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L’utilisation accompagnée des boîtiers de vote électronique (BVE), une démarche favorisant le développement professionnel de l’enseignant

Les boîtiers de vote font l’objet de très nombreux articles dans la littérature. Les auteurs cherchent par exemple à voir si l’utilisation de cet outil a un effet sur la motivation des étudiants et leur participation au cours (Burnstein et Lederman, 2001; Caldwell, 2007; Greer et Heaney, 2004), sur leur engagement (McGowan et Gunderson, 2010), sur le climat de classe (Bain et Przybyla, 2009) ou encore sur les apprentissages qu’ils réalisent (Carnaghan et Webb, 2007; Horowitz, 2006; Hu et al., 2006; Kaleta et Joosten, 2007; Preszler, Dawe, Shuster et Shuster, 2007).

Les principaux résultats présentés dans ce champ sont contrastés. Certains auteurs ne doutent pas de l’effet des BVE sur l’une ou l’autre de ces variables. Ainsi, à titre d’exemple, le Prix Nobel Carl Wieman soutient, après analyse de la littérature, qu’ils « ont un profond impact sur l’expérience éducative des étudiants » (Wieman, 2010, p. 186). D’autres auteurs sont plus en questionnement, voire dubitatifs quant à l’intérêt d’utiliser les BVE. Ainsi, Patterson et ses collègues (2010) ne leur reconnaissent « aucun effet sur l’apprentissage ». Dans leur méta-analyse récente, Hunsu, Adesope et Bayly (2016) présentent des conclusions mitigées. Pour eux, les BVE ne sont d’aucune utilité lorsqu’il s’agit de produire un effet sur des apprentissages peu complexes tels que, par exemple, la rétention d’information. Les effets sont un peu plus élevés, mais restent faibles lorsqu’ils visent des apprentissages plus complexes (compréhension, par exemple) ou des éléments plus dynamiques comme l’engagement ou la motivation.

Nos propres conclusions sont que, finalement, comme souvent lorsqu’il s’agit de technologie, c’est la pédagogie soutenue par l’outil qui fait la différence entre en usage pertinent et un autre qui l’est moins. À ce titre, les propos tenus par Wood (2004) nous semblent toujours d’actualité : selon lui, les BVE peuvent être utilisés avec compétence ou maladresse, de manière créative ou destructive (p. 796). L’usage sera pertinent s’il entre en résonance et en concordance avec une pédagogie efficace. Certes, l’outil en lui-même peut avoir un effet émancipateur sur la pédagogie, influencer, par son fonctionnement — les possibilités qu’il offre, parfois les contraintes qu’il fait peser —, la manière de concevoir des dispositifs pédagogiques. Il peut donner des idées aux enseignants, les inciter à réfléchir à leur pratique et à leur posture dans le domaine de la pédagogie, provoquer des assimilations ou des accommodations d’éléments pédagogiques au sens piagétien du terme. Il peut donc modifier le rapport des enseignants à leur pédagogie, c’est-à-dire, finalement, stimuler ou catalyser le développement professionnel des enseignants dans le domaine de la pédagogie universitaire.

L’effet de l’outil et de son usage sur ce développement est au coeur de notre article. Il s’agit là d’une approche relativement originale. Des modèles comme le TPaCK de Mishra et Koehler (2006) ou l’ASPID (Karsenti, 2014), bien connus des technopédagogues, laissent à penser que les technologies peuvent être une entrée à privilégier lorsqu’il s’agit d’amorcer une réflexion systémique sur son enseignement et, par effet rebond, de permettre à l’enseignant de se développer. Dans le domaine spécifique des BVE, on peut noter l’étude de Han et Finkelstein (2013) qui montre comment la formation des enseignants dans le domaine de l’évaluation et du feedback améliore l’usage des BVE, mais ce sont surtout les travaux d’Offerdahl et Tomanek (2011) qui retiennent notre attention. Si leur focale ne porte pas exclusivement sur les BVE, ils ont montré très finement, à l’aide de trois analyses de cas, comment l’expérimentation de nouvelles stratégies en évaluation influence à long terme aussi bien les pratiques que les croyances des enseignants dans le domaine de l’évaluation. Dans le cas de notre recherche, le dispositif d’accompagnement intègre des outils d’analyse réflexive mettant en lumière les interactions entre l’usage de l’outil, l’accompagnement technopédagogique et le développement professionnel des enseignants. En ce sens, nous nous inscrivons dans la lignée des travaux de Stes et Van Petegem (2011) qui évaluent l’effet d’un programme de formation des enseignants du supérieur sur leurs conceptions liées à l’enseignement.

