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À la suite de certains pays européens, le Québec a adopté en décembre 2002 le Projet de loi modifiant la Loi sur les normes de travail et d’autres dispositions législatives et introduisant des dispositions concernant le harcèlement psychologique (art. 81.18 à 81.20). Ces normes, qui s’accompagnent de recours spécifiques (art. 123.6 à 123.16) sous la responsabilité de la Commission des normes du travail (CNT), sont entrées en vigueur le 1er juin 2004 (Lippel, 2005). Entre le 1er juin 2004 et le 30 avril 2005, la CNT a reçu plus de 3 500 plaintes de harcèlement psychologique au travail.

Afin de contrer de manière plus efficace le harcèlement psychologique au travail, il faut relever le défi qui consiste actuellement à mieux comprendre comment celui-ci se manifeste, quelles en sont les principales formes, comment la situation est vécue par le plaignant et quelles en sont les conséquences. La législation propose une définition du harcèlement psychologique qui constitue le point de référence au Québec. Dans la loi québécoise, on entend par « harcèlement psychologique » :

une conduite vexatoire se manifestant soit par des comportements, des paroles, des actes ou des gestes répétés, qui sont hostiles ou non désirés, laquelle porte atteinte à la dignité ou à l’intégrité psychologique ou physique du salarié et qui entraîne, pour celui-ci, un milieu de travail néfaste. Une seule conduite grave peut aussi constituer du harcèlement psychologique si elle porte une telle atteinte et produit un effet nocif continu pour le salarié.

Au-delà du plan légal, le concept de harcèlement psychologique prend plusieurs sens que l’on peut trouver dans de multiples définitions et plusieurs terminologies proposées par des chercheurs internationaux.

Ainsi, Leymann (1996a) parle du mobbing, lequel constitue un enchaînement, sur une assez longue période, de propos, d’agissements hostiles et de persécutions[1], exprimés ou manifestés par une ou plusieurs personnes envers une tierce personne cible. Pris isolément, chacun de ces actes semble mineur, mais c’est l’effet de cumul et de répétition qui les rend délétères. L’auteur présente cinq grandes catégories d’agissements : empêcher la personne de s’exprimer, isoler la personne, la déconsidérer, la discréditer et compromettre sa santé.

Plus récemment, Hirigoyen (1998) a proposé le terme harcèlement moral en faisant référence à un processus pervers, caractérisé par toute conduite abusive (p. ex., geste, parole, comportement, attitude, etc.) qui porte atteinte, par sa répétition ou sa systématisation, à la dignité ou à l’intégrité psychique ou physique d’une personne, mettant en péril son emploi ou dégradant le climat de travail. Hirigoyen suggère plusieurs types d’agissements qui caractérisent le harcèlement moral, et elle les regroupe en quatre catégories : atteinte aux conditions de travail, isolement et refus de communication, atteinte à la dignité et violence verbale, physique ou sexuelle.

Les chercheurs anglais Hoel, Rayner et Cooper (2003) ont utilisé l’expression bullying pour caractériser le phénomène. Il s’agit d’une situation où un ou plusieurs individus, sur une période de temps, sont la cible d’actions agressives d’une ou de plusieurs personnes. Dans cette situation, la cible du bullying éprouve des difficultés à se défendre puisque les actes reprochés prennent surtout la forme d’un abus hiérarchique vertical, donc d’un supérieur à l’égard d’un subordonné (p. ex., circulation de rumeurs, exclusion, discrimination, etc.).

Afin d’éclairer les acteurs organisationnels, la Commission des normes du travail a tenté de baliser le concept de harcèlement psychologique au travail en se référant, entre autres, aux auteurs précités. Dans une volonté de mieux cerner la définition du harcèlement psychologique au travail, la Commission des normes du travail (2004) précise le sens des termes définis dans la loi, que nous rapportons directement :

  1. Une conduite vexatoire ayant un caractère de répétition ou de gravité. Il s’agit d’une conduite humiliante, offensante ou abusive pour la personne qui subit une telle conduite, qui la blesse dans son amour-propre, qui lui cause du tourment. C’est une conduite qui dépasse ce qu’une personne raisonnable estime être correct dans l’accomplissement du travail. Chacune des paroles, chacun des comportements, des actes ou des gestes pris isolément peut être bénin, anodin, mais c’est l’ensemble ou l’accumulation de ceux-ci qui permet de conclure à une situation de harcèlement. Cependant, le caractère répétitif n’est pas une composante essentielle du harcèlement. En effet, une seule parole ou un seul comportement, geste ou acte grave peuvent également être reconnus s’ils entraînent un effet nocif continu pour la personne visée. Si la cause est unique, l’effet nocif doit se perpétuer dans le temps. Ainsi, une conduite isolée, telle la violence ou l’agression dont l’impact sur la victime se perpétue dans le temps, pourra constituer du harcèlement psychologique.

  2. Un caractère hostile ou non désiré. Les comportements, les paroles, les actes ou les gestes reprochés doivent être perçus comme hostiles ou non désirés. Toutefois, dans certains cas tels que lors d’agression ou de harcèlement sexuel, le caractère « non désiré » n’exige pas nécessairement que la victime ait exprimé clairement son refus ou sa désapprobation.

