Comptes rendus

American Gamelan and the Ethnomusicological Imagination, d’Elizabeth Clendinning, Urbana, University of Illinois Press, 2020, 245 pages[Notice]

  • Laurent Bellemare

Faisant une lecture tantôt macroscopique et tantôt localisée du phénomène, Clendinning couvre la chronologie des événements historiques expliquant le gamelan aux États-Unis, en examine les retombées et finit par en aborder les multiples enjeux. L’argument plus général englobant ces analyses thématiques est la transformation du rapport entre l’étude du gamelan et l’ethnomusicologie américaine à travers les générations. Au-delà de la bimusicalité initialement promue par l’ethnomusicologue Mantle Hood, le gamelan outremer a donné lieu à des communautés artistiques vivantes affectant profondément la vie de ses agents. Même si le système d’échange facilité par ces communautés est loin d’être égalitaire, les retombées qu’il a sur tant d’individus en valent amplement les défis. Méthodologiquement, Clendinning fait usage de la biographie pour faire ressortir ces points. Les anecdotes et histoires personnelles sont ainsi utilisées à profusion, mettant par ailleurs fréquemment l’autrice en scène. Dans son chapitre introductif (« Interlocking sounds, interlocking communities », p. 1-22), Clendinning souligne l’importance du gamelan indonésien parmi les sous-cultures musicales aux États-Unis. Malgré le faible poids démographique des diasporas indonésiennes, elle estime à environ 150 le nombre de gamelans actifs dans ce pays. Au moins la moitié d’entre eux ferait partie d’un cursus universitaire, les autres suivant un modèle communautaire. Au sein de l’enseignement supérieur, le gamelan prend souvent la forme de world music ensemble, un type de cours pratique ayant émergé à partir des années 1960 par souci de diversification des musiques promues dans les départements de musique. Avec la notion de bimusicalité défendue par Hood, spécialisé en musiques indonésiennes, le gamelan s’est retrouvé « au coeur de ce nouvel ordre consciencieusement diversifié » (p. 3) et est ainsi devenu le world music ensemble par excellence. Clendinning revendique au passage une ethnomusicologie étudiant de près ces ensembles académiques. Au deuxième chapitre (« Early encounters in bi-musicality », p. 23-46), Clendinning relate les jalons qui ont permis aux États-Unis de se transformer en terrain fertile pour l’apprentissage du gamelan au cours des xixe et xxe siècles. D’abord, elle rend compte de l’Exposition universelle de Chicago en 1893, événement majeur pour la diffusion de la culture javanaise en Amérique. Ensuite, elle mentionne l’entreprise d’Odeon and Beka, compagnie ayant commercialisé des enregistrements de gamelan à Bali dans les années 1920. Échec commercial sur l’île, ces disques sont néanmoins d’une importance capitale pour la carrière de Colin McPhee. Ce dernier dévoue de nombreuses années à l’étude et la documentation des musiques balinaises, s’inspirant de celles-ci dans ses compositions. Pionnier dans l’étude des musiques d’ailleurs sur le terrain, McPhee ouvre la voie à d’autres générations de compositeurs intéressés par le gamelan, tels Henry Cowell, Lou Harrison et John Cage. Après la Seconde Guerre mondiale, l’Amérique reçoit ses premières tournées d’artistes balinais. De 1952 à 1956, le groupe Gunung Sari du village de Peliatan présente des spectacles dans les plus grandes villes du pays ainsi qu’à la télévision. L’autrice retrace ensuite le parcours de Mantle Hood qui, inspiré par un groupe de gamelan hollandais et par ses études avec Jaap Kunst, ouvre en 1958 un cours pratique sur la musique javanaise, suivi d’un volet sur la musique balinaise l’année suivante. (Clendinning omet de le mentionner dans son livre, mais Mantle Hood avait déjà ouvert un groupe d’étude en musique javanaise à ucla en 1954.) Première initiative de la sorte, ce cours pratique permet l’embauche des virtuoses Hardja Susilo, Cokorda Agung Mas et I Wayan Gandera, tout en systématisant la pratique des musiques non européennes et le world music ensemble. Application concrète de la bimusicalité promue par Hood, le cours de gamelan à ucla marque profondément l’enseignement de la musique aux …

Parties annexes