1. Cadre théorique et problématique

Usages des boîtiers de vote électronique et apprentissage

Les boîtiers de vote électronique (BVE) sont des outils qui permettent aux étudiants de répondre à une question, souvent de type question à choix multiples (QCM), à l’aide d’une télécommande sans fil. Leur usage se généralise dans les cours universitaires (Abrahamson, 2006) et a donné lieu à de nombreuses recherches qualitatives et/ou quantitatives (pour une présentation en français, voir Dionne, 2012). Il y a plusieurs facettes aux besoins perçus par les enseignants lorsqu’ils décident d’utiliser les BVE. Bates, Howie et Murphy (2006) évoquent un continuum ou les usages sont classifiés de « superficiels » à « profonds ». Selon eux, ils sont superficiels quand ils servent uniquement à la variation du rythme d’un exposé ou à la refocalisation des étudiants sur la matière. Les enjeux que voient Rana et Dwivedi (2016) dans l’utilisation des boîtiers peuvent être classés dans cette catégorie. En effet, selon eux, « pour maintenir leur intérêt, leur concentration et leur motivation, les étudiants attendent des contenus visuels plus inspirants et l’intégration des technologies dans leur cours (p. 49) ». D’autres usages sont plus profonds et ambitieux, comme ceux qui visent un changement conceptuel dans l’appréhension de la matière par les étudiants (Lin, Liu et Chu, 2011). Entre les deux pôles de ce continuum se placent des utilisations diverses et variées qui, selon nous, sont à analyser et comprendre dans le contexte spécifique qui les a vues naître et s’implanter. En effet, comment juger de l’intérêt d’un usage de BVE sans connaître un certain type de variable contextuelle réputée influencer l’impact des BVE, comme c’est le cas, par exemple, des objectifs poursuivis, de la fréquence d’utilisation, de la temporalité (combien de questions et quand interviennent-elles dans la séquence d’apprentissage? McGowan et Gunderson, 2010), de la qualité (des débats et de la rétroaction), du type de questions posées (type de processus cognitif à convoquer pour y répondre; Bates, Howie et Murphy, 2006), des modalités (par exemple, respect ou non de l’anonymat; Poole, 2012), de l’outil utilisé (Brady, Seli et Rosenthal, 2013), de la visée de l’évaluation (formative ou certificative; White, Syncox et Alters, 2011), de la compétence de l’enseignant (Han et Finkelstein, 2013; Hu et al., 2006), du type de pédagogie soutenue (Anthis, 2011), de la discipline (Hunsu et al., 2016) et de la taille du groupe d’étudiants (Mayer et al., 2009).

L’hétérogénéité des contextes et des pratiques est, selon nous, la raison principale pour laquelle les études ne sont pas univoques quant à l’intérêt d’utiliser les BVE. Certaines, très minoritaires, rapportent même des effets délétères liés à l’usage des BVE (Fortner-Wood, Armistead, Marchand et Morris, 2013; Graeff et al., 2011). Mais quoi qu’il en soit, bien exploités, les BVE nous semblent être des outils féconds pour favoriser l’apprentissage. Par bien exploités, nous entendons soutenant des actions pédagogiques mises en place dans une préoccupation didactique en lien avec les apprentissages des étudiants. Il y a entre ce type de préoccupations et les niveaux de développement professionnel des enseignants des liens étroits qu’il nous reste à présenter.

Développement professionnel des enseignants et approche technopédagogique

Il existe de nombreux modèles théoriques ou empiriques tentant d’éclairer le développement professionnel des enseignants. Historiquement, les premiers auteurs envisagent une perspective développementale, souvent sous forme de stades (Fuller, 1969; Katz, 1972; Hall et Loucks, 1979; Huberman, 1989; Fessler et Christensen, 1992; Nault, 1999). Indépendamment, d’autres se sont intéressés à la professionnalisation des enseignants en se centrant sur leurs compétences et les dispositifs de formation favorables à leur développement. D’abord essentiellement focalisées sur les savoirs cognitifs et procéduraux, les études se sont progressivement élargies aux compétences métacognitives et psychosociales nécessaires à la fonction d’enseignant. Ainsi, celui-ci n’est plus seulement celui qui doit connaître ou savoir faire, il est celui qui doit se penser dans l’action et par l’action et qui, par un regard réflexif, est un acteur capable de cerner et de maîtriser la complexité du monde qui l’entoure pour que ses actions contribuent au mieux à l’apprentissage de ses étudiants. Cette posture, très proche de la recherche-action, trouvera le terreau dans lequel prendra racine le scholarship of teaching and learning dans l’enseignement supérieur. Certains auteurs ont tenté de théoriser ce développement professionnel. Ainsi, après Paquay (1994), Donnay (2002) et Donnay et Charlier (2006) ont proposé un continuum du praticien au chercheur en passant par le praticien réflexif.

L’usage des technologies en éducation — d’une vision technocentrée à une vision intégrée

Dans d’autres travaux sans liens formels avec ceux que nous venons de décrire, des chercheurs s’intéressant à l’usage des TIC dans le domaine éducatif se sont également penchés sur les étapes de développement des enseignants qui découvrent, puis s’approprient les technologies (Depover et Strebelle, 1997; Moersch, 2001; Raby, 2004; Sandholtz, Ringstaff et Owyer, 1997). Ces différents modèles proposent une vision essentiellement technocentrée.

Le modèle SAMR de Puentedura (2009) prend quelques distances par rapport aux modèles publiés jusqu’alors, en ce sens qu’il est résolument technopédagogique, voire pédagotechnologique. Il se présente sous la forme d’une échelle à quatre niveaux caractérisant les niveaux d’intégration technopédagogique :

  • La substitution (la technologie ne fait que se substituer à l’existant);

  • L’augmentation (la technologie entraîne également des améliorations fonctionnelles);

  • La modification (la technologie permet l’amélioration d’un certain nombre d’activités pédagogiques);

  • La redéfinition (la technologie permet de concevoir des refontes pédagogiques impossibles à envisager sans son intégration).

Karsenti (2014) propose un modèle analogue (ASPID). Il est plus complet en ce sens qu’il décrit une phase possible supplémentaire : la détérioration (l’usage entraîne plus d’inconvénients qu’il n’apporte de solutions).

