Lu pour vous

OTERO, Marcelo, et Shirley ROY (dirs.) (2013). Qu’est-ce qu’un problème social aujourd’hui ? Repenser la non-conformité. Collection Problèmes sociaux et interventions sociales, Presses de l’Université du Québec, 394 p.[Notice]

  • Jonathan Binet

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  • Jonathan Binet, M.S.S.
    Professeur à temps partiel et doctorant en service social, École de service social, Université d’Ottawa

La désignation des problèmes sociaux, comme la désignation des populations qui les incarnent et la formulation des modalités d’intervention qui visent à y répondre, varie selon les contextes et les époques. Ainsi, toute société dessine, en fonction de la normativité sociale qui la traverse, ce qui pour elle pose problème et les manières d’y remédier. Là est toute la pertinence de cet ouvrage collectif dans lequel des auteures et auteurs revisitent les manières dont on a historiquement pensé les problèmes sociaux, pour mettre à jour leur utilité et, ainsi, comprendre et expliquer ceux d’aujourd’hui. En effet, on ne peut pas penser les problèmes sociaux contemporains sans considérer les transformations normatives qui se manifestent dans nos sociétés depuis les trente dernières années. Ces transformations de la normativité sociale, dont les causes sont fortement discutées en sciences sociales, ont contribué à redéfinir les partages entre le normal et l’anormal, le conforme et le non-conforme, le tolérable et l’intolérable. Ainsi, ces transformations normatives ont rendu obsolète la désignation de certains phénomènes sociaux, tels que l’enfance illégitime et le divorce, à titre de problèmes sociaux et ont permis, au contraire, de désigner comme posant problème certains autres phénomènes, tels que la violence conjugale et l’hyperactivité. Dans ce même ordre d’idées, les modalités d’intervention qui ciblent ce ou ceux qui posent problème se sont transformées et multipliées. Dans les sociétés contemporaines, il est possible de repérer une pluralité de modalités d’intervention parfois compréhensives, réformatrices, contrôlantes ou punitives qui visent à agir sur ce que l’on désigne comme des problèmes sociaux et sur les populations qui les incarnent. Sans être forcément nouvelles, ces modalités d’intervention se superposent, se hiérarchisent et s’organisent autour de problématiques bien circonscrites. Or, plutôt que d’adopter ces explications et ces regards « catégoriel[s], substantialiste[s], psychologisant[s] et parfois franchement folklorisant[s] » (quatrième de couverture), les auteures et auteurs de cet ouvrage proposent en quatre parties des analyses transversales cherchant à lier les récentes transformations sociétales à ces explications et regards. La première partie, intitulée Dynamiques et rhétoriques, est divisée en quatre chapitres qui cherchent à déchiffrer les manières dont sont rationalisés les problèmes sociaux et les modalités d’intervention qui les ciblent. Dans le premier chapitre, Luc Van Campenhoudt remet en question l’idée d’une « idéologie consensualiste » (p. 33) qui s’impose aux actrices et acteurs qui agissent sur les problèmes sociaux et les populations qui les incarnent. L’auteur met à l’écart l’idée d’un complot en soutenant celle d’un « malentendu qui fonctionne » (p. 21). Selon l’auteur, les malentendus sont inhérents aux rapports sociaux dans lesquels sont définis les problèmes sociaux et les modalités d’intervention qui les ciblent. Dans la sphère des politiques publiques, cela implique que la construction des problèmes sociaux, par les dirigeantes et dirigeants, donne lieu à des distorsions sur les différents paliers d’intervention, ce qui n’est pas mauvais en soi. Dans le deuxième chapitre, Isabelle Astier met à jour la nouvelle grammaire de l’action publique, centrée sur l’accompagnement, l’activation et la responsabilisation. L’auteure soutient que les politiques publiques, sous l’ordre du nouveau management public, font de plus en plus la promotion d’une figure de l’individu responsable et participant. Ces nouvelles orientations normatives de l’action publique transforment l’intervention sociale au nom d’un principe de proximité et encouragent la multiplication de nouvelles figures professionnelles (travailleuses et travailleurs de rue, médiatrices et médiateurs, etc.). Ces professionnelles et professionnels du proche accompagnent l’individu dans un travail sur soi et l’incitent à agir plus qu’ils ne le réparent ou ne le libèrent. Ainsi prendrait place une réinstitutionnalisation dans laquelle de nouvelles normes (liberté, responsabilité, autonomie, projet, travail sur soi, etc.) baliseraient le travail …