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L’ex-Communauté européenne[1] (ex-CE) et depuis 2009, l’Union européenne[2] (UE) ont historiquement conclu de nombreux traités en matière commerciale soit comme seul partenaire avec des États tiers, soit sous la forme d’un accord mixte bilatéral entre l’ex-CE ou l’UE (Ex-CE/UE) et ses États membres, d’une part, et, les États tiers, d’autre part, ou soit sous la forme d’un accord mixte multilatéral avec l’ex-CE/UE, ses États membres et les tiers y participant sur un pied d’égalité. Dans la présente étude, nous concentrerons notre attention sur la participation conjointe bilatérale ou multilatérale de l’Ex-CE/UE et des États membres, au processus de conclusion d’une convention mixte dans les cas où elle est requise parce que celle-ci traite d’un sujet dont certains éléments relèvent de la compétence de l’Ex-CE/UE alors que d’autres tombent encore sous la juridiction des États membres[3]. Le recours à l’accord mixte emporte avec lui des conséquences de nature procédurale importantes, ce qui freine l’action internationale de l’UE. Ainsi, selon la pratique actuelle, l’ex-CE/UE doit attendre avant de déposer son instrument de ratification d’une convention mixte, que tous ses États membres aient déposé leur propre instrument de ratification conformément aux exigences de leur constitution respective. Avec le nombre croissant des États membres de l’ex-CE/UE, certains auteurs soulignèrent que le processus de conclusion des conventions mixtes pouvait prendre jusqu’à trois années au minimum pour être complété[4]. De plus, au niveau du droit de l’UE, l’obligation de coopérer entre l’ex-CE/UE et ses États membres, consignée à l’article 4 (3) du Traité sur l’Union européenne (TUE), tel que modifié par le Traité de Lisbonne (TL), devient, dans le contexte d’une convention mixte, essentiel selon une jurisprudence constante de la Cour de justice de l’ex-CE/UE (Cour européenne de justice ou CEJ) et ce, tant au niveau de la négociation, de la conclusion et de l’exécution des obligations qui découlent de tels traités[5].

Bien entendu, l’emploi de l’accord mixte ne s’est pas limité historiquement aux seuls cas où la compétence commerciale de l’ex-CE/UE était en jeu. Au contraire, il fut aussi beaucoup utilisé lors de conventions traitant de sujets relevant de la compétence ex-concurrente ou partagée générale[6] de l’ex-CE/UE, lesquels n’avaient pas encore fait l’objet d’une « préemption complète » en raison de l’action législative de l’ex-CE/UE[7]. Toutefois, comme l’exercice de la compétence commerciale fut, à notre avis, capital pour la reconnaissance de l’ex-CE/UE comme acteur international incontournable, nous avons choisi, dans la présente étude, de nous limiter à examiner le recours à l’accord mixte classique dans les situations où la compétence commerciale de l’ex-CE/UE fut notamment alléguée et ce, au fil de l’évolution temporelle et matérielle de celle-ci.

I. La compétence commerciale de l’ex-CE/UE : une compétence d’attribution intrinsèquement exclusive

Depuis le TL, les articles 3 (1) (e) et 207 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne (TFUE)[8] confèrent à l’UE le pouvoir d’attribution intrinsèquement exclusif de conclure seule des accords avec des États tiers dans des matières relevant de la politique commerciale commune (PCC) européenne[9]. Toutefois, c’est l’Avis de la Cour du 11 novembre 1975 - Arrangement concernant une norme pour les dépenses locales élaborée dans le cadre de l’OCDE (Avis 1/75)[10], en date du 11 novembre 1975, qui a reconnu un tel effet à l’ex-article 113 du Traité instituant la communauté économique européenne (TCEE) (actuellement, art 207 TFUE), en raison « de la manière dont la [PCC] est conçue par le traité »[11]. Voyons d’abord le contexte qui a conduit la Cour à conclure de la sorte.

Cette affaire porte sur un projet d’arrangement concernant la définition d’une norme à respecter pour l’octroi de crédits publics à l’exportation couvrant les dépenses locales. Ce projet était destiné à être mis en vigueur par le biais d’une résolution obligatoire du conseil de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Sur la base de l’ex-article 228 (1) al 2 TCEE[12], la Commission avait alors saisi la CEJ d’une demande d’avis préalable sur la question de la compétence de l’ex-Communauté pour conclure un tel arrangement.

Dans son Avis, la Cour décrète que l’ex-CEE possède un tel pouvoir en vertu de l’ex-article 113 TCEE. Selon la CEJ, la matière réglée par l’arrangement de l’OCDE considéré en l’espèce, relève sans aucun doute de la catégorie des aides à l’exportation visée à l’ex-article 112 TCEE[13]; lequel reconnaît une compétence communautaire en la matière. De plus, le domaine de la politique d’exportation, énuméré expressément à l’ex-article 113 TCEE en tant qu’élément d’une PCC communautaire englobe nécessairement les aides à l’exportation et plus particulièrement le projet susmentionné de l’OCDE. Par conséquent, conclut la Cour, celui-ci relève de la PCC de l’ex-CEE telle que définie à l’ex-article 113[14]. Pour la CEJ, de telles mesures concernant les crédits à l’exportation « constituent, en fait, un élément important de la politique commerciale dont la notion a le même contenu, qu’elle s’applique dans la sphère d’action internationale d’un État ou dans celle de la Communauté »[15]. En outre, ajoute la Cour, cette notion de PCC permet à la Communauté non seulement d’adopter, sur la base de l’ex-article 113, des règles autonomes de droit communautaire[16], mais aussi de conclure des conventions avec les États tiers, comme celle dont il est question en l’occurrence[17].

Après ces quelques précisions sur le contenu de l’ex-article 113, la CEJ souligne le caractère intrinsèquement exclusif de la compétence communautaire fondée sur cette disposition. Pour la Cour, la PCC est conçue par l’ex-article 113 « dans la perspective du fonctionnement du marché commun pour la défense de l’intérêt global de la Communauté »[18]. Ce caractère fondamental de la PCC fait que, dans un domaine comme celui réglé par l’arrangement de l’OCDE, dont il est question en cette affaire, « [l]’action unilatérale des États membres risquerait en effet d’aboutir à des disparités, dans les conditions d’octroi du crédit à l’exportation, de nature à fausser la compétition des entreprises des différents États membres sur les marchés extérieurs »[19].

« On ne saurait dès lors admettre [qu']il y ait [dans le domaine susmentionné] une compétence des États membres parallèle à celle de la communauté, dans l’ordre communautaire aussi bien que dans l’ordre international » [20].

Selon la Cour, la nature intrinsèquement exclusive de l’ex-article 113 ne serait, en outre, aucunement affectée par le fait que les obligations financières entraînées par l’exécution de l’arrangement de l’OCDE en cause soient directement à la charge des États membres et non de la Communauté[21]. La Cour exclut donc ici le recours à l’accord mixte malgré cette implication claire des États membres[22]. La CEJ pousse même la nature intrinsèquement exclusive de cette compétence communautaire en lui reconnaissant la prépondérance, si des produits soumis au Traité CECA[23] étaient touchés par le projet susmentionné de l’OCDE. Pour la Cour, l’ex-article 71 du Traité CECA, qui sauvegarde la compétence des États membres sur de tels produits, ne saurait rendre inopérants les ex-articles 113 et 114 TCEE[24] et affecter la compétence de l’ex-communauté de négocier et de conclure des accords internationaux relevant de la PCC[25].

La nature intrinsèquement exclusive du pouvoir de l’UE sur la PCC fut donc établie assez tôt dans l’histoire de l’UE[26]. Cette compétence d’attribution exclusive fut reconnue par la jurisprudence comme étant totale et ab initio, en ce sens que les États membres ne peuvent adopter aucune mesure unilatérale interne ou conventionnelle dans les matières qui relèvent de la PCC et ce, même si l’UE n’a pas encore exercé sa compétence[27]. Cela signifie également que contrairement à une compétence externe implicite[28], l’article 207 TFUE autorise l’UE à conclure des conventions même dans des domaines qui n’ont pas encore fait l’objet d’une réglementation interne[29]. Cela étant bien établi, c’est donc plutôt au niveau de l’étendue de la PCC que les questions se posèrent et continuent de se poser. En effet, il fut vite évident qu’une interprétation large des domaines couverts par celle-ci aurait pour effet de réduire d’autant le contrôle des États membres sur leur commerce extérieur et d’accroître d’autant les pouvoirs de l’UE sur celui-ci[30], ce qui ne pouvait que soulever la controverse et des opinions divergentes sur le sujet. En septembre 1986, la polémique atteignit son paroxysme au début des négociations du cycle d’Uruguay[31]. Ces dernières portaient effectivement sur plusieurs projets de conventions, dont l'Accord général sur le commerce des services (GATS)[32] et l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC ou TRIPS)[33], à propos desquels on se demandait si l’ex-CE avait la compétence nécessaire pour les conclure seule au titre de l’ex-article 113 TCE (TM) ou si ses États membres devaient se joindre à elle pour procéder à leur conclusion sous la forme d’accords mixtes.

II. L’étendue matérielle de la PCC : une détermination essentielle pour justifier le recours à l’accord mixte avant le Traité de Lisbonne (TL)

Puisque les États membres perdent tout pouvoir d’agir dans leur ordre juridique interne ou par convention internationale dans les matières visées par la PCC, l’histoire de l’ex-CE/UE sera marquée par le souci de préciser le plus exactement possible l’étendue des activités qui relèvent conséquemment de cette compétence d’attribution intrinsèquement exclusive. Pour certaines instances européennes, cet exercice, nous le verrons, visait pour beaucoup à réduire l’obligation de recourir à la mixité conventionnelle.

Très tôt dans l’histoire de l’ex-CE/UE, la Commission et le Conseil ont donc élaboré leurs propres thèses au sujet de la portée de la PCC, auxquelles s’est ajoutée la jurisprudence de la Cour européenne de justice sur la question. Notons ici que la jurisprudence, dont nous traiterons dans les rubriques subséquentes, porte tant sur les mesures autonomes internes que sur les conventions adoptées au titre de la PCC. Comme la CEJ l’a très bien souligné dans l’Avis 1/75 : « Une politique commerciale est en effet édifiée par le concours et l’interaction de mesures internes et externes, sans qu’il y ait priorité pour les unes ou les autres : tantôt […] les accords constituent l’exécution d’une politique préalablement fixée, tantôt la politique est définie par les accords mêmes »[34].

Ainsi, bien que notre étude vise à mesurer le recours à l’accord mixte au fil de l’évolution historique de l’étendue du pouvoir exclusif européen de conclure des conventions relevant de la PCC, une telle analyse ne peut pas s’effectuer en excluant entièrement l’aspect interne de cette dernière.

A. L’étendue matérielle de la PCC selon la Commission et le Conseil

Très tôt, la Commission adopta une conception instrumentale de la PCC alors que celle du Conseil fut finaliste. Ces deux thèses illustrent le conflit historique entre la position progressiste de la Commission et l’attitude défensive du Conseil envers l’intégration européenne[35]. Pour le Conseil, l’objectif poursuivi représente l’unique critère qui détermine si un domaine se rattache ou non à la PCC. Suivant la théorie finaliste du Conseil, seules les mesures qui ont pour but d’influencer le volume ou le courant des échanges avec les États tiers relèvent de la politique commerciale. Pour la Commission, les mesures de PCC constituent plutôt des instruments qui, en raison de leur nature spécifique, ont pour effet de réglementer le commerce international[36]. D’après la Commission, « la finalité liée à l’utilisation de ces instruments serait sans importance »[37].

Certains auteurs estimèrent à l’époque que la thèse de la Commission était trop extensive. Ils notèrent effectivement qu’en vertu de la théorie de la Commission, une mesure, comme une restriction à l’importation, qui par sa nature même réglemente le commerce international, relèverait toujours de l’ex-article 113 TCEE, même si l’objectif poursuivi était par exemple la protection de l’environnement ou de la santé publique. Ils critiquèrent également la thèse du Conseil comme étant trop restrictive[38], notamment puisque des mesures inhérentes à toute politique commerciale, comme les règles relatives à l’origine des biens, ne relèveraient probablement pas de la PCC, « since it would more than often be difficult to affirm that they aim at influencing the volume or pattern of trade[39] ». Cela dit, il faut souligner ici qu’avec les années « ni la Commission ni le Conseil n’ont strictement adhéré respectivement à la thèse de l’instrument et à celle de l’objectif[40] ».

Voyons maintenant dans quelle mesure la CEJ s’est alignée sur la position de la Commission ou sur celle du Conseil et comment, par ses décisions et avis principaux, elle a défini la PCC de l’ex-CE/UE et précisé en conséquence les conditions du recours à la mixité conventionnelle.

B. L’évolution de la jurisprudence antérieure au TL sur l’étendue de la politique commerciale commune

Après l’Avis 1/75, qui a reconnu le caractère intrinsèquement exclusif de l’ex-article 113 TCEE (actuellement, art 207 TFUE)[41], la jurisprudence de la CEJ s’inscrit globalement dans deux courants distincts qui ont eu un impact sur l’obligation de recourir à la mixité et dont l’évolution ne fut pas nécessairement toujours parfaitement chronologique et linéaire[42]. D’abord, une tendance où la Cour adopte une interprétation large de la PCC, qui fut marquée au début par l’espoir soulevé par l'Avis rendu en vertu de l'article 228, paragraphe 1, deuxième alinéa, du traité CEE - Accord international sur le caoutchouc naturel (l’Avis 1/78)[43], et l’autre courant, d’origine plus récente, où la PCC reçoit une acception restrictive, que l’Avis de la Cour du 15 novembre 1994 - Compétence de la Communauté pour conclure des accords internationaux en matière de services et de protection de la propriété intellectuelle (Avis 1/94)[44] plaça sous le signe de l’espoir déçu[45].

1. L’Avis 1/78 et ses répercussions

a) L’espoir soulevé par une interprétation large de la PCC dans l’Avis 1/78

En réponse à une demande de la Commission fondée sur l’ex-article 228 (1) al 2 TCEE, la CEJ rend l’Avis 1/78[46] le 4 octobre 1979. La Commission s’interrogeait alors sur la compétence de la CEE pour conclure l’Accord international sur le caoutchouc naturel qui était en cours de négociation dans le cadre de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED)[47]. En cette affaire, la Commission alléguait que la CEE avait un tel pouvoir intrinsèquement exclusif en vertu de l’ex-article 113 TCEE, car conformément à sa thèse, l’accord en question avait pour caractère spécifique de constituer un instrument de réglementation du commerce international[48]. Le Conseil, par ailleurs, soutenait que cette convention devait être conclue en tant qu’accord mixte[49], car elle faisait intervenir étroitement des compétences des États membres avec des compétences de la CEE. Cet accord, selon sa thèse, n’avait pas pour seul objet d’influencer le volume ou le courant des échanges au sens de l’ex-article 113 TCEE. Il concernait plutôt l’aide au développement[50], la politique d’approvisionnement en matières premières et la politique de défense, pour laquelle le caoutchouc représente un produit stratégique. Or, ajoutait-il, de telles politiques requéraient encore l’intervention des États membres[51].

En l’espèce[52], la CEJ n’a pas tranché clairement entre la théorie instrumentale de la Commission et la thèse finaliste du Conseil. Dans le cours de son raisonnement, elle y mêla plutôt les deux[53], pour en arriver à donner une interprétation large de l’ex-article 113 TCEE, ce qui devait susciter beaucoup d’espoir chez les tenants d’une PCC étendue, surtout à l’occasion des négociations commerciales du cycle d’Uruguay[54]. Un tel espoir se justifiait d’autant plus que la conséquence immédiate de l’Avis 1/78 fut la conclusion de la plupart des accords du cycle de Tokyo[55] par la CEE agissant seule sur la base de l’ex-article 113, sans la participation des États membres[56].

Ainsi, dans l’extrait qui suit de l’Avis 1/78, la CEJ adopta, selon nous, l’approche instrumentale pour interpréter largement l’ex-article 113 TCEE :

On ne saurait […] limiter la politique commerciale commune à l’utilisation des instruments destinés à avoir une prise sur les seuls aspects traditionnels du commerce extérieur à l’exclusion de mécanismes plus évolués, tels qu’ils apparaissent dans l’accord envisagé[57].

L’énumération, dans l’article 113, des objets de la politique commerciale est concue comme une énumération non limitative[58].

[Elle] ne doit pas, en tant que telle, fermer la porte à la mise en oeuvre, dans un cadre communautaire, de tout autre procédé [la constitution d'un stock régulateur][59] destiné à régler les échanges extérieurs[60].

À cette étape de l’avis, il est évident que, pour la Cour, ledit Accord sur le caoutchouc naturel relevait de la PCC et que, par conséquent, la CEE était donc, en principe[61], exclusivement compétente pour le conclure seule sans la participation de ses États membres à ses côtés[62]. Toutefois, le raisonnement de la CEJ ne s’arrêta pas là. Elle le compléta, nous semble-t-il, en épousant cette fois l’optique finaliste. Nous en tenons pour preuve l’énoncé qui suit :

la présence éventuelle, dans l’accord, de clauses concernant […] les programmes de recherche, les conditions de travail […] susceptibles d’avoir une incidence sur le prix du caoutchouc, ne sauraient modifier la qualification de l’accord, qui doit être faite en considération de l’objet essentiel de celui-ci[63] [équilibrer l’offre et la demande de caoutchouc][64] et non en fonction de clauses particulières, de caractère somme toute accessoire ou auxiliaire[65].

Pour la Cour, les répercussions de cette convention notamment sur la politique d’approvisionnement en matières premières, l’aide au développement, la politique des prix et la politique de défense des États membres ne constituaient conséquemment pas des raisons « d’exclure de tels objets du champ d’application des règles relatives à la politique commerciale commune »[66].

b) Une PCC non traditionnelle dans la jurisprudence postérieure à l’Avis 1/78

L’affaire 45/86 (Préférences) du 26 mars 1987[67] s’inscrit entièrement dans la voie tracée par l’Avis 1/78 en donnant également une interprétation large et évolutive à la PCC[68]. L’arrêt 45/86 (Préférences) répondait à un recours de la Commission, en vertu de l’ex-article 173 al 1 TCEE[69], qui visait l’annulation des règlements numéros 3599/85 et 3600/85 du Conseil portant application de certaines préférences tarifaires généralisées pour l’année 1986[70]. Pour la Commission, le Conseil était compétent pour adopter de tels règlements sur la base du seul ex-article 113[71]. Le Conseil admettait que les préférences tarifaires prévues par les règlements susmentionnés équivalaient à des modifications tarifaires au sens de cette disposition. Toutefois, ajoutait le Conseil, comme les règlements litigieux poursuivaient aussi des objectifs importants de politique de développement, la mise en oeuvre d’une telle politique débordait du cadre de l’ex-article 113 et exigeait de recourir aussi à l’ex-article 235 TCEE[72].