Contrairement aux autres, le modèle TPaCK de Mishra et Koehler (2006), dans le prolongement des travaux de Shulman (1986), ne présente pas ses éléments sous forme d’étapes, mais offre un cadre conceptuel pour penser le lien entre contenu, pédagogie et technologies de l’éducation. Il a, de plus, l’avantage d’avoir été pensé dans le domaine de l’enseignement supérieur. Selon ces auteurs, l’expertise en enseignement dépend de l’accès rapide à trois systèmes de connaissances très organisés qui concernent 1) le contenu à enseigner (content), 2) la pédagogie (pedagogy), 3) les technologies (technology). Shulman avait nommé l’intersection entre 1) et 2) pedagogical content knowledge (PCK). En France, nous parlerions probablement de transposition didactique. Comme le montre la figure 1, trois autres intersections existent : Le technological content knowledge (TCK), le technological pedagocical knowledge (TPK) et le technological pedagogical content knowledge (TPCK).

Figure 1

Le modèle TPaCK

Le modèle TPaCK
Mishra et Koehler, 2006

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À partir du moment où les technologies doivent être en interaction directe avec les savoirs liés au contenu et avec les aspects pédagogiques pour donner leur pleine mesure, la porte d’entrée technologique permet, lorsque l’accompagnement est performant, un développement professionnel de l’enseignant sur l’ensemble des facettes du modèle, ou du moins sur leurs intersections. Cette thèse est défendue par Puentedura (2014) pour qui le niveau « modification » peut être atteint en augmentant le niveau des savoirs liés au pedagogical content knowledge (PCK), au technological content knowledge (TCK) et au technological pedagogical knowledge (TPK), alors que pour atteindre le niveau « redéfinition », il est nécessaire d’entamer une réflexion au niveau du technological pedagogical content knowledge (TPCK).

Dans cette perspective, le développement technopédagogique des enseignants, et donc l’introduction des technologies dans leur enseignement, devient un acte de développement professionnel ayant potentiellement de nombreuses répercussions positives sur leur expertise en tant qu’enseignants. C’est selon ce principe que nous avons accompagné plusieurs enseignants dans l’utilisation des boîtiers de vote électronique (BVE).

Questions de recherche

Exception faite du modèle TPaCK, notre revue de littérature manifeste une relative déconnexion entre les modèles de développement professionnel des enseignants et les modèles de développement technopédagogiques. Nous intégrons ces perspectives en cherchant à établir les liens entre l’usage des BVE et le développement professionnel des enseignants. Quelles transformations peut-on observer au fil de l’usage des technologies BVE? Quels sont les effets d’un dispositif d’accompagnement technopédagogique à visée réflexive sur les différentes dimensions du développement professionnel sur le plan des conceptions et des pratiques d’enseignement? Observe-t-on une évolution des usages vers une meilleure prise en compte de l’apprentissage étudiant? En quoi le contexte de l’enseignement joue-t-il un rôle de catalyseur ou de frein au développement technopédagogique de l’enseignant?

2. Méthodologie

Cette recherche s’inscrit dans une épistémologie pragmatiste, expérimentaliste, qualitative et réflexive, fortement inspirée par Dewey (1938/1967) et Schön (1983/1994). Selon cette approche, la connaissance s’élabore dans l’action des individus en étroite interaction avec leur environnement culturel, social, physique et technique. La signification de la pratique est ainsi tributaire d’un contexte d’usage, d’un environnement social et d’une expérience en cours. Elle se construit dans l’enquête, dans la détermination des effets pratiques de l’action[1] (Dewey, 1938/1967). La réflexivité, indissociable de l’apprentissage, est au coeur de cette épistémologie. Le dispositif d’accompagnement du développement professionnel de l’enseignant a ainsi été conçu pour stimuler la réflexion critique sur la pratique d’enseignement à partir d’une centration sur l’usage des BVE. Comme le résument Mukamurera, Lacourse et Couturier (2006) à partir d’une lecture des principaux auteurs francophones du champ, la recherche qualitative accorde une place centrale aux dimensions subjective et intersubjective et à la mise en oeuvre d’une démarche discursive de reformulation, d’explicitation ou de théorisation de la pratique. En cohérence avec ce soubassement épistémologique, notre méthodologie se centre sur les pratiques d’enseignement effectives et le sens que les acteurs leur accordent, dans une perspective diachronique et synchronique, afin d’appréhender finement les dynamiques d’évolution des usages des BVE en lien avec le développement professionnel des enseignants. Des entretiens semi-directifs approfondis et réitérés sur la pratique et ses conditions sont conduits à partir d’observations de séances de cours, de vidéos et d’analyse des points de vue des étudiants. Les actions d’accompagnement et de recherche se nourrissent mutuellement, la deuxième fournissant des outils d’observation et d’analyse qui sont réinvestis dans l’accompagnement. C’est donc aussi à travers la réflexivité du chercheur que l’action d’accompagnement se peaufine. Cette posture est proche de celle qui est privilégiée dans l’approche naturaliste telle que défendue par Lincoln et Guba (1985). Cette approche, fondamentalement qualitative, n’exclut pas une analyse quantitative des données (Paillé et Mucchielli, 2007, p. 68-72). Nous repérons ainsi la fréquence de certaines occurrences afin d’éclairer l’ampleur des tendances établies.

