sur un ensemble de mesures que les États peuvent suivre sur une base volontaire[250]. Ces mesures portent notamment sur l’échange d’informations en matière de politiques spatiales, sur la visite des experts dans les sites spatiaux nationaux ou encore sur la mise en place de notifications entre États dans le but de réduire les risques liés à leurs activités spatiales[251]. Bien qu’il soit reconnu que des mesures de transparence permettent généralement de réduire la défiance entre États et de favoriser une certaine stabilité dans les relations interétatiques[252], le bilan de ces mesures s’avère, pour l’instant, extrêmement peu concluant[253].

Une seconde initiative a été mise sur pieds par l’Union européenne en 2007. Celle-ci a appelé les États à « prendre toutes les mesures pour empêcher que l’espace ne devienne une zone de conflit »[254]. De telles mesures ont été formulées à travers un code de conduite (ICoC) élaboré en 2008 et publié en 2014 après révision[255]. Tout comme les TCBM, le code a pour objectif de renforcer la confiance entre États en matière spatiale et de proposer un moyen indirect pour prévenir l’arsenalisation de l’espace[256]. Durant la révision du code de conduite, sa portée s’est considérablement réduite et s’est finalement concentrée sur les aspects civils de l’utilisation de l’espace[257]. Le bilan de cette initiative reste également très mitigé[258].

***

L’utilisation militaire de l’espace extra-atmosphérique est devenue depuis le début de l’ère spatiale une composante essentielle des actions étatiques en matière de sécurité nationale. Bien que cette question fut au centre de la création du droit de l’espace, cette branche de droit n’a pas réussi à réguler de manière adéquate une telle utilisation. Si la Lune et les corps célestes bénéficient, selon une majorité doctrinale, d’un régime de démilitarisation totale, le vide spatial reste quant à lui sujet au développement et à l’utilisation d’armements conventionnels toujours plus nuisibles à cet environnement singulier. Les accords de maîtrise des armements renforcent quant à eux certaines interdictions en matière d’envoi et de développement d’armes de destruction massive dans l’espace, mais ne traitent quasiment pas de la question de la licéité des armes conventionnelles. Face à un cadre juridique incomplet, le droit international général et le droit international humanitaire seraient les seuls freins juridiques à l’utilisation de certaines armes dans l’espace extra-atmosphérique. En somme, nous pouvons conclure que la militarisation de l’espace n’est en aucun point illicite en droit international. Quant au régime juridique applicable en matière de déploiement d’armements dans l’espace, il ne permet pas, pour l’instant, de faire face aux développements technologiques militaires en pleine expansion.

La probabilité de voir un nouvel accord conclu en matière d’utilisation militaire de l’espace atmosphérique reste très faible; les forums onusiens sont aujourd’hui encore à la merci de règles décisionnaires très contraignantes et d’un manque flagrant de volonté politique de la part des grandes puissances spatiales. Face à ces blocages, certains instruments non contraignants ont vu le jour, notamment depuis 2010. Leur incidence sur les régimes juridiques en vigueur ne semble cependant que très peu significative.

Face au besoin urgent de clarification juridique quant aux problématiques spatiomilitaires actuelles, plusieurs initiatives récentes de la société civile ont été mises en place. Depuis 2016, le Centre de droit aérien et spatial de l’Université McGill et l’Université d’Adélaïde, en collaboration avec d’autres institutions, ont lancé un projet de manuel sur le droit applicable aux utilisations militaires de l’espace extra-atmosphérique (Manual on International Law Applicable to Military Uses of Outer Space, Manuel de McGill ou MILAMOS)[259]. Ce manuel, qui s’inscrit dans la continuité d’autres manuels existants sur la conduite d’hostilités dans des milieux spécifiques[260], est notamment élaboré par des juristes, des experts techniques et des spécialistes militaires du monde entier[261]. L’objectif d’un tel ouvrage n’est pas de créer de nouvelles normes, mais bien de clarifier la lex lata applicable en matière d’utilisation militaire de l’espace extra-atmosphérique. Poursuivant des objectifs similaires, soit de clarifier le cadre légal existant en matière d’opérations militaires dans l’espace, le projet Woomera (Woomera Manual on the International Law of Military Space Operations) a quant à lui été lancé en 2018[262]. Ces deux manuels devraient être publiés en 2020 et en 2021[263]. L’utilité de tels manuels ayant été reconnue par le passé[264], il semble que ces deux projets pourraient être, à ce jour, les seules initiatives capables d’apporter des clarifications quant aux règles applicables en matière d’utilisation militaire de l’espace extra-atmosphérique dans un futur proche.