  3. Une atteinte à la dignité ou à l’intégrité psychologique ou physique. Le harcèlement a un impact négatif sur la personne. La personne victime de harcèlement peut se sentir humiliée, dévalorisée, dénigrée tant sur le plan personnel que sur le plan professionnel. La situation de harcèlement peut aussi causer une détérioration de la santé physique de la victime de harcèlement. Toutefois, une atteinte à la santé n’est pas nécessaire.

  4. Un milieu de travail néfaste. Un milieu de travail néfaste est un milieu dommageable, qui crée un tort, qui nuit à la personne victime de harcèlement. L’atmosphère de travail créée par la conduite pourra provoquer, par exemple, l’isolement de la victime. Pour conclure à du harcèlement psychologique, l’intention du présumé harceleur n’a pas à être prise en considération. Les paroles, les gestes, les actes ou les comportements du harceleur n’ont pas à être dits ou faits dans l’intention de nuire; ce sont les effets sur la personne visée qui sont pris en considération.

Le harcèlement psychologique au travail au Québec demeure encore difficile à estimer tant sur le plan quantitatif que qualitatif. Son ampleur a toutefois fait l’objet d’une première estimation par la Chaire en gestion de la santé et de la sécurité du travail de l’Université Laval (Brun et Plante, 2004). Ainsi, en 2004, entre 7 % et 9 % des répondants à un sondage mené à la grandeur du Québec, qui occupent un emploi, disaient vivre régulièrement du harcèlement psychologique au travail. Le cas le plus répandu était celui de personnes se disant victimes de propos injurieux, menaçants ou dégradants. Nous insistons sur le fait qu’il s’agit de la perception des répondants. Nous ne disposons pas de suffisamment de détails pour établir de façon formelle s’il s’agit bien de harcèlement psychologique au travail. Toujours selon l’étude de Brun et Plante (2004), parmi les personnes qui disent vivre du harcèlement psychologique au travail, 43 % considèrent qu’il s’agit régulièrement de propos ou d’agissements légers ou subtils. Ce résultat montre bien que le harcèlement psychologique n’est généralement pas un geste d’éclat, posé en public, mais plutôt une manifestation discrète et exercée à couvert, ce qui rend encore plus difficile son identification. Par ailleurs, la ou les personnes qui sont présumées harcelantes sont un ou plusieurs collègues (41 %), le supérieur immédiat (32 %), un ou des employés subalternes (30 %) ou encore un ou des clients (15 %).

À l’heure actuelle, la plupart des études sur le harcèlement psychologique, le harcèlement moral ou les autres formes de violence au travail procèdent par sondage auprès de populations de travailleurs et de travailleuses (Brun et Plante, 2004; Byrne, 1997; Hirigoyen, 1998, 2001; Hoel, Rayner et Cooper, 2003; Leymann, 1996a, 1996b; Salin, 2003; Vandekerkhove et Commers, 2003; Wornham, 2003). Bien que ces sondages soient fort utiles, ils ont comme limite de se centrer sur l’identification de catégories d’événements, de formes ou de sources du harcèlement psychologique au travail. Rares sont les travaux scientifiques (Garcia, Hacourt et Bara, 2005; Lapeyrière, 2004; Lewis et Orford, 2005) qui abordent l’histoire interne des cas de harcèlement psychologique, les difficultés d’exprimer ce qui est vécu, le doute que l’expression des faits peut soulever et les ambiguïtés que cache la complexité des situations.

La recherche que nous avons réalisée a donc porté sur le point de vue et les arguments avancés par les principaux concernés, soit les plaignants et les plaignantes, de même que sur les situations que ceux-ci dénoncent. Notre objectif était de brosser un portrait des plaintes déposées à la Commission des normes du travail depuis un an. Il ne s’agit donc pas d’une étude cherchant à déterminer si les plaintes sont ou ne sont pas du harcèlement psychologique, mais d’une étude visant à donner la parole aux plaignants qui rapportent leur expérience personnelle. En procédant ainsi, nous désirons mieux comprendre la complexité du phénomène du harcèlement psychologique à travers les situations exprimées et vécues par les plaignants.

Méthodologie

Les matériaux de base de cette étude sont les plaintes écrites de harcèlement psychologique au travail déposées à la Commission des normes du travail entre le 1er juin 2004 et le 30 avril 2005. À la fin d’avril 2005, on en dénombrait 3 500. Il est important de préciser que ces plaintes sont uniquement le fait de personnes non syndiquées, puisque seuls les salariés non syndiqués, les cadres et les cadres supérieurs des entreprises du secteur privé assujetties à la Loi sur les normes du travail peuvent adresser une plainte écrite à la Commission des normes du travail. Ces plaintes ont aussi été jugées recevables sur le plan administratif au regard des critères suivants : qu’elles soient déposées par un salarié au sens de la loi, que ce salarié ne soit pas déjà couvert par une convention collective, et que l’entreprise pour laquelle il travaille ou travaillait soit de compétence provinciale.

