Notes et commentaires

De l’OIt à l’OMC. L’interdiction d’importation des produits intégrant le travail forcé et les pires formes de travail des enfants : un appel à la morale ?[Notice]

  • Kristine Plouffe-Malette

Professeure associée, département des sciences juridiques, UQAM, codirectrice de la Revue québécoise de droit international et membre du CEIM.

Si le contenu d’une politique commerciale socialement responsable – à savoir l’inclusion de la protection des droits de la personne, le respect des normes du travail et la protection de l’environnement – a d’ores et déjà été largement étudié, les effets concrets d’une telle politique n’ont pas été aussi nombreux que les analyses. Partant, le rapport présenté par le Centre d’études sur l’intégration et la mondialisation (CEIM) de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) intitulé « Vers une politique commerciale socialement responsable : un défi pour le Canada et ses partenaires », prend toute son importance puisqu’on y présente des recommandations concrètes afin, notamment, de protéger les droits humains des travailleurs. Basé sur plusieurs consultations, publiques et en ligne, tenues à travers le Canada, tout en étant appuyé d’une importante recherche documentaire, il aborde trois thèmes centraux : les clauses sociales incluses aux accords commerciaux, le système des préférences et sa conditionnalité et l’interdiction d’importer des produits issus du travail forcé ou des pires formes du travail des enfants. Non seulement ces thèmes sont-ils au coeur des discussions concernant la politique commerciale socialement responsable, mais ils sont également d’actualité. Le troisième thème concernant les droits des personnes les plus vulnérables est précisément abordé par deux recommandations émises au rapport du CEIM. En effet, il est recommandé de « prévoir une référence explicite aux conventions fondamentales de l’Organisation internationale du Travail (OIT) dans les accords commerciaux, afin d’accroître le niveau d’obligation et d’engagement des pays partenaires » (recommandation 2) et d’« interdire l’importation de produits issus du travail forcé et des pires formes de travail des enfants » (recommandation 9). Il importe de souligner que 96,1 % des répondants aux consultations publiques et en ligne jugent qu’il est dorénavant nécessaire d’« interdire les importations intégrant le travail forcé et les pires formes de travail des enfants ». Un résultat opposé aurait été surprenant, quoiqu’une réponse plus nuancée était certainement attendue. Or, le souhait est ici clairement exprimé. Ce dernier fait directement écho à la deuxième recommandation puisque certaines conventions de l’OIT prévoient l’interdiction du travail forcé tout comme des pires formes de travail des enfants. Ainsi, l’une et l’autre des deux recommandations sont liées. Cependant, si ces recommandations sont louables – nul ne peut s’opposer à la vertu! – elles pourraient n’apparaitre que sous la forme de voeux pieux, et ce, essentiellement en raison des normes de droit international face auxquelles le Canada s’est engagé, tout particulièrement eu égard au droit de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Ceci étant, il importe d’abord de revenir sur les expressions « travail forcé » et « pires formes de travail des enfants » puisque celles-ci souffrent d’un manque de cohérence entre les affirmations conventionnelles et les interprétations nationales et internationales. Plus encore, il y a une réelle confusion sémantique entre ces expressions et celles de « l’esclavage moderne » et de la « traite des êtres humains », tout particulièrement en droit international, mais également en droit canadien (1). Ensuite, d’un point de vue pragmatique, si une interdiction d’importation de certains produits dont la fabrication inclut une forme ou une autre de travail forcé est permise, en ce sens qu’un gouvernement canadien souverain peut unilatéralement adopter une telle loi, rien n’est moins certain quant à sa justification auprès de l’OMC. En effet, l’hypothèse de l’exception commerciale entendue comme la nécessité de protéger la moralité publique pourrait ne pas suffire pour justifier cette entrave au commerce (2). Comme le souligne le rapport, les répondants ont été quasi unanimes dans la perception selon laquelle l’interdiction de l’importation de produits issus du travail forcé et des pires …

Parties annexes