En l’espèce, la CEJ donne entièrement raison à la Commission. La Cour souligne d’abord « que la notion de politique commerciale a le même contenu, qu’elle s’applique dans la sphère d’action internationale d’un État ou dans celle de la Communauté »[73], rappelant en cela l’Avis 1/75[74]. Elle note ensuite qu’en raison principalement des travaux de la CNUCED, le lien entre le commerce et le développement s’est progressivement établi dans la société internationale, comme en témoigne l’insertion de la Partie IV dans l' Accord Général sur les Tarifs Douaniers et le Commerce (GATT)[75]. Pour la CEJ, le système généralisé de préférences élaboré par la CNUCED, qui a servi de modèle au système communautaire, est le résultat de cette conception nouvelle des relations commerciales internationales faisant une large place à des objectifs de développement[76]. Pour terminer, la Cour, s’appuyant sur l’Avis 1/78, affirme que le lien avec le développement ne fait pas échapper un acte de l’ex-article 113 TCEE. À son avis, les dispositions du TCEE relatives à la PCC non seulement permettent, mais doivent pour garder leur sens, tenir compte des conceptions nouvelles de la société internationale qui étendent les moyens d’action au-delà des instruments traditionnels du commerce extérieur[77].

Le 29 mars 1990, la CEJ rend l’arrêt République hellénique c Conseil des Communautés européennes (Tchernobyl)[78] qui, sans référer expressément à l’Avis 1/78, témoigne aussi d’une vision large de l’ex-article 113 TCEE. En l’espèce, la Cour devait se prononcer sur une requête, présentée par la Grèce, en vertu de l’ex-article 173 TCEE[79]. La République hellénique y demandait l’annulation du règlement no 3955/87 du Conseil « relatif aux conditions d’importations de produits agricoles originaires des pays tiers à la suite de l’accident survenu à la centrale nucléaire de Tchernobyl »[80]. Ce règlement avait été adopté sur la base de l’ex-article 113 TCEE et il soumettait la « mise en libre pratique de certains produits agricoles originaires des pays tiers au respect de tolérances maximales de contamination radioactive »[81]. En cas de non-respect des tolérances maximales, le règlement imposait « de prendre les mesures requises pouvant aller jusqu’à l’interdiction de l’importation des produits en cause »[82].

Pour la Grèce, le règlement susmentionné visait uniquement à protéger la santé de la population des États membres contre les conséquences de l’accident de Tchernobyl. Il aurait donc dû être fondé notamment sur les ex-articles 130 r et 130 s du TCEE relatifs à l’environnement[83].

En l’occurrence, la Cour exclut toutefois les ex-articles 130 r et 130 s comme bases juridiques dudit règlement même s’il visait à protéger la santé publique, à savoir l’un des objets de l’action communautaire en matière d’environnement prévu à l’ex-article 130 r (1)[84]. Pour justifier cette exclusion, la Cour s’appuie sur l’ex-article 130 r (2) :

en vertu duquel les exigences en matière de protection de l’environnement sont une composante des autres politiques de la Communauté. Cette disposition qui traduit le principe que toutes les mesures communautaires doivent répondre aux exigences de protection de l’environnement implique qu’une mesure communautaire ne saurait relever de l’action de la communauté en matière d’environnement en raison du seul fait qu’elle tient compte de ces exigences[85].

Dans l’arrêt Tchernobyl, la décision de la CEJ évoque une combinaison des théories de la Commission et du Conseil sur la portée de la PCC. Ainsi, s’appuyant « sur des éléments objectifs susceptibles de contrôle juridictionnel », la Cour choisit la base juridique du règlement attaqué en fonction notamment de son objectif, tel qu’il est énoncé dans ses considérants, à savoir que la Communauté doit :

veiller [...] à ce que les produits agricoles et transformés, destinés à l’alimentation humaine et susceptibles d’être contaminés, ne soient introduits dans la Communauté que selon des modalités communes et qu’il importe que ces modalités communes sauvegardent […] l’unicité du marché et préviennent les détournements de trafic[86].

La CEJ analyse aussi le contenu des dispositions du règlement en question et elle constate qu’elles ont avant tout pour but d’établir « des règles uniformes en ce qui concerne les conditions dans lesquelles les produits agricoles susceptibles d’être contaminés peuvent être importés [nos italiques] dans la Communauté en provenance des pays tiers »[87]. Conséquemment, estime la Cour, les éléments objectifs susmentionnés du règlement analysé, soit son but et son contenu, conduisent à la conclusion qu’il a pour objet de régir les échanges entre la CEE et les pays tiers et qu’il relève donc de l’ex-article 113 TCEE[88].

c) Remarques sur le recours à la mixité même dans le contexte d’une PCC interprétée largement

Dans les paragraphes précédents, nous avons constaté la propension de la Cour à interpréter largement l’ex-article 113 depuis l’Avis 1/78[89]. Comme nous le verrons, l’Avis 1/94[90], rendu dans le contexte du cycle d’Uruguay[91], s’écartera de cette tendance. La CEJ y modifiera effectivement son point de vue sur le contenu de cette disposition. Ce changement s’explique en grande partie par la multiplicité des sujets abordés dans ce cycle. À cette occasion, le Conseil, le Parlement européen (PE) et plusieurs États membres adoptèrent une attitude négative et méfiante à l’égard d’une PCC jusqu’alors largement interprétée. Ils craignaient que l’ex-Communauté se voit reconnaître la compétence d’attribution intrinsèquement exclusive de conclure une pareille ronde de négociations[92].

Cela dit, avant de passer à l’analyse de la position modifiée de la CEJ dans l’Avis 1/94 sur la portée de l’ex-article 113, il convient de signaler l’attitude ambivalente de cette cour même dans le contexte d’une PCC interprétée largement. En effet, dans son Avis 1/78, la Cour s’est montrée étonnamment ouverte au recours à la mixité pour un traité qu’elle avait par ailleurs estimé relever de la PCC et par conséquent de la seule compétence de l’ex-CEE.

Dans cet Avis 1/78[93], la Cour, rappelons-le, affirme clairement que l’Accord international sur le caoutchouc naturel de la CNUCED relevait de la compétence intrinsèquement exclusive de l’ex-CEE, selon l’ex-article 113 TCEE et ce, d’autant plus si les charges financières prévues par l’accord étaient inscrites au budget communautaire[94]. Toutefois, précise-t-elle, si le financement du stock régulateur créé par l’accord susmentionné devait dépendre des budgets des États membres, la Cour estime alors que cela impliquerait la participation de ces États aux mécanismes décisionnels du stock « ou, à tout le moins, leur accord sur les modalités de financement envisagées et par conséquent leur participation à l’accord ensemble avec la Communauté. Une compétence exclusive de la Communauté ne pourrait être envisagée dans cette hypothèse »[95].

Plusieurs auteurs émirent alors de vives critiques envers cette partie de l’Avis 1/78 qui représentait évidemment une réponse pragmatique de la Cour aux pressions internes des États membres de l’ex-CEE. La plus importante, selon nous, tient au fait que l’Avis 1/78 donne la possibilité aux membres du Conseil de décider de la procédure de conclusion d’un accord, soit par la seule ex-CEE, soit sous la forme d’un « faux accord mixte »[96], simplement en optant pour un mode de financement plutôt que pour un autre[97], alors que les dispositions normatives de l’accord relèvent entièrement de la compétence intrinsèquement exclusive de l’ex-CEE. Pour les tenants d’une telle critique, cette faculté du Conseil mettait en danger les pouvoirs externes de l’ex-CEE, en laissant le financement déterminer l’exclusivité de l’intervention plutôt que de laisser l’exclusivité d’une compétence déterminer le responsable du financement[98]. À l’époque, l’Avis 1/78 eut effectivement pour conséquence de mener à la conclusion, en mars 1981, d’un arrangement entre la Commission et le Conseil, désigné sous le nom de PROBA 20[99], en vertu duquel toute convention future sur les produits de base relevant du programme intégré de la CNUCED adopté en 1976[100], devrait être conclue sous la forme d’un « faux accord mixte », impliquant l’intervention des États membres aux côtés de l’ex-CEE. Dans le même ordre d’idée, l’arrangement entre le Conseil et la Commission nommée PROBA 33[101] organisa l’acceptation conjointe par l’ex-CEE et par les États membres des statuts du Groupe d’étude internationale du nickel (GEIN) ainsi que la participation conjointe de l’ex-CEE et des États membres dans la structure institutionnelle du GEIN. En concluant l’arrangement PROBA 33, la Commission et le Conseil écartèrent ainsi volontairement la question relative à la compétence respective de la CEE et des États membres d’accepter les statuts des différents groupes d’études sur les produits de base et de participer à leurs travaux. Dans le même ordre d’idées, signalons aussi la décision du Conseil concernant la signature et la conclusion de l'Accord international de 2001 sur le café[102], adopté sur la base de l’ex-article 133 TCE (TA)[103], qui au point 5 de son préambule stipulait que : « Nonobstant la compétence exclusive de la Communauté en la matière, et afin d'éviter certains problèmes pratiques temporaires, il y a lieu d'autoriser les États membres à conclure l'accord, parallèlement à la Communauté, et à participer à titre temporaire au nouvel arrangement »[104].

D’aucuns, reprochèrent également à l’Avis 1/78 de contredire l’Avis 1/75[105] où la Cour avait écarté le recours à l’accord mixte[106] malgré l’allégation que les charges financières de l’accord incombaient directement aux États membres[107]; opinion qui fut par ailleurs contestée par les auteurs Eeckhout et Neframi qui soulignèrent la différence entre ces deux avis. Selon ses derniers, l’objectif de la convention impliquée dans l’Avis 1/75 était de mettre un plafond sur les crédits à l’exportation offerts par les États participants, sans les obliger à s’engager dans de telles dépenses, tandis que dans le contexte de l’Avis 1/78, les parties à l’accord en cause devaient financer le stock régulateur qui occupait une place centrale et faisait partie de l’objet même de ladite convention, justifiant ainsi sa mixité[108].

Cela étant, notre objectif ici n’est pas de trancher entre les critiques et les justifications doctrinales suscitées après coup par l’Avis 1/78. Nous désirons plutôt attirer l’attention sur cette jurisprudence et ces précédents où l’on n’a pas hésité, par pragmatisme et par réalisme politique, à exiger le recours au « faux accord mixte » afin de contenir les tensions internes susceptibles de perturber le bon fonctionnement de l’ex-CE/UE et de maintenir l’harmonie qui doit régner entre ses acteurs[109].

Signalons également que le recours à un « faux accord mixte » dans un domaine relevant d’une compétence intrinsèquement exclusive comme la PCC (ou devenu exclusif par acquisition en raison de la préemption[110]) s’explique aussi par des facteurs qui sont indépendants ou extérieurs à l’ordre juridique de l’ex-CE/UE. Il en serait ainsi : 1) si la convention est négociée dans le cadre d’une organisation internationale dont le statut ne permet pas à l’Union européenne d’y participer (ex : l’Organisation internationale du travail (OIT), l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) et l’Organisation maritime internationale (OMI)[111]), 2) si les partenaires conventionnels potentiels de l’ex-CE/UE refusent ou évitent toute relation directe avec elle (ex : l’attitude des ex-États socialistes)[112] et 3) si les États tiers exigent l’inclusion d’une clause de mixité obligatoire dans la convention dont l’effet est d’autoriser une organisation internationale, telle l’ex-CE/UE, à y participer uniquement si ses États membres en sont aussi des parties contractantes[113]. Dans les situations précédentes, les membres n’interviennent pas en leur propre nom comme États souverains, mais plutôt comme organes de l’ex-CE/UE et sur mandat de celle-ci, octroyé par le biais d’une décision du Conseil, qui les autorise à conclure le traité envisagé[114]. Ils posent conséquemment une actio pro communitate. Un tel « faux accord mixte » est pour les cocontractants une convention des États membres dans l’ordre juridique international alors que dans l’ordre juridique intraeuropéen, il ne lie que l’UE, qui devra donc l’appliquer ou le mettre en oeuvre[115].

Dans la rubrique précédente, nous avons fait état du courant jurisprudentiel issu de l’Avis 1/78[116] où la CEJ adopte globalement une vision large de la compétence intrinsèquement exclusive de l’ex-CE en matière de PCC. Dans le prochain point, nous constaterons le changement de cap de la CEJ à partir de l’Avis 1/94[117], qui fut émis à l’occasion de la ronde de négociations commerciales du cycle d’Uruguay[118].

2. L’Avis 1/94 et ses répercussions

a) L’espoir déçu par une interprétation restreinte de la PCC dans l’Avis 1/94

En plus de s’être prononcée sur l’étendue des « compétences externes implicites par acquisition » de l’ex-CE[119] en relation avec les accords commerciaux multilatéraux du cycle d’Uruguay[120], la Cour devait aussi, pour répondre à la demande d’avis de la Commission introduite au titre de l’ex-article 228 (6) TCE (TM)[121], examiner si l’ex-article 113 TCE (TM)[122] s’appliquait aux accords susmentionnés. La Commission alléguait, en effet, que lesdites conventions relevaient du pouvoir d’attribution intrinsèquement exclusif de l’ex-CE en matière de PCC[123]. Après avoir écarté, à l’instar de l’Avis 1/75[124], l’argument portugais selon lequel la contribution des États membres au budget de fonctionnement de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) justifiait à elle seule la participation de ces derniers à la conclusion de l’Accord OMC[125], la Cour soulève dans l’Avis 1/94 plusieurs motifs qui l’amènent à classer ce traité dans la catégorie des conventions mixtes[126].

S’agissant des Accords multilatéraux sur le commerce des marchandises (Annexe 1A)[127], on s’est entendu, dès le départ, qu’ils relevaient, pour la plupart, de la compétence d’attribution intrinsèquement exclusive de l’ex-CE au titre de la PCC. Seulement quelques doutes subsistaient sur l’application de l’ex-article 113 TCE (TM) dans certaines situations. Ainsi, si les conventions susmentionnées devaient s’appliquer à des produits Euratom, l’ex-article 113 TCE (TM) serait toujours pertinent selon la Cour, vu que le Traité Euratom[128] ne comportait aucune disposition sur le commerce extérieur[129]. Dans le cas des produits soumis au Traité CECA[130], la CEJ reprend et complète le raisonnement qu’elle avait suivi dans l’Avis 1/75[131]. La Cour signale d’abord que l’ex-article 71 du Traité CECA fut rédigé à une époque où l’ex-CEE n’existait pas. Cette disposition ne pouvait donc avoir en vue que les produits du charbon et de l’acier, ce qui demeure vrai, ajoute la Cour, même si l’ex-article 232 (1) TCE (TM)[132] spécifie que le TCE ne modifie pas les dispositions du Traité CECA[133]. Selon la CEJ, l’article 71 du Traité CECA :

ne saurait réserver un titre de compétence aux États membres que pour des accords portant spécifiquement sur les produits CECA. En revanche, la Communauté est seule compétente en vertu de l’[ex-] article 113 du Traité CE pour conclure un accord externe à caractère général, c’est-à-dire englobant toutes espèces de marchandises même si, parmi ces marchandises, il y a des produits CECA[134].

En l’espèce, conclut la CEJ, les Accords de l’Annexe 1A ne visent pas spécifiquement les produits CECA; ils relèvent conséquemment de la compétence d’attribution intrinsèquement exclusive de l’ex-CE en vertu de l’ex-article 113 TCE (TM)[135].

Quant à l’Accord sur l’agriculture[136], la CEJ s’en remet à son préambule où on souligne qu’il « a pour objet d’établir sur le plan mondial, un système de commerce de produits agricoles […] équitable et axé sur le marché ». Cet accord peut donc être conclu au titre de l’ex-article 113 TCE (TM) et ce, même si « les engagements souscrits dans le cadre de cet accord impliquent que des mesures d’exécution internes soient adoptées sur la base de l’ex-article 43 »[137] vu qu’ils affectent le régime interne d’organisation des marchés agricoles. En décidant ainsi, la Cour confirme qu’un traité conclu sur la base de l’ex-article 113, en raison de son aspect « commerce international », puisse requérir, pour sa mise en oeuvre interne, l’intervention d’une autre disposition, comme l’ex-article 43 TCE (TM), s’il impacte un régime communautaire intérieur[138].

Concernant l’Accord sur l’application des mesures sanitaires et phytosanitaires et l’Accord sur les obstacles techniques au commerce conclus dans le cadre du cycle d’Uruguay, la CEJ note qu’ils relèvent aussi de l’ex-article 113 TCE (TM), car ils visent tous les deux à réduire les obstacles non nécessaires au commerce international[139].

En résumé, selon l’Avis 1/94, tous les Accords de l’annexe 1A dépendent de la compétence d’attribution intrinsèquement exclusive de l’ex-CE au titre de l’ex-article 113 TCE (TM). Jusqu’ici, cet avis nous rappelle dès lors les thèses de la Commission sur la PCC[140].

Dans l’Avis 1/94, la Cour devait aussi se prononcer sur l’application de l’ex-article 113 TCE (TM) aux accords du GATS et de l’ADPIC[141] issus du cycle d’Uruguay[142]. Pour les services autres que les services de transports[143], la CEJ s’oppose à leur exclusion de principe du champ d’application de l’ex-article 113, vu l’évolution du commerce international et le caractère ouvert de la politique commerciale commune au sens du traité[144]. La Cour paraît ainsi s’inscrire dans la voie tracée par l’Avis 1/78, auquel elle réfère d’ailleurs expressément[145]. À l’appui, la CEJ invoque également l’Avis 1/75 qui reconnut que les crédits, couverts par l’ex-article 113, destinés au financement des dépenses locales liées à des opérations d’exportation concernent, sans distinction, les dépenses engagées pour la fourniture tant de biens que de services[146].

Cela dit, la Cour procède ensuite à l’analyse des quatre modes de fourniture de services prévus dans le GATS afin d’identifier ceux qui relèvent de la PCC. Elle estime que les fournitures transfrontalières de services sont couvertes par l’ex-article 113 TCE (TM), car elles n’impliquent « ni déplacement du prestataire vers le pays du bénéficiaire ni, en sens inverse, déplacement du bénéficiaire vers le pays du prestataire »[147]. La Cour voit dans cette situation une analogie avec l’échange de marchandises qui dépend de la PCC de l’ex-CE[148].

