Comptes rendus

Gamelan Girls. Gender, Childhood, and Politics in Balinese Music Ensembles, de Sonja Lynn Downing[Notice]

  • Laurent Bellemare

Premier ouvrage de la musicologue américaine Sonja Lynn Downing, Gamelan Girls. Gender, Childhood, and Politics in Balinese Music Ensembles est l’une des rares études à s’intéresser à la situation des femmes dans la vie musicale balinaise. Plus précisément, l’autrice y documente l’émergence d’orchestres de gamelan féminins et de musiciennes professionnelles à Bali. Si la littérature sur les arts performatifs indonésiens abonde, la plupart des publications sur la musique ont tenté de contextualiser le gamelan selon ses fonctions socioculturelles, à en analyser les structures musicales sous-jacentes ou à en étudier les changements depuis le contact avec les Européens. Or, les femmes, à Bali ou ailleurs dans l’archipel, sont absentes de ces portraits puisqu’elles n’ont pas été à l’avant-plan des développements musicaux. Cette marginalité s’explique notamment par les rôles strictement genrés des citoyen·ne·s dans les sociétés traditionnelles indonésiennes. Les attentes normatives quant à l’emploi du temps des femmes les rendent ainsi minoritaires parmi les musicien·ne·s. À Bali, elles sont plutôt encouragées à pratiquer la danse, jugée plus appropriée étant donné leur présumée délicatesse, alors que la pratique du gamelan est presque exclusivement réservée aux hommes, considérés plus véloces et dextres. De plus, la religion balinaise a interdit pendant longtemps l’inclusion des femmes au sein de l’interprétation du gamelan dans sa fonction rituelle. Encore aujourd’hui, certains types d’orchestres sacrés sont interdits aux femmes. De plus, les arts religieux et séculiers s’entrecroisent à Bali, de telle sorte que les connotations négatives qui accompagnent le jeu instrumental d’une femme sont restées fortement ancrées dans les normes balinaises malgré une sécularisation des arts. Les femmes sont donc rarement au centre de l’enseignement et de la performance du gamelan, et encore moins souvent impliquées dans la création musicale. Pourtant, les musiciennes existent sur l’île depuis au moins un demi-siècle. Un nombre croissant de villages entretiennent des ensembles exclusivement féminins (gamelan wanita) qui se produisent fréquemment en contexte de compétition depuis 1982. Leur représentation dans la vie musicale balinaise s’est graduellement accrue de telle sorte que leur contribution artistique est aujourd’hui incontournable. Fruit de multiples études de terrain s’étalant de 2002 à 2015, Gamelan Girls documente l’évolution d’ensembles composés de jeunes filles dans trois communautés balinaises : Sanggar Çudamani à Pegosekan, Sanggar Maha Bajra Sandhi à Denpasar et Sanggar Pulo Candani Wiswakarma à Batubulan. L’aspect novateur de cette entreprise est d’observer l’apprentissage musical de jeunes filles balinaises en bas âges, un phénomène inédit réduisant l’inégalité d’accès au gamelan chez les enfants. Ceci permet à l’autrice d’observer cette éducation en concomitance avec celle de jeunes garçons du même âge. Le groupe d’enfants du Sanggar Maha Bajra Sandhi étant mixte, son étude permet de vérifier en temps réel s’il existe une corrélation entre genre et aptitudes musicales. Ceci donne donc la possibilité de nuancer, voire discréditer l’hypothèse répandue selon laquelle les capacités d’apprentissage du gamelan par les femmes seraient intrinsèquement inférieures à celles des hommes. Ainsi, Downing dresse les profils de plusieurs musiciennes depuis l’enfance jusqu’au passage à l’âge adulte, mettant une emphase sur les défis auxquels sont confrontées les jeunes filles lorsqu’elles sont contraintes de réévaluer leur engagement envers la musique en fonction des pressions et responsabilités de la vie adulte. Notons que si la virtuosité des musicien·ne·s balinais·e·s est systématiquement louée, c’est parce que ceux·elles-ci intègrent cette culture musicale dès l’enfance, un avantage auparavant rarement accordé aux jeunes filles. Cette attention portée aux enfants en processus d’apprentissage de la musique n’est pas sans rappeler les observations de Colin McPhee dans son livre A House in Bali publié dès 1944. Dans ce classique de la littérature sur Bali, l’auteur documente son rôle de mécène auprès de jeunes …

Parties annexes