Présentation du dispositif d’accompagnement pédagogique

Le dispositif d’accompagnement pédagogique est basé sur un suivi de l’usage des BVE durant un semestre. Il a été élaboré selon deux modalités, un accompagnement léger et un accompagnement approfondi.

Accompagnement léger

Il concerne quatre enseignants. Dans cette modalité, l’enseignant est interviewé à deux reprises et observé lors d’une séance de cours durant laquelle les BVE sont utilisés. Le premier entretien explore les données de contexte (filière, type de cours et public, organisation de l’enseignement, formation), le questionnement pédagogique de l’enseignant (objectifs, constats, conceptions, difficultés) et l’intention initiale d’utilisation des BVE (objectifs, familiarisation avec l’outil, modalités d’utilisation). Le second entretien explore les usages effectivement mis en place, les impacts perçus, les difficultés et les perspectives envisagées.

Accompagnement approfondi

Il concerne cinq enseignants. Cette modalité vise à favoriser une réflexion approfondie en triangulant trois sources d’information : des entretiens réitérés mobilisant questionnement et discours argumentatif, l’observation de l’enseignement et le point de vue des étudiants (figure 2). L’accompagnement est réalisé selon les étapes suivantes :

Figure 2

Protocole d’accompagnement approfondi

Protocole d’accompagnement approfondi

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  1. Un premier entretien (entretien 1) explore les données de contexte, le questionnement pédagogique de l’enseignant et le projet d’utilisation des BVE.

  2. L’observation de deux séances de cours incluant les BVE (observations 1 et 2), dont une filmée, permet de repérer les séquences constitutives de la séance et de déterminer la posture de l’enseignant, l’attitude des étudiants, les interactions enseignant/étudiants et l’usage des BVE.

  3. Les séances observées sont suivies d’entretiens et une autoconfrontation au film est enregistrée. Sont discutés les moments significatifs du point de vue de la maîtrise technique du système et des choix didactiques et pédagogiques en général, et plus spécifiquement avec les BVE, les réactions des étudiants avec et sans BVE, les contraintes d’enseignement et les contraintes du système des BVE.

  4. Le recueil des points de vue des étudiants vise à évaluer l’appréciation des BVE, la réflexion suscitée, l’adéquation du temps de réponse, les bénéfices perçus en matière d’apprentissage, la possibilité de situer ses résultats par rapport aux résultats du groupe, l’utilisation anonyme ou nominative et l’apport des BVE à la dynamique du cours.

  5. L’entretien final consiste à revenir sur les thèmes de l’étude en présentant à l’enseignant les résultats des observations, des entretiens et du recueil des points de vue des étudiants, qu’il est invité à commenter. Il se conclut par une discussion sur les perspectives d’utilisation des BVE.

Protocole de recherche

Afin d’établir notre public cible, que nous souhaitions novice à l’égard des BVE, nous avons repéré des enseignants volontaires pour intégrer ou améliorer l’usage des BVE dans l’un de leurs cours et s’inscrire dans un protocole d’accompagnement de cet usage. Neuf universitaires ont ainsi été recrutés dans différentes disciplines (physique, 4; anglais, 2; chimie, 1; géologie, 1; informatique, 1) et différents départements, intervenant à différents niveaux d’enseignement de la licence au master.

Le protocole de recherche mis en place vise deux principaux objectifs : observer l’utilisation des BVE et étudier les effets des dispositifs d’accompagnement sur cette utilisation et sur le développement professionnel des enseignants. Toutes les étapes des deux modalités d’accompagnement ont été enregistrées, retranscrites puis soumises à une analyse de contenu. La condensation du volumineux recueil de données et le passage d’une organisation séquentielle à une organisation thématique ont classiquement constitué la première étape de cette recherche (Huberman et Miles, 1991, 1994), dont la construction est cependant plus itérative que linéaire (Mukamurera et al., 2006). À partir du repérage et du codage de certains éléments des discours et des situations, le retour aux données a permis d’en estimer la pertinence « jusqu’à ce qu’une organisation plausible et cohérente, assurant l’intelligibilité du discours, permette de conclure à la saturation des diverses significations codifiées » (Desgagné, 1994, p. 80, cité par Mukamurera et al., 2006), puis, dans certains cas, la fréquence, ce qui nous donnera une idée de l’ampleur des phénomènes observés. Le codage a été réalisé d’abord individuellement par deux chercheurs puis, de manière concertée, en analysant les traces, afin de garantir la fiabilité de nos analyses. Nous avons ensuite analysé les liens entre les différentes variables en utilisant la logique inductive délibérative (Savoie-Zajc, 2004).

3. Résultats

Les types d’utilisation des BVE

Variété des utilisations

Les types d’usage choisis initialement par les enseignants sont représentés à la figure 3 ci-dessous, à partir du cadre intégrateur issu de travaux précédents (Detroz et Younès, 2014).

Figure 3

Répartition des usages initiaux (première utilisation) — entre parenthèses, le nombre d’usages observés, plusieurs par enseignants dans certains cas

Répartition des usages initiaux (première utilisation) — entre parenthèses, le nombre d’usages observés, plusieurs par enseignants dans certains cas

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Premier constat : les utilisations sont variées puisque les usages se positionnent dans trois des quatre cadrans du cadre intégrateur ci-dessus, mais aucun enseignant ne prévoit d’utiliser les BVE pour évaluer son enseignement. L’usage le plus courant est l’évaluation des apprentissages. Cinq usages sont à finalité certificative (examen terminal ou contrôle continu), quatre à finalité formative. Dans ces quatre cas, cet usage formatif est combiné à une ou plusieurs autres modalités d’utilisation (usage certificatif, ajustement du cours, travail collaboratif, conscientisation des étudiants au regard de leurs prérequis).