Le choix des dossiers s’est fait à partir d’un échantillonnage raisonné. Ce dernier s’est appuyé sur l’identification des cas les plus aptes à représenter l’éventail des contextes et des situations (notion de variabilité) dans lesquelles les situations de harcèlement psychologique au travail se manifestent ainsi que ceux qui offrent la plus grande richesse d’information en la matière (notion de densité). La constitution de l’échantillon a été réalisée de manière à présenter une variété de secteurs économiques, de tailles d’organisation, de situations géographiques et de types d’emplois. Comme le suggère Eisenhardt (1989), nous avons aussi sélectionné les dossiers contenant un exposé des faits riche et détaillé afin d’augmenter encore davantage la diversité des situations. Afin d’assurer la confidentialité des dossiers, tous les noms de personnes et d’organisations ont été rayés des documents utilisés pour les analyses.

Au départ, 257 plaintes de harcèlement psychologique au travail ont constitué l’échantillon de base, 21 plaintes ont dû être retirées par les chercheurs pour des considérations techniques (p. ex., écriture à la main illisible ou exposé des faits trop bref). Au total, plus de 1 500 pages rédigées par 236 plaignants ont constitué le corpus d’analyse.

La saisie des informations a été effectuée par une professionnelle de recherche connaissant bien la problématique du harcèlement psychologique au travail. Afin d’assurer la validité de la classification et du codage, une vingtaine de plaintes ont été codées séparément par le chercheur et la professionnelle de recherche à l’aide d’une grille de saisie bâtie sur Access. Les codages ont ensuite été comparés et l’interprétation des codes a été ajustée. La grille de codage était constituée de plusieurs catégories regroupant des éléments spécifiques (tableau 1).

Tableau 1

Éléments de codage des plaintes de harcèlement psychologique au travail

Données socioprofessionnelles et économiques

Données sur l’organisation

Données sur la plainte

▪ Sexe

▪ Âge

▪ Métier/profession

▪ Salaire

▪ Statut d’emploi (avec ou sans)

▪ Région

▪ Secteur d’activité de l’entreprise

▪ Nombre d’employés

▪ Organisation ou activités en matière de prévention du HP

▪ Date du dépôt de la plainte

▪ Date des premiers événements

▪ Source du HP (qui?)

▪ Sexe du mis en cause

▪ Causes du HP (pourquoi?)

▪ Fréquence des événements

▪ Formes du HP (comment?)

▪ Témoins

▪ Conséquences pour le plaignant (économiques, physiques, psychologiques, etc.)

▪ Démarches effectuées par le plaignant

▪ Réparation demandée

▪ Réaction du mis en cause

▪ Réaction de l’employeur

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Le contenu de chacun des éléments concernant les plaintes de harcèlement psychologique a été élaboré selon une approche à la fois déductive et inductive (Eisenhardt, 1989; Strauss et Corbin, 1998). Nous nous sommes d’abord basés sur les principales références scientifiques sur la question du harcèlement psychologique (Gracia Cassia et al., 2003; Hirigoyen, 2001; Leymann, 1996a; Vandekerkhove et Commers, 2003; Wornham, 2003). Par la suite, au cours de l’analyse des plaintes, nous avons enrichi notre grille d’analyse de contenu au fur et à mesure que de nouveaux éléments nous semblaient pertinents. La consultation des nouveaux articles au cours de la recherche et l’étude des plaintes ont aussi favorisé l’approfondissement des analyses (Henwood et Pidgeon, 1995).

Principaux résultats

Les résultats sont abordés par une description des caractéristiques générales (c.-à-d. sexe et âge du plaignant, mis en cause, statut d’emploi, secteur économique, etc.) des dossiers analysés. Par la suite, les principaux motifs de plaintes seront présentés et discutés.

Caractéristiques générales

Parmi l’ensemble des cas analysés, 63 % des plaignants sont des femmes. Cette donnée nous indique déjà qu’il y a une surreprésentation des femmes, puisque celles-ci ne forment que 49,4 % de la population active canadienne (Statistique Canada, 2004) régie par les dispositions de la Loi sur les normes du travail. Quant à la personne mise en cause, il s’agit d’un homme dans 64 % des plaintes. Ce premier constat révèle que le harcèlement psychologique au travail s’inscrit aussi dans un rapport social de genre qui mérite une attention particulière sur le plan de la recherche scientifique (Garcia, Hacourt et Bara, 2005). L’âge moyen de l’ensemble des plaignants est de 40 ans.

Pour les deux tiers des plaintes (68 %), il n’y a qu’un seul individu mis en cause, alors que 32 % des cas ciblent plusieurs personnes à l’origine du harcèlement psychologique. Par ailleurs, près de 95 % des plaignants ont mentionné avoir subi du harcèlement à caractère répétitif.

