Comptes rendus

Boisclair, Isabelle (dir.)Lectures du genre. Montréal, Les éditions du remue-ménage, 2002, 179 p.[Notice]

  • Marina Girardin

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  • Marina Girardin
    Département de littérature québécoise
    Faculté des Lettres
    Université Laval

S’intéresser aux manifestations du genre sexuel dans le texte littéraire n’équivaut-il pas d’emblée à prétendre qu’il existe une différence entre les sexes, différence qui se jouerait au-delà du dispositif biologique ? Entreprise hardie que celle-là puisque, pour parvenir à saisir cette essence du genre, il faudrait arriver à penser un « degré zéro » de la différence sexuelle, c’est-à-dire partir de l’idée selon laquelle le genre, pure construction sociale, crée le sexe. Si Isabelle Boisclair mentionne d’entrée de jeu l’importance d’une telle démarche, c’est qu’il s’agit de la façon la plus probable et la plus opératoire de prendre la pleine mesure de ce qui pourrait constituer la différence sexuelle. Partant du postulat que la différence sexuelle et la sexualité sont des thèmes que l’on trouve au coeur de la littérature, Isabelle Boisclair a rassemblé neuf textes témoignant de la pluralité des approches que cette problématique – les manifestations du genre sexuel dans le texte – rend possibles. Sans prétendre apporter une réponse définitive à la question de l’existence du genre, réponse qui demeure fuyante à l’intérieur même des sphères scientifiques, le présent ouvrage entend proposer des angles de lecture susceptibles d’éclairer le sujet. L’instance « auctoriale », l’univers symbolique, les instances d’énonciation, la narration et les personnages, voilà autant de lieux à interroger lorsqu’il s’agit de repérer les traces d’une sexuation. Rédigé par Louise-L. Larivière, le premier article de l’ouvrage s’intitule : « Quand une langue se donne du genre ou De la « bonne » féminisation linguistique ». Différents des autres articles par le domaine auquel il se rattache (la linguistique), ce texte a pour objet de tirer de la confusion les multiples règles élaborées en matière de féminisation linguistique. Selon l’auteure, pour arriver à une « meilleure » féminisation des termes, il faudrait passer par les quatre méthodes suivantes : 1) élaborer un nouvel ensemble de règles qui ne rendraient plus seulement compte des noms de profession, de fonction et des titres honorifiques, mais de tous les noms communs de personnes ; 2) étudier les usages en vigueur dans les autres communautés francophones industrialisées ; 3) relever les usages de féminisation linguistique susceptibles de s’implanter dans toute la francophonie ; et 4) étudier puis élaborer un ensemble de règles à partir des usages proposés par les ouvrages métalinguistiques (par exemple, le Nouveau Petit Robert 2000), ouvrages utilisés dans les écoles et qui formeront les futures générations. S’il importe de concevoir un système unifié basé sur des critères linguistiques, c’est, rappelle l’auteure, pour s’assurer d’une plus grande homogénéité et d’une plus grande objectivité. Dans le texte « Regard autobiographique, trajectoire sociale et conscience de genre : les Souvenirs d’une française d’Honorine Tyssandier (1828-1894) », Sylvie Pelletier s’intéresse à l’autobiographie féminine, source d’une grande richesse puisqu’elle permet de dégager les éléments constitutifs d’une conscience de genre, voire le fonctionnement même du genre. Après avoir donné une définition des trois notions opératoires qui apparaissent dans le titre de l’article (autobiographie, trajectoire sociale et conscience de genre), l’auteure décrit en quels termes Honorine Tyssandier fait preuve d’une vision du monde sexuée, en même temps que d’une conscience de classe, conscience rendue possible grâce à l’ascension sociale de cette femme et aux nombreux voyages qu’elle effectue à l’étranger. Genèse d’une pensée féministe ? Peut-être. Entre les valeurs traditionnelles et les valeurs issues des expériences adultes, la pensée d’Honorine Tyssandier n’est toutefois pas immuable, pas plus au demeurant que ne l’est la notion de genre elle-même. Le féminin n’est-il pas une donnée qui varie au fil des âges ? L’article d’Evelyne Ledoux-Beaugrand, « “ Ceci est mon corps ”, ceci est mon texte …