Impact des variables enseignant et contextuelles sur les utilisations des BVE

Le lien entre le niveau de développement professionnel des enseignants repéré à travers le codage de leurs comportements en cours et de leurs discours et leur usage des BVE apparaît nettement. Les six enseignants plutôt centrés sur l’enseignement (stade 2) utilisent au départ les BVE uniquement pour leur fonctionnalité d’outil facilitant l’opérationnalisation de l’évaluation sommative par l’automatisation de la correction. L’entraînement est vu sous son angle technique comme une nécessité pour familiariser les étudiants, avant l’examen, à l’utilisation d’un nouvel outil ou pour que l’étudiant voie s’il sait ou non répondre aux questions. Aucune régulation pédagogique consécutive n’est envisagée, comme en témoigne ce verbatim : « Je pose toutes les questions à la suite. Je ne prévois pas de correction ni rien. Pas le temps. Les réponses, elles sont dans le cours. Si on commence à faire la correction il y aura des questions et ça prendra ½ h sur 1 h 30 c’est complètement exclu » (ens. physique).

Les trois enseignants situés au stade 3, car plus préoccupés par l’apprentissage des étudiants, utilisent quant à eux les BVE dans le but de l’améliorer à l’aide de modalités d’évaluation formative ou diagnostique, d’apprentissage collaboratif, de conscientisation des étudiants et d’ajustement du cours en fonction des réponses.

Notons qu’un enseignant situé au stade 2 se distingue en utilisant les BVE pour de l’évaluation formative et du travail collaboratif. Mais il partage cet enseignement avec un enseignant plus expérimenté qui utilise les BVE pour la deuxième année consécutive, ce qui met en évidence l’influence de la dynamique collective dans la pratique pédagogique.

Impact de l’utilisation accompagnée des BVE sur le développement professionnel

Impact perçu par les enseignants

À partir de la méthodologie de codage et d’analyse décrite plus haut, nous avons relevé différentes catégories d’impact dans le discours des enseignants lors des entretiens. Dans tous les cas, ces derniers relatent plusieurs catégories d’impacts sur l’enseignant d’une part et sur les étudiants d’autre part. Le tableau 1 résume les résultats suivants présentés par ordre décroissant :

Impact sur l’enseignant

  1. Réflexion sur la structuration de la séance BVE pour favoriser l’apprentissage  — Les neuf enseignants font part d’une réflexion sur l’usage des boîtiers pour favoriser l’apprentissage, usages qui ont évolué dans le temps. Deux enseignants ont ainsi revu le paramétrage des réponses : « Une fois qu’on l’a dit, c’est évident qu’il faut rajouter une réponse “je ne sais pas” ou voire même “je n’ai pas compris la question”. Pourquoi je ne l’ai pas fait? » Un autre constate que le fait d’avoir paramétré la « réponse correcte », de manière à ce qu’elle s’affiche directement après le vote, contrarie son projet pédagogique qui est de favoriser l’argumentation : « Avoir défini la réponse juste tue un peu le raisonnement que l’on pourrait conduire ensemble. » Pour deux autres, c’est le choix des moments des questions qui a suscité cette réflexion. Ainsi, une enseignante a décidé de répartir ses questions à différents moments du cours plutôt que de toutes les regrouper. Cette réflexion conduit également les enseignants à considérer les BVE non seulement comme un outil d’évaluation des connaissances, mais aussi et surtout comme un outil favorisant la prise de conscience, l’orientation de la réflexion et la discussion. Tous les enseignants de l’échantillon ont évolué dans ce sens.

  2. Réflexion liée à l’élaboration des questions — Huit enseignants sur neuf ont relevé la difficulté d’élaborer des questions pertinentes au regard des objectifs poursuivis (vérifier la compréhension, mobiliser « l’esprit critique »…). Un enseignant de civilisation anglaise évoque ainsi la difficulté « de proposer une formulation qui diffère fondamentalement de ce que je venais de dire ». Il reconnaît avoir passé un temps très long pour concevoir ses questions sans être totalement satisfait du résultat. En revanche, cette réflexion lui a permis de constater que certains points du cours, pourtant essentiels à ses yeux, n’avaient pas été traités dans le cours. L’enseignante de chimie déclare quant à elle que concevoir des questions l’a amenée à réfléchir aux points-clés du cours et à ce qui peut poser des difficultés aux étudiants.

  3. Détermination du niveau de compréhension des étudiants — Nous avons questionné les enseignants sur les processus mentaux qu’ils visaient à travers les séances BVE. Deux enseignants ont poursuivi l’objectif d’évaluer strictement des connaissances. Les sept autres considèrent que les BVE sont un moyen efficace d’évaluer la compréhension du cours par les étudiants (un résultat également retrouvé du côté des étudiants). Pour ces derniers, dans la plupart, des cas, cette détermination du niveau de compréhension a conduit les enseignants à ajuster leur cours.

  4. Ajustement de l’enseignement en fonction des réponses des étudiants — Six enseignants déclarent avoir été conduits à ajuster leur cours en fonction des réponses des étudiants alors que ce n’était pas nécessairement leur intention initiale. « On ne peut pas enseigner en faisant semblant d’ignorer ce que les étudiants n’ont pas compris, ou simplement en l’ignorant » (ens. chimie). « Il y a des résultats qui m’ont surpris donc le cours d’après je suis revenu sur des notions importantes et qui manifestement n’étaient pas passées » (ens. informatique).