Plus de la moitié des personnes (57 %) sont sans emploi au moment où elles déposent leur plainte à la Commission des normes du travail, 27 % occupent encore le même ou un autre emploi et 16 % ne donnent aucune indication sur leur statut d’emploi. En ce qui concerne les secteurs économiques auxquels appartiennent les plaignants, les principaux sont : commerce de détail (23 %), hébergement et restauration (13 %), industries manufacturières (11 %), commerce de gros (7 %) et organismes sans but lucratif (7 %). La taille de l’entreprise est souvent absente des dossiers analysés. Toutefois, parmi les cas où elle est indiquée (45/236), on note que 85 % des plaignants travaillent dans des petites entreprises (moins de 50 employés).

Afin de nous assurer d’une bonne représentativité des données, nous avons comparé ces premiers résultats avec les données administratives de la Commission des normes du travail (CNT, 2005). Comme l’indique le tableau 2, nos données reflètent bien l’ensemble des plaintes déposées.

Tableau 2

Comparaison des données socioprofessionnelles et économiques de l’échantillon étudié et des plaintes déposées à la Commission des normes du travail

 

Échantillon étudié

Plaintes déposées à la CNT

Sexe (femme)

68 %

62,3 %

Âge moyen

40 ans

40 ans

Mis en cause

64 % hommes

s. o.

Un seul mis en en cause

68 %

65,8 %

Plusieurs mis en cause

32 %

34,2 %

Faits dénoncés répétitifs

95 %

92,3 %

Sans emploi

57 %

62,3 %

Avec emploi

27 %

s. o.

Aucune information

16 %

s. o.

Commerce de détail

23 %

15,7 %

Hébergement et restauration

13 %

9,2 %

Industrie manufacturière

11 %

s. o.

Commerce de gros

7 %

8,6 %

Organismes sans but lucratif

7 %

s. o.

Entreprise de moins de 50 employés

85 %

77 %

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Les principaux motifs de plaintes

En analysant le contenu des 236 plaintes, nous avons tenté d’extraire les principales manifestations dénoncées par les personnes se disant victimes de harcèlement psychologique au travail. Mais avant d’aller plus loin dans l’analyse, il nous faut préciser que ces formes ne sont pas mutuellement exclusives ni totalement étanches. En effet, comme le mentionne Frappat (2000), il est presque impossible de distinguer, sans aucune ambiguïté et sans aucun doute, les formes de violence des formes de harcèlement psychologique au travail.

Comme on peut le constater au tableau 3, les cinq premières formes sont : les propos et les gestes vexatoires (132 plaintes), les atteintes aux conditions de travail (77 plaintes), la menace de congédiement (49 plaintes), la mise en échec de la personne (39 plaintes) et l’isolement (39 plaintes). Examinons un peu plus en détail chacun de ces cinq motifs de plaintes.

Les propos et les gestes vexatoires

Rappelons dans un premier temps le sens de l’expression conduite vexatoire. Il s’agit d’une conduite humiliante, offensante ou abusive pour la personne, qui la blesse dans son amour-propre, qui lui cause du tourment. C’est une conduite qui dépasse ce qu’une personne raisonnable estime être correct dans l’accomplissement du travail. Nos analyses ont montré que la grande majorité des plaintes font mention de telles conduites (132 plaintes sur 236) (encadré 1). Une étude menée en Australie rapporte aussi que les incivilités et les abus verbaux sont présents dans 52 % des situations associées au harcèlement psychologique (VWA, 2003). Voici une courte liste des propos qui peuvent être tenus dans certains milieux de travail :

  • À une coiffeuse : As-tu vu comment elle s’habille… C’est ben laid ce que tu portes!

  • À une serveuse : Ton ostie de déchet de la société de trou du cul [chum]… ben tu vas voir y va faire dur!

  • À une opératrice : Ta mère ça devait être une négresse. Compte-toi chanceuse de travailler, car avant, les noirs c’étaient des esclaves.

  • À une réceptionniste : (Un collègue lui glisse à l’oreille) T’as l’air d’une femme qui se donne vite!

  • À un manoeuvre : À travailler mal comme ça, tu mériterais qu’on te crisse une volée!

Tableau 3

Principales manifestations dénoncées par les personnes se disant victimes de harcèlement psychologique au travail

Principales manifestations

N

Propos et gestes vexatoires

132

Atteintes aux conditions de travail

77

Menace de congédiement

49

Mise en échec de la personne

39

Isolement

39

Accusation

36

Dénigrement

31

Intimidation

31

Surveillance excessive

28

Refus de communiquer

23

Atteinte à la réputation/dignité

16

Déstabilisation/comportements ambivalents

14

Discrimination

10

Atteinte à la vie privée

10

Menace à l’intégrité physique

10

Propos à caractère sexuel

9

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Ces quelques exemples d’incivilités abondent dans les plaintes que nous avons examinées. Les plaignants relatent de nombreux faits, propos, attitudes et comportements par lesquels ils se sont sentis humiliés et blessés intérieurement. L’incivilité peut être définie comme un comportement déviant de faible intensité (p. ex., parole, attitude et comportement), donc difficile à détecter, qui outrepasse les normes de savoir-vivre et de respect mutuel. De nombreux chercheurs (Andersson et Pearson, 1999; Kelley, 1998; Pearson, Andersson et Porath, 2000; Pearson, Andersson, et Wegner, 2001; Pearson et Porath, 2005) constatent une augmentation des incivilités au travail qui est de plus en plus préoccupante, car ces manques de respect ont un impact non seulement sur les personnes, mais aussi sur la productivité, la performance, la motivation, la créativité et la collaboration (Johnson et Indvik, 2001). Par ailleurs, l’incivilité est souvent une composante d’un conflit qui monte en spirale, et qui peut aboutir au harcèlement psychologique ou à une détresse psychologique.