Pour les trois autres types de services du GATS qui supposent un franchissement des frontières extérieures des États membres par des prestataires ou des bénéficiaires de services ressortissants d’États tiers[149], la CEJ estime que de tels services ne relèvent pas de la PCC. La Cour souligne effectivement l’existence dans le traité de chapitres consacrés à la libre circulation des personnes[150], tant physiques que morales, qui, en raison de leur nature spécifique, doivent englober les trois modes susmentionnés de fourniture de services. Contrairement à l’ex-article 113 TCE (TM), lesdits chapitres confèrent à l’ex-CE une compétence uniquement ex-concurrente[151].

Les services de transports reçoivent de la part de la CEJ un traitement similaire au sort réservé aux trois modes de services impliquant le déplacement transfrontalier de personnes. La Cour indique que les services de transports sont couverts par un titre spécial du TCE (TM), soit l’ex-titre IV[152]. C’est donc ce titre qui doit s’appliquer aux transports et non la PCC. Cette conclusion, ajoute la Cour, s’impose d’autant plus que la théorie des « compétences externes implicites » fut développée, dans la jurisprudence AETR et Avis de la Cour du 26 avril 1977 – Avis rendu en vertu de l'article 228, paragraphe 1, alinéa 2 du traité CEE – Projet d’accord relatif à l’institution d’un Fonds européen d’immobilisation de la navigation intérieure (Avis 1/76)[153], au sujet de conventions concernant des questions de transport, ce qui revenait en fait à exclure de tels traités de l’ex-article 113[154]. L’opinion de la Cour sur cette question reste inchangée, malgré l’existence de multiples précédents, cités par la Commission, où l’interruption des services de transports avait accompagné des mesures d’embargo sur l’exportation et l’importation de produits fondées sur l’ex-article 113. Pour la Cour, de telles interruptions représentaient uniquement des accessoires nécessaires à la réalisation des mesures principales d’embargo, qui, en conséquence, devaient recevoir la qualification juridique de ces dernières[155]. À l’appui de sa position, la CEJ invoque également une jurisprudence constante selon laquelle « une simple pratique du Conseil n’est pas susceptible de déroger à des règles du traité et ne peut […] créer un précédent […] quant au choix de la base juridique correcte »[156]. En résumé, selon la Cour, la compétence de l’ex-CE sur les services de transports ne relève donc pas de la PCC. Elle se fonde plutôt, sur un titre particulier du TCE (TM) qui confère des pouvoirs communautaires de nature ex-concurrente[157].

Sur l’ADPIC, la Cour estime que les dispositions interdisant la mise en libre pratique de marchandises de contrefaçon relèvent de l’ex-article 113 TCE (TM), car ces mesures sont appliquées par les autorités douanières aux frontières extérieures de l’espace communautaire. En dehors des règles susmentionnées, l’ex-article 113 TCE (TM), affirme la Cour, ne couvre pas le reste de l’ADPIC. La CEJ admet qu’il y a un lien entre la propriété intellectuelle et le commerce des marchandises. En effet, « [p] ouvoir interdire l’usage d’une marque, […], la copie d’un modèle, la reproduction d’un livre, […] a immanquablement des effets sur le commerce »[158]. Toutefois, « les droits de propriété intellectuelle ne portent pas spécifiquement sur les échanges internationaux [… car] ils touchent tout autant et sinon plus au commerce interne qu’au commerce international »[159]. Pour la Cour, l’objectif premier de l’ADPIC est d’harmoniser la protection de la propriété intellectuelle à l’échelle mondiale[160]. D’ailleurs,

[l] a Commission elle-même a admis que, comme [l’ADPIC] fixe des règles [internationales] dans des domaines où il n’y pas d’harmonisation communautaire, sa conclusion permettrait de réaliser, dans le même temps une harmonisation à l’intérieur de la Communauté et, par-là, de contribuer à l’établissement et au fonctionnement du marché commun[161].

Un tel argument, soutient la CEJ, est inacceptable pour justifier la conclusion de l’ADPIC sur la base de l’ex-article 113 TCE (TM), car le pouvoir interne communautaire d’harmoniser des législations nationales concernant la propriété intellectuelle dépend en fait des ex-articles 100, 100 (a) ou 235 TCE (TM)[162], lesquels sont en outre soumis à des exigences procédurales bien supérieures à celles qu’impose l’ex-article 113 TCE (TM)[163]. En conséquence, déclare la CEJ :

[s]i une compétence exclusive était reconnue à la Communauté pour s’engager dans des accords avec des pays tiers en vue de l’harmonisation de la protection de la propriété intellectuelle et pour réaliser, dans le même temps, une harmonisation sur le plan communautaire, les institutions communautaires seraient en mesure de se soustraire aux contraintes qui leur sont imposées sur le plan interne en ce qui concerne la procédure et le mode de vote[164].

Finalement, rappelle la CEJ, aucune pratique des institutions de l’ex-CE, où de telles mesures auraient déjà été adoptées au titre de l’ex-article 113[165], ni aucune clause relative à la propriété intellectuelle, figurant uniquement à titre accessoire, dans des accords validement conclus sur la base de l’ex-article 113[166] ne lui permettent de déroger aux dispositions du TCE lorsqu’elle choisit la base juridique correcte d’un acte communautaire. Pour la Cour, un accord international comme l’ADPIC ne saurait donc relever de la seule compétence communautaire au titre de l’ex-article 113 TCE (TM), sauf pour la mise en libre pratique de marchandises de contrefaçon[167].

Avec l’Avis 1/94, l’ex-article 113 fut privé d’une grande partie du potentiel que la jurisprudence antérieure semblait vouloir lui attribuer. Avec cet avis, la teneur de la politique commerciale de l’ex-CE devint nettement différente de celle d’un État souverain[168], contrairement à ce qu’avait déclaré la Cour dans l’Avis 1/75[169]. En raison de cette affaire, les États membres obtinrent ainsi au sein de l’OMC plus de pouvoirs en matière de services et de propriété intellectuelle que l’ex-CE. L'auteur Denys Simon remarqua à l’époque que la Cour était conséquemment revenue à une version étriquée de l’article 113[170].

Lors de l’analyse de l’Avis 1/94, nous avons constaté que, malgré certaines références préliminaires de la Cour favorables à l’Avis 1/78[171], l’ensemble de son raisonnement eut plutôt pour effet d’en réduire l’impact. Les compétences communautaires intrinsèquement exclusives découlant de l’ex-article 113 s’en trouvèrent réduites au minimum. Le recours à l’accord mixte classique s’imposa donc pour conclure l’Accord OMC et ce, d’autant plus, que l’ex-CE n’avait pas, selon la Cour, la compétence exclusive par acquisition de s’engager envers lui, vu que la préemption complète était inexistante sur plusieurs questions couvertes par ce traité[172]. Après l’Avis 1/94, la participation directe des États membres, aux côtés de l’ex-Communauté, devint donc requise pour toutes futures négociations internationales concernant des secteurs non traditionnels du commerce interétatique. Les pressions intracommunautaires résultant de l’intervention de nombreux États membres dans l'Affaire 1/94 expliquent sûrement ce revirement de position de la CEJ sur la PCC. En outre, lors de la Conférence intergouvernementale sur l’Union politique lancée en décembre 1990, qui mena au Traité de Maastricht, les États membres avaient rejeté les propositions de la Commission visant à incorporer dans le TCEE la notion de

politique commune des relations économiques extérieures qui devait englober non seulement les échanges de marchandises, mais aussi les régimes de crédit à l’exportation, les échanges de services, de capitaux et d’investissements [… et] les relations en matière de propriété intellectuelle[173].

Dans un tel contexte, la Cour, n’a vraisemblablement pas voulu que soit réalisé par interprétation judiciaire, ce que les États membres avaient refusé lors de la Conférence susmentionnée[174].

Pour certains auteurs, la CEJ a probablement souhaité définir, dans l’Avis 1/94, une PCC dont la portée et l’application étaient consistantes avec l’état d’avancement de la répartition, alors effective, des compétences au niveau intracommunautaire[175]. À l’instar de l’agriculture, elle aurait conséquemment fait intervenir la PCC uniquement si les normes conventionnelles proposées relevaient déjà en tant que mesures autonomes internes non plus de la compétence des États membres, mais plutôt de la compétence exclusive par acquisition de l’ex-CE. Ainsi, comme la réglementation sur les services provenait encore des États membres et non de l’ex-CE lors de l’Avis 1/94, le GATS portait effectivement atteinte à certains aspects de cette législation étatique[176]. Selon le professeur Eeckhout : « The Court may have been reluctant to effect, through judicial pronouncement rather than political consensus, what it perhaps saw as a significant transfer of competences from the Member States to the Community, particularly in light of the exclusive nature of trade policy competences »[177].

Cela dit, voyons maintenant jusqu’à quel point la jurisprudence ultérieure de la CEJ s’est inscrite dans la voie tracée par l’Avis 1/94. Dans les paragraphes suivants, nous ferons également état des amendements successifs qui furent apportés aux traités fondateurs[178] afin d’atténuer l’impact de l’Avis 1/94 sur les pouvoirs communautaires en matière de commerce international. Ce faisant, nous mettrons évidemment l’accent sur les modifications importantes apportées à la PCC par le TL.

b) La continuité dans la jurisprudence postérieure à l’Avis 1/94

Dans l’Avis de la Cour du 24 mars 1995 - Compétence de la Communauté ou de l'une de ses institutions pour participer à la troisième décision révisée du Conseil de l'OCDE relative au traitement national (Avis 2/92)[179], la Cour détermine, si l’ex-CE détient, selon l’ex-article 113 TCE, la compétence de participer seule à la « troisième décision » du Conseil de l’OCDE. Suivant cette décision, les pays membres de l’OCDE et l’ex-Communauté s’engagent à octroyer aux entreprises opérant sur leur territoire, qui sont contrôlées par des ressortissants d’un autre pays membre de l’OCDE, un traitement non moins favorable que celui dont bénéficient les entreprises nationales[180]. Cette règle du traitement national, constate la Cour, concerne autant les échanges intracommunautaires, lesquels sont régis par les règles du marché intérieur de l’ex-Communauté et non par sa PCC, que les conditions de participation des entreprises sous contrôle étranger aux échanges commerciaux internationaux de l’ex-CE avec des pays tiers[181]. De plus, comme elle vise aussi les transports internationaux de l’ex-CE avec des pays tiers, elle se situe assurément, vu l’Avis 1/94, hors du domaine d’application de l’ex-article 113[182]. La Cour conclut donc que la compétence pour participer à la « troisième décision » de l’OCDE était partagée entre les États membres et l’ex-CE[183]. Conséquemment, le recours à l’accord mixte classique aurait dû être privilégié en l’espèce.

L’énoncé de l’Avis 2/92 sur les transports internationaux s’inscrit clairement dans la voie tracée par l’Avis 1/94[184]. L’influence de ce dernier avis nous paraît également vraisemblable lorsque la Cour écarte l’application de la PCC en raison de l’impact de la « troisième décision » de l’OCDE sur les échanges intracommunautaires. Dans l’Avis 2/92, la Cour avait effectivement relevé l’existence de mesures susceptibles de fonder une certaine compétence externe implicite exclusive de l’ex-CE au sens de l’arrêt AETR[185]. Toutefois, elle n’en avait pas pour autant conclu à la préemption complète[186] en faveur de l’ex-CE, car cette réglementation ne couvrait pas tous les domaines d’activité visés par la « troisième décision » de l’OCDE[187]. Dans la logique de l’Avis 1/94, où le contenu de la PCC sembla dépendre de la répartition effective des compétences au niveau intracommunautaire[188], il eut été étonnant, après une telle exclusion de la préemption complète, que la Cour reconnaisse, en vertu de l’ex-article 113 TCE[189], la compétence exclusive de l’ex-Communauté sur la « troisième décision » de l’OCDE.

En 1995, l’affaire Werner[190] portait sur le refus de la République fédérale d’Allemagne (RFA) d’octroyer une licence pour l’exportation de pièces d’équipement vers la Libye, pour le motif qu’elles pourraient servir à la production de missiles. Similairement, dans l’arrêt Leifer[191], un certain nombre de personnes furent poursuivies au criminel pour avoir notamment exporté des produits chimiques vers l’Irak sans avoir obtenu au préalable une licence d’exportation des autorités compétentes de la RFA. Celles-ci estimaient que lesdits produits chimiques avaient été utilisés dans le cadre du programme irakien d’armement chimique. Dans ces deux affaires, il fut demandé à la CEJ[192] d’évaluer si un État membre peut adopter des mesures nationales qui exigent l’obtention d’une licence pour exporter des biens « à double usage », utilisables à des fins civiles ou militaires, afin de protéger la sécurité et la politique étrangère de cet État. En réponse, la Cour affirme « [qu’] une mesure [nationale] ayant pour effet d’empêcher ou de restreindre l’exportation de certains produits [...] ne saurait être soustraite du domaine de la politique commerciale commune au motif qu’elle vise à atteindre des objectifs de politique étrangère et de sécurité »[193] ou parce que la restriction à l’exportation concerne des produits à « double usage »[194]. Pour la Cour, comme l’entière responsabilité de la PCC relève de l’ex-CE, un État membre ne peut pas en restreindre la portée en décidant unilatéralement, à la lumière de ses propres impératifs de politique étrangère ou de sécurité qu’une de ses mesures relève ou non de l’ex-article 113 TCE[195], sauf s’il peut établir que ladite mesure nationale fut spécifiquement autorisée par l’ex-CE par l’article 11 du règlement communautaire n° 2603/69[196] relatif au régime commun des exportations[197].

Le raisonnement de la CEJ en ces deux affaires rappelle jusqu’ici la thèse instrumentale de la Commission[198], car les mesures réglementent spécifiquement le commerce avec les États tiers sans vouloir en influencer le volume. D’un côté, on peut aussi estimer qu’elles s’inscrivent dans la voie tracée par l’Avis 1/78, puisque la Cour y autorise l’action des États membres dans un domaine de PCC qui relève par ailleurs de la compétence intrinsèquement exclusive de l’ex-CE[199]. Bien que la question du recours à l’accord mixte n’entrait aucunement en ligne de compte dans ces décisions, une telle façon de procéder évoque une forme de mixité pragmatique. D’un autre côté, ces deux décisions ne s’éloignent pas, à notre avis, de la retenue judiciaire qui expliqua, pour une certaine doctrine, l’interprétation restrictive que la Cour donna à l’ex-article 113 TCE dans l’Avis 1/94[200]. Effectivement, dans les arrêts Werner et Leifer, la Cour a finalement validé les mesures nationales de la RFA exigeant l’obtention d’une licence pour l’exportation de biens à « double usage », pour le motif que celles-ci relevaient du domaine de l’article 11 du règlement n° 2603/69 et qu’elles étaient en conséquence autorisées par cette disposition[201]. Conséquemment, tout comme la structure et l’organisation interne de l’ex-Communauté orienta, selon certains, le raisonnement adopté dans l’Avis 1/94, nous sommes d’avis que les affaires Werner et Leifer témoignent également du même souci de la Cour de définir une PCC qui ne soit pas dissociée et indépendante du système communautaire auquel elle doit son existence.

Quant à l’affaire C-360/93 (Marchés)[202], la CEJ s’inspire directement de l’Avis 1/94, pour annuler une décision du Conseil adoptée sur la base de l’ex-article 113 TCE. Cette décision approuvait la conclusion d’un accord entre l’ex-CEE agissant seule, sans la participation des États membres, et les États-Unis dont l’objet était d’étendre les bénéfices d’une directive communautaire en matière de marchés publics (90/531/CEE) aux entreprises américaines[203]. Ladite convention visait notamment d’éventuels contrats relatifs à la fourniture de biens ou d’autres services qui, selon la Cour, pourraient possiblement impliquer la présence commerciale ou la présence de personnes physiques sur le territoire où le service serait rendu. Se référant à l’Avis 1/94, la Cour rappelle que seule la livraison transfrontalière de services n’impliquant aucun déplacement de personnes pouvait relever de la PCC, ce qui n’était évidemment pas le cas en l’espèce[204].

Dans l’arrêt ERSA[205], la Cour décide que l’Accord CE-Hongrie sur les vins[206] relève de la compétence externe exclusive de l’ex-CE en vertu de l’ex-article 133 TCE (TN)[207] et non de la compétence partagée de l’ex-CE et des États membres en matière de protection des droits de la propriété intellectuelle, comme l’avaient allégué la Regione autonoma, ERSA et le gouvernement italien[208]. Pour la CEJ, bien que cet accord comporte un régime de protection des dénominations géographiques relevant de la propriété industrielle et commerciale, son objectif principal est :

de promouvoir les échanges commerciaux entre les parties contractantes en favorisant sur une base de réciprocité d’une part, la commercialisation des vins originaires des pays tiers concernés, en assurant à ces vins la même protection que celle prévue pour les [… vins] d’origine communautaire, et, d’autre part, la commercialisation dans ces pays tiers de vins originaires de la Communauté[209].

Cette convention, conclut la CEJ, représente conséquemment « un instrument influant directement sur le commerce des vins »[210]. Par ailleurs, notre lecture de cette affaire nous porte également à croire que cette décision s’inscrit dans la tradition de l’Avis 1/94. En effet, selon la Cour, l’Accord CE-Hongrie sur les vins relevait de l’article 63 du règlement communautaire no 822/87 qui prévoit

que les vins importés […] à l’aide d’une indication géographique, peuvent bénéficier pour leur commercialisation dans la Communauté, sous condition de réciprocité, du contrôle et de la protection prévus pour les v q p r d [vins de qualité produits dans une région déterminée] et que cette disposition sera mise en oeuvre par des accords avec les pays tiers intéressés à négocier et à conclure selon la procédure prévue à l’article 133 CE[211].

Au moment de sa conclusion, l’Accord CE-Hongrie en cause était donc directement lié à des mesures en vigueur de politique agricole commune, soit, en l’occurrence, le cadre réglementaire sur l’organisation commune du marché viti-vinicole[212]. Ainsi, à l’instar de l’Avis 1/94, nous avons ici l’impression que la Cour fait encore preuve de retenue judiciaire en conservant en l’espèce la même interprétation limitée de la PCC. Elle nous laisse en effet à penser qu’elle fait intervenir l’ex-article 133 TCE principalement parce que le domaine de l’accord en litige relevait déjà à l’interne de la compétence communautaire exclusive par le jeu de la préemption complète[213].