  5. Réflexion sur les modalités de l’enseignement — Si tous les enseignants considérés ont amorcé une réflexion sur l’enseignement intégrant l’usage des boîtiers, cinq ont poursuivi une réflexion plus générale sur les modalités de l’enseignement. Ces développements vont dans deux directions : la mise en place de lectures obligatoires en amont du cours selon un format de classe inversée et le développement des interactions pendant les cours.

Impact perçu sur les étudiants

  1. Engagement des étudiants — Un engagement accru des étudiants pendant le cours (attention et participation) a été noté par cinq enseignants. Les quatre enseignants ne rapportant pas cet effet ont utilisé les BVE pour une simple évaluation des connaissances, sous forme de questionnaire donnant lieu à une correction rapide faite par l’enseignant.

  2. Autoévaluation de l’étudiant — Pour trois enseignants, les boîtiers permettent aux étudiants de s’autoévaluer. Ce constat, qui fait référence à la fonctionnalité de rétroaction immédiate des BVE, est également reconnu par une grande majorité des étudiants.

  3. Accroissement du travail personnel en amont — L’usage des boîtiers a conduit seulement deux enseignants à remarquer plus de travail en amont des étudiants. Parmi eux, l’enseignant ayant utilisé les BVE pour du contrôle continu rapporte un investissement plus important des étudiants pour l’apprentissage du cours qui se traduit par de meilleures performances aux examens. L’enseignante ayant mis en place une modalité de classe inversée avec travail autonome des étudiants sur les supports de cours pendant des temps de classe rapporte également un investissement des étudiants dans l’étude de ces supports.

  4. Mémorisation accrue — Un seul enseignant estime que l’usage des BVE favorise la mémorisation. Les réponses des étudiants répondant majoritairement qu’ils répondent aux questions après avoir réfléchi quelques secondes en se remémorant le cours semblent aller dans ce sens non rapporté pourtant par la plupart des enseignants.

Le tableau 1 récapitule les différentes catégories d’impact. À ce stade, l’analyse ne permet pas de faire des inférences sur l’efficacité des modalités d’accompagnement.

Tableau 1

Catégories d’impact relevées par les enseignants

Catégories d’impact relevées par les enseignants

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Il a ensuite été considéré que l’impact pédagogique de l’usage et/ou de l’accompagnement sur les enseignements était plus ou moins important selon les enseignants. Nous l’avons considéré comme important si au moins six catégories ont été mentionnées avec évolution notable des pratiques pédagogiques vers un meilleur accompagnement de l’apprentissage, moyen quand quatre ou cinq catégories ont été mentionnées sans remise en question notable de l’enseignement, et faible quand seulement deux ou trois catégories ont été mentionnées sans aucune remise en question de l’enseignement.

Figure 4

Impact de l’usage des boîtiers sur l’enseignement

Impact de l’usage des boîtiers sur l’enseignement

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Il apparaît distinctement que les enseignants ayant bénéficié d’un accompagnement approfondi perçoivent davantage le caractère pluriel de l’impact de l’usage des BVE sur leur enseignement que ceux ayant bénéficié d’un accompagnement léger. L’enseignante faisant état d’un impact très diversifié dans le cadre d’un accompagnement léger était par ailleurs dans une dynamique de réflexion approfondie quant à son enseignement, une réflexion amplifiée par sa fonction de responsable du pôle TICE, au sein duquel elle a bénéficié d’un accompagnement technopédagogique en dehors du dispositif de recherche.

Évolution de l’utilisation des BVE

À l’issue du semestre, tous les enseignants ont fait évoluer leur utilisation des BVE de manière plus ou moins importante. Les enseignants bénéficiant de l’accompagnement léger ont enrichi leur utilisation en associant une modalité d’évaluation formative à leur objectif certificatif initial. Cette évolution est encore plus manifeste chez les enseignants inclus dans le protocole d’accompagnement approfondi, qui les conduit à développer leur usage des BVE à plusieurs niveaux :

  • En amont de l’usage en intégrant les BVE à une réflexion sur la structuration de leur enseignement ou en évoluant dans la finalité des questions posées. On voit ainsi un enseignant évoluer de la conception de questions de connaissance vers la conception de questions visant à susciter un débat;

  • Durant l’utilisation en cours en prenant conscience de la nécessité de fournir un feedback immédiat aux étudiants et en réfléchissant sur les modalités que celui-ci peut prendre pour faciliter les apprentissages;

  • En aval dans l’ajustement du cours relatif aux réponses des étudiants.

Au-delà de ces améliorations, le protocole d’accompagnement approfondi a conduit les enseignants à se questionner plus généralement sur leur pédagogie, une prise de conscience propice à un meilleur alignement de l’enseignement. Ils constatent par exemple que certains points essentiels du cours n’ont pas été abordés, ou ils découvrent des difficultés inattendues ou encore que les objectifs de l’enseignant ne sont pas partagés par les étudiants : « J’ai insisté sur des points qui me semblaient vraiment essentiels et je me suis aperçu que je ne les abordais pas ou très peu dans mon cours magistral [...]. Cela m’a permis de revenir dessus quand j’ai vu les réponses des étudiants. »

Impact de l’accompagnement sur le niveau d’intégration technopédagogique

L’accompagnement permet-il une évolution du niveau d’intégration technopédagogique des BVE? Les premiers et les derniers usages ont été catégorisés à partir du modèle SAMR de Puentedura.

