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L'ouvrage vise à faire un point, explorer de nouvelles perspectives et, parfois, avancer des pistes de progrès concernant le thème de l'égalité hommes-femmes en France et dans le monde. Il est découpé en douze chapitres indépendants, écrits ou coécrits par des chercheurs provenant d'universités francophones – France, Canada, Belgique. Avant de commenter cet ouvrage, nous le résumerons chapitre par chapitre, afin de respecter la démarche et le point de vue adopté par les 18 chercheurs impliqués dans sa rédaction.

Le premier chapitre aborde le lien entre genre et marché du travail. Les données statistiques montrent que le marché de l'emploi se féminise mais qu'il subsiste des inégalités, liées notamment au temps partiel, à la ségrégation de l'emploi et à la socialisation sexuée qui a un impact fort sur l'orientation de filière des étudiants (les femmes investissent la littérature, l'art, les sciences sociales et la santé mais restent minoritaires en sciences appliquées et en informatique). En 2005, le taux d'activité des femmes en âge de travailler se situait à un niveau comparable entre la France, le Canada et la Belgique (64, 61,8 et 59,5 %), environ 11 points en dessous de celui des hommes dans chacun de ces pays.

Le second chapitre s'intéresse aux progrès de l'égalité professionnelle sur le plan juridique en France. Ces progrès ont été facilités par deux lois : celle qui renforce le principe d'égalité des droits en matière d'embauche, de promotion, de rémunération, de formation (1983) et celle qui instaure le principe d'égalité de traitement visant tous les processus concrets, formels et informels, sociologiques ou psychologiques facilitant l'insertion des femmes sur le marché du travail (1976). Néanmoins, les politiques mises en oeuvre dans les entreprises demeurent sous dimensionnées et l'impact des accords d'égalité professionnelle sur les écarts de salaire ou la concentration des femmes dans des emplois peu qualifiés reste faible.

Le troisième chapitre étudie le genre dans le recrutement. Les études indiquent que les femmes réussissent d'autant mieux leur insertion professionnelle qu'elles sont diplômées mais qu'elles sont surdiplômées pour l'emploi occupé. En outre, alors qu'elles réussissent mieux dans leur parcours scolaire, elles reçoivent des appréciations moins positives et sont jugées capables d'évoluer moins vite que les hommes sur un poste donné, ce qui explique leurs difficultés à accéder au statut de cadre. Enfin, la beauté favorise davantage les hommes que les femmes, quel que soit leur niveau hiérarchique.

Le quatrième chapitre traite de la question des emplois peu qualifiés. Les femmes représentent 45 % de la population active, mais occupent 61 % des emplois non qualifiés. Si, dans le passé, la population non qualifiée était majoritairement ouvrière, masculine et industrielle, elle est aujourd'hui employée, féminine et tertiaire. Ici, l'auteur s'appuie sur des recherches originales qui portent leur attention non plus sur les différences observées mais sur la logique d'action sous-jacente, les ruptures biographiques et les institutions qui modèlent les pratiques sociales. De fait, si les hommes et les femmes ont la même probabilité d'occuper un emploi non qualifié pour les niveaux de qualification supérieure, l'écart se creuse après le niveau IV. Ainsi, deux univers professionnels féminins cohabitent depuis une dizaine d'années : la qualification et la stabilisation dans des bonnes conditions d'emploi et la déqualification et la précarisation des conditions d'emploi, avec un risque d'enfermement dans la non-qualification. Le temps partiel est choisi dans le premier cas, contraint dans le second. Il permet aux entreprises de limiter le recours à l'intérim ou au CDD et écarte systématiquement les salariés de toute action de formation continue, notamment dans le secteur des services émergents où les compétences relationnelles sont considérées comme naturelles et féminines alors qu'elles sont valorisées pour les hommes. Dès lors, valoriser ces compétences devient un enjeu majeur pour les femmes peu qualifiées.

Le cinquième chapitre est consacré aux carrières des femmes. Certains écrits (Bayet, 1997) indiquent que les femmes sont moins pénalisées sur le plan salarial que les hommes par les interruptions de carrière mais les auteures se demandent ici si on peut véritablement comparer des interruptions liées aux enfants et des interruptions liées à des accidents de travail. Elles cherchent à nuancer cet optimisme en affirmant que le management stratégique des ressources humaines est aussi exigeant pour les femmes que pour les hommes. En effet, si le soft HRM (développement de compétences et management participatif) donne des opportunités pour les femmes en objectivant leurs performances et en limitant les stéréotypes, le hard HRM (pression sur les résultats et présence au travail) augmente leurs risques d'exclusion en accroissant la compétition entre salariés, notamment dans les nouvelles technologies sur lesquelles reposent les carrières de demain.