Finalement, pour bien mesurer l’impact qu’eut l’Avis 1/94 sur la jurisprudence ultérieure, il nous faut faire état de quatre litiges où la CEJ détermine lequel de l’ex-article 133 TCE[214] ou de l’ex-article 175 (1) TCE[215], relatif à la compétence communautaire ex-concurrente[216] en matière d’environnement, représente la base juridique correcte pour conclure ou mettre en oeuvre les accords concernés par ces affaires. D’abord, en 2001, l’Avis de la Cour du 6 décembre 2001 - Avis rendu en vertu de l'article 300 CE, Protocole de Cartagena (Avis 2/00)[217] met en cause le Protocole de Cartagena[218], adopté en 1997 dans le cadre de la Convention sur la diversité biologique de 1992[219]. En l’occurrence, la Cour répondait à une demande d’avis présentée par la Commission au titre de l’ex-article 300 (6) TCE (TA)[220] sur le choix de la base juridique appropriée pour conclure ledit protocole. La CEJ estime alors que

le protocole est, au regard [du contexte dans lequel il a été adopté[221]], de sa finalité et de son contenu, un instrument destiné essentiellement à prévenir les risques biotechnologiques[222] […] qui pourraient résulter des activités impliquant le traitement des OVM [organismes vivants modifiés], et notamment des mouvements transfrontières de ceux-ci[223] […], que ces déplacements poursuivent ou non des fins commerciales[224].

Le simple fait, ajoute la CEJ, qu’une mesure environnementale soit susceptible, comme en l’espèce, d’avoir des implications sur les échanges commerciaux ne suffit pas pour la faire relever de l’ex-article 133 TCE (TA) et ce, car la PCC ne bénéficie d’aucune priorité sur les autres champs de compétences communautaires[225]. Selon la Cour, le protocole relève de la politique environnementale de l’ex-CE, car il ne représente pas un instrument qui a pour but de promouvoir, de faciliter ou de régir les échanges commerciaux. L’ex-CE devait donc s’appuyer sur l’ex-article 175 (1) TCE (TA) pour le conclure et non sur l’ex-article 133 TCE (TA)[226]. De plus, comme la CEJ note en l’espèce que « l’harmonisation réalisée sur le plan communautaire, dans le domaine d’application du protocole, ne couvre que très partiellement [par préemption limitée[227]] un tel domaine »[228], on peut vraisemblablement en déduire qu’à l’exemple de l’Avis 1/94, la Cour n’a pas voulu définir une PCC qui soit dissociée de la répartition des compétences prévalant alors au niveau intracommunautaire[229]. Pour la Cour, l’ex-Communauté « et ses États membres » avaient ainsi « une compétence partagée pour conclure le protocole[230] »; celui-ci aurait dû conséquemment prendre la forme d’un accord mixte classique.

En 2002, l’affaire C-281/01[231] porte sur l’Accord Energy Star[232]. Suivant cette entente, l’ex-CE et les États-Unis conviennent de coordonner leurs programmes respectifs d’étiquetage de l’efficacité énergétique des équipements de bureau, en introduisant sur le marché communautaire le programme américain d’étiquetage « Energy Star », plutôt que d’y développer un programme d’étiquetage distinct. D’après la Cour, l’Accord Energy Star « poursuit à la fois un objectif de politique commerciale et un objectif de protection de l’environnement »[233], car :

une telle coordination facilite nécessairement le commerce dans la mesure où les fabricants ne doivent plus se référer qu’à une seule norme en matière d’étiquetage et se soumettre qu’à une seule procédure d’enregistrement auprès d’un seul organe de gestion pour la commercialisation d’équipements arborant le logo Energy Star sur les marchés européen et américain[234].

De plus, ajoute la Cour, en stimulant l’offre et la demande de produits énergétiquement efficaces, le programme d’étiquetage constitue également une mesure de politique environnementale, puisqu’il est destiné à promouvoir des économies d’énergie[235]. Toutefois, constate la CEJ, de telles économies et les bénéfices pour l’environnement qui en résulteront ne représentent que des « effet[s] indirect[s] et lointain[s] », alors que son impact « sur le commerce des équipements de bureau […] est direct et immédiat »[236]. Le programme d’étiquetage Energy Star est avant tout, estime la Cour, un instrument portant directement sur le commerce des équipements de bureau, car il a principalement et de façon prépondérante pour objectif de permettre aux fabricants de faire usage « d’un logo commun pour identifier, à l’intention des consommateurs, certains produits [… énergétiquement efficaces], qu’ils entendent commercialiser sur les marchés américain et communautaire »[237]. Finalement, affirme la CEJ, le fait que l’Accord Energy Star relève de l’ex-article 133 TCE (TA)[238] en tant qu’instrument de réglementation du commerce extérieur communautaire n’empêche pas que les dispositions sur la réalisation de la politique environnementale et du marché intérieur communautaires aient été choisies comme bases juridiques pour mettre en oeuvre les effets intracommunautaires de cet accord. Pour la Cour, l’ex-article 133 TCE (TA) a trait « au commerce extérieur, il ne pourrait pas, servir de base juridique pour une mesure ayant uniquement des effets »[239] à l’intérieur de l’ex-CE. Cette position, rappelons-le, est en tout point conforme à l’énoncé de la Cour sur la mise en oeuvre de l’Accord sur l’agriculture dans l’Avis 1/94[240].

En outre, comme le Conseil signale dans son argumentation présentée à la Cour l’existence entre autres du règlement communautaire « no 880/92 du 23 mars 1992 concernant un système communautaire d’attribution de label écologique »[241], fondé sur l’ex-article 130 (s) TCEE[242], on peut, sous toutes réserves penser que, lors de la conclusion de l’Accord Energy Star, le domaine concerné relevait déjà, en application du principe de la préemption complète[243], de la compétence exclusive de l’ex-CE. Dans la logique de l’Avis 1/94[244], il devenait politiquement acceptable pour les États membres et plus facile pour la CEJ de fonder ledit accord sur la PCC vu que cela correspondait de toute manière au système communautaire de partage des compétences internes et ce, d’autant plus que le programme d’étiquetage Energy Star présentait « un caractère non contraignant »[245].

En 2006, dans l’affaire C-94/03 (Rotterdam)[246], la Commission invoque l’ex-article 230 TCE (TN)[247] pour demander l’annulation de la décision du Conseil 2003/106/CE[248] qui avait approuvé, au nom de l’ex-CE, la Convention de Rotterdam[249] pour le motif qu’elle était fondée sur l’ex-article 175 (1) TCE (TN) et non sur l’ex-article 133 TCE (TN)[250]. Pour la Cour, le préambule, le texte de la Convention de Rotterdam et les enceintes internationales (PNUE et FAO) où elle fut négociée indiquent clairement que celle-ci a pour objectif la protection de la santé humaine et de l’environnement. La CEJ note qu’en effet, cette entente vise notamment « à empêcher qu’une partie […] ne soit confrontée à l’importation de produits chimiques dangereux sans avoir eu, au préalable, la possibilité de prendre les précautions requises pour protéger la santé humaine et l’environnement »[251].

Toutefois, souligne la CEJ, il est également évident que la composante commerciale de cet accord n’est pas purement accessoire, car il contient des « normes qui régissent [le commerce ou] les échanges de produits chimiques dangereux, [lesquelles] ont des effets directs et immédiats sur ces échanges »[252]. À titre d’exemples, la Cour mentionne notamment : 1) la procédure de consentement préalable en connaissance de cause dont la mise en oeuvre est réglée par des dispositions de nature commerciale qui obligent les parties à établir un régime d’importation applicable aux produits soumis à cette procédure et les parties exportatrices à assurer le respect de tels régimes et 2) l’article 13 de la convention qui impose une obligation d’étiquetage approprié lors de l’exportation de produits chimiques dangereux. Pour la Cour, de telles mesures régissent évidemment le commerce international des produits concernés et elles relèvent en conséquence de la PCC[253]. De plus, ajoute-t-elle, il ressort du titre même de la Convention de Rotterdam

que cette dernière n’est applicable qu’à certains produits chimiques et pesticides dangereux qui font l’objet d’un commerce international lequel constitue, à son tour, une condition sine qua non de l’inscription desdits produits à l’annexe III de la convention et, partant, de leur participation à la procédure [de consentement susmentionné]. Un lien aussi explicite entre le commerce et l’environnement faisait défaut dans le protocole de Carthagène examiné par la Cour dans l’Avis 2/00[254].

Vu ce qui précède, la CEJ annule donc la décision du Conseil contestée en l’espèce, pour le motif que, tant sur le plan des finalités poursuivies que sur celui de son contenu, la Convention de Rotterdam comprend

deux composantes liées de façon indissociable, sans que l’une puisse être considérée comme seconde ou indirecte par rapport à l’autre, relevant l’une, de la politique commerciale commune [, soit de l’ex-article 133 TCE (TN)] et, l’autre, de la protection de la santé humaine et de l’environnement [, soit de l’ex-article 175 (1) TCE (TN)][255].

En outre, le texte même de la décision C-94/03 (Rotterdam) et le contexte communautaire, tel que décrit dans les conclusions présentées en l’occurrence par l’avocat général Kokott[256], nous amènent aussi à y retrouver la logique sous-jacente au raisonnement de la Cour dans l’Avis 1/94. D’abord, dans l’arrêt C-94/03 (Rotterdam), la CEJ réfère à certains règlements communautaires concernant les exportations et les importations de produits chimiques dangereux[257]. À l’instar de l’Avis 1/94, une pareille réglementation peut donc avoir incité la Cour à recourir à l’ex-article 133 TCE (TN), comme deuxième base juridique de la Convention de Rotterdam, pour les éléments de celle-ci qui relevaient déjà à l’interne de la compétence exclusive de l’ex-CE[258].

Quant au choix du pouvoir ex-concurrent[259] sur l’environnement prévu à l’ex-article 175 (1), comme autre base juridique de cet accord[260], il nous semble que, comme pour l’Avis 1/94, la Cour fit aussi preuve en l’espèce de retenue judiciaire. Nous sommes d’avis qu’elle témoigna alors de son souci de ne pas étendre le champ d’application de l’ex-article 133 TCE (TN) à des domaines qui risqueraient de porter atteinte à la répartition des compétences prévalant alors au niveau intracommunautaire[261]. Certains facteurs tirés du contexte entourant la Convention de Rotterdam ont pu effectivement conforter la Cour dans un tel choix. Ainsi, en décembre 2002, les États membres décidèrent à l’unanimité, par l’entremise du Conseil, de fonder la décision d’approuver la Convention de Rotterdam sur l’ex-article 175 (1) TCE (TN) plutôt que sur l’ex-article 133 TCE (TN), comme le proposait la Commission[262]. De plus, la plupart des États membres de l’ex-CE manifestèrent directement leur intérêt pour la Convention de Rotterdam en la ratifiant en leur propre nom[263], évoquant ainsi la procédure de l’accord mixte multilatéral[264]. En procédant de la sorte, ils démontraient, à notre avis, qu’ils avaient encore une compétence résiduaire en la matière[265]. En effet, même dans les domaines couverts par la réglementation communautaire mettant en oeuvre la Convention de Rotterdam[266], l’ex-article 176 TCE (TN) autorisait les États membres à adopter des mesures plus strictes, sur simple notification à la Commission[267]. Conséquemment, l’objet du recours de la Commission en l’espèce n’était clairement pas de savoir si l’ex-CE avait à l’époque une compétence exclusive par acquisition[268] en matière de politique environnementale[269]. La Cour n’avait donc pas à se prononcer sur cette question et par conséquent sur la mixité[270]. Toutefois, en choisissant les ex-articles 133 et 175 (1) comme doubles bases juridiques de la Convention de Rotterdam, la Cour, nous semble-t-il, souhaitait, à l’instar de l’Avis 1/94, rendre un jugement qui respectait l’état d’avancement de l’organisation interne du système communautaire de l’époque[271]. Elle tenait ainsi à fournir

des indications à l’attention des autres parties à la convention tant en ce qui concerne l’étendue de la compétence communautaire relative à cette convention […] qu’en ce qui concerne la répartition des compétences entre la Communauté et ses États membres[272].

Sur l’interaction entre la PCC et la compétence de l’ex-Communauté en matière d’environnement, mentionnons finalement l’arrêt C-411/06 (Transfert) du 8 septembre 2009[273]. En l’occurrence, la CEJ se prononce sur un recours de la Commission[274] qui demandait l’annulation du règlement communautaire no 1013/2006 concernant les transferts de déchets[275], pour le motif que celui-ci se fondait uniquement sur l’ex-article 175 (1) TCE (TN) et non sur les ex-articles 133 et 175 (1) TCE (TN)[276]. La Cour distingue d’abord le règlement de mise en oeuvre de la Convention de Rotterdam, validement fondé sur cette même double base juridique[277], du règlement attaqué en l’espèce. En effet, la Convention de Rotterdam, comme le règlement qui l’incorporait, avait « deux composantes relevant de la [PCC] et de la protection de la santé humaine et de l’environnement [qui étaient] liées de façon indissociable […] sans que l’une puisse être considérée comme seconde ou indirecte par rapport à l’autre »[278]. À l’égard du règlement 1013/2006, la Cour adopte plutôt une approche très semblable à celle de l’Avis 2/00[279] relatif au Protocole de Cartagena[280]. En bref, elle juge que tout

comme la procédure d’accord préalable en connaissance de cause établie par le Protocole de Cartagena […], la procédure de notification et de consentement écrits préalables prévus par le règlement attaqué [comme procédure principale de contrôle,] peut être qualifiée d’instrument typique de la politique de l’environnement[281].

Selon la Cour, tant par son objectif et son contenu[282], le règlement sur les transferts de déchets vise prioritairement à protéger la santé humaine et l’environnement. Il relève donc de l’article 175 (1) TCE (TN), « même si les mesures prévues par ledit acte sont susceptibles d’affecter les échanges commerciaux »[283]. Un acte communautaire, précise la Cour, relève de la compétence exclusive en matière de PCC uniquement

s’il porte spécifiquement sur les échanges internationaux en ce qu’il est essentiellement destiné à promouvoir, à faciliter ou à régir les échanges commerciaux et a des effets directs et immédiats sur le commerce ou les échanges des produits concernés[284].

En choisissant l’ex-article 175 (1) TCE (TN) comme fondement juridique correct du règlement sur les transferts de déchets, il nous semble, qu’à l’instar de l’Avis 1/94, la CEJ témoigna par la même occasion du souci de délimiter la portée de l’ex-article 133 TCE (TN) en fonction de l’état d’avancement effectif du partage des compétences intracommunautaires de l’époque. À notre avis, plusieurs éléments tirés du contexte entourant l’adoption dudit règlement confortèrent la Cour dans son choix de procéder de la sorte. Ainsi, la Convention de Bâle[285], mise en oeuvre en droit communautaire par le règlement attaqué no 1013/2006, fut elle-même conclue par une décision du Conseil adoptée le 1er février 1993 sur la base de l’ex-article 130 (s) TCEE, soit l’ex-175 :1 TCE (TN)[286]. De plus, ce règlement no 1013/2006 fut introduit pour remplacer et pour mettre à jour le règlement antérieur d’incorporation de la Convention de Bâle, daté du 1er février 1993, que l’arrêt C-187/93 avait reconnu comme étant justement fondé sur l’ex-article 130 (s) TCEE[287]. En outre, lors de la ratification de la Convention de Bâle en 1994 par l’UE, tous ses États membres la ratifièrent en leur propre nom. Par la suite, la plupart des nouveaux membres de l’UE manifestèrent directement leur intérêt pour cette convention en la ratifiant également[288], évoquant conséquemment la procédure de l’accord mixte multilatéral[289]. À notre avis, ils démontrèrent ainsi, tel que nous l’avons mentionné dans le contexte de la Convention de Rotterdam, qu’ils avaient encore une compétence résiduaire en la matière[290]. En effet, rappelons ici que, même dans les domaines couverts par la réglementation communautaire mettant en oeuvre la Convention de Bâle, l’ex-article 176 TCE (TN)[291] autorisait les États membres à adopter des mesures plus strictes, sur simple notification à la Commission.

c) Le point sur la PCC antérieure au TL

Des paragraphes qui précèdent, on remarque d’abord que, sauf pour les affaires Werner et Leifer, la CEJ n’a pas choisi entre les thèses « instrumentale et finaliste » défendues par les instances communautaires[292] pour modeler ses décisions ou ses avis sur l’étendue de la PCC. Au contraire, la Cour semble plutôt s’être inspirée d’un mariage des deux pour développer ses analyses. Ensuite, à l’instar de l’Avis 1/94, on note que, dans la jurisprudence ultérieure où des domaines également non traditionnels du commerce international firent l’objet du différend, soit dans l’Avis 2/92[293], dans l’affaire C-360/93 (Marchés)[294] et dans l’arrêt ERSA[295], la Cour nous paraît avoir maintenu la même interprétation restrictive de la PCC, en faisant intervenir cette compétence uniquement dans les cas de préemption complète interne en faveur de l’ex-Communauté sur un sujet donné. Finalement, on constate que le souci de la Cour dans l’Avis 1/94, de ne pas réaliser de « transfert judiciaire » de pouvoirs en faveur de l’ex-CE par le biais d’une interprétation large de la PCC, nous semble également présent dans les affaires étudiées relatives à des questions environnementales ou de politique étrangère et de sécurité nationale[296]. Pour la CEJ, il fallait effectivement éviter de modifier les compétences communautaires en l’absence de consensus politique préalable de la part des États membres[297].

À ce propos, en 2008, le professeur Panos Koutrakos releva également cette retenue judiciaire de la Cour à l’égard du champ d’application de la PCC qu’il expliqua de la façon suivante :

[I]n the early 1970s, [ex-]Article 133 EC was at the very core of the Community’s external relations. […A] widely understood CCP was essential to the effectiveness of the Community’s system of external relations. However as time went by, the development of the doctrine of implied external competence, its acceptance as part of the main stream EC external relations law and the introduction of new legal bases for external action at the successive amendments of the EC Treaty rendered [ex-]Article 133 EC a part of a [wider] system of EC external relations legal bases […]. The gradual establishment of this system entailed an equally gradual shift of emphasis from the need to consolidate the political and normative position of CCP to ensuring the effectiveness of the other legal bases provided in the EC Treaty[298].

