Présentation du numéro[Notice]

  • Florian Guilloux et
  • Jérôme Rossi

Si les chansons de Gainsbourg sont fermement installées au panthéon de la chanson française, voire même de la culture pop mondiale comme tendent à le prouver les nombreux samples et remix dont elles sont l’objet (Madonna, Beck, Sonic Youth, Placebo), on ne saurait en dire autant de la filmographie de l’aci (auteur-compositeur-interprète) dont les quatre longs-métrages, peu goûtés par les professionnels à leur sortie, n’ont jamais atteint des statuts de films populaires ou de films cultes : Je t’aime moi non plus (1976), Équateur (1983), Charlotte for Ever (1986), Stan the Flasher (1990). Il reste pourtant certain que la carrière de Gainsbourg est très tôt liée au cinéma, en tant que réalisateur mais aussi en tant qu’acteur et compositeur de musique de film. Si le présent volume interroge plus spécifiquement ce dernier aspect, on constatera que ces trois facettes restent toujours plus ou moins liées, à commencer par son premier succès public, la chanson éponyme du film L’Eau à la bouche (Jacques Doniol-Dalcroze, 1960), chantée pendant le générique de début. Gainsbourg l’acteur chante parfois ses propres chansons – « Bye-bye Mister Spy » dans L’Inconnu de Shandigor (Jean-Louis Roy, 1967), « La Noyée » dans Romance of a Horsethief (Abraham Polonski, 1971) – ou compose la musique des films dans lesquels il joue – Slogan (Pierre Grimblat, 1969), Cannabis (Pierre Koralnik, 1970), Je vous aime (Claude Berri, 1980) –, comme l’exprime cette boutade qu’il relaie : « Certains critiques ont dit “Pour avoir sur l’écran Jane Birkin, il faut se taper le trio Jane, Serge Gainsbourg et sa musique” » (Serge Gainsbourg à Gérard Jourd’hui, Pop Music-Superhebdo, 6 mai 1971, cité dans Merlet 2019, p. 248). Inversement, c’est parfois le compositeur qui précède l’acteur. Georges Lautner raconte ainsi pourquoi il a fait jouer le personnage d’un musicien à Gainsbourg dans Le Pacha (1968) : « Je me suis dit : “Gainsbourg compose la musique du film”. Et justement, si c’était lui qui enregistrait ? Il serait plus que simple compositeur, on le verrait à l’écran… » (Gainsbourg 2015, p. 11). Gainsbourg le réalisateur écrit aussi la musique de ses propres films, tandis que ses musiques de film peuvent devenir des thèmes de chansons dans des logiques de réemploi foisonnantes. Le cas de « Je t’aime moi non plus » est emblématique à cet égard. Conçu comme un morceau instrumental pour le film LesCoeurs verts (Édouard Luntz, 1966), le titre, une fois doté de paroles, devient le tube « Je t’aime moi non plus », d’abord enregistré avec Brigitte Bardot, puis avec Jane Birkin. En retour, cette chanson inspire un film, réalisé par Gainsbourg lui-même, dans lequel la chanson est entendue sous sa forme instrumentale. Du premier Gainsbourg de Gilles Verlant (1993) régulièrement réédité aux récents Gainsbook (Merlet 2019), Histoire de Melody Nelson (Gonin 2021) ou Tout Gainsbourg (Dicale 2021), le personnage n’en finit plus d’affoler les plumes de toutes sortes depuis sa mort en 1991. Un colloque international, organisé en Sorbonne du 9 au 11 avril 2019 par Olivier Julien et Olivier Bourderionnet, montre que Gainsbourg s’est constitué en un objet digne des recherches universitaires. Une exploration approfondie de sa musique de film est donc devenue une nécessité, d’autant que la collection « Écoutez le cinéma » a réussi le tour de force de rassembler en un coffret une intégrale des musiques de Gainsbourg pour le cinéma (Gainsbourg 2015). Pour l’occasion, le directeur artistique de la collection, Stéphane Lerouge, a rassemblé des témoignages de trois réalisateurs s’exprimant sur leur relation avec Gainsbourg : Georges Lautner, Pierre Granier-Deferre et Bertrand Blier. Ce coffret met en valeur la permanence …

Parties annexes