Comptes rendus

Lieux de mémoire sonore. Des sons pour survivre, des sons pour tuer, dirigé par Laëtitia Atlani-Duault et Luis Velasco-Pufleau, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2021, 304 pages[Notice]

  • Catherine Harrison-Boisvert

Cet ouvrage collectif, dirigé par le compositeur et musicologue Luis Velasco-Pufleau (Université de Berne) et l’anthropologue Laëtitia Atlani-Duault (ceped, Université de Paris, ird, Inserm), propose par ses différentes contributions d’examiner les manifestations musicales qui surgissent dans des contextes politiques, environnementaux et humanitaires extrêmes. Pour ce faire, les directeur·rice·s de l’ouvrage se dotent d’un cadre conceptuel qui envisage la musique à l’intersection des sound studies, de l’anthropologie du sonore et de l’anthropologie politique de la musique. Appliquée à des situations de violence organisée, cette perspective vise à dégager la manière dont s’articulent la dimension proprement sonore de la musique et son déploiement en tant que lieu, plus précisément en tant que lieu de pouvoir. À partir de cette prémisse, la conception de l’ouvrage s’appuie sur une double proposition. D’abord, la musique est comprise comme lieu de mémoire sonore, qui transpose au monde audible la définition des lieux de mémoire proposée par Pierre Nora, selon laquelle ceux-ci sont investis d’une double réalité, matérielle et symbolique (Nora 1992, p. 11-32). Ces lieux de mémoire sonore sont par ailleurs considérés comme constamment actualisés dans les processus de subjectivation individuelle et collective. La deuxième proposition émise s’appuie quant à elle sur la possibilité d’examiner ces lieux de mémoire sonore comme les deux faces d’une même réalité, soit les situations de violence abordées plus haut. D’une part, les auteur·rice·s proposent de se pencher sur la manière dont la musique est utilisée comme arme dans de tels contextes ; d’autre part, ils et elles s’intéressent à la manière dont elle peut inversement y constituer une ressource symbolique, un outil de survie. À cet égard, le sous-titre de l’ouvrage exacerbe chez les lecteur·rice·s l’attente d’une perspective antagoniste où la musique est envisagée au seuil de la mort – celle qu’on nous impose par la violence ou à laquelle on échappe in extremis ; la photo de la première de couverture est à cet égard plutôt éloquente, montrant un homme jouant de la guitare, debout, alors que ceux qui l’accompagnent sont armés et tirent sur une cible extérieure au champ de la photo. C’est cette antagonisation qui détermine la structure de l’ouvrage en deux grandes parties, la première intitulée « Le silence et le son comme armes » (p. 19-172), et la seconde, « Le son et la musique comme outils de survie » (p. 173-296). Pour constituer la première partie, les directeur·rice·s s’appuient sur les apprentissages tirés de recherches antérieures menées sur l’utilisation du son et du silence dans différents contextes de violence organisée : usages policiers et militaires (Volcler 2011), torture (Grant 2014, Ochoa Gautier 2017, Papaeti 2013, Chornik 2018), guerre (entre autres Daughtry 2015, Goodman 2010, Velasco-Pufleau 2018, Williams 2019). Elle regroupe cinq contributions se déroulant sur des terrains contrastants, tant sur le plan géographique que sur celui des contextes dans lesquels les lieux de mémoire sonore se déploient. D’abord, la chercheuse en études anglaises et théâtrales Maria Ristani (« Prisonniers du son. La prison de Saydnaya en Syrie », p. 21-36) examine la manière dont le silence est utilisé comme outil disciplinaire dans la prison de Saydnaya, en Syrie, dans les conditions de violence les plus abjectes. Ensuite, l’anthropologue Nicolas Puig (« Chatila sous le son. Cultures, pratiques et perceptions sonores dans un camp de réfugiés au Liban », p. 37-58) se penche sur les modalités de pratiques et de perception sonores dans le camp de réfugiés de Chatila, au Liban. Cette contribution est suivie d’un chapitre de la chercheuse indépendante en histoire et en science politique Abir Nur (« Du Rêve à la Conscience arabes. Les chansons …

Parties annexes