Cela dit, il devint rapidement évident qu’une pareille interprétation limitée de la PCC pourrait avoir un impact négatif sur le rôle éventuel de l’ex-CE dans le développement du droit commercial international. Ainsi, en raison de la jurisprudence étudiée plus haut, qui imposait en fait la procédure mixte, c’est-à-dire l’intervention des États membres[299], pour la conclusion de plusieurs accords commerciaux communautaires, il devenait difficile, alléguaient les organes de l’ex-CE, d’être efficace et d’avoir un pouvoir de négociation réel au sein notamment d’un organisme comme l’OMC. En bout de ligne, ils estimaient que ce handicap pouvait avoir des conséquences sérieuses pour la croissance du commerce communautaire lui-même. Cependant, les États membres étaient assez satisfaits de cette solution qui les impliquait directement dans de nombreuses tractations commerciales. Toutefois, ils se rendaient compte que, dans certains cas, les résultats pourraient possiblement être plus avantageux si l’ex-Communauté ne parlait que d’une seule voix. Avec ce constat à l’esprit, les acteurs communautaires ont tenté, sous l’impulsion de la Commission[300], de concilier, avec plus ou moins de succès, ces deux positions. Différentes propositions furent dès lors incorporées dans les modifications successives du TCE, soit à l’occasion du Traité d’Amsterdam de 1999, du Traité de Nice de 2003 et du Traité de Lisbonne de 2009. Voyons, dans les prochains paragraphes, les solutions qui furent ainsi retenues.

III. La portée et l’étendue matérielle de la PCC : une détermination essentielle pour justifier le recours à l’accord mixte depuis le Traité de Lisbonne (TL)

A. La recherche d’une solution à l’impasse issue de l’Avis 1/94 menant au TL

D’abord, le Traité d’Amsterdam tente en 1999, de remédier à l’impasse provoquée spécialement par l’Avis 1/94, en ajoutant un paragraphe 5 à l’ex-article 133 TCE (TA). Cette nouvelle clause autorisait le « Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, [à] étendre l’application des paragraphes 1 à 4[301] [soit la PCC à l’époque de l’avis 1/94[302],] aux négociations et accords internationaux concernant les services et les droits de propriété intellectuelle dans la mesure où ils ne sont pas visés par ces paragraphes »[303]. Selon le professeur Eeckhout, ce nouveau paragraphe 5 était problématique au niveau de sa légitimité juridique, car il autorisait le Conseil à élargir les pouvoirs exclusifs de l’ex-CE par le biais d’une simple décision unanime de sa part[304]. Or, le Conseil est composé uniquement de représentants des gouvernements, lesquels n’ont souvent pas le pouvoir, en vertu de leur constitution interne, de transférer eux-mêmes des compétences à une organisation internationale[305]. Il conférait donc aux États membres du Conseil un pouvoir, politiquement quasi impraticable. Il ne représentait en fait que le maintien déguisé du statu quo, tel qu’il avait été établi notamment par l’Avis 1/94. De plus, cette nouvelle disposition permettait uniquement l’extension externe du champ d’application de la PCC dans les domaines des accords susnommés[306]. Elle ne visait pas la compétence de l’ex-CE d’adopter des mesures autonomes internes dans ces secteurs. Conséquemment, il en résultait uniquement une insertion partielle des services et de la propriété intellectuelle dans la PCC[307]. Le professeur Koutrakos constata également que l’ex-article 133 (5) TCE (TA) ne contenait aucune référence au domaine de l’investissement[308]. Finalement, ce nouveau paragraphe 5 de l’ex-article 133 TCE (TA) manquait nettement de clarté. La preuve en est que l’ex-article 133 (5) TCE (TA) n’indiquait pas s’il entendait conférer un caractère définitif à une pareille extension de la PCC. En outre, il ne précisait pas si cet élargissement devait englober nécessairement l’ensemble des accords susmentionnés ou s’il devait s’appliquer uniquement au cas par cas[309]. Étant donné ce qui précède, on ne saurait donc s’étonner du fait que l’ex-article 133 (5) TCE (TA) ne fut jamais appliqué[310].

Afin de remédier aux insuffisances de la solution arrêtée par le Traité d’Amsterdam (TA), le Traité de Nice (TN) introduit en 2003 l’ex-article 133 TCE (TN), dont les paragraphes 5 à 7 étaient destinés à étendre la PCC à certains secteurs commerciaux non traditionnels. À l’instar du TA, ces dernières dispositions instauraient un système qui ignorait, dans les nouveaux domaines commerciaux, le volet interne de la PCC pour ne s’attarder qu’à la dimension externe de celle-ci[311]. Mentionnons d’abord les paragraphes 1 à 4 de l’ex-article 133 TCE (TN), qui s’appliquaient aux accords commerciaux traditionnels relevant, selon l’Avis 1/94[312], de la compétence communautaire d’attribution intrinsèquement exclusive[313]. En raison de l’ex-article 133 (5) al 1 TCE (TN), les paragraphes 1 à 4 de l’ex-article 133 TCE (TN) s’appliquaient également aux autres « accords dans les domaines du commerce des services et des aspects commerciaux de la propriété intellectuelle » qui avaient été exclus de la PCC par l’Avis 1/94[314]. En principe, l’ex-article 133 (1) à (4) TCE (TN) conférait à l’ex-CE la compétence de négocier et de conclure seule les accords susdits après avoir notamment[315] obtenu l’autorisation du Conseil adopté à la majorité qualifiée[316]. Toutefois, pour les accords visés par l’ex-article 133 (5) al 1 TCE (TN) qui comprenaient des dispositions pour lesquelles le TCE (TN) requérait l’unanimité pour l’adoption de règles internes[317] ou qui portaient « sur un domaine dans lequel la Communauté n’a[vait] pas encore exercé, en adoptant des règles internes, ses compétences en vertu du [TCE (TN)] »[318], l’ex-CE pouvait, selon l’article 133 (5) al 2 TCE (TN), négocier et conclure seule de telles ententes uniquement après avoir obtenu l’autorisation du Conseil adoptées à l’unanimité[319].

Ainsi, même quand l’ex-article 133 (5) al 2 TCE (TN) reconnaissait à l’ex-CE le pouvoir d’agir seule à l’externe, cette compétence n’était pas exclusive au même titre qu’elle l’était pour les accords commerciaux traditionnels[320]. L’alinéa 2 de l’ex-article 133 (5) TCE (TN) rappelait les motifs sous-jacents qui expliquèrent l’interprétation restrictive que la CEJ donna à la PCC depuis l’Avis 1/94[321]. Cette disposition révélait en effet le souci des États membres de conserver le contrôle de leurs compétences externes dans les secteurs susnommés du commerce international, en favorisant une PCC dont le plein effet dépendrait, à l’instar de la compétence communautaire externe implicite par acquisition, de l’application de la préemption et de l’étendue de la compétence communautaire exclusive interne sur un sujet donné[322].

Dans le même ordre d’idée, l’ex-article 133 (5) al 4 TCE (TN) prévoyait que les États membres conservaient le droit de maintenir et de conclure des conventions dans les domaines visés par l’ex-article 133 (5) al 1 TCE (TN), soit sur les services et les aspects commerciaux de la propriété intellectuelle, « pour autant que lesdits accords respectent le droit communautaire et les autres accords internationaux pertinents »[323]. Conséquemment, il en résultait, selon les auteurs Schmitter et Smits, qu’en l’absence d’accord de l’ex-CE dans les domaines considérés, les États membres restaient « compétents pour exercer, sur le plan externe, la compétence [résiduaire] qui découle du caractère [ex-] concurrent de la compétence communautaire interne »[324] et que « les règles traditionnelles de répartition des compétences entre les États membres et la Communauté, résultant de la doctrine AETR[325], [trouvaient donc] à s’appliquer »[326]. Contrairement à la compétence détenue pour les accords commerciaux traditionnels, l’ex-CE ne disposait donc pas, en vertu de l’ex-article 133 (5) al 4 TCE (TN), d’une compétence d’attribution intrinsèquement exclusive totale dans les secteurs non traditionnels du commerce international[327].

L’ex-article 133 (6) al 1 et 2 TCE (TN) confirmait également l’intention des États membres de diluer le caractère exclusif de la PCC, en imposant la procédure mixte pour les ententes sur le commerce des services culturels, audiovisuels, sociaux, de santé humaine et d’éducation[328], ainsi que pour tout autre accord qui entraînerait une harmonisation des dispositions réglementaires ou législatives des États membres dans un domaine où le TCE (TN) excluait une pareille harmonisation. Cette disposition permettait évidemment aux États membres de protéger leurs compétences en ces matières. Elle privait l’ex-CE de toute autonomie externe dans ces domaines, en faisant dépendre ses initiatives de la volonté des États membres[329]. Finalement, l’ex-article 133 (6) al 3 TCE (TN) s’inscrivait aussi dans la voie tracée par l’Avis 1/94 puisque, comme lui, il excluait de la PCC les accords sur les services de transports, en les faisant relever de l’ex-Titre V TCE (TN)[330], où l’étendue de la compétence communautaire est déterminée en fonction de l’application des principes relatifs à la préemption[331].

On le constate, l’ex-article 133 TCE (TN) présentait une grande complexité. Ses termes firent l’objet de plusieurs interprétations incertaines, sur lesquelles il n’y eut aucun consensus[332]. Il est difficile d’imaginer qu’une pareille disposition puisse écarter le recours à la procédure mixte pour les accords que l’Avis 1/94 et la jurisprudence subséquente avaient exclus de la PCC[333]. Du reste, nous n’avons relevé qu’une seule circonstance où cette clause fut utilisée, ce qui confirme l’échec de la solution élaborée dans l’ex-article 133 TCE (TN)[334]. Il fallut attendre le Traité de Lisbonne[335], reprenant en cela le projet avorté de Constitution européenne[336], pour que soit proposée sur cette question une disposition plus satisfaisante et plus facile d’approche, soit l’article 207 TFUE[337].

L’article 207 TFUE, consacré à l’établissement d’une PCC mieux adaptée aux réalités du commerce extérieur actuel, diffère considérablement de l’ex-article 133 TCE (TN). D’abord, ses paragraphes 1 et 2 étendent le champ d’application de la PCC en y intégrant sans réserve le commerce des services, les aspects commerciaux de la propriété intellectuelle[338] et les investissements étrangers directs[339]. Dans ces matières, l’UE pourra ainsi non seulement conclure des accords internationaux, mais aussi adopter des mesures autonomes, ce qui n’était pas le cas avec l’article 133 (5) TCE (TN)[340]. De plus, les dispositions qui empêchaient l’exclusivité totale et de plein droit des compétences communautaires en certains secteurs de la PCC, tels les ex-articles 133 (5) al 2 et 4 ainsi que 133 (6) al 1 et 2 TCE (TN)[341], disparaissent entièrement de l’article 207 TFUE. Cette nouvelle disposition renverse donc la tendance instaurée depuis l’Avis 1/94, en établissant une PCC qui reconnaît la compétence d’attribution intrinsèquement exclusive de l’UE sur pratiquement tous les sujets faisant l’objet de négociations au sein de l’OMC[342]. Seules les conventions touchant aux services de transports y échappent. Celles-ci continuent, en vertu de l’article 207 (5) TFUE, comme sous l’ex-article 133 (6) al 3 TCE (TN), de relever de la compétence partagée générale[343] de l’UE en matière de transports[344]. Dans ce dernier secteur, la procédure de négociation et de conclusion des accords mixtes devrait donc en principe s’appliquer si l’accord envisagé porte sur des questions relevant encore de la compétence résiduaire des États membres[345].

Selon l’article 207 (2) TFUE, les mesures autonomes relevant de la PCC sont adoptées suivant la procédure législative ordinaire où la majorité qualifiée et le Parlement européen jouent un rôle central[346]. Pour la négociation et la conclusion des conventions de PCC, le mode de décision nettement favorisé par l’article 207 (3), (4) TFUE est la majorité qualifiée au Conseil après, selon l’article 218 (6) al 2 (a) (v) TFUE, l’approbation du Parlement européen pour l’étape de la conclusion[347]. Toutefois, le paragraphe 4 de cette disposition oblige encore l’unanimité au Conseil pour les accords suivants : 1) s’ils comprennent des dispositions pour lesquelles l’unanimité est requise pour l’adoption de règles internes[348], ce qui, dans ce cas, maintient un lien entre la PCC externe et les pouvoirs internes de l’UE[349] afin d’éviter que la règle de l’unanimité exigée à l’interne soit contournée à l’externe par une action communautaire sujette à la majorité qualifiée, 2) s’ils portent sur le commerce des services culturels et audiovisuels, « lorsqu’ils risquent de porter atteinte à la diversité culturelle et linguistique de l’Union »[350] et 3) s’ils touchent au commerce des services sociaux, d’éducation et de santé, « lorsqu’ils risquent de perturber gravement l’organisation de ces services au niveau national et de porter atteinte à la responsabilité des États membres pour la fourniture de ces services »[351]. Bien que l’unanimité au Conseil ainsi requise permette aux États membres de ne pas être isolés de la conduite de certains aspects de la PCC[352] et de conserver le contrôle au niveau de la négociation et de la conclusion des accords susmentionnés, il n’en demeure pas moins que cette exigence s’inscrit dans le contexte d’une PCC qui relève nettement de la compétence intrinsèquement exclusive de l’UE. L’article 207 (4) TFUE constitue en effet une amélioration par rapport à l’article 133 (5) al 2 et 3 TCE (TN), en ce sens qu’il n’impose plus l’unanimité pour les conventions de nature horizontale difficiles à définir[353], ni pour les ententes portant sur un domaine où l’UE n’a pas encore adopté de règles internes sur la base de ses compétences. L’abandon de cette dernière hypothèse constitue un net progrès, car, rappelons-le, elle avait étrangement pour effet de limiter le plein effet de la PCC en la faisant dépendre en quelque sorte du concept de préemption utilisé normalement pour déterminer l’étendue de la compétence externe implicite exclusive par acquisition de l’UE[354]. De même, l’article 207 (4) TFUE maintient les accords relatifs au commerce des services culturels, audiovisuels, sociaux, d’éducation et de santé dans le giron d’une PCC exclusive, en n’exigeant plus, à l’instar de l’article 133 (6) al 2 TCE (TN), la mixité pour leur négociation et leur conclusion[355].

À ce point-ci, nous pouvons constater que, par rapport à l’article 133 TCE (TN), l’article 207 TFUE représente une réelle tentative de définir une PCC qui tranche avec le courant jurisprudentiel issu de l’Avis 1/94. Il définit effectivement une PCC qui est exclusive pour pratiquement tous les sujets relevant de l’OMC[356], qui est également plus adaptée aux circonstances nouvelles du commerce international et qui est moins alignée sur la nature et le partage des compétences internes entre l’UE et les États membres[357]. Toutefois, sur ce dernier point, il reste encore l’article 207 (4) TFUE, mentionné au paragraphe précédent, qui réfère aux accords relevant de la PCC qui comprennent des dispositions pour lesquelles l’unanimité est requise pour l’adoption de règles internes[358] et il nous faut surtout signaler ici l’article 207 (6) TFUE. Cet article renvoie en effet au système intraeuropéen de distribution des compétences puisqu’il exige que l’exercice des pouvoirs attribués à l’UE dans le domaine de la PCC « n’affecte pas la délimitation des compétences entre l’Union et les États membres et n’entraîne pas une harmonisation des dispositions législatives ou réglementaires des États membres dans la mesure où les traités excluent une telle harmonisation »[359]. Cette disposition reprend en fait l’article 133 (6) al 1 TCE (TN)[360]. À l’instar de celui-ci, ses termes sont clairs lorsqu’elle interdit l’harmonisation quand les traités fondateurs la prohibent. Ils le sont toutefois beaucoup moins, quand elle impose l’obligation de ne pas affecter la délimitation des compétences entre l’Union et les États membres. Ce lien maintenu entre le respect dudit partage des pouvoirs et l’exercice de la PCC est gênant dans le contexte d’une disposition qui semble vraiment vouloir apporter une vision nouvelle, autonome et corrigée de la PCC. À la limite, la préservation d’une telle dépendance pourrait pratiquement annuler les effets de l’article 207 TFUE, selon l’interprétation qui sera donnée à son sixième alinéa. Pour éviter ce scénario catastrophe, les auteurs Lenaerts et Van Nuffel l'expliquent en limitant son application aux restrictions qui concernent l’action de l’Union au niveau interne, comme, par exemple, les exigences en matière de vote au Conseil[361] et la prohibition d’harmoniser quand elle est interdite[362]. Avec le même souci, Brakeland soutient, à l’égard de l’article III-315 (6) du projet de Constitution européenne, lequel est identique en tous points à l’article 207 (6) TFUE, que

La compétence exclusive de l’Union en matière commerciale étant fermement établie par différentes dispositions de la Constitution, on ne peut que conclure au caractère purement déclaratoire de l’article III-315 [(6)]. […] Ce reliquat de l’[ex] article 133 [(6)], alinéa 1 du TCE, dont le maintien fut demandé lors des travaux du groupe de travail VII sur l’action externe, semble destiné à rassurer certains États membres face à la crainte d’un pourtant peu vraisemblable « AETR à l’envers » [notes omises][363].

Les commentaires précédents sur l’article 207 (6) TFUE rassurent et nous semblent validés par le principe dégagé dans l’affaire Van Gend et Loos[364], selon lequel l’interprétation d’une disposition des traités fondateurs se fait, non seulement en fonction de ses termes, mais aussi à la lumière de son esprit et de son économie[365]. Or, l’article 207 TFUE, dans son ensemble s’inscrit dans un mouvement de réforme positive qui vise à réduire le recours à la mixité en matière commerciale. Cette disposition ne nous semble pas compatible avec ce qui équivaudrait à un net recul. Cependant, il n’en demeure pas moins que l’article 207 (6) TFUE ouvre une brèche dont les États membres pourraient vouloir se prévaloir. Cela dit, il appartiendra à la CEJ d’en clarifier le sens lorsque les circonstances s’y prêteront.