Le sixième chapitre traite la question du plafond de verre, défini comme l'ensemble des barrières invisibles empêchant les femmes d'accéder aux postes de direction en raison de leur sexe. Celui-ci concerne tous les pays et, en France, le secteur privé comme le secteur public. En 2001, les femmes représentaient 17 % des 300 000 dirigeants d'entreprise et 7 % des PDG d'entreprises de plus de 200 salariés. Elles sont plus touchées par le chômage, notamment récurrent et de longue durée, y compris lorsqu'elles sont diplômées d'une grande école. Il est d'autant plus important de briser ce plafond de verre à travers des démarches de diversité que l'entreprise constitue une institution pivot en matière de reproduction des rapports sociaux de domination. L'auteur achève son texte en soulignant les variables clé permettant d'aller dans le sens de cette brisure: l'attitude du PDG, la place de la fonction RH, la gestion du changement, la politique de promotion des femmes – recrutement, développement professionnel, organisation du travail et environnement égalitaire.

Existe-t-il une spécificité du leadership féminin ? Le septième chapitre nous apprend que la question demeure ouverte puisqu'il existe autant d'études – sociologiques, situationnistes, interactionnistes ou féministes – dans un sens que dans l'autre. Ce qui est certain, en revanche, c'est que les stéréotypes sexués ont un impact non négligeable sur le parcours professionnel des salariés, et qu'on observe des discriminations liées à des propriétés censées appartenir aux hommes (style directif, transactionnel, stratégique, visionnaire ; compétition, planification, charisme) ou aux femmes (style interactif, transformationnel ; écoute, dialogue, gestion quotidienne). De ce fait, les discours niant les différences, de même que ceux qui les naturalisent, sont voués à l'échec.

Le huitième chapitre décrit la question des inégalités de salaire entre sexes comme étant la partie émergée de l'iceberg dans la mesure où elle découle à la fois de la discrimination professionnelle, des différences de temps de travail, de variables socioculturelles, de comportements institutionnalisés et de pratiques organisationnelles ancrées. Ces inégalités entraînent des choix de carrière pour le salaire le plus élevé dans la famille, la dépendance financière des femmes victimes de violence conjugale, etc. C'est d'ailleurs sur ce thème que les dispositifs juridiques sont les plus riches, en France et à l'international. À ce titre, la France se situe, en 2000, entre l'Allemagne et le Royaume Uni (les écarts mensuels entre hommes et femmes sont respectivement de 26,7 %, 47 % et 46,4 %). Mais l'inégalité salariale ne doit pas être confondue avec la discrimination salariale (à titre d'exemple, l'Australie enregistre des écarts de salaire parmi les plus faibles au monde et une ségrégation salariale parmi les plus fortes ; l'inverse peut s'observer en Grande Bretagne). Le chapitre s'achève sur quelques préconisations : ne pas surévaluer la disponibilité ; revaloriser l'accomplissement simultané de plusieurs tâches ; reconnaître les qualités informelles requises dans certains emplois, etc.

Le neuvième chapitre pose la question suivante : existe-t-il une perception différente de la justice organisationnelle entre hommes et femmes ? Les écrits scientifiques montrent que les deux sexes partagent de plus en plus la même vision en matière de justice distributive – c'est-à-dire le niveau de rétribution obtenu, mais que les femmes sont plus sensibles à la justice organisationnelle – c'est-à-dire les processus décisionnels permettant de déterminer les rétributions. Il s'agit, par conséquent, de favoriser la perception de justice des femmes et de laisser de côté l'idée de pratiques de GRH spécifiquement destinées aux femmes.

Le dixième chapitre vise à poser la problématique du conflit travail/famille dans des termes nouveaux. Il interroge d'abord le concept même de conflit, connoté négativement : ne pourrait-on pas poser le débat en termes d'enrichissement ? Les entreprises ne devraient-elles pas proposer des trajectoires de carrière professionnelle valorisant les acquis dans le hors-travail, par exemple lors d'interruptions de carrière ? L'auteur se demande ensuite pourquoi la charge de la conciliation incombe majoritairement aux femmes : ne pourrait-on poser la problématique comme étant également masculine ? En effet, pour atteindre les objectifs de Lisbonne en 2010, la France et d'autres pays européens devront accroître le taux d'activité féminin de sorte qu'une plus grande égalité entre hommes et femmes contribuerait à la performance d'entreprise en réduisant retards, absences, roulement ou manque d'implication organisationnelle des femmes. Enfin, le débordement du travail sur la famille est trois fois plus fréquent que l'inverse. Il s'agit donc d'en comprendre les causes : faible soutien de l'époux, nombre et âge des enfants, etc.