Les objectifs d’utilisation déclarés par tous les enseignants révèlent que l’intégration des BVE s’inscrit initialement pour cinq enseignants en remplacement d’une pratique existante, mais dans le but de bénéficier d’améliorations fonctionnelles (augmentation). Les quatre autres se positionnent à un niveau plus élevé du modèle en envisageant une modification mineure ou majeure de leur dispositif pédagogique (modification). À ce stade de l’expérience, aucun enseignant n’envisage les BVE comme un outil essentiel à une réforme visant son dispositif pédagogique (redéfinition).

À la fin du semestre, sur les quatre enseignants concernés par l’accompagnement léger, trois ont augmenté leur niveau d’intégration technopédagogique. Une seule enseignante en accompagnement léger atteint le niveau « redéfinition ». Il s’agit du cas particulier évoqué précédemment de l’enseignante fortement impliquée et accompagnée par le pôle TICE de l’Université. Un accompagnement pédagogique léger semble donc avoir une incidence positive sur le niveau d’intégration technopédagogique des BVE, sans permettre d’accéder au stade le plus élevé.

Tableau 2

Évolution du niveau d’intégration technopédagogique en accompagnement léger

Évolution du niveau d’intégration technopédagogique en accompagnement léger

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Sur les cinq enseignants concernés par le protocole approfondi, trois ont évolué de deux à trois niveaux — sur le modèle SAM — à l’issue du semestre (tableau 3). Deux d’entre eux atteignent le niveau le plus élevé du modèle : les boîtiers de vote deviennent absolument nécessaires à la pédagogie qui est redéfinie et mise en oeuvre (redéfinition). Deux enseignants n’ont pas évolué, ayant rencontré des difficultés contextuelles et organisationnelles rédhibitoires. Ces derniers abandonneront d’ailleurs l’outil à l’issue de l’expérience. Nous sommes ici dans le stade de la détérioration selon le modèle de Karsenti (2014).

Tableau 3

Évolution du niveau d’intégration technopédagogique en accompagnement approfondi

Évolution du niveau d’intégration technopédagogique en accompagnement approfondi

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4. Discussion

Notre étude s’est déroulée dans un contexte spécifique avec une méthodologie naturaliste. Elle ne vise pas à fournir des conclusions généralisables. Ainsi, la conjonction d’un échantillon où les enseignants sont tous volontaires (échantillon de convenance) et de l’implication des chercheurs dans le protocole d’accompagnement peut largement influencer les résultats, eux-mêmes obtenus dans des situations particulières. Cet échantillon nous semble cependant pertinent sur le plan théorique. Suffisamment diversifié en matière de disciplines, niveaux et types de cours, expériences et contextes d’enseignement, il offre une certaine représentativité écologique assurant une forme de transférabilité des résultats (Pourtois et Desmet, 1997), en tous les cas dans des contextes similaires. Nous développerons les apports et les limites de cette recherche autour de trois axes de discussion concernant les liens entre l’usage d’un outil technopédagogique et le développement professionnel des enseignants.

Des usages des BVE différenciés selon les conceptions de l’enseignement

Si les usages des BVE sont globalement variés, ils diffèrent aussi fortement selon les enseignants, certains s’appropriant d’emblée l’outil pour de l’évaluation formative et d’autres pour de l’évaluation « sommative ». Le niveau de développement professionnel technopédagogique des enseignants apparaît jouer un rôle déterminant dans cette appropriation : plus il est élevé, plus l’utilisation des boîtiers de vote est axée sur l’amélioration de l’apprentissage des étudiants selon des modalités d’évaluation formative et d’apprentissage actif orientées vers l’analyse, la compréhension et la conceptualisation. Ce résultat concorde avec les recherches qui montrent que la centration sur l’apprentissage étudiant correspond à un stade avancé du développement professionnel (Fessler et Christensen, 1992; Fuller, 1969; Hall et Loucks, 1979; Huberman, 1989; Katz, 1972; Nault, 1999). L’appropriation des fonctionnalités technopédagogiques des BVE les plus intéressantes pour promouvoir l’apprentissage actif des étudiants, à savoir l’intégration de stratégies d’enseignement basées sur l’enquête et le feedback formatif en temps réel (Han et Finkelstein, 2013), ne va pas de soi. Elle dépend des conceptions de l’enseignant selon que celles-ci sont orientées vers une approche transmissive de l’enseignement ou vers l’apprentissage étudiant, une approche sommative ou formative de l’évaluation. Étant donné l’impact positif des pratiques d’évaluation formative sur différents aspects de l’expérience étudiante (p. ex. Knight et Yorke, 2003; Weston, Le Maistre, McAlpine et Bordonaro, 1997), l’accompagnement du développement technopédagogique des enseignants dans ce sens est un enjeu majeur.

Les effets d’un dispositif d’accompagnement réflexif de l’usage

Nous avons distingué, dans notre méthodologie, deux modalités d’accompagnement : un dispositif léger et un dispositif approfondi. La présentation détaillée de l’outil peut, en soi, être assimilée à une première forme d’accompagnement dans la mesure où cette présentation révèle le potentiel de l’outil et son intérêt pédagogique. De plus, le questionnement de l’enseignant sur ses choix d’utilisation des BVE et les effets de ces choix peut être considéré comme une occasion de réflexion potentiellement génératrice d’évolution professionnelle.