B. Sur la PCC issue du TL

La PCC a toujours représenté pour l’ex-CE/UE un domaine de compétence qui lui a permis d’affirmer sa personnalité internationale et d’agir au niveau de ses relations extérieures[366]. Comme son caractère intrinsèquement exclusif fut reconnu très tôt, c’est la délimitation de son champ d’application qui a suscité et qui continue, même sous le TL, de susciter plusieurs controverses entre les institutions de l’ex-CE/UE et ses États membres[367]. Ainsi, en plus de l’impact incertain de l’article 207 (6) TFUE souligné au paragraphe précédent[368], les expressions « échanges de services », « aspects commerciaux de la propriété intellectuelle », et « investissements étrangers directs » utilisées à l’article 207 (1) TFUE ont déjà opposé les acteurs de l’UE devant la CEJ. Dans les paragraphes suivants, nous allons traiter de cinq affaires qui sont particulièrement importantes pour mesurer l’étendue de la PCC depuis l’adoption de cette disposition et pour évaluer conséquemment sa propension à réduire le recours à la mixité au niveau du processus de conclusion des traités.

a) Sur les aspects commerciaux de la propriété intellectuelle

Sur l’expression « aspects commerciaux de la propriété intellectuelle » que l’on retrouve à l’article 207 (1) TFUE, on constate d’abord qu’elle n’a pas fait l’objet d’une définition de la part des auteurs du TL[369]. Toutefois, cette incertitude juridique s’est en grande partie estompée avec la décision de la CEJ (grande chambre) dans l’affaire C-414/11[370]. En arrière-plan de cette décision, trois entreprises  se sont trouvées devant le Tribunal de grande instance d’Athènes (TGIA), soit : 1) Daiichi Sankyo (Daiichi), qui détenait depuis 1986 un brevet grec sur le processus de fabrication du lévofloxacine hémihydrate (LH), lequel brevet fut prolongé en 1992 par un CCP[371] jusqu’en 2011; 2) Sanofi-Aventis (Sanofi), qui distribuait en Grèce le médicament Tanavic qui contenait du LH en raison d’une licence obtenue de Daiichi et d’une autorisation de mise en marché obtenue de l’autorité hellénique compétente (Autorité)[372] et 3) DEMO, qui avait reçu de l’Autorité la permission de mettre sur le marché grec le médicament générique Talerin qui contenait du LH. Pour que cesse la commercialisation du Talerin, Daiichi et Sanofi introduisirent donc un recours à cet effet devant le TGIA[373]. Pour lui permettre de résoudre ce différend, le TGIA posa alors trois questions préjudicielles à la CEJ, dont la première nous concerne plus particulièrement. Elle visait l’article 27 de l’ADPIC. Le TGIA se demandait si cette disposition, qui fixe la protection des brevets, relevait encore de la compétence des États membres de l’UE[374].

Sur cette question, les entreprises susmentionnées et neuf États membres de l’UE[375] argumentaient devant la CEJ que la jurisprudence de celle-ci avait établi que l’ADPIC était un accord mixte et qu’il fallait conséquemment mesurer l’étendue de la compétence de l’UE en fonction de l’activité législative de celle-ci dans le secteur de la brevetabilité couvert par l’article 27 de l’ADPIC. Selon eux, le droit substantif sur les brevets relevait toujours du domaine des compétences partagées en matière de marché intérieur, lequel était toujours régi par les articles 114 et 118 TFUE[376]. La Commission alléguait plutôt que la jurisprudence antérieure de la CEJ n’était plus pertinente vu le libellé de l’article 207 (1) TFUE qui incluait désormais les « aspects commerciaux de la propriété intellectuelle ». Or, comme l’ensemble de l’ADPIC traite de ce sujet, il relève donc, ajoutait-elle, entièrement de la PCC[377].

Dans cette affaire, la CEJ (grande chambre) donnera raison à la Commission[378]. La CEJ constate d’emblée que la définition de la PCC a beaucoup évolué avec les modifications intervenues dans le droit primaire. Ainsi depuis le TL, l’article 207 (1) définit la PCC en des termes très différents que ne le faisaient l’article 133 (1) TCE (TN) et l’article 113 TCE (TM). Pour la CEJ, l’Avis 1/94 n’est donc plus pertinent pour déterminer le contenu de la PCC qui doit plutôt être évaluée en fonction du TFUE actuellement en vigueur[379]. Selon la CEJ, par l’expression « aspects commerciaux de la propriété intellectuelle », l’article 207 (1) réfère à l’action extérieure et aux échanges commerciaux de l’UE « avec les États tiers et non aux échanges sur le marché intérieur »[380]. Toutefois, énonce la Cour, le fait pour un acte de l’UE, comme la conclusion d’un traité, d’avoir certaines implications sur les échanges internationaux ne suffit pas pour en faire un acte relevant de la PCC[381]. Pour relever de la PCC, il faut plutôt, ajoute la Cour, que l’acte de l’UE, « porte spécifiquement [par opposition à incidemment] sur les échanges internationaux en ce qu’il est essentiellement destiné à promouvoir, à faciliter ou à régir ces échanges et a des effets directs et immédiats sur ceux-ci »[382]. En application de ce critère, la CEJ jugera que les dispositions de l’ADPIC ont un lien spécifique avec les échanges internationaux[383] pour les trois motifs suivants. Tout d’abord, l’ADPIC fait partie, avec d’autres accords multilatéraux, du système de l’OMC et ce, à tel point que la violation de l’ADPIC peut donner lieu à la suspension de concessions de manière croisée provenant de toutes ces autres ententes de l’OMC[384]. En deuxième lieu, affirme la CEJ, les auteurs de l’article 207 (1) TFUE ont sûrement réalisé que l’expression « aspects commerciaux de la propriété intellectuelle » de cette disposition est pratiquement identique au titre de l’ADPIC[385]. Comme troisième raison, la CEJ réfère au préambule de l’ADPIC qui précise que cet accord a pour but, auquel contribue l’article 27, de réduire les distorsions du commerce international en garantissant que chaque membre de l’OMC offre sur son territoire une protection efficace des droits de propriété intellectuelle[386]. À la lumière de ce qui précède, la CEJ conclut donc que les normes de brevetabilité de l’article 27 ADPIC relèvent de la PCC, car elles visent l’amélioration des échanges internationaux et non pas l’harmonisation législative pour les fins du marché intérieur de l’UE[387].

Dans l’affaire Daiichi, la CEJ interprète donc largement l’article 207 (1) en incluant toutes les dispositions de l’ADPIC dans la PCC[388]. Elle tourne le dos à une jurisprudence importante comme l’Avis 1/94 pour donner plein effet aux changements résultant du TL. Elle augmente ainsi l’efficacité de la représentation de l’UE au sein de l’OMC[389], en écartant l’obligation de la mixité pour l’ADPIC. En interprétant largement la PCC issue du TL, « the Court returned to its reasoning in Opinion 1/75[390] and Opinion 1/78[391] in which it had opted for a dynamic and flexible approach to the CCP in light of evolutions within the international trade framework »[392]. Le raisonnement de la CEJ en cette affaire incite même à penser que toutes les dispositions des Accords de OMC relèvent maintenant de la PCC[393]; même celles qui, à l’instar de l’article 27 de l’ADPIC, peuvent à première vue sembler être du droit substantif relevant toujours du domaine des compétences partagées en matière de marché intérieur. Pour l’auteur Tanghe, il aurait été artificiel et ineffectif pour la Cour de ne pas lier la PCC à l’OMC. Cela dit, la décision Daiichi a aussi fait naître plusieurs incertitudes[394]. Ainsi, l’expression « aspects commerciaux de la propriété intellectuelle au sens de l’article 207 (1) TFUE » est-elle susceptible de couvrir d’autres accords en matière de propriété intellectuelle qui ne seraient pas liés à l’OMC? En effet, vu que le contexte « commercial » de l’OMC, dans lequel s’inscrit l’ADPIC, fut, dans la décision Daiichi, un élément déterminant pour juger que ses dispositions relèvent de la PCC[395], l’auteur Tanghe se demanda, si la PCC inclura les dispositions sur les droits de propriété intellectuelle (DPI) négociées par l’UE dans le contexte d’accords commerciaux multilatéraux ou bilatéraux de libre-échange (le CETA par exemple)[396]. Également, comme le contenu de l’ADPIC fut largement inspiré de traités administrés par l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, le même auteur Tanghe s’interrogea si dorénavant les dispositions contenues dans ces dernières ententes relèveront forcément, par analogie ou en raison de leur nature même, de la PCC[397].

Les incertitudes susmentionnées s’expliquent principalement par l’imprécision des modalités d’application du critère de rattachement à la PCC utilisé par la CEJ dans l’affaire Daiichi, à savoir notamment que l’acte de l’UE relèvera de la PCC « s’il porte spécifiquement sur les échanges internationaux »[398]. Dans l’Avis de la Cour (grande chambre) du 14 février 2017 - Avis rendu en vertu de l'article 218, paragraphe 11, TFUE-Traité de Marrakech visant à faciliter l’accès des aveugles, des déficients visuels et des personnes ayant d’autres difficultés de lecture des textes imprimés aux oeuvres publiées (3/15)[399], la CEJ (grande chambre) énonce certains éléments qui, à notre avis, clarifient ce critère en relation avec le domaine des droits de propriété intellectuelle (DPI). Dans cette affaire, le Traité de Marrakech (T Marrakech)[400], négocié dans le cadre de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), était en cause. Cet accord visait à faciliter l’accès des aveugles et des déficients visuels aux oeuvres publiées en stipulant à l’article 4 (1) (a) que :

Les Parties contractantes [PC] prévoient, dans leur législation nationale relative au droit d'auteur, une limitation ou une exception au droit de reproduction, au droit de distribution et au droit de mise à la disposition du public tel que prévu par le Traité de l'OMPI sur le droit d'auteur (WCT) pour mettre plus facilement des oeuvres en format accessible à la disposition des personnes [déficientes visuelles].

La CEJ était donc en présence d’une convention contenant des dispositions qui créaient des exceptions relatives au droit d’auteur. En l’espèce, la Commission allègue entre autres que, en prévoyant l’harmonisation des législations des PC, le préambule du T Marrakech indique clairement que l’objectif premier de ce traité et de l’article 4 (précité) est de favoriser les échanges internationaux d’exemplaires en format accessible pour les handicapés visuels. Conséquemment, en s’appuyant sur la décision Daiichi, la Commission soutient que les normes sur les DPI du T Marrakech relèvent de la PCC, car elles présentent un lien spécifique avec les échanges commerciaux internationaux, et ce, ajoute-t-elle, même si elles ne sont pas liées à l’OMC et même si lesdits exemplaires sont produits à des fins non lucratives[401].

Dans cette affaire, la CEJ ne donnera pas raison à la Commission. Pour déterminer si le T Marrakech relève de la PCC et donc de la compétence exclusive de l’UE, la CEJ s’est concentrée sur l’examen des finalités et du contenu[402] de l’accord T Marrakech sans faire référence à la nature commerciale ou non du contexte « OMPI » dans lequel cet accord avait été adopté[403] et sans l’exclure automatiquement de l’application de l’article 207 (1) pour le motif qu’il n’était pas lié à l’OMC[404]. Pour la Cour, le titre et le préambule du T Marrakech indique que sa finalité ou objectif premier est de faciliter l’accès des handicapés visuels aux oeuvres publiées et d’améliorer la condition de ces personnes. Le préambule, ajoute la Cour, indique clairement que, pour les PC, l’harmonisation des exceptions et des limitations à certains droits d’auteur, dont les modalités sont précisées dans le T Marrakech à l’article 4 (1) (précité), ne vise qu’à permettre cette finalité première du T Marrakech [405]. La Cour se penche ensuite sur le contenu du T Marrakech qui prévoit deux instruments afin de réaliser l’objectif premier du T Marrakech [406]. En plus de l’harmonisation demandée aux PC par l’article 4 (1) (précité), tout en leur laissant toutefois une large marge de manoeuvre à cet égard[407], les articles 5, 6 et 9 du T Marrakech « instituent certaines obligations [comme l’obligation de coopérer[408]] relatives à l’échange transfrontalier d’exemplaires en format accessible »[409]. On y prévoit ainsi que la distribution desdits exemplaires destinés aux handicapés visuels situés dans une autre partie contractante peut être effectuée par une entité autorisée par le gouvernement d’une PC[410]. Il y est également stipulé que cette entité autorisée peut également importer, au profit des handicapés visuels de tels exemplaires sans l’autorisation du titulaire du droit d’auteur[411]. Pour la CEJ, de pareilles normes d’harmonisation ont pour objectif premier de faciliter l’accès des handicapés visuels aux oeuvres publiées « et non de promouvoir [...] ou de régir le commerce international des exemplaires en format accessible »[412]. Conséquemment, les règles sur le DPI du T Marrakech ne rencontrent pas le critère requis par l’affaire Daiichi du lien spécifique avec les échanges internationaux, car le régime instauré par le T Marrakech affecte uniquement de tels échanges de manière indirecte[413]. Par conséquent, elles ne sont pas régies par la PCC[414]. Cela dit, la CEJ estime cependant que le T Marrakech n’est pas un accord mixte, car il relève par ailleurs de la compétence externe implicite par acquisition de l’UE devenue exclusive en raison de la réalisation du troisième cas de figure mentionné à l’article 3 (2) TFUE[415].

À notre avis, l’Avis 3/15 nous permet de préciser les modalités d’application du critère susmentionné de l’affaire Daiichi[416]. Dans cette dernière décision, la Cour l’avait appliqué en référant uniquement au contexte d’adoption lié à l’OMC et au but de l’ADPIC. La CEJ n’y avait effectué aucune analyse du contenu de l’ADPIC, en évitant par exemple de souligner la nature non intrinsèquement commerciale de son article 27, pourtant en cause[417]. Dans l’Avis 3/15, la CEJ examine, pour déterminer le caractère de PCC du T Marrakech, non seulement les finalités du T Marrakech, mais aussi son contenu et ce, tel que mentionné plus haut, sans référer au contexte commercial ou non de l’OMPI qui a servi de cadre pour les négociations du T Marrakech [418] et sans exclure automatiquement ce traité de l’application de l’article 207 (1) pour le motif qu’il n’était pas lié à l’OMC[419]. De plus, en réponse à la Commission qui avait allégué que seules les règles touchant au droit moral[420] ne relevaient pas de l’article 207 (1) TFUE, la CEJ a aussi précisé qu’il ne fallait pas étendre excessivement le champ de la PCC en y rattachant des normes qui ne sont pas liées spécifiquement avec les échanges commerciaux internationaux[421].

Dans l’Avis 2/15[422], la CEJ (grande chambre) s’est également penchée sur l’expression « aspects commerciaux de la propriété intellectuelle » [notre citation][423]. Dans cet avis, la CEJ devait préciser, sur demande de la commission[424], l’étendue de la compétence de l’UE pour signer et conclure l’accord bilatéral de libre-échange, alors envisagé, entre la République de Singapour et l’UE (ALE Singapour)[425]. Cet avis de la Cour est particulièrement important, car il traite de cette question en relation avec l’un des premiers accords de libre-échange « de nouvelle génération », à savoir un traité de commerce

qui contient, outre les dispositions traditionnelles relatives à la réduction des droits de douane et des obstacles non tarifaires affectant les échanges de marchandises […], des dispositions dans diverses matières liées au commerce, telle la protection de la propriété intellectuelle [les services], les investissements [et leur protection], les marchés publics, la concurrence et le développement durable[426],

auxquelles s’ajoute parfois une procédure de règlement des différends investisseur État[427]. En l’espèce, il s’agissait pour la Cour d’identifier les dispositions de l’ALE Singapour qui relevaient 1) soit de la compétence exclusive de l’UE (en vertu de l’article 207 (1) TFUE ou en application de l’effet AETR[428] consigné dans la dernière situation de l’article 3 (2) TFUE[429]); 2) soit de la compétence partagée de l’UE (faute de règles de droit dérivé adoptées par l’UE); 3) soit de la compétence exclusive des États membres[430]. La portée de l’Avis 2/15 est considérable, car la Cour y a effectué une réflexion globale sur les différentes facettes (intrinsèque et implicite) de la compétence externe exclusive de l’UE telles qu’elles furent codifiées par le TL[431]. Dans le cadre de la présente étude, nous concentrerons toutefois notre analyse sur les aspects de l’Avis 2/15 qui permettent de mesurer la portée des expressions « échanges de services », « aspects commerciaux de la propriété intellectuelle », et « investissements étrangers directs » introduites à l’article 207 (1) TFUE par le TL, afin notamment d’en mesurer l’impact sur le recours à la mixité pour la conclusion de traités concernant de tels domaines.

Cela dit, dans la section de l’Avis 2/15 qui touche aux « aspects commerciaux de la propriété intellectuelle » de l’article 207 (1) TFUE, la CEJ adopte une position comparable à celle qu’elle avait adoptée dans l’Avis 3/15. Elle se concentre ainsi sur l’examen du contenu et de l’objectif des engagements relatifs aux droits de propriété intellectuelle[432] compris dans le chapitre 11 de l’ALE Singapour[433], et ce, sans faire aucune référence au contexte ou à la nature commerciale de l’accord dont il fait partie[434]. Pour la Cour, les dispositions de ce chapitre 11 rappellent les obligations prises par l’UE et par Singapour au titre de divers traités internationaux[435] dans le but essentiellement d’assurer à leurs entrepreneurs respectifs une certaine homogénéité au niveau des standards de protection de leurs droits de propriété intellectuelle sur le territoire de l’autre partie contractante[436]. Ce rappel ne s’inscrit pas, affirme la Cour, dans un processus d’harmonisation des législations des États membres de l’UE, mais il a plutôt pour objectif de faciliter la commercialisation de produits créatifs et de régir la libéralisation des échanges entre l’UE et Singapour[437]. Selon la Cour, le chapitre 11 est également de nature à avoir des effets directs et immédiats sur les échanges commerciaux entre l’UE et Singapour en raison de la place essentielle que la protection des droits de propriété intellectuelle occupe dans de tels échanges et dans la lutte contre le commerce illicite[438]. Par conséquent, la Cour estime, en application du test de l’affaire Daiichi, concrétisé par l’examen du contenu et de l’objectif des dispositions du chapitre 11, que celles-ci présentent un lien spécifique avec les échanges commerciaux internationaux parce qu’elles sont destinées à les régir, à les promouvoir ou à les faciliter et parce qu’elles ont aussi des effets directs et immédiats sur ceux-ci[439]. La réalisation de ces deux derniers éléments devient ainsi nécessaire pour conclure au lien spécifique avec les échanges commerciaux, ce qui, nous semble-t-il, représente une précision additionnelle sur les modalités d’application du test Daiichi. Cela dit, la Cour conclut, en l’occurrence, que le chapitre 11 relève des « aspects commerciaux de la propriété intellectuelle » de l’article 207 (1) TFUE et donc de la compétence intrinsèquement exclusive de l’UE[440].

L’affaire C-389/15[441] présente également un grand intérêt pour les précisions et clarifications additionnelles qu’on y trouve sur le contenu de l’expression « les aspects commerciaux de la propriété intellectuelle » ainsi que sur les modalités d’application du critère Daiichi. En l’espèce, la Commission contestait la validité de la décision du Conseil qui avait autorisé l’ouverture des négociations ayant pour but de réviser l’Arrangement de Lisbonne. La Commission alléguait que le Conseil aurait dû choisir l’article 207 (1) TFUE comme base juridique de cette décision, car l’arrangement révisé relevait de la PCC[442]. Le Conseil soutenait au contraire que ladite décision devait se fonder sur l’article 114 TFUE, car l’arrangement révisé avait pour vocation d’instaurer un cadre procédural uniforme de protection des appellations d’origine et des indications géographiques dont l’effet sur les échanges commerciaux était uniquement indirect et secondaire[443]. Dans cette affaire, la Cour donnera raison à la Commission.