Le onzième chapitre pose la question suivante : le stress a-t-il un sexe ? Ici, l'auteur choisit de ne pas rechercher les facteurs de stress du côté des caractéristiques individuelles mais à travers la dimension organisationnelle, sur lesquelles le gestionnaire peut agir. Tout d'abord, il semblerait que les deux sexes vivent autant de situations de stress au travail, mais les études sur le sujet comportent des limites qui empêchent de conclure de façon définitive, en particulier l'absence, dans les échantillons, de femmes cols bleus, mais aussi de femmes noires, immigrées, âgées, handicapées ou encore homosexuelles. Au final, l'auteur se demande si la question du lien entre genre et stress est réellement pertinente dans la mesure où de nombreux paramètres entrent en ligne de compte en même temps (couleur de peau, nationalité, CSP, âge, etc.).

Le douzième chapitre fait un point sur le genre en contexte de négociation collective. Comme dans le chapitre précédent, cette problématique souffre d'insuffisances empiriques et méthodologiques. Ici, c'est la non-reproduction des conditions réelles d'exercice de la fonction de porte-parole en négociation collective qui fausse les résultats. Cela étant dit, les études nord-américaines et québécoises – majoritaires sur le sujet – démontrent l'existence de différences de comportements et de perceptions entre hommes et femmes. Mais les différences d'ordre culturel – contextes nationaux des structures de négociation, situations de pouvoir vécues par les porte-parole, rôles des hommes et des femmes – viennent nuancer ces propos. On retiendra donc, dans ce chapitre et de façon plus générale, que le genre ne doit plus être considéré comme une variable indépendante fixe mais comme un construit social et que l'influence des stéréotypes sexuels sur les pratiques managériales et organisationnelles, aussi forte soit-elle, n'est pas donnée une fois pour toute – et c'est bien de là que naît l'espoir de l'égalité entre hommes et femmes.

Lorsqu'on referme ce livre, on se dit que le chemin de l'égalité hommes-femmes est semé d'embûches à la fois d'ordre cognitif (ancrages éducationnels, représentations sociales chez les hommes comme chez les femmes) et comportemental (discrimination sur tous les aspects de la gestion des ressources humaines, y compris dans les pays considérés comme avancés sur ce plan). L'ouvrage nous aide à appréhender la complexité du problème et à en toucher de nombreuses facettes au lieu de se contenter de celles qui prennent habituellement le devant de la scène, telles les questions salariales ou promotionnelles. Il nous aide également à comprendre en quoi les écrits scientifiques sur le sujet sont lacunaires, notamment du fait de limites d'ordre méthodologique et empirique. Il comporte, enfin, l'avantage de rassembler des articles provenant de différents pays et de regards croisés.

Néanmoins, nous déplorons un certain nombre d'éléments que nous souhaitons recenser brièvement. Tout d'abord, les textes descriptifs faisant un simple état des lieux statistique l'emportent sur les articles s'efforçant d'apporter une mise en perspective théorique et analytique. Nous rencontrons peu d'hypothèses, d'opinions, en un mot de prise de risque et d'engagement. Nous ne nous attendions pas à cela sur un thème aussi… engageant ! En outre, la structure même du livre (autant de chapitres que d'articles d'auteurs différents) conduit à des redondances, sans qu'une ligne directrice majeure puisse être dégagée. De fait, les chapitres peuvent être lus dans n'importe quel ordre, donnant lieu à une mosaïque d'idées et non une progression logique, chronologique ou même thématique. Par conséquent, la lecture se heurte à des répétitions et en devient parfois ennuyeuse. En troisième lieu, bien que parmi les auteurs se trouvent des spécialistes du sujet de la validation des acquis de l'expérience ou VAE (par exemple, A.F. Bender), ce thème n'a pas été traité dans le cadre de cet ouvrage alors qu'il aurait pu apporter des éléments intéressants du type : quelle est la proportion masculine et féminine de candidats à la VAE ? La VAE constitue-t-elle un levier pour l'égalité des chances ? Cette nouvelle modalité d'accès au diplôme qu'est la VAE constitue un facteur important de changement potentiel en matière d'accès à des emplois qualifiés en France, ainsi qu'une différence clé par rapport aux deux autres pays francophones étudiés dans l'ouvrage, le Canada et la Belgique. Or, selon le ministère de l'Emploi, les femmes sont les plus nombreuses à vouloir profiter du dispositif puisque 60 % d'entre elles s'informent sur la VAE et que 67 % posent leur candidature (en particulier pour les diplômes relevant des Affaires sociales, de l'Éducation nationale ou des ministères de l'Emploi), se servant de la VAE pour faire reconnaître leur métier et réclamer une augmentation de salaire. Enfin, nous aurions également trouvé intéressant d'introduire des éléments de psychologie cognitive pour expliquer la situation de discrimination décrite. À titre d'exemple, la théorie sociale cognitive offre un modèle puissant et empiriquement valide de la façon dont les stéréotypes fabriquent de la discrimination. Au final, l'ouvrage mêle évidences et éléments contre-intuitifs – et par conséquent intéressants : est-ce parce que le thème est galvaudé ou empreint de préjugés ?