Dans la majorité des plaintes analysées, lorsque la situation d’incivilité est mentionnée aux gestionnaires, leur première réaction est le déni et la banalisation de la situation dénoncée. On tente, par divers moyens et remarques, de dédramatiser les événements qui sont rapportés : Tu exagères!, Ce n’est pas grave, il faut rire un peu!, Il est comme ça, ce n’est pas méchant… C’est juste une blague! La seconde stratégie de déni consiste en une tentative de fragilisation du plaignant que l’on juge trop sensible (Une personne susceptible qui ne se laisse rien dire!) ou qui a tendance à tout exagérer et à faire des montagnes avec des petites choses! Ce qui ressort des témoignages des plaignants est que, lorsqu’ils tentent de discuter de ce qui ne va pas, ils ne perçoivent aucune écoute, aucune volonté de voir clair et de faire la part des choses, mais plutôt un souci de cacher la situation, un déni (Dejours, 1998) pour ne pas se laisser distraire par des dimensions émotives, comme la souffrance, qui détournent des objectifs d’affaires : J’ai assez de problèmes avec le garage, tu vas pas m’achaler avec des petits riens!

La souffrance des plaignants est double : ils se sentent harcelés et on ne les prend pas au sérieux : C’est incroyablement dur. Je suis la cible de mon collègue et en plus personne ne me croit. Je passe pour une folle, une parano! Cette souffrance, entraînée par les propos vexatoires et par l’ostracisme des autres, est très souvent associée à du harcèlement psychologique au travail et laisse peu de place à l’identification d’autres formes de problèmes ou de conflits. En effet, nous avons constaté que bon nombre de plaintes exposaient certains faits qui nous semblaient relever à la fois de l’incivilité, de l’insulte et de l’hyperconflit (Faulx et Delvaux, 2005; Faulx et Geuzaine, 2000). La frontière entre le harcèlement psychologique et les autres formes de tensions humaines est donc floue et poreuse puisque ces manifestations peuvent à la fois être des composantes du harcèlement, mais aussi des signes de tensions humaines qui ne constituent pas nécessairement des situations de harcèlement psychologique (Martin et Hine, 2005).

Les atteintes aux conditions de travail

L’attaque personnelle, comme nous venons de l’illustrer, n’est pas la seule manifestation de conflits interpersonnels. Un bon nombre de cas (77 plaintes sur 236) révèlent que le problème vécu se manifeste aussi par une atteinte aux conditions de travail (encadré 2). Ici, ce n’est pas la personne qui est directement visée, mais ses conditions de travail : l’autonomie au travail, le style de supervision, les horaires, le contenu de la tâche, les ressources (équipement, véhicule, etc.) mises à la disposition de la personne, les avantages sociaux (congé de maladie, vacances, etc.), etc. La plupart de ces plaignants mentionnent une dégradation des conditions de travail. Il s’agit rarement d’un seul geste, d’une seule décision de gestion, mais plutôt d’une accumulation de faits qui sont répétitifs et progressifs. Voici quelques exemples :

  • Graduellement, on retire des tâches au plaignant et on demande à un employé non qualifié de les exécuter à sa place.

  • On ne fournit plus les produits détergents nécessaires à un concierge, puis on l’accuse de mal faire son travail parce que ça ne sent pas bon.

  • La plaignante postule à un poste. Lors de l’entrevue, la patronne reste debout et ne lui pose aucune question.

  • On refuse à une employée qui ne se sent pas bien la possibilité de retourner à la maison. Après avoir subi un malaise, l’employée décide tout de même de partir, ce qui lui vaut un avis disciplinaire.

  • Le plaignant n’a pas pu prendre ses trois semaines de congé en continu. Son supérieur lui explique : C’est comme ça parce que tu nous as mis dans la merde encore une fois en refusant de faire la livraison.

Ces situations s’accompagnent souvent d’une augmentation du contrôle par le gestionnaire (p. ex., surveillance accrue, obligation de produire un rapport d’activité quotidien, etc.). Deux éléments centraux du travail sont ici touchés, le premier résidant dans la signification même du travail (Carpentier-Roy et Vézina, 2000), puisque l’on change et réduit le contenu significatif du travail. D’ailleurs, les plaignants expriment beaucoup de malaise par rapport aux changements négatifs qu’ils subissent au travail. Le second élément est la latitude décisionnelle (Karasek, 1979), c’est-à-dire la marge de manoeuvre dont dispose l’individu pour conduire lui-même son activité de travail. Cette double atteinte porte un coup dur à la santé psychologique des individus, car il existe une relation étroite et clairement démontrée entre le sens du travail, la latitude décisionnelle et la détresse psychologique (Dejours, 1980; Karasek, 1979; Karasek et al., 1998). En effet, Karasek a bien montré que les risques de tension psychologique et de maladies physiques augmentent dans un environnement de travail exigeant lorsque le travailleur a peu de pouvoir (latitude décisionnelle) sur ces exigences.