La Cour rappelle d’abord, en application du critère Daiichi, que les accords sur des sujets de propriété intellectuelle de l’UE relèvent de la PCC s’ils satisfont aux deux conditions permettant de conclure qu’ils ont un lien spécifique avec les échanges commerciaux internationaux, à savoir : 1) s’ils sont destinés à promouvoir, à faciliter ou à régir les échanges commerciaux et 2), dans l’affirmative, s’ils ont des effets directs et immédiats sur ceux-ci[444]. Dans un premier temps, la Cour doit donc évaluer si l’Arrangement de Lisbonne révisé (projet ALR) a pour finalité ou objectif de promouvoir, de faciliter ou de régir les échanges commerciaux entre l’UE et les États tiers. Pour ce faire, la Cour examine le contexte conventionnel dans lequel ce projet ALR s’inscrit, vu que le préambule ou le contenu de ce dernier sont silencieux à ce sujet[445]. Ainsi, souligne d’abord la Cour, le projet ALR étend, avec certains ajouts procéduraux et normatifs[446], la protection de l’Arrangement de Lisbonne (AL) aux indications géographiques[447]. Pour compléter la garantie générale d’un traitement national réciproque que la Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle[448] (CPPI) offre à ses États membres afin de protéger les différents types de propriété industrielle[449], l’AL a, sur la base de l’article 19 de la CPPI[450], instauré un système d’enregistrement international spécifiquement pour les appellations d’origine protégées dans un État partie à la CPPI[451]. Le projet ALR, note la Cour, s’inscrit donc dans la finalité de cet ensemble conventionnel dont il fait évidemment partie[452]. L’objectif dudit ensemble apparaît clairement au préambule de la CPPI. Celui-ci stipule, en effet, que la CPPI accorde des standards homogènes de protection des droits de propriété industrielle aux ressortissants de ses États membres dans le dessein « de permettre à ces derniers de participer sur un pied d’égalité au commerce international »[453] entre eux et dans le but de protéger un tel commerce en développant la loyauté des échanges commerciaux entre ses États Membres[454]. Il en résulte donc, conclut la Cour, que le projet ALR a aussi pour finalité de régir et de faciliter les échanges commerciaux entre ses États membres[455].

Toutefois, précise la Cour, pour que le projet ALR relève de la PCC la réalisation de la première condition du test Daiichi ne suffit pas, il faut, dans un deuxième temps, que ledit projet respecte la seconde condition de ce test, c’est-à-dire qu’il ait des effets directs et immédiats sur les échanges commerciaux qui vont au-delà de certaines implications sur ceux-ci[456]. Pour mesurer si le projet ALR satisfait à cette dernière exigence, la Cour évalue donc le contenu de cet accord. Elle constate alors qu’il étend aux indications géographiques des États membres le mécanisme d’enregistrement international, administré par l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, qui bénéficiait, depuis l’AL, aux seules appellations d’origine protégées de ces États[457]. Elle constate également qu’il oblige les parties contractantes à se doter d’un système de protection réciproque constituée de règles normatives et procédurales homogènes[458]. Pour la Cour, le projet ALR permet ainsi aux opérateurs économiques de faire respecter leurs droits et de se protéger contre les actes de concurrence déloyale, et ce, sans avoir à faire des demandes d’enregistrement dans chacune des parties contractantes[459]. Selon la Cour, ledit projet modifie les conditions d’exercice du commerce entre ses parties contractantes. Il a conséquemment des effets directs et immédiats sur les échanges commerciaux entre celles-ci[460]. La décision du Conseil autorisant l’ouverture des négociations sur le projet ALR touchait conséquemment à la PCC. Elle aurait dû se fonder sur l’article 207 (1) et non sur l’article 114 TFUE, puisque ce projet ne relève pas du rapprochement des législations dans le marché interne de l’UE[461].

Terminons ces paragraphes consacrés à l’affaire C-389/15 en mettant en exergue certaines clarifications concernant l’expression « aspects commerciaux de la propriété intellectuelle » qui nous viennent de cette décision. On y confirme ainsi qu’une convention n’a pas à être négociée dans le cadre de l’OMC pour relever de la PCC. De plus, on y remarque que la CPPI relève de la PCC en raison de sa nature même telle qu’elle se dégage de son préambule. La Cour n’y a fait aucune référence au contexte de l’OMC. Elle n’y établit effectivement aucune analogie entre l’ADPIC et la CPPI pour le motif que cette dernière aurait en partie inspiré ledit accord[462]. Cette affaire précise également les modalités d’application du critère Daiichi. Il est dorénavant indéniable que la détermination du lien spécifique d’un accord avec les échanges commerciaux internationaux requiert la réalisation successive des deux conditions suivantes, à savoir si l’accord est d’abord destiné à promouvoir, à faciliter ou à régir les échanges commerciaux et dans l’affirmative, s’il a ensuite des effets directs et immédiats sur ceux-ci.

b) Sur les échanges de services

Si l’on se penche à présent sur l’expression « échanges de services », le professeur Koutrakos souligne qu’aucune indication n’apparaît à l’article 207 (1) TFUE sur le sens à donner au terme services[463]. En droit interne de l’UE, le droit d’établissement est visé par un chapitre distinct[464] de celui qui est consacré aux services[465]. Or, si cette distinction s’était imposée dans le contexte de la PCC décrite à l’article 207 (1), le concept de services n’inclurait donc pas le droit d’établissement, ce qui nous aurait fait revenir en quelque sorte à l’Avis 1/94[466]. Selon Koutrakos,

In the light of the ever-present link between the expansion of the scope of the CCP and GATS following the establishment of the WTO and the ruling of the Court of Justice in Opinion 1/94, it would be wrong to interpret ‘services’ under Article 207(1) TFEU consistently with the strict definition afforded within the Union legal order[467].

Dans la décision C-137/12[468] et dans l’Avis 2/15 nous verrons que la CEJ (grande chambre) s’est prononcée sur la question des « échanges de services » visés à l’article 207 (1) TFUE d’une manière large qui est parfaitement compatible avec l'opinion du professeur Koutrakos.

Ainsi, dans l’affaire C-137/12, le différend portait sur le choix de la base juridique de la décision du Conseil (décision attaquée)[469] autorisant la signature de la Convention européenne sur la protection juridique des services à accès conditionnel et des services d’accès conditionnel [Convention de protection][470]. Cette Convention de protection visait à rendre illégale toute activité, comme le piratage, qui permettait un accès non autorisé à des services protégés, tels des programmes de télévision ou de radio, qui sont subordonnés à l’obtention d’une autorisation du prestataire de services ou qui sont fournis moyennant paiement[471]. Cet accord visait à étendre à l’ensemble des quarante-sept membres du Conseil de l’Europe, une protection similaire à celle que la directive 98/84/EC[472] offrait aux États membres de l’UE sur la même question[473]. Pour le Conseil, puisque la directive susmentionnée avait été adoptée sur la base de l’article 114 TFUE relatif à l’harmonisation des législations pour le marché intérieur, la décision attaquée aurait dû également se fonder particulièrement sur cette même disposition[474]. Selon le Conseil, la Convention de protection avait pour objectif principal de rapprocher les législations des parties contractantes afin d’améliorer le marché intérieur de l’UE. Cet accord visait avant tout, ajoutait le Conseil, à éliminer entre autres le risque de piratage provenant d’États tiers qui pourrait porter atteinte au fonctionnement du marché intérieur de l’UE[475]. Par ailleurs, la Commission soutenait que la décision attaquée relevait de la PCC et que, en conséquence, son adoption aurait dû notamment se baser sur l’article 207 (4) TFUE[476].

Dans cette affaire, la CEJ (grande chambre) donne raison à la Commission. Elle estime que l’article 207 (1) TFUE, qui comprend les échanges de services, doit être interprété dans le contexte de la PCC, qui s’inscrit dans l’action extérieure de l’Union et qui est donc « relative aux échanges commerciaux avec les États tiers et non aux échanges sur le marché intérieur »[477]. Pour conclure ainsi, la Cour réfère au critère énoncé dans l’affaire Daiichi, à savoir que peuvent relever de la PCC uniquement les actes de l’UE qui ont un lien spécifique avec les échanges commerciaux internationaux, en ce qu’ils ont des effets directs et immédiats sur ceux-ci et sont essentiellement destinés à les promouvoir, à les faciliter et à les régir[478]. De plus, note la CEJ, si une mesure de l’UE poursuit plus d’un objectif, la base juridique appropriée sera celle qui correspond au but principal[479]. En l’occurrence, estime la Cour, le rapprochement des législations au sein de l’UE avait été grandement effectué par la directive 98/84/EC, ce qui, ajoute la Cour, est confirmé par le contenu de la clause de déconnexion, insérée à l’article 11 (4) de la Convention de protection, qui prévoit « que, dans leurs relations mutuelles, les États membres de l’Union appliquent les règles de cette dernière et, par conséquent, ils n’appliquent les règles établies par cette convention qu’en l’absence de règles de l’Union régissant le sujet particulier concerné »[480]. La Convention de protection n’avait donc pas pour but principal d’améliorer le fonctionnement du marché intérieur de l’UE[481]. Vu le rapport explicatif de la Convention de protection et les considérants de la décision attaquée du Conseil lu conjointement avec cette Convention[482], l’entente susnommée avait plutôt pour objectif prioritaire d’inciter les États membres du Conseil de l’Europe à la ratifier largement afin que les normes de l’UE en matière de protection des services à accès conditionnel soient étendues aux marchés des parties contractantes du Conseil de l’Europe non membres de l’UE et ce, afin de promouvoir la fourniture de ces services vers lesdits marchés par des prestataires de l’UE[483].

Le but principal de la décision attaquée, attesté par sa finalité et son contenu[484], avait donc un lien spécifique avec les échanges commerciaux internationaux de tels services[485]. Elle devait donc relever de la compétence intrinsèquement exclusive de l’UE en vertu de la PCC même si la Convention de protection contenait certaines dispositions nouvelles sur la coopération internationale entre les parties contractantes ainsi que des mesures pénales de saisies et de confiscation qui n’apparaissaient pas dans la directive 98/84/CE[486]. Selon la Cour, de semblables dispositions contribuaient à la réalisation de l’objectif principal de la convention, à savoir la facilitation du commerce international des services à accès conditionnel au-delà de l’UE, même si elles visaient aussi à améliorer l’efficacité du fonctionnement du marché intérieur de l’UE[487]. Pour la Cour, cette dernière finalité avait uniquement « un caractère accessoire par rapport à l’objectif principal »[488].

Dans l’affaire C-137/12, la Cour confirme et complète le critère du lien spécifique avec les échanges commerciaux internationaux énoncé quelque mois auparavant dans la décision Daiichi[489]. Toutefois, contrairement à cette dernière affaire où l’accent fut mis sur l’environnement commercial et sur la recherche de l’objectif de l’ADPIC, dans l’arrêt C-137/12 c’est l’examen combiné du contenu et de la finalité de la Convention de protection, sans référence au contexte commercial ou non de celle-ci, qui justifie la Cour d’appliquer le critère susmentionné du lien spécifique[490]. Cette décision invoque également, comme élément d’analyse, la question du choix de la base juridique en cas de double finalité du traité à l’étude. Dans l’affaire Daiichi, la Cour avait complètement omis d’orienter sa décision en fonction de cette question. Pourtant un tel examen aurait pu être pertinent dans le cas d’un accord comme l’ADPIC qui paraît au premier abord avoir une double finalité, à savoir l’échange commercial par son préambule et l’harmonisation des lois des États membres en raison notamment du contenu de l’article 27 de l’ADPIC sur la brevetabilité[491]. La Cour a donc profité des circonstances de l’affaire C-137/12 pour rappeler et pour appliquer, dans le contexte de l’article 207 (1) TFUE, une des règles sur le choix de la base juridique d’un traité qui présente une double finalité, soit celle de l’identification de l’objectif principal[492]. En l’espèce, comme la Convention de protection a le commerce pour finalité principale, la Cour juge que sa base juridique devait être l’article 207 (1), y compris pour les mesures, comme les sanctions pénales mentionnées au paragraphe précédent, qui affectaient le marché intérieur de l’UE de manière accessoire. En l’occurrence, la CEJ a donc ignoré l’opinion de certains États qui demandaient la mixité pour le motif que de telles mesures pénales outrepassaient les compétences de l’UE à l’interne.

Dans l’Avis 2/15, la CEJ (grande chambre) devait notamment se prononcer sur la compétence de l’UE de conclure seule le Chapitre 8 de l’ALE Singapour[493] consacré aux échanges de services entre l’UE et Singapour[494]. Dans le cadre de son analyse, la Cour a ainsi précisé le sens à donner à l’expression « échanges de services » contenue à l’article 207 (1) TFUE; lequel s’inscrit du reste parfaitement dans l’opinion du professeur Koutrakos dont nous avons fait état précédemment[495]. En l’occurrence, la Cour transpose pour les « échanges de services » de l’article 207 (1) TFUE l’interprétation qu’elle avait antérieurement donnée, dans son Avis de la Cour (grande chambre) du 30 novembre 2009 - Avis rendu en vertu de l’article 300, paragraphe 6, CE - Accord général sur le commerce des services (GATS) (Avis 1/08)[496], au « commerce des services » de l’ex-article 133 TCE (TN). La CEJ estime effectivement que ces deux notions sont en substance identiques[497]. Ainsi, pour la Cour, « les quatre modes de fourniture de services répondant à la classification employée par l’OMC […] relèvent tous de la politique commerciale commune »[498] décrite à l’article 207 (1) TFUE[499]. Conséquemment, le sens à donner à la fourniture, aux échanges ou au commerce de services couverts par le chapitre 8 de l’ALE Singapour est dès lors lié au contexte de l’OMC et l’UE a donc en principe la compétence intrinsèquement exclusive pour s’engager envers lui en application du critère Daiichi[500]. En effet, comme les dispositions du chapitre 8 ambitionnent d’ouvrir le marché de Singapour aux fournisseurs de services de l’UE et vice versa, il a essentiellement, selon la Cour, « pour objet de promouvoir, de faciliter et de régir les échanges »[501]. De plus, vu les engagements en matière d’accès au marché qu’il contient, ce chapitre, ajoute la Cour, est également susceptible d’avoir des effets directs et immédiats sur les échanges de services entre l’UE et Singapour[502].

Toutefois, en raison de l’article 207 (5) TFUE, la Cour exclut de la PCC les quatre modes précités[503] de fourniture de services lorsqu’ils concernent le transport[504]. Elle écarte aussi de la PCC tous les autres services de ce chapitre 8 qui sont « intrinsèquement liés à un acte physique de déplacement de personnes ou de marchandises d’un endroit à un autre grâce à un »[505] des moyens de transport énumérés dans l’ALE Singapour, à savoir le transport maritime international, le transport ferroviaire et le transport par route[506]. Pour la Cour, de tels services de transports relèvent de la politique commune des transports du titre VI de la troisième partie du TFUE et non de la PCC. Seule la réalisation d’une des situations de l’article 3 (2) TFUE pourrait, ajoute la CEJ, éviter la mixité pour le chapitre 8, en conférant à l’UE une compétence exclusive implicite dans ces secteurs[507], ce qui fut d’ailleurs le cas en l’espèce[508].

c) Sur les investissements étrangers directs

Voyons maintenant ce qu’il faut entendre par l’expression « investissements étrangers directs » de l’article 207 (1) TFUE. Sur ce point, l’Avis 2/15 est déterminant, car la Cour y aborde pour la première fois cette expression depuis son insertion dans la PCC par le TL[509]. Tout d’abord, la Cour constate que l’article 207 (1) TFUE ne réfère qu’aux investissements étrangers directs[510]. S’inspirant de sa jurisprudence interne dans le contexte des mouvements de capitaux[511], la CEJ définit ensuite l’investissement direct étranger de l’article 207 (1) TFUE comme étant :

des investissements de toute nature auxquels procèdent les personnes physiques ou morales [d’un État tiers dans L’UE et inversement] qui servent à créer ou à maintenir des relations durables et directes entre le bailleur de fonds et l’entreprise à qui ces fonds sont destinés en vue de l’exercice d’une activité économique […] [et qui leur] donnent la possibilité de participer effectivement à la gestion de cette société ou à son contrôle[512].

Cette mention explicite des investissements étrangers directs à l’article 207 (1) TFUE indique, affirme la Cour, une intention claire d’écarter de l’application de cette disposition tout autre type d’investissement non direct[513], comme les investissements dits « de portefeuille » qui se présentent « sous la forme d’acquisitions de titres de société dans l’intention de réaliser un placement financier sans intention d’influer sur la gestion et le contrôle de l’entreprise »[514] ou comme les mouvements de capitaux « tels que certaines catégories d’investissements immobiliers ou le recours à l’emprunt »[515].

Une fois établie la distinction entre les deux classes d’investissement susmentionnées, la Cour note dans l’Avis 2/15 que la section A du chapitre 9 de l’ALE Singapour[516] est consacrée à la protection des investissements une fois que ceux-ci ont été admis dans l’UE et dans la République de Singapour et que cette même section A traite non seulement de la protection des investissements directs, mais aussi de celle des investissements non directs. Concernant les dispositions de la section A qui portent sur la protection des investissements directs, la Cour adopte un raisonnement qui s’inscrit dans le courant jurisprudentiel analysé dans les paragraphes précédents. Elle leur applique, en effet, le test développé dans l’affaire Daiichi[517] pour conclure qu’elles relèvent de la PCC et donc de la compétence intrinsèquement exclusive de l’UE en raison de leur contenu et des objectifs qu’elles poursuivent. Pour la CEJ, cette section A comprend en effet un « ensemble d’engagements de […] traitement non moins favorable […] et d’interdictions de traitement arbitraire »[518] qui contribuent à la sécurité légale des investisseurs directs sur le territoire de l’autre partie. La Cour estime en conséquence, sur la base du test Daiichi, 1) que ladite section A instaure un cadre juridique qui vise à promouvoir, à faciliter et à régir les échanges commerciaux entre l’UE et Singapour; 2) que cette section a en plus des effets directs et immédiats sur les échanges d’investissements directs, car elle porte sur le traitement des entrepreneurs se livrant à des activités économiques sur le territoire de l’autre partie et 3) qu’elle a ainsi un lien spécifique avec de tels échanges[519].