Dans le cadre du dispositif léger, cela revenait à accompagner l’enseignant sur le choix du type d’utilisation, sur la conception des questions, sur le traitement des résultats (apport pédagogique) ainsi que sur les aspects matériel, logiciel et logistique (apport technique et technologique). Le dispositif d’accompagnement approfondi a conduit à des évolutions pédagogiques plus importantes sur le plan des conceptions et des pratiques. En effet, dans le cadre de ce dispositif, nous avons accompagné l’enseignant dans le déploiement d’une technologie, mais lui avons également offert une batterie d’outils réflexifs. Or, comme le rapporte Day (1999), le développement professionnel est rendu possible par les expériences d’apprentissage naturelles de même que par celles qui sont conscientes et planifiées. En permettant l’établissement de liens entre l’intention initiale de l’enseignant, son action perçue et réelle et l’impact de son action, cet accompagnement offre de réelles possibilités de développement.

La progression globale des niveaux d’intégration technopédagogique des BVE, parfois jusqu’au stade le plus élevé (redéfinition) — et, si l’on se réfère au modèle TPaCK aboutissant à renforcer le technological pedagogical content knowledge —, atteste de l’efficacité de l’accompagnement approfondi et de son impact positif sur l’ensemble du développement professionnel. On peut donc considérer, à ce titre et au regard des résultats obtenus, que la porte d’entrée technologique permet le développement professionnel de l’enseignant sur l’ensemble des facettes du modèle TPaCK aux conditions que l’accompagnement soit performant et qu’il soit maintenu dans la durée.

Reste que l’utilisation accompagnée d’un outil a ses limites, quelle que soit la qualité de l’accompagnement. Le poids des croyances et de la culture professionnelle a conditionné, dans notre étude, la perception du potentiel pédagogique de l’outil.

Le poids du contexte

Les contextes social, administratif et technique d’un enseignant sont fortement liés à la réussite de son appropriation de l’outil sur le moyen et le long terme. Deux enseignants qui étaient dans des contextes défavorables (ils ne disposent pas de BVE dans leur département, leurs collègues ne les utilisent pas et l’un d’entre eux rencontre des difficultés liées à un déficit de l’usage du numérique dans ses cours) ont renoncé à utiliser les boîtiers de vote. En revanche, tous les enseignants disposant de boîtiers de vote, personnellement ou par le biais de leur structure universitaire, ont continué à les utiliser. Autre résultat intéressant à commenter : le rôle des dynamiques collectives dans l’utilisation de BVE. Les cinq enseignants intégrés dans une telle dynamique ont tous continué à utiliser les boîtiers de vote à l’issue de l’expérience.

Si la durée de l’expérience exige de rester prudents à l’égard des conclusions présentées, nous pensons que l’utilisation accompagnée des boîtiers est susceptible d’améliorer la pratique d’enseignement sur le moyen et le long terme. Des enseignants réalisent qu’en modifiant leur pédagogie (en optant pour la classe inversée, par exemple), ils atteignent mieux les objectifs visés relativement à une approche classique de transmission du contenu par l’enseignant. Dans ce contexte, le questionnement et les échanges générés en cours n’entraînent pas la « perte de temps » redoutée et souvent invoquée comme obstacle à la mise en place de méthodes actives, puisque l’enseignant cible les points à développer et passe sur ce qui a été acquis, l’évaluation avec les BVE lui permettant d’ajuster son cours. On passe d’un enseignement davantage basé sur « je transmets des connaissances » à un enseignement qui se préoccupe en continu de la compréhension et des connaissances des étudiants. C’est le passage du teaching au learning d’une certaine manière (Biggs, 1991). Reste que cette prise de conscience, si elle est quasi systématique, n’est pas toujours suffisante pour inciter l’enseignant à réfléchir sur l’amélioration de son dispositif pédagogique et, in fine, à envisager sa modification ou sa redéfinition. C’est ici que l’accompagnement approfondi sur le long terme jouerait un rôle primordial.

Conclusion

Si de nombreuses recherches ont vu le jour sur l’intégration et l’impact des nouveaux outils numériques dans l’enseignement universitaire, assez peu proposent d’observer, en contexte, les effets d’une utilisation accompagnée de ces outils sur l’enseignement et le développement professionnel des enseignants. L’expérimentation d’un dispositif d’accompagnement technopédagogique à visée réflexive de l’usage des BVE a permis d’établir, à travers les impacts repérés par les enseignants et l’évolution de ces usages dans les cours, des dynamiques de transformation pédagogique vers une centration plus nette des enseignants sur l’apprentissage étudiant. En témoigne notamment le passage d’une conception et d’un usage des BVE à des fins exclusivement d’évaluation certificative à la mise en oeuvre de modalités d’évaluation formative. Ces transformations sont plus ou moins importantes selon la nature de l’accompagnement, mais aussi d’autres variables relevant des contextes personnel et professionnel des enseignants. Si l’accompagnement, qui doit associer dimension technique et dimension pédagogique, doit également pouvoir être soutenu et pérenne, le contexte professionnel (pédagogique, administratif, technique) doit également être favorable. On découvre en effet rapidement les limites du choix des technologies et du développement professionnel comme leviers d’adaptation quand ceux-ci sont confrontés à des contraintes qui compromettent l’efficacité et occupent une place prégnante dans les choix pédagogiques des enseignants.