La menace de congédiement

La mise en péril de l’emploi est mentionnée par plusieurs plaignants (49 sur 236 plaintes) comme une forme de harcèlement psychologique (encadré 3). Selon les propos rapportés par les plaignants, on tente, par divers commentaires et attitudes, d’ébranler le sentiment de sécurité d’emploi :

  • Le surintendant : Tu vas peut-être perdre ton emploi, j’analyse ça. Pour toi, ça achève, ça achève probablement! Tu sais, t’es facile à remplacer!

  • Un chef d’équipe : Tu parles pas au gérant de cette erreur, sinon tu devras partir de l’entrepôt!

  • Le propriétaire : Vous savez, il y en a plein qui attendent votre job dehors. Même ceux qui travaillent ici depuis 10 ans, ils vont faire le saut!

  • Dans un bureau d’assurance : Un matin, la plaignante arrive au bureau. Toutes ses affaires sont dans une boîte. La patronne est assise à son bureau et lui dit qu’elle va lui parler plus tard au cours de la journée…

Ces menaces de congédiement se matérialisent pour la moitié d’entre eux. Cette fin d’emploi est elle aussi marquée par des moments difficiles à vivre : on pousse à la démission, le patron met fin à l’emploi sur un coup de colère, on donne le choix entre une tâche ingrate ou un départ volontaire, etc. Dans les plaintes que nous avons lues, ces fins d’emploi se décident en une seule rencontre. Le dialogue est alors impossible, les esprits s’échauffent et les phrases fatidiques Je démissionne! ou Tu es congédiée! sont prononcées. Dans certains cas, l’iniquité est encore plus durement ressentie lorsque le patron, tout en reconnaissant les comportements exagérés d’un de ses cadres, souhaite voir partir l’employé qui se dit victime de harcèlement psychologique pour pouvoir garder son gestionnaire. Dans de tels cas, c’est le plaignant qui est considéré comme la personne à remplacer.

La mise en échec de la personne

La mise en échec de la personne est une attaque directe et souvent publique qui vise à discréditer, dénigrer, accuser faussement une personne ou porter atteinte à sa réputation dans le but de lui nuire (39 plaintes sur 236) (encadré 4). Voici quelques exemples tirés des plaintes analysées :

  • À un représentant : On lui fixe des objectifs plus élevés pour le mois qui vient, mais on restreint son territoire. On le menace de mesures disciplinaires si les objectifs ne sont pas atteints, ce qu’on ne fait pas pour les autres représentants.

  • Le directeur : Ce matin la réunion a bien été, parce que t’étais pas là ! I don’t know why we hired you in the first instance, you don’t know how to do your job right and you are worthless, you are nothing but a stupid Latino!

  • À une vendeuse, qu’on insulte devant les clients : T’as pas recommandé ça à Madame! Ben voyons, tu vois pas que ça ne lui va pas. Tu devrais aller nettoyer les toilettes ! Ha ! Ha !… Venez, Madame, je vais m’occuper de vous!

  • À une formatrice : Le directeur général demande à une autre personne sans formation adéquate de préparer un atelier sur la pédagogie, alors que c’est la plaignante qui est spécialiste dans le domaine. Plus tard, en rencontre d’équipe, le directeur demande à la plaignante d’expliquer aux autres comment s’est déroulé cet atelier.

Cette recherche d’un bouc émissaire est une stratégie que l’on adopte lorsqu’il y a une crise, lorsqu’on ne veut pas véritablement faire face au problème. En désignant un coupable, on déplace le conflit, mais on ne règle en rien le problème (Monroy et Fournier, 1997).

L’isolement de la personne

La détérioration du soutien social au travail ou l’isolement de la personne est un phénomène énoncé dans 39 plaintes sur 236 (encadré 5). Dans toutes ces situations, la stratégie consiste à mettre le plaignant à l’écart. Les moyens relatés par les plaignants sont diversifiés :

  • Exiger des autres employés qu’ils ne parlent plus au plaignant;

  • Ne pas inviter le plaignant aux activités sociales (p. ex., dîner au restaurant, sorties sociales, etc.);

  • Attribuer à la plaignante des tâches sans contact avec les collègues ou la clientèle;

  • Assigner des tâches au plaignant sur les heures de dîner;

  • Fermer les volets des bureaux pour éliminer tout contact visuel avec la plaignante;

  • Interdire au plaignant de parler aux autres employés.