Pour les dispositions de la section A du chapitre 9 de l’ALE Singapour qui régissent les investissements non directs et leur protection, seule la réalisation d’une des situations prévues à l’article 3 (2) TFUE pourrait, selon la Cour, conférer une compétence exclusive implicite à l’UE[520], ce qui ne fut pas le cas en l’espèce. La Cour estime plutôt que l’UE ne pouvait pas s’engager seule envers les dispositions relatives à de tels investissements non directs, car, en l’état actuel du droit de l’Union, ceux-ci relèvent encore d’une compétence partagée entre l’UE et les États membres en vertu des paragraphes 1 et 2 (a) de l’article 4 TFUE[521]. Dans le même ordre d’idées, le chapitre 15 de l’ALE Singapour, qui établit un mécanisme de règlement des différends « entre les parties (l’UE et la République de Singapour) », ne saurait, selon la Cour, être approuvé par l’UE seule, car il est susceptible de régir des différends concernant la section A qui portent notamment sur la protection des investissements non directs[522]. Pour donner suite à cet avis de la Cour, l’ALE Singapour sera donc conclue sous la forme d’un accord mixte.

Dans le cadre de leurs arguments en faveur de la nature mixte de l’ALE Singapour, le Conseil et certains des États membres ont également souligné que les dispositions sur la protection des investissements de la section A du chapitre 9 comportent des règles

qui permettent aux États membres d’apprécier si l’application de l’accord envisagé est conforme à leurs impératifs d’ordre public et de sécurité publique ainsi qu’à d’autres objectifs d’intérêt public ou qui concernent le droit de propriété, le droit pénal, le droit fiscal et la sécurité sociale[523].

Le Conseil et lesdits États membres ont alors allégué que de telles dispositions portent sur des matières qui relèvent, en raison de leur nature même, de la compétence exclusive des États membres. L’UE ne peut donc pas, ajoutaient-ils, contracter de tels engagements en lieu et place de ceux-ci[524]. Pour la Cour, cette argumentation est infondée, car les dispositions en question ne créent aucun engagement pour les États membres. Elles ne font que leur reconnaître la possibilité d’exercer de telles compétences d’une manière qui ne constitue pas une restriction déguisée qui priverait « de leurs effets utiles les engagements commerciaux contractés par »[525] l’UE en matière d’investissements étrangers directs[526]. Selon la Cour, en vertu de la section A, les États membres peuvent, s’ils le jugent nécessaire, exercer leurs pouvoirs de déployer leurs forces armées, de déclarer l’état d’urgence nationale, de nationaliser ou d’exproprier, de légiférer en droit pénal, en droit fiscal et en matière de sécurité sociale à la condition qu’ils garantissent aux investisseurs directs de l’autre partie, en l’occurrence de Singapour, un traitement équitable, non arbitraire et non discriminatoire dans le respect des principes, des droits fondamentaux et des règles fondamentales qui régissent l’UE et ses États membres[527].

d) Sur l’objectif de développement durable comme partie intégrante de la PCC

Dans l’Avis 2/15, La Cour adopte une position étonnante et remarquable à l’égard du chapitre 13[528] du projet ALE Singapour, intitulé « commerce et développement durable ». En effet, la Cour estime qu’une lecture combinée de l’article 21 (3) TUE (TL) avec les articles 207 (1), seconde phrase, 205, 9 et 11 TFUE indique que la PCC de l’UE s’inscrit dans l’action extérieure de celle-ci qui doit être conduite dans le respect des principes et des objectifs énoncés à l’article 21 (1) et (2) TUE (TL). Conséquemment, l’UE doit, entre autres[529], mettre en oeuvre sa PCC de façon à y intégrer les exigences liées à la garantie d’une protection sociale adéquate[530] et de manière à assurer le développement durable en participant à la formation de règles internationales destinées à préserver et à améliorer « la qualité de l’environnement et la gestion durable des ressources naturelles mondiales »[531]. En l’occurrence, la Cour en arrive donc à la conclusion « que l’objectif de développement durable fait désormais partie intégrante de la »[532] PCC de l’UE[533].

Une fois cela établit, la Cour se penche, à l’instar de l’affaire C-137/12[534] et de l’Avis 3/15[535], sur le contenu et sur la finalité poursuivie en l’espèce par le chapitre 13 de l’ALE Singapour. Elle note d’abord que ledit chapitre, reprend le but énoncé dans le préambule de l’ALE Singapour[536], en affirmant clairement « à ses articles 13.1 et 13.3, que le développement durable, dont la protection sociale des travailleurs et la protection de l’environnement sont des composantes […], fait partie des objectifs des relations commerciales »[537] entre l’UE et Singapour. Pour ce qui est du contenu du chapitre 13, la Cour constate qu’il évoque les obligations de l’UE et de Singapour au titre de conventions de l’Organisation internationale du travail en matière de protection sociale des travailleurs et de traités sur la protection de l’environnement[538], tout en leur reconnaissant l’entière compétence de légiférer en ces matières sur leurs territoires respectifs d’une manière compatible avec lesdits engagements internationaux[539]. Ce rappel de telles obligations internationales, déclare la Cour, ne vise donc pas à harmoniser ou à réglementer

les niveaux de protection sociale et environnementale sur le territoire respectif des parties, mais [plutôt à] régir les échanges commerciaux entre l’Union et la République de Singapour en subordonnant la libéralisation de ceux-ci à la condition que les parties respectent leurs obligations internationales en matière de protection sociale des travailleurs et de protection de l’environnement[540].

Selon la Cour, la teneur des dispositions du chapitre 13 présente donc, en application du critère Daiichi, un lien spécifique avec les échanges commerciaux entre l’UE et Singapour[541], d’abord parce qu’il régit ces échanges en les soumettant au respect des conventions susmentionnées par les parties et en s’assurant notamment qu’aucune mesure ne soit adoptée et appliquée en vertu de ces conventions de manière à créer une discrimination arbitraire ou une restriction déguisée à l’égard de tels échanges[542]. Ensuite, parce que les dispositions de ce chapitre 13 ont également, des effets directs et immédiats sur les échanges commerciaux entre l’UE et Singapour[543]. Elles évitent effectivement entre autres que les standards internationaux de protection environnementale et sociale qui lient les parties soient abaissés afin d’encourager le commerce ou soient utilisés pour des fins protectionnistes. Elles contribuent aussi à ce que les entrepreneurs de l’UE et de Singapour participent au libre-échange sur un pied d’égalité[544]. Finalement la Cour souligne, toujours en application du critère Daiichi, que les règles du chapitre 13 sur la protection des travailleurs et de l’environnement ont d’autant plus un lien spécifique avec les échanges commerciaux entre Singapour et l’UE que la violation de ces normes par l’une d’elles autoriserait l’autre partie à avoir recours à l’article 60 (1) de la Convention de Vienne sur le droit des traités[545] pour mettre un terme ou suspendre la libéralisation des échanges commerciaux entre elles[546]. Sur la base de ce qui précède, la Cour conclut dès lors que le chapitre 13, qui vise l’instauration d’un libre-échange commercial entre l’UE et Singapour dans le respect du développement durable, relève de la PCC et en conséquence de la compétence intrinsèquement exclusive de l’UE[547]. En appliquant le critère Daiichi, concrétisé par l’analyse de la nature et de l’objectif des dispositions en cause, la Cour a conséquemment intégré entièrement le développement durable dans la PCC, omettant ainsi de le considérer comme ayant uniquement un caractère incident ou accessoire par rapport à celle-ci[548].

e) Le point sur la PCC issue du TL

Dans la jurisprudence analysée dans les paragraphes précédents où la Cour s’est notamment penchée sur le sens des expressions « échanges de services », « aspects commerciaux de la propriété intellectuelle », et « investissements étrangers directs » utilisées à l’article 207 (1), on remarque que la Cour suit un raisonnement qui conjugue, comme avant le TL, les thèses de la Commission et du Conseil sur la portée de la PCC[549]. Toutefois, depuis le TL, on observe principalement que les décisions de la Cour adoptent systématiquement une interprétation extensive de la compétence intrinsèquement exclusive de l’UE en matière de PCC. Cette vision large de la PCC résulte notamment de l’application constante du test Daiichi, selon lequel un acte de l’UE relèvera de la PCC, s’il « porte spécifiquement [par opposition à incidemment] sur les échanges internationaux [commerciaux] en ce qu’il est essentiellement destiné à promouvoir, à faciliter ou à régir ces échanges et a des effets directs et immédiats sur ceux-ci »[550]. Au fil de la jurisprudence de la CEJ étudiée plus haut, nous avons noté que les critères et les modalités d’application de ce test deviennent progressivement de plus en plus précis. En ce qui concerne les critères d’application, on constate d’abord que l’environnement commercial peut s’avérer important pour identifier les actes de PCC de l’UE. Tel fut le cas pour les clauses de l’ADPIC où la Cour a accordé une importance déterminante au contexte OMC entourant l’adoption de cette entente[551] et il en sera vraisemblablement de même pour les dispositions de tous les autres accords de l’OMC. Le contexte OMC fut aussi concluant pour arrêter le sens de l’expression « échanges de services » se trouvant à l’article 207 (1) TFUE[552]. Par ailleurs, la plupart des affaires examinées révèlent que le cadre commercial, OMC ou autres (comme les accords de libre-échange), dans lequel s’inscrivent les dispositions concernées est rarement considéré pour conclure qu’elles relèvent de la PCC[553].

En général, la jurisprudence considérée indique plutôt que l’application du test Daiichi requiert l’analyse de la finalité et du contenu des dispositions ou de l’accord en cause. Pour isoler les finalités recherchées par une mesure, l’examen des éléments suivants est jugé important, à savoir : son préambule, son titre, son libellé, le rapport explicatif de son adoption, les considérants de la décision attaquée du Conseil lus conjointement avec le texte de celle-ci et ce, afin de déterminer si le document en question vise, en application d’une des conditions du test, à promouvoir, à faciliter ou à régir les échanges internationaux commerciaux. Dans certains cas, on a remarqué que la recherche des objectifs permet également de déceler une double finalité, par exemple faciliter le commerce et améliorer le fonctionnement du marché intérieur européen[554]. Dans cette situation pour relever de la PCC selon le test Daiichi[555], le commerce facilité entre les parties devra être reconnu comme étant l’objectif prioritaire du document, reléguant ainsi le meilleur fonctionnement du marché interne au rang d’accessoire par rapport au but principal[556]. En plus d’aider, le cas échéant, à identifier l’objet de l’entente ou des dispositions en cause, l’analyse approfondie de leur contenu permet, selon les précédents examinés, de juger si elles ont en plus, en application de l’autre exigence du test, des effets directs et immédiats sur de tels échanges qui vont au-delà de simples implications sur celles-ci[557]. À titre d’exemples, mentionnons les clauses de l’accord qui rappellent à ses parties (l’UE et l’État tiers) leurs obligations internationales respectives au titre de conventions internationales afin de créer des conditions homogènes pour leur commerce[558]. Cette étude du contenu se fait évidemment au cas par cas étant donné la variabilité des textes à scruter. Terminons les critères d’application dégagés de la jurisprudence examinée, en relevant que, selon l’Avis 2/15, la PCC devra, comme action extérieure de l’UE, être conduite dans le respect de l’ensemble des principes et des objectifs énoncés à l’article 21 (1) et (2) TUE (TL)[559]. Dans cette affaire, en plus d’avoir utilisé ces clauses pour établir les deux conditions constitutives du critère Daiichi, la Cour les a considérées comme des éléments essentiels à respecter par les parties impliquées. Dans le cas de l’UE, elle en a fait également un critère additionnel d’application et une part intégrante de la PCC, dont la violation pourrait donner lieu à la suspension ou à l’annulation d’un accord[560].

Pour ce qui est à présent des modalités d’application du test Daiichi, il est clair, selon la jurisprudence analysée, qu’il faut procéder par étapes successives pour pouvoir conclure qu’une initiative de l’UE relève de la PCC parce qu’elle a un lien spécifique avec les échanges commerciaux internationaux. D’abord, il est nécessaire d’établir que cette action a pour finalité de promouvoir, de faciliter ou de régir les relations commerciales extérieures. Si ce premier élément est prouvé, il faudra dans un deuxième temps démontrer que la mesure en question a des effets directs et immédiats sur de tels échanges. Un acte de l’UE pourrait effectivement avoir pour but de promouvoir, de faciliter et de régir le commerce sans avoir concrètement un effet direct et immédiat sur celui-ci. Cela étant, dans l’application actuelle du test Daiichi, on retrouve des critères qui avaient déjà été utilisés dans la jurisprudence antérieure au TL (par exemple la référence au contexte, à l’objet, au contenu, au préambule, à la double finalité d’un accord, aux considérants d’un règlement[561]) et, parfois, le recours à la même formulation que celle du test Daiichi[562]. Toutefois, par rapport à cette jurisprudence, dans les affaires postérieures au TL, la Cour a systématisé, organisé et ordonné le recours à de tels critères qui permettent d’établir, dans le contexte du test Daiichi, le lien spécifique requis avec les échanges commerciaux internationaux.

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Dans le cadre de cette étude, nous avons pu constater que le contenu matériel de la PCC a connu une évolution non linéaire au fil des transformations historiques de l’ex-CE/UE, ce qui a évidemment eu des répercussions sur l’importance du recours à l’accord mixte classique[563] dans ce domaine. La première période de ce cheminement se caractérise par l’interprétation large que la CEJ donne à la PCC et en conséquence par un certain recul de la mixité en matière commerciale. Rappelons ici le cycle de Tokyo qui fut alors conclu sur la base de l’ex-article 113 TCEE par l’ex-CEE agissant seule[564]. Cette première période débute en 1975 avec l’Avis 1/75, lorsque la CEJ déclare que l’ex-CE possède une compétence intrinsèquement exclusive en matière de politique commerciale et que celle-ci a le même contenu que celle d’un État souverain[565]. En 1979, la CEJ complète cette vision large de la PCC dans l’Avis 1/78 en précisant qu’elle ne saurait exclure les mécanismes plus évolués du commerce extérieur en se limitant aux aspects classiques de celui-ci, comme la réduction des droits de douane et des obstacles non tarifaires[566]. La Cour maintient cette même ouverture envers la compétence intrinsèquement exclusive de l’ex-CE en matière de PCC jusqu’en 1994, lorsqu’elle rend l’Avis 1/94 à l’occasion du cycle d’Uruguay[567].

L’Avis 1/94 marque donc le début de la seconde période de ce processus pendant laquelle la Cour change complètement de cap au sujet du contenu de la PCC. Dans cet avis et dans la jurisprudence postérieure à celui-ci, la Cour exclut de la PCC plusieurs manifestations nouvelles ou non traditionnelles du commerce international, comme celles concernant les droits de propriété intellectuelle et certains types de services[568]. D’aucuns soutiendront que la Cour a semblé alors faire intervenir la PCC uniquement en cas de préemption complète interne en faveur de l’ex-CE sur un sujet donné, évitant ainsi de modifier les compétences communautaires en l’absence d’accord préalable des États membres[569]. À l’époque, une pareille interprétation étroite de la PCC impose la procédure mixte pour la conclusion de plusieurs accords commerciaux communautaires, dont bien entendu les accords du cycle d’Uruguay. En conséquence, le rôle de l’ex-CE dans le développement des règles du droit commercial international, et plus spécifiquement au sein de l’OMC, s’en trouva considérablement affecté, puisqu’il fallait dorénavant l’intervention et l’accord des États membres de l’ex-CE sur ces sujets[570].

Notre étude nous a également permis d’observer que l’entrée en vigueur du TL en 2009 marque le point de départ de la troisième période de ce développement, lequel est clairement confirmé par la suite en 2013, par la décision de la CEJ dans l’affaire Daiichi[571]. En ce qui concerne le TL, l’article 207 TFUE représente une réelle tentative de définir une PCC offrant une vision nouvelle qui tranche avec le courant jurisprudentiel issu de l’Avis 1/94. La PCC de l’article 207 est alors devenue une compétence d’attribution exclusive de l’UE pour pratiquement tous les sujets relevant de l’OMC, à savoir le commerce des services (sauf en matière de transports), les aspects commerciaux de la propriété intellectuelle et les investissements étrangers directs. Elle devient ainsi une PCC qui est plus adaptée aux circonstances nouvelles du commerce international. De plus, le paragraphe 4 de l’article 207 TFUE éloigne la PCC du jeu de la préemption, puisque l’unanimité n’y est plus exigée pour les ententes portant sur un domaine dans lequel l’UE n’aurait pas encore exercé ses compétences, par l'adoption de règles internes[572]. Cela dit, c’est l’affaire Daiichi qui donne plein effet à l’article 207 TFUE. La Cour y abandonne effectivement l’Avis 1/94 en écartant le recours à la mixité pour toutes les dispositions de l’ADPIC. Elle y formule également le test à appliquer pour identifier les domaines relevant de la PCC, qu’elle a ensuite développée en système dans une série d’affaires postérieures à cette décision[573]. Contrairement à la jurisprudence de la deuxième période, nous avons aussi constaté que ledit test semble jusqu’à présent avoir été appliqué sans tenir compte de l’évolution des règles communes de l’UE sur le sujet en litige et indépendamment donc du concept de préemption[574]. Avec la décision Daiichi, la Cour est en fait revenue à l’interprétation dynamique, large et flexible qu’elle avait donnée de la PCC dans les Avis 1/75 et 1/78 de la première période[575].

Conséquemment, le TL et la jurisprudence qui a appliqué l’article 207 TFUE nous incitent à penser que, dans les années à venir, il y aura probablement un recul du recours à l’accord mixte pour les accords de commerce de l’UE, si cette dernière tire les leçons de l’Avis 2/15[576], en excluant de telles ententes tout ce qui concerne les investissements non directs[577]. En matière commerciale, notamment au sein de l’OMC, et sur la scène internationale en général, les États membres verront possiblement leur présence et leur rôle progressivement réduit à celui de figurants, si cette tendance jurisprudentielle se poursuit[578]. En effet, au nom du test Daiichi, la Cour pourrait entre autres intégrer dans la PCC, excluant ainsi le recours à la mixité, plusieurs dispositions qui ne relèvent pas a priori de la compétence de l’UE. Comme exemple, citons l’affaire 137/12 où la Cour inclut dans la PCC les mesures pénales de saisies et de confiscation qui n’apparaissaient pas dans la directive 98/84/CE, en alléguant comme une évidence qu’elles contribuent à titre d’accessoires à la réalisation de l’objectif principal de la convention, à savoir la facilitation du commerce[579]. La lecture de la jurisprudence de la troisième période nous donne effectivement l’impression qu’il est devenu difficile pour le Conseil et les États membres de convaincre la Cour d’exclure de la PCC de nombreux domaines qui n’auraient probablement pas relevé de cette politique à une autre époque. Bien que systématisé, le test Daiichi laisse assurément à la Cour une très grande marge de manoeuvre au niveau de son application, ce qui rend le résultat d’un différend objectivement imprévisible pour les acteurs de l’UE[580]. Selon Cremona, « it is a test which favours flexibility over predictability »[581].