L’impact de l’isolement social sur une personne est brutal et provoque souvent une pathologie de la solitude (Grenier-Pezé, 2005), puisqu’il fait perdre toute référence et donne l’impression d’être à part, d’avoir tort (Faulx et Geuzaine, 2000). La plupart des plaignants qui se retrouvent dans cette situation disent être dépassés par les événements et ne plus pouvoir expliquer ce qui se passe autour d’eux. Il n’est pas rare de les voir exprimer de la honte et de l’humiliation de se retrouver dans une situation qu’ils ne parviennent pas à comprendre. Ils se sentent rejetés par les autres : Je ne faisais plus partie de la grande famille de cette entreprise, j’avais honte de ce qui m’arrivait, j’étais devenu un étranger à qui on ne parlait plus. Ça me faisait mal au coeur. J’ai décidé de partir pour sauver ma santé!, écrit un plaignant.

Conclusion

Le phénomène du harcèlement psychologique est loin d’être simple. Les propos et les récits que nous avons rapportés montrent bien qu’il s’agit de situations complexes pour diverses raisons. L’une de ces raisons est que le harcèlement psychologique est une manifestation directe du caractère privé de la violence (Cooney, 2003) qui concerne des individus plutôt que des groupes, et qui s’adresse aux proches et non à des étrangers ou à des opposants lointains. Le conflit prend donc forme, la plupart du temps, entre deux individus et dans des relations de face à face, c’est-à-dire sans la présence de témoin direct.

Avec la montée de l’individualisme, la perte de solidarité et l’augmentation des distances sociales au travail (Black, 1993), le conflit qui se manifestait à l’extérieur (p. ex., grève, pétition, piquetage ou sabotage) et en groupe s’exprime maintenant dans les lieux de travail (p. ex., bureau, atelier, cuisine, entrepôt, etc.) et de manière privée, c’est-à-dire entre deux individus. La diminution des solidarités sociales au travail a donc aussi entraîné la migration des conflits, qui sont passés de la place publique au bureau ou à l’atelier. Dans notre étude, cette situation de perte des solidarités conduit souvent le plaignant à se taire : il n’ose pas parler de la situation et espère que le temps va arranger les choses. Dans huit cas sur dix, la personne qui se dit victime ne parvient pas à s’expliquer les raisons qui mènent à de tels comportements, et elle se sent totalement isolée.

Le harcèlement psychologique est aussi socialement distribué, c’est- à-dire qu’il implique, à titre de victimes ou de mises en cause, des personnes de toutes les catégories d’emplois : secrétaire, technicien ou cadre supérieur. Toutefois, la direction du harcèlement psychologique n’est pas distribuée au hasard. Ce sont généralement les gestionnaires qui sont identifiés comme les personnes mises en cause et les femmes se disent surtout harcelées par les hommes.

Par ailleurs, dans 57 % des cas, le plaignant est sans emploi; il ne s’agit donc pas d’une situation exceptionnelle. Elle pourrait être en relation avec un certain fatalisme ou avec un rapport très inégalitaire, marqué par le silence, la domination, l’autoritarisme, qui conduit le plaignant vers la perte (volontaire ou non) de son emploi (Pithers et Soden, 1999).

En analysant les 236 dossiers, nous avons été étonnés du grand nombre de cas de harcèlement psychologique rapportant des situations d’incivilité, des propos vexatoires et blasphématoires (132/236 plaintes). L’insulte, « la phrase qui tue! », le dénigrement public sont monnaie courante dans les plaintes de harcèlement psychologique au travail déposées à la Commission des normes du travail du Québec. La situation semble similaire aux États-Unis où, selon les recherches de Pearson et Porath (2005), 20 % des travailleurs sondés se disent la cible d’incivilités au travail au moins une fois par semaine. Le respect de la personne est une valeur en perte de vitesse et l’individualisme justifie bien souvent n’importe quel propos lorsque l’on veut parvenir à ses fins.

L’ampleur des incivilités s’accompagne souvent d’une réaction de banalisation ou de déni, ou encore, d’un jugement sur la trop grande sensibilité ou la fragilité du plaignant, comme en témoigne ce représentant aux ventes : Je lui ai demandé qu’il arrête de m’insulter et de rire de ma tenue vestimentaire, il n’a pas voulu. Même le gérant a dit que c’était moi qui étais trop sensible et qui exagérais tout! Par ailleurs, ces incivilités, en plus d’être associées au harcèlement psychologique, sont un excellent terreau pour que des conflits et des agissements plus graves surviennent : J’ai dû quitter le travail, mon patron et moi on est en venus aux poings, ils ont appelé la police. Depuis le début de notre conflit, rien n’a été fait; ça s’est donc fini en grosse crise!

L’individualisation des conflits se manifeste aussi dans les tentatives de résolution des cas. En effet, dans la majorité des plaintes analysées, les tentatives de résolution (p. ex., discussions avec le mis en cause, information au gestionnaire, lettre de plainte, etc.) émanent uniquement du plaignant. Les collègues sont presque toujours absents; rares sont les cas où un autre employé est intervenu pour faire cesser ou dénoncer une situation connue par l’environnement immédiat du plaignant. Il faut aussi dire que, de manière générale, on ne sait pas comment intervenir ni comment s’interposer dans un conflit (Lapeyrière, 2004). On préfère donc très souvent plaider le doute ou la trop grande complexité de la situation. Dans les événements relatés dans les dossiers, il arrive aussi que la situation se dégrade et que les réseaux de collègues disparaissent une fois que la situation est mise au jour par le plaignant. Ce revirement accroît le sentiment de vulnérabilité et d’iniquité, ce qui a pour effet de rendre la situation de harcèlement psychologique encore plus menaçante pour le plaignant (Lewis et Orford, 2005). Cet extrait d’une plainte est éloquent : Non seulement je suis la victime, mais mes coéquipiers ne me parlent presque plus. Ce gars [le mis en cause] m’en veut tellement qu’il a réussi à me mettre les autres à dos. Si ça ce n’est pas du harcèlement, c’est quoi ?

Le soutien extérieur semble aussi absent : sur 236 dossiers, dans 12 cas seulement, on fait mention d’une aide extérieure (p. ex., avocat, association de défense des travailleurs, etc.). Le seul et dernier recours des plaignants est donc le dépôt d’une plainte pour harcèlement psychologique à la Commission des normes du travail. Ils voient en la Commission leur planche de salut, l’organisme qui va reconnaître leur situation et démontrer formellement qu’ils ont raison, comme en témoigne cette caissière : La CNT est mon seul recours, ailleurs personne ne veut entendre ce que je vis, c’est important pour moi de montrer que j’ai raison et que c’est moi la victime. Je n’invente pas toute cette histoire!

Dans l’entreprise, la première réaction à un signalement à propos d’un harcèlement psychologique est l’inaction. On ignore la situation, on ne sanctionne pas la personne mise en cause, on tente par divers moyens d’étouffer l’histoire, on ne veut pas faire de vagues (p. ex., banalisation, menace de congédiement, respect de la vie privée, problème entre des personnes adultes et responsables, etc.); on va même parfois jusqu’à mettre fin à l’emploi du plaignant.

L’un des défis liés au harcèlement psychologique au travail pour les employeurs et les employés consiste donc à ne pas s’enfermer dans un débat juridique, en se demandant si la situation cadre ou non avec la définition qu’en donne la loi. Dans une perspective de saine gestion des organisations et afin d’éviter une judiciarisation des cas, les problèmes rapportés par les plaignants doivent surtout être analysés à la lumière de l’éthique individuelle et collective (Wornham, 2003) et à la lumière des problèmes associés aux rapports de travail (Legoff, 2003). Qu’il s’agisse ou non de harcèlement, les situations que nous avons analysées sont dans bien des cas tout simplement inadmissibles dans nos organisations modernes et peuvent, par ailleurs, conduire à des problèmes de santé physique ou psychologique (Vartia, 2004). Dans une telle perspective d’éthique et de santé publique, l’employeur et les employés ont le devoir de s’assurer que de telles situations ne puissent se produire (Leclerc, 2005). Il est donc important d’établir des frontières à ne pas dépasser, de définir le mieux possible ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas, de faire comprendre que le respect de la dignité de la personne n’est pas un privilège, mais bien un droit et un devoir fondamental et qu’il ne faut pas attendre que la situation soit jugée inacceptable pour intervenir.

Les organisations doivent aussi se doter de systèmes de veille pour détecter les cas ainsi que d’outils de gestion pour désamorcer les situations qui comportent un potentiel de harcèlement psychologique. Sur ce plan, dans aucune des plaintes que nous avons analysées, il n’est fait mention de dispositifs organisationnels de prévention ou de gestion des diverses formes possibles de tensions humaines. Il s’agit donc encore d’une problématique qui fait l’objet d’une gestion passive et réactive. En ce qui concerne les solutions et des moyens de prévention, cela signifie que le harcèlement psychologique ne se règle pas uniquement en l’interdisant au moyen de politiques organisationnelles, mais aussi en favorisant le dialogue, le soutien social au travail et des relations interpersonnelles saines qui accordent une plus grande place à l’éthique et à la morale.

À la lecture des plaintes, on constate que le harcèlement psychologique n’est pas seulement une série d’actes ponctuels et isolés, mais surtout un processus qui se construit dans le temps (Traubé, 1987). En fait, le harcèlement psychologique est en quelque sorte un accident relationnel au ralenti, qui se caractérise par des relations de plus en plus difficiles, et qui se construit dans le temps à travers divers événements (Livian, 2004). De plus, le phénomène du harcèlement psychologique est d’autant plus complexe qu’il doit être interprété à la lumière, notamment, des styles de gestion, du climat organisationnel, des conflits interpersonnels, des complicités ou des oppositions entre groupes d’individus (Rayner, 1999). En fait, il n’est pas rare de constater qu’une analyse ou une enquête d’une situation de harcèlement psychologique exige presque une analyse du contexte organisationnel et un historique des relations interpersonnelles (Zapf, 2001). Il faut donc dépasser le cas anecdotique et faire une lecture plus large pour saisir la situation réelle, les relations et l’environnement à l’intérieur desquels s’inscrit la plainte. On éviterait ainsi que le harcèlement psychologique au travail soit confondu avec d’autres maux (p. ex., conflit interpersonnel, lutte de pouvoir, compétition, etc.).